La Lanterne (Buies)/La Lanterne N° 2

(p. 15-24).


LA LANTERNE


No 2




J’ai trouvé mon deuxième monstre ; je le tiens, je ne le lâche plus. — Mon deuxième monstre, c’est… ah bah ! vous ne le croirez point, mais c’est lui pourtant, bien lui… le Nouveau-Monde.

En voilà une ! Vous allez saisir.

Les augures se sont pris aux cheveux.

Voyez jusqu’à quel point ils devaient se haïr entre eux, puisqu’il a suffi d’une étincelle toute petite, allumée par le Pays, pour produire un feu que rien désormais ne pourra éteindre.

Il m’est impossible de rester neutre dans un conflit de presse ; aussi je me range immédiatement du côté du Nouveau-Monde, que je prie de ne pas me repousser avec dédain. Ces unions monstrueuses, pour être peu durables, n’en sont pas moins logiques.

Ce matin, mardi, 22, la Minerve accuse mon allié de s’approprier ses dépêches, de lui faire des vols littéraires, de lui prendre ses informations, de mentir pour soutenir ses diffamations, d’avoir englouti son capital souscrit, plus le fruit de générosités considérables,… et mille autres douceurs, tout cela après avoir eu d’Elle tant de compliments et de bons souhaits à son apparition dans la presse.

Je démontre par l’absurde ou par l’impossible la fausseté des accusations de la Minerve.

1o. Il est impossible de faire à la Minerve un vol littéraire ; parce que le corps du délit, c’est-à-dire la littérature, manquant, bien plus, n’ayant jamais existé, l’accusation tombe d’elle-même.

2o. Mon allié ne peut s’approprier les dépêches de la Minerve ; parce qu’à moins d’avoir fait des études spéciales de KamsKatquois, on ne peut les déchiffrer et, par suite, encore bien moins se les approprier.

3o. Mon allié ne dérobe pas davantage à la Minerve ses informations, à moins qu’il ne lui ait pris celle où la Déesse a puisé que le nommé Daniel Drew (qui est un bateau à vapeur,) s’est crevé en se heurtant contre un roc — Dans ce cas mon allié aurait eu tort.

4o. Le Nouveau-Monde ne peut pas mentir pour soutenir n’importe quoi, attendu que le Nouveau-Monde étant inspiré à la source de toute vérité, le mensonge lui est impossible. La Minerve sachant cela et disant sciemment tout le contraire de mon allié, doit être elle-même, et elle seule, convaincue de fausseté, accusation qui ne lui fait plus d’effet aujourd’hui, mais qui ne perd pas de sa justesse pour tout cela.

5o. Mon allié ne peut pas être accusé d’avoir englouti son capital et les générosités qu’on lui a faites, parce que tous les biens de la terre étant méprisables et la pauvreté étant agréable à Dieu, le plus tôt le Nouveau Monde engloutira le reste de son capital, le plus tôt il rentrera dans la pensée de ses fondateurs.

Maintenant que j’ai lavé mon allié de ces cinq premières accusations, je lui retire mon appui pour le reste. Je ne me sens pas capable de réfuter les autres chefs, tous portés par la Minerve de ce matin et que voici dans leur ordre, textuellement :

Ainsi donc, dans l’espace d’un an,

Le Nouveau-Monde a eu le temps de travailler à la ruine de nos gouvernements locaux ;

À la ruine de notre nationalité ;

À la ruine de la bonne presse ;

Le Nouveau-Monde a eu le temps d’insulter de vénérables membres du clergé, qui lui donnaient de bons conseils.

Le Nouveau-Monde a eu le temps de pratiquer des faux littéraires en falsifiant le texte d’un journal français, pour éviter de mentionner notre nom.

Le Nouveau-Monde, pour résumer, a eu le temps de donner l’exemple de tous les scandales en nous autorisant à

Insulter les prêtres,

Falsifier des textes,

Renier ses opinions au moyen de correspondances,

Refuser de rendre justice devant l’évidence,

Sacrifier le bien du pays à l’intérêt d’un plaideur,

Diviser les consciences,

Détruire la force nationale.

Tout cela, c’est beaucoup trop à dire ; mais nous n’avons pas trop dit ; et en disant tout cela, nous ne voulons pas qu’il soit compris que nous travaillons à détruire le Nouveau-Monde. Au contraire, qu’il vive, s’il veut vivre honorablement ; il y a place pour lui à Montréal. Nous serons son meilleur ami.

Cette conclusion nous serons son meilleur ami, au sujet d’un journal qu’on appelle menteur, faussaire, voleur, etc., fait voir que la Minerve n’est pas du tout dégoûtée, et qu’il y a beaucoup à craindre d’elle pour l’avenir.

Il devient de plus en plus difficile d’avoir des servantes ; c’est presque aussi difficile que d’avoir de l’esprit pour un rédacteur de l’Ordre ou de faire quelque chose d’intelligible, pour un traducteur de la Minerve.

Voici ce que je lis dans un journal anglais :

On demande une servante pour une petite famille qui emploie déjà un domestique mâle. Le ménage et la cuisine sont faits entièrement par les membres de la famille. Le maître de la maison se lève de bonne heure, mais prépare le déjeuner lui-même. Le blanchissage se fait en dehors de la maison, et la cuisine est pourvue de tout ce qui fait le comfort et le luxe ; la viande froide et le hachis sont scrupuleusement bannis de la maison. — On donnera n’importe quels gages ; money is no object. On échangera en outre sa photographie.

On ne dit pas s’il y a une Lanterne dans la cuisine de la petite famille. Maintenant que la mienne est connue, les servantes vont devenir d’une exigence !… J’y verrai… patrons.

Sir Narcisse Fortunat Belleau, lieutenant-gouverneur de la province de Québec, est venu à l’Exposition la semaine dernière. (Je ne puis me résoudre à l’appeler Son Excellence, malgré toute l’envie que j’en aie, parce que je suis colon, et tant que je serai colon, je veux prouver ma loyauté par mon obéissance.)[1] La Minerve s’exprimait ainsi au sujet de cette visite :

En allant sur son passage contribuer à un accueil enthousiaste, nous aurons fait parvenir à Sa Gracieuse Majesté l’expression de notre inébranlable loyauté, et, en même temps, nous nous serons honorés à nos propres yeux, puisque ces hommages s’adressent à un digne et sympathique compatriote.

Nous l’avons déjà dit, l’arrivée de son Excellence le lieutenant gouverneur de la Province de Québec à Montréal est une grande et solennelle occasion où il nous sera donné de nous affirmer, et pour avoir droit d’espérer de l’avenir, nous devons nous affirmer.

Je ne sais pas si sa Gracieuse Majesté est abonnée à la Minerve, ni si elle a quelque autre moyen de connaître chaque mouvement de Sir Narcisse ; il peut se faire même qu’il lui échappe quelque détail, malgré le retentissement que va avoir en Europe notre exposition provinciale, retentissement qui poursuivra la reine partout, dans tous ses voyages, car en Angleterre on ne parlera que de cela pendant bien longtemps. Mais enfin, si cette expression de notre inébranlable loyauté ne lui parvenait pas, il nous resterait toujours la consolation de nous être honorés à nos propres yeux et de nous affirmer pour avoir droit à l’avenir.

Le marchand qui ne peut pas vendre sa marchandise la garde pour lui-même ; c’est une grande consolation, mais qui mène droit à la banqueroute.

Il paraît que jusqu’à présent nous n’avons pu nous affirmer, et qu’il a fallu une visite aux moutons et aux bœufs de la rue Sherbrooke pour nous donner droit à l’avenir. Il y avait bien avant cela la Confédération, mais qui ne donne pas de droits ; au contraire, elle en ôte. C’est pour cela qu’il fallait nous rattraper. Aussi, une population immense de vingt-deux personnes entassées dans sept voitures, accourait-elle mardi dernier au devant de Sir Narcisse pour s’affirmer et pour avoir droit à l’avenir, en payant quatre dollars à M. Hogan qui s’était chargé du banquet au St. Patrick’s Hall.

La Minerve « attendait de ses compatriotes cette démonstration qui, pour être spontanée, n’en aurait que plus de mérite. » Et plus loin, elle ajoute :

Ce premier témoignage devra être suivi d’un égal entrain pour le concert de mercredi. Nous nous attendons à y trouver tous ceux qui ont la prétention de chérir l’autonomie du Bas-Canada. Le pays en retiendra les noms pour savoir où sont ses amis véritables.

Après les calculs les plus économiques, le prix des billets pour le déjeuner a été fixé à $4. Bien peu de personnes ne pourraient assister à ce déjeuner ; nous avons la confiance qu’il n’y en manquera pas une.

Ce pas une est unique. Pas une de qui ? On ne peut pas se trouver 1,300,000 âmes dans la salle St. Patrick.[2] Mais ce n’est pas de raisonner qu’il s’agit.

Voulez-vous être un ami véritable de votre pays ? Venez, cela coûte quatre dollars. Voulez-vous au contraire bouleverser toutes les lois qui nous gouvernent, ne venez pas au déjeuner ; on saura qui vous êtes.

J’ai fait ce calcul. Il y avait 130 personnes à ce déjeuner, nous avons une population d’à peu près 1,300,000 âmes ; donc nous sommes 1,299,880 rebelles contre 130 amis de leur pays et des dindes truffés.

Ce qu’on admirera, c’est une démonstration spontanée à laquelle on s’attend deux ou trois jours d’avance, dont toutes les péripéties et les phases sont indiquées rigoureusement, et dont le programme enfin, contenant l’indication des lieux et des heures, est depuis longtemps arrêté.

L’autonomie du Bas-Canada s’est trouvée représentée ce jour-là par la société St. Jean Baptiste qui se trouve toujours seule à tout représenter, et qui est arrivée là spontanément, comme elle arrive toujours, composée des mêmes personnages.

Une vraie improvisation ! et soyons certains que nous les trouverons encore à la première opportunité. Ces gens-là n’ont pas besoin de se prévenir entre eux ; ils se trouvent d’instinct dans toutes les chances qui s’offrent de goûter un bon morceau et de le digérer au nom du pays.

M. le président de la société St. Jean-Baptiste s’est surpassé toutefois dans l’adresse qu’il a présentée au lieutenant-gouverneur. Il a dit en parlant à Son Excellence :

Comme Société canadienne-française, nous ne dissimulerons pas, dit-il, que nous regardons la haute dignité dont vous avez été revêtu par Sa Majesté comme projetant de l’éclat sur tous nos compatriotes, et comme assignant à notre race le rang qu’elle a droit d’occuper sur cette terre… nous pouvons proclamer hautement notre ferme attachement à la constitution qui nous régit, et qui nous a valu cette reconnaissance de nos droits.

Je ne sais si ce discours était improvisé. Dans tous les cas, M. le Président aurait dû en faire un autre pour le public afin de lui expliquer si c’est notre attachement qui nous a valu cette reconnaissance de nos droits, ou si c’est la constitution. Si c’est notre attachement, il faut avouer que, comme tous les amoureux, nous restons aveugles devant l’ingratitude. Si c’est la constitution, reste à savoir quels droits on a pu nous reconnaître, quand on nous a enlevé celui d’élire notre conseil législatif, de nommer nos juges, de conduire nos affaires politiques, &… Peut-être est-ce celui de nommer un imprimeur de la reine ; mais jusqu’à présent, si ce droit a été reconnu, comme nous ne l’exerçons pas, il est inutile.

Peut-être le gouvernement local fera-t-il bientôt acte d’existence, et si c’est le propriétaire de la Minerve qui est nommé imprimeur officiel, il y aura de suite une nouvelle manifestation nationale, composée de huit membres de la société St. Jean-Baptiste et du dit propriétaire, pour faire voir combien le peuple entier est heureux sous la constitution qui le régit.

On n’empêchera jamais les jeunes gens d’encombrer les professions. « En effet, » dit le Journal de Québec, « ils finissent toujours par se procurer la somme requise pour leurs examens, en la demandant à des amis, à des protecteurs, ou à un travail forcé. »

Quand ils n’auront plus ni amis, ni protecteurs, et qu’ils ne pourront plus casser des pierres, ils se feront condamner à deux ans de pénitencier. Après tout, vaut autant commencer que finir par là, bien mieux même… quand on a de l’avenir ! Sous le régime de mœurs indulgentes qui a été inauguré par le gouvernement local, il est difficile que les jeunes gens ne reçoivent pas à leur sortie du pénitencier quelque emploi du gouvernement, si la clientèle leur manque.

Je conseille donc fortement ce moyen aux étudiants qui veulent réussir.

J’ai toujours remarqué, que les canadiens ont un amour prononcé pour le féminin ; c’est à ce sentiment sans doute qu’ils doivent leur autonomie nationale. Ainsi ils disent invariablement « la grande air, une belle hôtel, de la bonne argent » quand ils ne disent pas « des argents » grand Dieu ! Mais voilà le Journal de Québec, particulièrement attaché à la conservation de notre nationalité, qui trouve qu’il n’y a pas encore assez de féminin ; il dit : « Si cette impôt que l’on prélève est destinée… mais si elle vise à éloigner… nous la trouvons injuste et inutile. »

Impôt était pourtant le dernier mot à féminiser ; il est essentiellement masculin, comme tout ce qui est lourd. Et puis, un impôt qui vise à !…

Monseigneur dit que l’écu que nous dépensons au théâtre fait tomber sur nous un anathème qui se fera sentir jusqu’à la dernière génération.

Il m’est impossible de contester cela, puisque c’est parole sacrée. Mais je me permets une réflexion, et c’est ce qui me désespère ;… on ne devrait jamais réfléchir.

Nos petits enfants seront anathématisés quand même, malgré notre obéissance à notre pasteur. Nous sommes, nous, la dernière génération des hommes vivants ; or, nos pères qui allaient au spectacle, du temps de Louis XIV par exemple, ont dû être anathématisés aussi ; nous le sommes par conséquent, et nous transmettons cet anathème à nos petits enfants qui n’en pourront mais…

Voyez-vous ce que c’est que de raisonner !

Le Pérou vient d’être à moitié enseveli par un tremblement de terre. Je ne sais pas si c’est un buffle qui aura fait tout à coup son apparition sur quelque volcan de ce pays malheureux. Dans ce cas, il faut que ce soit un gros buffle, bien plus gros que celui d’Amalfi. Quand ils s’y mettent, ces buffles-là sont terribles. Pour eux, c’est la moindre des choses que de faire des tremblements de terre, et ils appellent ça « donner un spectacle. »

Il y a buffle et buffle. Le buffle ordinaire est celui qui se tient toujours dans les prairies où les Sioux et les Comanches le chassent ; celui-là ne donne pas de représentations. Mais le buffle des circulaires… brrrr !… Il arrive des montagnes exprès pour tout démolir. Après tout, le buffle du Pérou est peut-être le même que celui d’Amalfi qui aura eu le temps de grandir.[3]

Un autre genre de buffle, c’est l’Institut Canadien. Celui-là ne cause pas de tremblements de terre, mais il cause des tremblements de mère, voici comment :

Un jeune homme de Québec veut faire sa cléricature chez M. X…, avocat de Montréal et membre de l’Institut Canadien. L’archevêque de Québec prévient charitablement la mère de ce jeune homme que si elle envoie son fils chez M. X… qui est excommunié, elle sera excommuniée aussi par cela même. La mère, toute tremblante, se rend chez M. X… qui ne peut parvenir à la rassurer.

Et le jeune homme fera sa cléricature chez un patron qui n’est pas excommunié, mais qui n’a pas de causes.

Pour être conséquent, il faut admettre que les clients qui vont trouver M. X… sont anathématisés aussi, que le juge qui lui donne gain de cause se plonge à plaisir dans l’enfer, et que l’argent qu’il reçoit vient de Belzébuth…

Il ne reste plus qu’à décider maintenant si un débiteur de l’Institut peut le payer sans être excommunié. Si ce cas se présente devant un tribunal, il faudra que les juges en prennent leur parti, qu’ils se donnent à Satan ou donnent leur démission.

Il y en a qui ne se démettront pas ; ce qui fait voir l’état de démoralisation de nos tribunaux.

L’abus est un roi ; c’est un roi, vous dis-je, inclinez-vous. C’est le seul qu’on n’ait jamais pu détrôner. Je ne prétends pas essayer de le faire. Ce roi, après quelques centaines de révolutions, règne encore aujourd’hui sur 1,500,000,000 d’hommes et particulièrement en Canada, pays fait tout exprès. Il y a des pays faits pour les manufactures, d’autres pour les arts, d’autres pour les sciences, d’autres enfin pour les lettres. Le nôtre est fait pour les abus, ce qui explique l’étonnement de la presse bonace à la vue de l’émigration canadienne aux États-Unis.

L’abus a chez nous toutes les formes ; aujourd’hui, il est sous celle d’un salaire de gouverneur-général. Cet abus consiste à donner 10,000 louis par an à un homme qui n’en abuse pas. Je m’explique.

Si nous lui donnons 10, 000 louis, c’est pour qu’il en fasse quelque chose ; c’est pour qu’il donne des dîners, des soupers, des bals et des levers… puisqu’un gouverneur anglais n’a guère autre chose à faire et que nous sommes tenus de l’avoir. Ce n’est pas pour qu’il paie les dettes qu’il a contractées en Angleterre, attendu que le gouverneur du Canada, c’est lord Monck, et non pas ses créanciers. Or, il se trouve que le cabinet anglais pense tout le contraire et prend la chose tout à fait à rebours.

Mais ce n’est pas tout. Au premier abord, il semblerait que, puisque c’est nous qui payons, c’est à nous de décider combien et pourquoi nous payons. Pas le moins du monde ; nous sommes dans l’erreur. Le premier devoir d’un colon est de payer sans savoir ; nous le remplissons fidèlement.

Celui qui décide en cette matière, c’est le Secrétaire d’État anglais. Il est vrai que nous nous appelons Puissance ; mais jusqu’à présent nous n’avons pas encore la puissance de disposer nous-mêmes de notre argent.

L’état colonial est un état unique ; il prépare un peuple à la grandeur et à la puissance par l’humiliation. Si tu veux commander, sache obéir, dit le proverbe : c’est très-bien, mais voilà trois cents ans que nous obéissons ; il serait temps que nous prissions l’habitude de commander. Le meilleur moyen de commander n’est pas d’obéir toujours. — C’est mal interpréter le proverbe.

Un autre abus, c’est une ville qui n’est pas éclairée quand les citoyens paient très cher pour qu’elle le soit. Je vous défie de ne pas vous tuer, quand vous sortez après sept heures du soir. Quand à moi, si je vis encore, malgré mes habitudes nocturnes très condamnables, je l’avoue de suite, c’est que la Providence me protège, que le Courrier du Canada veuille ou non que la Providence protège les libéraux.

Mais une compagnie du gaz ne peut pas faire éclairer une ville par la Providence et nous faire payer ensuite comme si c’était elle, la compagnie, qui éclairait.

Pendant six mois de l’année, la Providence prend la forme de la lune.[4] C’est encore là un abus, et nous payons toujours le gaz, pendant ces six mois-là. Mais comme nous ne payons pas à la lune, elle nous joue le tour de se cacher les trois quarts du temps dans les nuages, et il est très-difficile d’aller l’y chercher.

Les journaux anglais ont deux orthographes pour le nom de l’assassin de McGee. Les uns l’appellent Whalan, les autres Whelan. C’est un moyen sûr pour qu’il ne puisse échapper. Il prétendrait en vain que cette dernière orthographe n’est pas celle de son nom ; on lui répondrait qu’on a fait le procès de Whalan aussi bien que celui de Whelan, et que l’un a été trouvé aussi coupable que l’autre.

Whelan est-il vraiment coupable ? se demandent encore certaines personnes. Là n’est pas la question. Il faut partir de ce principe. Il fallait un coupable. L’assassinat de McGee étant un crime politique, il fallait le venger. On a eu Whelan sous la main ; il a été trouvé coupable ; je suis convaincu qu’il l’est : mais le coupable, on l’aurait inventé, si on ne l’avait pas trouvé.

Pourquoi Whelan, au lieu de tuer McGee, n’a-t-il pas assassiné Howe ? Il n’y aurait pas eu de sentence prononcée contre lui après un verdict du jury, absolument comme dans le cas de Jean-Baptiste Daoust. Il eût été condamné, soit, mais à la charge de se présenter dans un comté quelconque. Et du reste, il aurait eu incontestablement une exonération fabriquée par la Minerve, ce qui équivaut à une récidive.

La Minerve dit que Son Excellence, Sir Narcisse Fortunat, a daigné répondre au discours que lui a fait l’association agricole.

Ce daigné m’a inondé de voluptés inconnues. C’est trouvé, cela ! Quels progrès nous faisons vers l’indépendance ! Tudieu ! mes amis, Daigné… Sir Narcisse a daigné répondre…

La Minerve annoncera prochainement qu’elle entretient un rapporteur spécial à Québec pour lui télégraphier tous les matins que Son Excellence a daigné se réveiller à sept heures, et s’étirer les membres trois fois pour représenter Sa Majesté.

Nous allons bien sous la constitution qui nous régit.

À propos d’Excellence, on était très embarrassé, dans le petit cercle officiel, de savoir si l’on donnerait ou non ce titre au lieutenant-gouverneur. Un homme d’esprit qui se trouvait là par hasard proposa de faire lire l’adresse par un bègue qui aurait commencé ainsi : « À Son ex… Excellence… » Tout le monde eût été satisfait de ce moyen ingénieux de concilier la vérité avec la prétention. Mais cela ne faisait pas le compte des membres de la Société St. Jean-Baptiste qui veulent toujours être satisfaits tout seuls.

On me dit : « Quelle rage vous pousse à fronder tous les vices, à chercher partout des ennemis, à vous attirer des haines sans trêve ? Le monde est méchant, sot et vil : qu’y pouvez-vous ? voilà quatre mille ans qu’on le lui dit ; on le lui dira encore dix mille ans de plus, et il restera le même. Pourquoi ne pas jouir de la vie, en cueillir les quelques fleurs perdues çà et là, au lieu d’en exprimer le poison goutte à goutte et vous nourrir de fiel ? Pourquoi ne pas chercher le bonheur qui est la paix, au lieu de provoquer l’orage ? »

Je réponds que je ne puis être satisfait, ni tranquille, tant que je verrai autour de moi les méchants, les sots et les lâches triompher. Qu’ils soient tout simplement des sots, je ne puis que les plaindre ; qu’ils soient vils sans que personne en souffre, ma pensée ne s’abaissera jamais jusqu’à eux. Mais qu’ils soient méchants et hypocrites, vicieux pour l’avantage qu’ils en tirent, et veuillent se rendre solidaire tout un peuple, je ne cesserai d’agiter mon fouet qu’ils n’aient cessé d’envenimer les esprits et de corrompre les consciences.

Devant tous ces hommes vendus cent fois, incapables d’une volonté, tremblants sous une parole, courbés sous un signe et qui ont le cynisme de parler de religion, d’honneur national, de patrie, de devoirs, je me lève et je leur ris au nez, parce que toute colère serait impuissante, tout mépris puéril, quand même on le prodiguerait.

  1. Le titre officiel accordé au lieutenant-gouverneur par le gouvernement impérial était tout simplement « Son Honneur » et non pas « Son Excellence » ; mais on lui prodiguait ce dernier titre par habitude de la flagornerie.
  2. Population approximative du Bas-Canada tout entier. Depuis l’établissement de la Confédération, en 1867, le Bas-Canada a pris le nom de Province de Québec.
  3. Extrait de la lettre circulaire de l’évêque de Montréal relative aux théâtres, en date du 30 août, 1868. Nous l’espérons, N. T. C. F. et nous demandons, avec d’instantes prières, que cette bonne et tendre mère éloigne de nous toutes les causes qui pourraient nous attirer la colère du Ciel, et qu’elle fasse pour cette ville ce qu’elle fit pour celle d’Amalfi. St. Alphonse, dont nous venons de vous parler, y avait donné une grande retraite avec des fruits merveilleux. À la clôture de cette belle mission, il dit au peuple, après l’avoir béni : Veillez sur vous-mêmes, mes frères, après notre départ il tombera de la montagne un démon qui vous exposera au malheur d’oublier toutes vos résolutions, et vous attirera le châtiment d’un tremblement de terre. En effet, le lendemain, lorsque les missionnaires étaient déjà partis, on vit descendre ce démon ; c’était un buffle qu’on avait lancé pour donner au peuple le spectacle d’un jeu profane. Mais à peine cet animal est-il arrivé sur la principale place, que toute la ville est ébranlée par un affreux tremblement de terre. Aussitôt le jeu cesse, le peuple effrayé se rend à l’église où l’Archevêque monte en chaire pour annoncer la pénitence et rappeler aux habitants les promesses qu’ils avaient faites durant la mission. Le prélat parlait encore, lorsqu’une secousse beaucoup plus violente ébranla horriblement l’église et renversa les chandeliers et tous les objets qui se trouvaient sur le maître-autel. On sortit incessamment avec l’Archevêque qui, continuant à prêcher sur la place publique, parla en ces termes de la menace prophétique : « L’homme de Dieu, dit-il, nous avait prédit ce grand châtiment, si parmi nous il s’en trouvait qui ne voulussent point se convertir. Prions, mes frères, pour ces pécheurs endurcis, et daigne le Dieu des miséricordes toucher leurs cœurs ! »
  4. Dans les villes canadiennes, on n’allume pas les becs de gaz quand la lune parait.