Calmann-Lévy, éditeurs (p. 165-168).

V

. . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque Jacqueline entra dans son cabinet de toilette, elle y trouva son mari qui marchait de long en large et faisait claquer ses doigts. Elle s’arrêta au seuil de la pièce.

– Allez-vous-en, s’il vous plaît, dit-elle.

André s’approcha.

— Non, je ne m’en irai pas avant de m’être expliqué.

Sans ôter son manteau, son visage pâle enserré aux zibelines de son col, Jacqueline s’assit.

— Expliquez-vous, fit-elle.

— Eh bien…

Il s’arrêta. Peut-être avait-il escompté de la colère pour mettre, dès le début, la scène au ton du pathétique. Des paroles violentes et injurieuses eussent autorisé des réponses passionnées, et ces gestes de tendresse qui fatiguent la résistance de l’adversaire. Après une hésitation il reprit :

— Vous avez exagéré.

Jacqueline eut un sourire méchant, et, appuyant son regard :

— Madame Simpson est fort élégante, elle a de beaux rubis à ses jarretelles.

— Tenez, justement, votre ironie remet les choses au point. Vous vous êtes rendu compte qu’il s’agissait d’un désir banal et fugitif — de quoi exciter la moquerie de la chère compréhensive que vous êtes, — rien de plus.

— Pardon, vous étiez trop troublé, probablement, pour comprendre le sens des paroles que j’ai dites au moment où je vous ai… interrompu. Je vais répéter : madame d’Audichamp a parlé de vos liaisons avec madame Simpson et mademoiselle Singly comme de faits de notoriété publique. Le temps lui a manqué pour citer d’autres noms. Tenons-nous-en à ces deux-là, c’est assez. Il faut que vous trouviez mieux que l’hypothèse du désir d’un instant… ça ne va pas.

— Je vous promets…

— On a mauvaise figure quand on ment sans être cru. Vous m’obligeriez en rentrant chez vous. Je suis fatiguée.

— Écoutez-moi. Je ne cherche pas à me disculper. Mais, quoi que j’aie pu faire, je vous aime. Je vous sacrifierai madame Simpson sans l’ombre d’un regret ; et je ne compte pas permettre que notre vie soit bouleversée par ce ridicule incident.

— Vous n’êtes pas maître de votre vocabulaire. « Ridicule incident » est une assez bonne formule, mais c’est à moi qu’il appartient de l’employer ; à vous, pas. Quant à me « sacrifier » vos maîtresses… l’offre est gracieuse infiniment, mais je ne veux vous être l’occasion d’aucun sacrifice. Puis, vous avez dit encore — c’est assez comique — que vous ne permettiez pas quelque chose… Quoi donc ? Ah ! oui, que notre vie soit bouleversée. Le sens du mot « permettre » m’échappe tout à fait quand c’est vous qui le prononcez. Laissez-moi vous apprendre que vous n’avez plus rien à me permettre ni à m’interdire. Vous êtes libre : moi aussi. Je ne vous fais pas de reproches ; même, je m’excuse d’avoir eu chez madame d’Audichamp un moment d’irritation, de très mauvais ton. C’est passé, comme vous pouvez voir… Oh ! je vous en prie, n’essayez pas de ce regard-là, c’est tout à fait inutile. Maintenant que je sais qu’il vous sert en ville, il ne me donne plus qu’une irrévérencieuse envie de rire… Là, nous nous sommes expliqués, laissez-moi, ce sera très aimable. Il n’y a pour vous aucun intérêt à rester. Vous ne dites que des bêtises, ce n’est pas votre faute, la situation ne comporte pas qu’on y soit spirituel. Vrai, croyez-moi : vous n’êtes pas à votre avantage… Et, si vous pouviez deviner combien j’ai sommeil !…

André avait fait quelques tentatives pour interrompre la tirade, mais elle n’y avait pas pris garde. Quand elle se tut enfin, il avait retrouvé l’air d’insolence hautaine qui lui était habituel.

— C’est bien, dit-il ; j’espère que vous ne regretterez pas de m’avoir repoussé, et de cette façon !

Il sortit. La porte refermée sur lui, Jacqueline se leva, fit un pas, tendit le bras comme si elle allait ouvrir, le rappeler, mais le geste s’interrompit. Elle resta droite, écoutant le pas d’André dans le couloir ; quand elle cessa de l’entendre, elle retomba assise, et, la figure dans ses mains, elle sanglota.