La Lanterne (Buies)/La Lanterne N° 1

(p. 5-14).


LA LANTERNE
No 1
Séparateur


AUX LECTEURS




Je publie cette Lanterne sans crainte qu’elle soit supprimée. Je n’ai pas, Dieu merci, à redouter des ministres absolus, comme mon confrère Rochefort. Si elle est supprimée, ce sera grâce à vous, et surtout grâce à moi-même qui n’aurai pas su montrer autant d’esprit que j’en ai réellement.

C’est là qu’est le danger. Si je m’en tire, je jure de changer mes habitudes de vieux garçon et de chercher à plaire aux femmes, ce qui est encore plus difficile que de plaire à des lecteurs.

J’entre en guerre ouverte avec toutes les stupidités, toutes les hypocrisies, toutes les turpitudes ; c’est dire que je me mets à dos les trois quarts des hommes, fardeau lourd ! Quant aux femmes, je ne m’en plaindrai pas, elles sont si légères !

Du reste, je ne leur connais que des caprices. Pourvu qu’elles aient celui de me lire…

Tous les imbéciles ne sont pas mes ennemis personnels ; l’apparition de cette Lanterne les décidera. Je ne parle point du Courrier du Canada, du Courrier de St. Hyacinthe, du Journal de Trois-Rivières, de l’Union des Cantons de l’Est, etc., je parle des imbéciles qui ont des noms d’homme, et qui se comptent par centaines de mille, ici comme ailleurs.

Il y a deux catégories d’imbéciles, ceux qui le savent et ceux qui ne le savent pas. Ceux-ci sont les pires ; ils font des comptes-rendus dans la Minerve. Quant aux autres, ils se consolent par la perspective du royaume des cieux.

Il y a deux grandes sociétés dans notre ville, la Société St. Jean-Baptiste et l’Association Pacifique pour l’Indépendance du Canada. La première compte cinquante membres, dont quatre à cheval (les chevaux ne comptent pas) ; la seconde en compte trente-deux qui vont à pied, guidés par un chef dont la principale fonction pacifique est de coller sur les murs des affiches non imprimées.

Ce chef, est-il besoin de le nommer ? L’univers le connaît ; c’est Lanctôt, Lanctôt, vous dis-je, et c’est assez. Si l’univers ne le connaît pas, ce n’est pas la faute de Lanctôt. Moi, je suis obligé de le connaître ; tant pis pour lui !

Voilà un homme qui a beaucoup de langue et pas du tout de langage. Il dit qu’il veut jouer en Canada le rôle de Wendell Philipps aux États-Unis. C’est comme si l’on voulait faire exécuter une charge de cavalerie par un bataillon de sauterelles.

Lanctôt ne croit pas seulement qu’il joue un rôle ; il croit encore qu’on est jaloux de lui, et que c’est pour cela qu’il ne crée pas une immense sensation chaque fois qu’il pérore devant trente braves et indépendants électeurs. Nous nous montrons ingrats en n’aidant pas cet homme à jouer son rôle aux dépens du bon sens. Après tout, ne sommes-nous pas le même peuple qui a élevé sur les tréteaux M Cartier ?

Ces deux rivaux se sont combattus. Ce qui prouve leur égalité de mérite, c’est que la victoire fut longtemps indécise et dût être chèrement achetée. Cartier paya, Lanctôt ne paya point. Il est vrai qu’il avait des mines, c’est-à-dire des carrières de pierres ; mais on ne séduit pas un électeur avec des pavés.

Un jour Lanctôt, se croyant assez fort, fit la guerre au parti libéral sans lequel il n’était rien. Il n’eut jamais d’autre rêve que celui de son ambition personnelle, beaucoup trop grande pour lui. Il s’est épuisé à se hisser, croyant que le nombre de ses dupes, mises les unes sur les autres, serait assez grand pour lui faire escalader les nues. Après avoir monté sur quelques dizaines d’épaules, il est tombé sur la place Chaboillez avec des œufs pourris dans les oreilles. Chute qui ne fut pas éclatante, mais qui fait voir combien parfois les grandes choses sont défaites par les plus petits moyens.

Maintenant il s’occupe à faire souscrire pour l’Indépendance Pacifique. Quand il aura ramassé cinquante dollars, nous proposerons un marché à l’Angleterre, qui, entre parenthèses, serait bien sotte de ne pas se débarrasser de nous à ce prix-là !

Les Néo-Écossais donnent des preuves d’une énergie et d’une volonté frappantes. Voilà des gaillards qui veulent mettre en pratique ce qu’ils déclarent dans leurs remontrances au gouvernement fédéral ; ce dont les journaux tories sont furieux. Ils s’imaginent que la sagesse suprême pour les néo-écossais serait de faire le contraire de ce qu’ils disent ou de ne pas faire ce qu’ils disent qu’ils feront.

Les Néos sont décidés à ne plus faire partie de la confédération, et si l’Angleterre refuse de faire justice à leur nouvelle requête, ils déclarent qu’ils se feront justice à eux-mêmes. Alors, qu’arrivera-t-il ? M. Cartier prendra son bill de milice avec les hommes qu’il y a dedans, il mettra sa tuque bleue, accrochera à son côté le sabre de son père, et accompagné de la Grande Duchesse L…, il se rendra à cinquante-quatre milles des côtes de la Nouvelle-Écosse.

Là, il fera une sommation respectueuse aux rebelles de ce pays d’avoir à se jeter dans ses bras. Aussitôt qu’il aura eu le temps de ne pas recevoir de réponse, il déploiera le drapeau britannique, le drapeau loyal, chantera Vive Ottawa, la Capitale des Canadas (et des maringouins), et cinglera en toute hâte vers le port de Québec, où l’attendra M. Cauchon qui veut exterminer les néo-écossais.

Le lendemain, on lira dans la Minerve cet étourdissant bulletin :

Grande victoire militaire de l’honorable Sir George Étienne Cartier ! Ce grand homme, dont on ne connaissait pas encore le génie guerrier, vient de mettre le sceau à sa gloire. Il n’a fait que paraître devant les insurgés de la Nouvelle-Écosse, et tous se sont tus. Ce triomphe mémorable, unique, a été obtenu sans effusion de sang, tant il est vrai de dire que l’honorable Sir George Étienne Cartier joint une âme magnanime et tendre à une profondeur politique sans exemple.

Maintenant, on peut être certain que la Nouvelle-Écosse est pacifiée et va entrer dans le giron de la Confédération, cette arche sainte qui est le salut de notre peuple.

Il y aura promenade aux flambeaux, concerts, speechs, illumination, et le lendemain, une dépêche télégraphique annoncera que M. Wilkins, procureur-général de la Nouvelle-Écosse, a demandé purement et simplement l’annexion de sa province aux États-Unis.

Alors, ce sera au tour de M. Cauchon qui, lui, est un fameux lutteur. Arrivé à dix lieues des frontières de la Nouvelle-Écosse, avec sa brochure contre la confédération, d’une main, et sa brochure pour la Confédération dans l’autre main, il fera un tel vacarme en les tapant l’une contre l’autre qu’il y aura autour de lui un attroupement de gamins curieux : « Tas de marmots, leur criera-t-il, êtes-vous pour la Confédération ou contre la Confédération ? » Et comme ils n’auront pas l’air de le comprendre, M. Cauchon s’en reviendra au Journal de Québec, où il déclarera que les Néo-Écossais sont un peuple d’enfants qui ne savent pas ce qu’ils veulent, et ne comprennent même pas quand on leur parle.

Et la question sera décidée. Mais, par exemple, si nous achevons les fortifications de Lévis et si nous construisons celles de Montréal, il est évident que les Néo-Écossais ne pourront jamais s’affranchir du joug fédéral.

Je lisais l’autre jour dans le Journal de Trois-Rivières ce gracieux entrefilet :

Pourquoi le rédacteur du Pays[1] ne conseille-t-il pas à M. Fréchette[2] de passer en Italie, et là, à mon exemple, de revêtir le froc garibaldien et de porter le poignard des sicaires ?[3] La chose en vaudrait la peine, puisqu’au lieu d’un monstre, la patrie en compterait deux.

Ça, au moins, c’est témoigner des égards aux gens. Décidément, la Grande Duchesse a tourné la tête de tous nos dévots ; ils ne voient plus que sabres, poignards,… et frocs !  !

J’ai horreur de l’isolement. Être le seul monstre dans la patrie me paraît ennuyeux. Que le rédacteur du Journal de Trois-Rivières, qui est un ange, ait donc la bonté de s’associer avec moi ; je lui passerai le poignard, il me passera le goupillon, nous laisserons le froc de côté, et nous chercherons ensemble s’il n’y a pas moyen de trouver un deuxième monstre qui m’aide à passer la vie. Quant à Fréchette, il est bien certain qu’il ne prendra pas la peine de partir de Chicago pour venir jouer le rôle de monstre en Canada. Ça ne paierait point.

Dans quel pays, dit le Courrier de St. Hyacinthe, a-t-on fait plus de sacrifices qu’en Canada pour la belle et sublime cause de l’éducation ? Dans quel pays le clergé s’est-il dévoué avec plus de zèle à la propagation des lumières ? Et où ces sacrifices, ce zèle et ce dévouement ont-ils eu des résultats plus satisfaisants qu’ici ?

Je ne conteste pas au clergé ses sacrifices qui, du reste, parait-il, ne l’ont pas ruiné. Mais ce que je conteste, c’est le résultat. En effet, si l’on peut me faire voir un jeune homme sortant d’un de nos collèges, qui sache tant soit peu d’histoire, de géographie, de géologie, de mathématiques, de chimie, d’anglais… je ne contesterai plus rien. Si l’on veut, je ne me montrerai pas si difficile et je demanderai seulement où est le collégien qui sait le français.

À propos de sacrifices, on devrait bien aussi parler un peu de ceux que font les pauvres pères de famille qui envoient leurs enfants au collège pour ne rien apprendre pendant huit ans, et qui, eux, n’ont pas 60,000 à 80,000 louis de rente pour réparer la perte inutile qu’ils ont faite.

J’admire cette façon de toujours se représenter soi-même dans des organes attitrés comme un holocauste intarissable, comme une fontaine d’abnégation. Il me semble que c’est bien le moins qu’on fasse quelque chose pour un peuple qui se prosterne à deux genoux devant soi, et qui se livre corps et biens quand on le veut.

Il y a aujourd’hui toute espèce de façons d’être libéral ! mais il parait que la plus en vogue est celle d’être libéral en niant le libéralisme. C’est cette façon qu’ont adoptée l’Ordre et le Franco-Canadien. Pourtant, je dois dire que l’Ordre n’a plus de façon du tout, puisqu’il vient de répudier l’appellation elle-même de libéral. Personne ne s’imagine que cela va le changer ; mais enfin, il avait toujours le nom, s’il n’avait pas la chose. C’est à ce nom qu’on faisait la guerre, ce qui prouve bien qu’on était incapable de la faire aux idées.

Mais voyez quelle attraction il y a dans ce mot libéral ! Comme il indique bien de suite les instincts, les penchants secrets de l’humanité ! Les torys eux-mêmes, désespérés du nom qu’ils portent, ont imaginé d’y ajouter aussi eux celui de libéral, et ils ont fait libéral-conservateur.

Cela me rappelle un petit spectacle qui se passait à Paris dernièrement. Un charlatan criait aux passants sur la place publique : « Entrez, mesdames, entrez, messieurs, venez voir la chose la plus merveilleuse, la plus étonnante, la plus incroyable, venez voir ce prodige nouveau, unique, oui, unique, messieurs, mesdames, le produit d’une carpe et d’un lapin. »

Et les vieilles femmes, les badauds et les niais d’entrer. Une fois entrés, on leur faisait voir une taupe.

Voilà ce que c’est qu’un libéral-conservateur. Ça ne voit pas clair. Produit chimérique de deux choses impossibles à accoupler, il ne manque cependant pas de badauds et de niais pour croire en lui et pour chercher à le voir.

Il n’y a dans tout le Bas-Canada que deux journaux logiques, le Nouveau-Monde et le Pays. Entre eux, pas de discussions possibles sur la portée et le sens du mot libéralisme. C’est entendu. Mais avec l’Ordre il a fallu discuter trois mois pour s’entendre, et faute de pouvoir s’entendre, on a supprimé le sujet de la discussion. Cela donne à croire que si, un jour, les États-Unis et l’Angleterre se querellent pour la possession du Canada, et qu’ils ne puissent s’entendre, le plus court pour eux sera de le prendre et de le jeter dans la lune.

On a pu se convaincre que les Fénians n’étaient pas très-redoutables, puisqu’il a suffi de leur fermer une porte au nez pour les mettre à la raison. C’est le moment de les insulter.

Mais auparavant, qu’on me permette de m’étonner de ce que les Fénians, n’étant pas plus dangereux ni plus féroces qu’ils se sont montrés il y a quinze jours, on ait fait depuis deux ans de si nombreux et de si vigoureux appels aux volontaires pour les repousser. Pourquoi, puisque nous sommes un peuple loyal par excellence, comme nos ministres s’épuisent à le dire, avons-nous besoin de tant de stimulants pour échauffer notre patriotisme ? M. Cartier voulait-il emplir les cadres des volontaires et trouver ses 40,000 hommes ? Mais puisque le Canada est prêt à s’offrir lui-même aux dévastations des armées en campagne, est-il nécessaire d’imaginer à chaque instant des invasions de Fénians pour éprouver notre zèle britannique ?

Je n’aime pas les gens qui vont à la messe avec de gros livres qu’ils tiennent à deux mains, carrément appuyés sur l’épigastre, et qui regardent de tous les côtés pour voir si on les remarque. Je connais une femme qui sort ainsi cinq ou six fois par jour de Notre Dame de Pitié, avec un livre qui lui couvre toute la poitrine. Si je la revois, je jure de lui faire un affront et de lui demander si elle sait lire.

La fausse piété cherche toujours à se montrer, parce qu’elle n’est que ce qu’elle paraît. Mais la vraie piété se cache, comme celle du rédacteur du Nouveau-Monde qui n’a jamais fait voir ce qu’il fait de bien.

Je rencontre un ami dernièrement ; il s’agissait de savoir si je mettrais mon nom à cette Lanterne. « Ne signez pas, me dit-il ; vous ne sauriez croire combien il y a de gens pour qui votre nom est un épouvantail ; vous empêcherez la vente. » — « Ah bah ! répondis-je, ceux qui m’en veulent tant sans me connaître ne savent pas lire ; que mon nom paraisse ou non, qu’en sauront-ils ? Ils ne le verront pas. Tandis que mes amis seront contents de le voir paraître. Déplaire à cent ennemis pour plaire à un ami, ce n’est pas là un sacrifice ; je n’hésite pas, je signe.

L’Ordre entend l’emprunt. C’est là qu’il est libéral.

Ainsi, l’autre jour, il empruntait une colonne entière au Pays sans lui en tenir le moindre compte. Maintenant il emprunte au Nouveau-Monde, journal qui lui interdit jusqu’aux qualités et titres qu’il veut prendre. Il est évident que l’Ordre n’est d’aucun parti, puisqu’il s’habille indifféremment de toutes les défroques.

Depuis que ce pauvre journal n’est plus que l’Ordre tout bonnement, sans qualification ni couleur, tout le monde se jette dessus comme sur le baudet. Voilà ce que c’est. Quand on a des ennemis, il faut avoir en revanche des amis qui vous soutiennent. La plus mauvaise tactique est de vouloir ménager tout le monde. Sur le terrain des complaisances, on ne sait jamais où l’on s’arrête ; et quand une fois on a pris le pli de la concession, on arrive vite à la bassesse, qui est l’ignominie. Être ou n’être pas ; il n’y a pas d’autre alternative.

Un futur ministre vient de partir de Québec. C’est Doran, défalcataire de la Municipalité pour quelque chose comme soixante mille dollars. Sans doute Doran, qui était pressé de voyager, (ceux qui ont de l’argent ont toujours peur des voleurs) n’a pas pu attendre le prochain remaniement du Cabinet. Et puis, on n’est jamais sûr de ce qui peut arriver ; un gouvernement dans l’embarras est capricieux et peut négliger les objets de sa prédilection habituelle ; Doran n’aurait peut-être pas eu de chance, malgré tous ses mérites.

Le Nouveau-Monde s’exalte de sa deuxième année d’existence. Il est si étonné d’avoir pu vivre un an qu’il va passer les trois mois qui lui restent encore à vivre à le rappeler à ses lecteurs. Mais comme les lecteurs du Nouveau-Monde sont des gens qui, par état, sont habitués à toutes les vertus évangéliques et surtout à la résignation, ils le laisseront bien faire encore pendant ces trois mois-là.

La Minerve a moins de scrupules que le Nouveau-Monde. Elle trouve la Grande Duchesse simplement stupide. En cela elle a raison : mais c’est ce qui m’étonne.

Le Nouveau-Monde ne se contente plus d’être moral ; voilà qu’il est modeste. Je lis dans son numéro du 9, à propos des lettres échangées entre le gouverneur et le procureur-général de la Nouvelle-Écosse : « Nous sommes comme d’ordinaire le premier journal français du Bas-Canada qui donne la traduction de ces documents importants. »

Quand une nouvelle arrive le matin, le Nouveau-Monde, qui se publie le soir, a naturellement le pas sur les autres journaux qui se publient le lendemain. Mais le Nouveau-Monde, qui passe sa vie à méditer sur l’autre monde, se dit sans doute « qu’est-ce que c’est que quelques heures en comparaison de l’Éternité ? »

Si le Nouveau-Monde prend comme cela toutes les vertus pour lui seul et ne laisse à ses adversaires que le choix des vices, il est évident qu’il mourra en état de grâce.

Comme tout change ! C’est pourtant le publicain, se disant le dernier et le plus indigne des hommes, qui fut préféré par le Sauveur !

Entre deux sourds, dont l’un juge et l’autre avocat. Le témoin est dans la boîte où l’on jure et où l’on se parjure encore mieux. Mais parlez donc plus fort, dit le juge B…, M. l’avocat G… D… ne peut pas entendre. » En même temps, le juge B… s’approche insensiblement du témoin qui crie à tue-tête. L’avocat, qui est resté à sa place : « Élevez donc la voix un peu, témoin, vous voyez bien que M. le juge B… n’entend pas un mot. » — Éclats de rire dans l’auditoire.

Un huissier se rend chez un saisi, et comme il procède à la numération des meubles et effets, ce dernier lui applique une volée de taloches à faire frémir tout homme qui a la conscience du devoir.

L’huissier se plaint au tribunal, et le délinquant est condamné à trois shillings d’amende ; il avait négligé d’assommer tout à fait l’huissier ; ç’aurait fait un compte rond, et il eût été condamné à payer un dollar.

Un autre saisi, croyant profiter de cette règle, éreinte un autre huissier et soustrait en outre la plupart de ses effets pendant que celui-ci est sans connaissance. Traduit devant la cour, il est condamné à remettre les objets qu’il avait dérobés à la saisie.

Une seule difficulté se présentait, c’était de constater l’identité des objets ; rien que ça !

Le juge B…, l’autre jour, était furieux, ce qui lui arrive toutes les fois qu’il n’a pas avalé une bouteille d’eau de Plantagenet en se levant. L’avocat Per… plaidait devant lui. Le juge impatienté, ahuri, avant que l’avocat eût pu dire deux mots : « Asseyez-vous, asseyez-vous, dit-il, et finissez-en. » — « J’ai beaucoup d’obligation à Votre Honneur de sa complaisance, répond l’avocat, mais j’aime mieux plaider debout. »  

Un autre juge disait à un autre avocat peu célèbre qui déblatérait à tort et à travers : « Que venez-vous faire devant moi, espèce de moitié d’avocat ?… Pardon, Honneur, réplique celui-ci, je n’ai rien de coupé.

Le Journal de Trois-Rivières affirme solennellement que le libéralisme ne fait pas de progrès dans sa localité. J’ai toujours remarqué que c’est pour les choses les plus incontestables qu’on fait le plus de déclarations. Mais je n’ai jamais ouï dire que les gens qui avaient la teigne s’en vantassent dans les journaux.

Cette même feuille, à propos d’une lettre de Mazzini publiée dans le Pays, sans commentaire aucun, et seulement à titre de document contemporain, jette ces paroles terribles :

Que Mazzini parle de lancer ses cohortes de brigands contre le doux et sublime vieillard qui règne au Vatican ; qu’il ameute ses légions de sicaires contre une armée dans laquelle le Canada compte avec orgueil 300 de ses plus nobles enfants, oh ! alors, M. le rédacteur du Pays s’incline profondément. Il élèverait même un monument à cet infâme Mazzini si, vainqueur des troupes de la chrétienté, assassin de nos compatriotes, il promenait le ravage et la désolation dans la cité des Pontifes romains.

Ainsi osent se montrer devant nous, catholiques, ces lâches et sauvages démagogues. Le plus pur sang de la nation répandu fera leur joie pendant qu’ils baiseront ignominieusement la main des meurtriers. Que la honte et l’opprobre les couvrent et que le mépris public soit leur châtiment !

Bang ! Pif ! Paf ! S’il est un fait connu pourtant, c’est que je n’ai jamais recommandé aux jeunes canadiens de se rendre à Rome, et que par conséquent je n’ai pu vouloir les y faire tuer.

Il faut s’entendre là-dessus. Sont-ce les patriotes d’Italie qui veulent démolir les zouaves canadiens, ou les zouaves canadiens qui veulent démolir les patriotes d’Italie ?

Je ne sache pas que Mazzini soit venu au Canada nous provoquer, tandis qu’il est constant que les zouaves canadiens sont allés à Rome provoquer les Italiens.

Le Journal de Québec dit en parlant de moi :

Il en veut à ceux qui parlent sa langue — nous ne disons pas qui professent sa religion — d’avoir suivi d’autres conseils que les siens, et il les anéantira s’il le peut. Ces libres-penseurs ne permettent pas aux autres de penser librement, et ceux qui ont le malheur d’avoir d’autres idées que les leurs sur la philosophie, sur la politique, sur la société, sur les droits et les devoirs, ne sont pour eux que des niais ou de vils mercenaires.

Pardon, Journal, il ne tient pas à moi d’empêcher ceux qui pensent d’exprimer leurs idées librement quand ils le voudront. Mais vous qui n’êtes ni penseur, ni libre, je ne vois pas de quoi vous pouvez vous plaindre.

Il me reste maintenant à parler des grands hommes ; je commence par Paul Denis qui a été nommé Conseiller de la Reine pour avoir fait deux faux. Malheureusement, Paul Denis préfère l’obscurité au grand rôle qu’il aurait pu jouer à notre époque de gloire. En ce moment il fabrique des cocks-tails dans un bar de Chicago.

Je ne suis pas, moi, comme ces gens du Pays qui s’imaginent que le peuple puisse être trompé. Non, le peuple est infaillible ; et ce qui le prouve, c’est qu’il a réélu Jean-Baptiste Daoust après ses deux procès pour faux. Donc, Jean-Baptiste Daoust n’était pas coupable.

Je ne vois pas pourquoi nous avons des tribunaux, si c’est le peuple qui décide de ces choses-là.

Quand un homme aura commis un vol ou un meurtre, ne lui faites pas de procès ; envoyez-le dans un comté, et s’il est élu, la Minerve dira qu’il est un agneau sans tache ; s’il n’est pas élu, qu’on le pende.

Il n’y a plus que deux alternatives pour les scélérats. Être conseiller de la reine, ministre ou forçat.

Ce qui m’a toujours étonné, c’est que la Minerve appelle les Américains canailles. Il n’y a pas de canailles. Les seules canailles sont les honnêtes gens.

  1. J’étais alors rédacteur-en-chef du Pays.
  2. Louis Honoré Fréchette vivait en ce temps-là à Chicago.
  3. Allusion à la campagne des Deux-Siciles que j’ai faite sous Garibaldi.