La Légende de Gösta Berling/XXVII

Traduction par André Bellessort et Thekla Hammar.
Nilsson (p. 241-252).

CHAPITRE XXVII
LA MORT DE LA COMMANDANTE

Quelques jours avant la Noël, la Commandante se mit en route pour Ekebu, mais ce ne fut que la veille de Noël qu’elle y parvint. Elle tomba malade pendant le voyage, très gravement malade. Cependant on ne l’avait jamais vue plus douce.

La fille du pasteur de Brobu qui était allée la chercher et qui était restée auprès d’elle à la forge sous les forêts d’Elfdalen depuis le mois d’octobre, était assise à ses côtés dans le traîneau ; mais, malgré son impatience d’arriver, elle ne put empêcher la vieille femme de s’arrêter et d’appeler chaque passant et de lui demander de ses nouvelles.

— Comment cela va-t-il maintenant ? disait-elle.

— Ça va bien, et ça ira mieux encore. Gösta Berling et sa femme nous aident.

— Le bon temps est revenu, répondit un autre. Les Cavaliers travaillent et nous donnent de l’ouvrage. On a retrouvé l’argent du pasteur de Brobu dans le clocher de Bro et sa fille, que vous avez près de vous, en a consacré une bonne partie aux pauvres.

Et d’autres lui répondirent :

— Nous avons ici deux femmes riches et bonnes, Marianne Sinclair et Anna Stiernhœk. Elles nous secourent et nous encouragent. On ne jette plus son blé à la cuve d’eau-de-vie.

Dans les domaines on tenait cuisine ouverte pour les pauvres. Et les sept forges de la Commandante avaient recommencé de battre le fer. La misère passée et les événements poignants avaient secoué les consciences. Et la Commandante, oubliant ses douleurs, laissait entrer à flots l’air frais dans ses poumons malades. Et à mesure qu’elle se rapprochait d’Ekebu, elle sentait s’évanouir sa rancune contre les Cavaliers.

Quand on toucha enfin au manoir, ceux-ci s’empressèrent et l’aidèrent à descendre du traîneau. Mais ils pouvaient à peine la reconnaître. Les plus âgés d’entre eux qui l’avaient vue jeune se chuchotaient : « Ce n’est pas la Commandante d’Ekebu : c’est Margareta Celsing qui nous revient ».

Leur joie fut grande de voir qu’elle leur pardonnait ; mais leur joie se changea bientôt en tristesse, lorsqu’ils comprirent qu’elle allait bientôt mourir. On dut la transporter aussitôt dans sa chambre et lui faire prendre le lit. Du seuil, elle se retourna vers eux :

— Une tempête a passé sur la contrée, fit-elle. Tout a été pour le mieux, peut-être.

Et la porte se referma, et ils ne la revirent plus. Et ils regrettèrent amèrement leur folie, et tous auraient voulu lui demander encore pardon et la remercier des plaisirs qu’elle leur avait donnés jadis.

Tristes et découragés, ils descendirent à la forge. Le travail s’y était arrêté, car c’était la veille de Noël ; mais ils jetèrent du charbon sur le feu et préparèrent une fonte. Ils n’appelèrent point les forgerons qui, rentrés chez eux, y célébraient la sainte nuit. Si seulement la Commandante vivait jusqu’à ce qu’ils eussent mis en mouvement le martinet, ses coups sonores parleraient pour eux.

Le soir tomba et la nuit vint pendant qu’ils travaillaient. Il leur parut étrange et mystérieux de passer encore la nuit de Noël dans la forge.

Kevenhuller et Kristian Bergh, le fort capitaine, se tenaient devant l’âtre et surveillaient la fonte, Gösta et Julius soufflaient. D’autres Cavaliers s’étaient assis sous le martinet, suspendu aux poutres du toit ; d’autres s’étaient installés sur des brouettes de charbon et des tas de minerai.

Lœvenborg, le vieil entêté de songes, causait avec l’oncle Eberhard, qui avait pris place à côté de lui sur l’enclume.

— Cette nuit, Sintram mourra, dit-il. J’ai entendu carillonner ses grelots toute la soirée, mais je sais que ce ne sont pas de vrais grelots. Nous le verrons bientôt ici.

Le petit vieillard regardait par la porte ouverte un pan de ciel bleu semé d’étoiles. Tout à coup il sursauta :

— Le voyez-vous ? chuchota-t-il. Le voilà qui essaie de se glisser ici… tenez, là… dans la porte.

— Je ne vois rien du tout, répliqua l’oncle Eberhard. Vous avez sommeil, frère Lœvenborg.

— J’ai distingué nettement sa silhouette sur le ciel clair. Il portait une longue pelisse de loup… Maintenant il s’est caché quelque part dans les ténèbres… Je ne l’aperçois plus… Si ! Le voilà, derrière le capitaine Kristoffer. Il se penche sur le feu, il y jette quelque chose… Attention, là-bas, attention !

Il n’avait pas achevé ces mots qu’une gerbe de flammes jaillit du fourneau et couvrit les Cavaliers de scories et d’étincelles. Cependant personne n’en fut endommagé.

— Il veut se venger sur nous, murmura Lœvenborg. Ne l’entendez-vous pas maintenant ricaner là-bas, dans l’ombre… Gare ! Il va détacher le martinet !

Il bondit sur ses pieds et entraîna l’oncle Eberhard. L’instant d’après, la lourde masse du martinet tomba avec fracas sur l’enclume. Ce n’était qu’un crampon qui avait lâché prise ; mais Eberhard et Lœvenborg avaient senti le souffle de la mort.

— Vous voyez qu’il n’a plus aucun pouvoir sur nous ! s’écria Lœvenborg d’un ton de triomphe.

Puis il appela Gösta Berling.

— Tu devrais monter dans l’appartement des femmes, Gösta. Peut-être y apparaîtra-t-il aussi, et elles pourraient s’en effrayer.

On apprit dans la suite que Lœvenborg avait eu raison, quand il disait que Sintram était mort la nuit de Noël. D’aucuns prétendaient qu’il s’était pendu. D’autres affirmaient qu’un voyageur sombre était venu le chercher dans une voiture noire attelée de chevaux noirs. Lœvenborg ne fut pas le seul à le voir durant cette nuit. Il se montra à plusieurs de ses serviteurs de Fors et dans les rêves d’Ulrika Dillner.

Au moment où Gösta Berling quittait la forge, un messager inconnu apportait au manoir un message pour la Commandante.

On posa la lettre au chevet de la malade. Et celle-ci se sentit un peu mieux : sa fièvre baissa ; ses douleurs se calmèrent. Les vieilles gens ont dans l’idée que cette amélioration, aussi subite qu’éphémère, était due à d’occultes puissances qui voulaient qu’elle prît connaissance de cette lettre.

C’était un document écrit avec du sang sur du papier noir. Les Cavaliers l’auraient bien reconnu. Il avait été rédigé l’an passé, la veille de Noël, dans la forge d’Ekebu. Et la Commandante y lut que, puisqu’elle était une sorcière qui envoyait en enfer l’âme des pauvres Cavaliers, on la condamnait à perdre ses domaines. Et ce papier était signé du nom de Gösta Berling.

La Commandante replia lentement ce papier noir et le remit dans l’enveloppe. Elle songea que, si des hommes, qui avaient éprouvé toute sa bonté, avaient pu croire réellement en sa sorcellerie, le peuple ignorant finirait, lui aussi, par y ajouter foi, et que ce pays, qu’elle avait tant aimé, ne garderait peut-être d’elle que le souvenir d’une damnée magicienne. Un désir de vengeance se ralluma dans son cerveau fiévreux. Elle ordonna à la fille du pasteur de Brobu, qui la soignait avec la jeune comtesse Élisabeth, d’envoyer quérir l’intendant de Högfors et le bailli : elle désirait faire son testament.

Ses sourcils s’étaient froncés, et la souffrance convulsait son visage.

— Vous souffrez beaucoup, lui dit doucement Élisabeth.

— Oui, plus que jamais.

Un silence suivit, que bientôt la Commandante rompit d’une voix âpre :

— Et dire, s’écria-t-elle, que vous aussi, Élisabeth, vous avez été une femme adultère !

La jeune femme tressaillit.

— Ah, continua la moribonde, sinon en acte, du moins en désir et en pensée ! Et pourtant vous vivez heureuse, maintenant. Vous pouvez sans péché posséder votre bien-aimé. Nul spectre ne se dresse entre vos embrassements. Il vous est permis de vous aimer aux yeux du monde et de cheminer côte à côte à travers la vie.

Elle se tut un instant, puis reprit avec véhémence :

— Comment osez-vous rester près de lui ? Faites pénitence ! Partez d’ici et allez retrouver vos parents, avant qu’ils ne viennent vous maudire. Je vais donner à votre Gösta le pouvoir et la fortune que m’avait légués Altringer. Mais accepterez-vous de demeurer à Ekebu ? Vous ne le pourrez pas ! Rappelez-vous le dîner de Noël et la prison dans la maison du bailli !

— Ah, Commandante, s’écria la jeune femme, je vis ici dans d’éternelles appréhensions. Je vous en supplie, n’attachez pas Gösta à ces biens dont j’ai tant souffert…

— Vous devez le quitter, répliqua durement la Commandante.

Mais avant que la jeune femme eût eu le temps de répondre, son mari entra.

— Approche, Gösta, dit la Commandante, et sache ce qui est arrivé à ta vieille amie — une sorcière, paraît-il — depuis le jour où tu l’as laissé chasser et où tu as permis qu’elle errât, comme une mendiante, à travers le pays. J’atteignis au mois de mars les forêts d’Elfdalen : je n’avais plus figure humaine. On me dit à la maison que ma mère était dans la laiterie. J’y allai et longtemps je restai muette, au pas de la porte. Tout autour de la pièce, des bassines de cuivre remplies de lait brillaient sur des rayons. Ma mère, qui avait quatre-vingt-dix ans, les prenait l’une après l’autre et les écrémait. Bien qu’elle fût encore assez alerte, la vieille femme, je vis bien qu’il lui en coûtait de se redresser pour atteindre les bassines. J’ignorais si elle s’était aperçue de ma présence ; mais, au bout de quelques minutes, elle me dit d’une voix étrange :

« — Ce que je voulais t’est donc arrivé.

« J’essayai de lui répondre, mais elle n’entendit pas un mot de ma réponse : elle était devenue sourde. Après un long silence, elle reprit simplement :

« — Tu peux venir m’aider.

« Je remis à leur place les bassines dans l’ordre qu’il fallait. J’enfonçai la cuiller dans le lait, juste assez ; et elle en fut contente. Elle n’avait jamais confié ce soin à aucun domestique, et je n’avais pas oublié la manière dont elle voulait que la chose fût faite.

« — Dorénavant, me dit-elle, tu pourras te charger de cette besogne.

« Et je sus alors qu’elle m’avait pardonné.

« Mais de ce moment il sembla qu’elle eût perdu toutes ses forces. Elle restait assise dans son fauteuil et y dormait des journées entières. Et, quelques semaines avant la Noël, elle s’éteignit.

La Commandante s’arrêta, la respiration lui manquant ; mais elle fit un grand effort et continua :

— Il est vrai, Gösta, que j’aimais à t’avoir ici chez moi, à Ekebu. Tu as je ne sais quoi qui donne de l’agrément à ta compagnie. Si tu avais voulu devenir un honnête homme, je t’aurais chéri et traité comme mon fils. J’espérais toujours que tu trouverais une bonne femme. Je crus d’abord que ce serait Marianne Sinclair, car elle avait un faible pour toi. Puis, je pensai que ce serait Ebba Dohna, et je suis allée un jour à Borg lui dire que, si elle t’épousait, je te laisserais Ekebu en héritage. Si j’ai mal agi, je t’en demande pardon.

Gösta s’était jeté à genoux, le front au bord du lit. Il poussa un gémissement.

— Et dis-moi maintenant, continua la Commandante, dis-moi, Gösta, comment tu comptes vivre ? Comment vas-tu entretenir ta femme ?

Gösta lui répondit avec un pâle sourire :

— Autrefois, quand j’avais rêvé de me faire ouvrier ici, à Ekebu, vous m’aviez donné une petite ferme. Cet automne, je l’ai remise en bon état. Lœvenborg m’a aidé : nous avons reblanchi le plafond et tapissé les murs. La petite pièce, que Lœvenborg appelle le cabinet de la comtesse, nous l’avons meublée avec des meubles achetés aux ventes seigneuriales et que nous avons trouvés dans les fermes des alentours. Il y a maintenant là des fauteuils et des commodes aux serrures brillantes. Dans la grande pièce, nous avons mis le métier de ma femme et mon établi. Je ne l’avais pas encore dit à Élisabeth.

— En vérité ! interrompit la Commandante. Et tu as cru que la jeune comtesse consentirait à demeurer avec toi dans une ferme de tenancier ?

Gösta s’étonna de sa voix railleuse : il poursuivit.

— Certes, je n’osais pas le croire : et cependant cette vie aurait sa douceur. Il faut faire au moins dix lieues pour rencontrer un médecin ; Élisabeth, qui a la main légère et le cœur tendre, n’aurait point manqué de blessures à panser et de fièvres à calmer. Et je m’étais dit que les affligés connaîtraient bientôt le chemin de notre petite ferme.

— Et toi, Gösta ?

— Moi, je pourrais vivre enfin ma propre vie. Si ma femme ne veut pas me suivre, elle est libre. Toutes les richesses du monde ne sauraient plus me tenter. Je serai et resterai un homme pauvre au milieu des pauvres paysans. N’ont-ils pas besoin de quelqu’un qui leur joue des polskas aux noces et aux fêtes de Noël et qui écrive des lettres à leurs fils absents ?

— Tu ne t’amuseras guère, Gösta Berling !

— Je ne m’ennuierais pas, si nous étions deux. Les riches et les heureux viendraient aussi nous visiter, et nos hôtes ne se froisseraient pas de nous voir faire la cuisine sous leurs yeux.

— Et cette gloire, Gösta, dont ton âme a toujours été éprise ? Cette ambition d’emplir de ton nom et de tes exploits l’imagination des hommes ?

— Je m’estimerais suffisamment payé, si les pauvres se rappelaient encore mon nom, un ou deux ans après ma mort. J’aurais planté des pommiers aux coins des maisons ; j’aurais appris aux joueurs des villages quelques bonnes vieilles mélodies ; et les petits bergers fredonneraient mes airs sur les sentiers de la forêt. Je suis bien le même Gösta que j’ai toujours été : un ménétrier de campagne ! Pleurer et expier avec des regrets et des soupirs, ce n’est point mon affaire. Toute la pénitence dont je suis capable, c’est de donner de la joie aux pauvres.

— Gösta, dit la Commandante, c’est là une vie trop étroite pour un homme de ton envergure. Je veux te léguer Ekebu.

— Non ! s’écria-t-il, je vous en conjure, ne me rendez pas riche.

— Si ! je te léguerai Ekebu, à toi et aux Cavaliers. N’es-tu pas à présent un homme de haute vertu et que le peuple se prépare à bénir ? Tu seras maître d’Ekebu, mais tu me promettras de ne pas retenir ta femme. Elle a trop pâti dans ce pays d’ours, et elle doit soupirer après sa patrie de soleil et de lumière. Laisse-la partir.

Mais la jeune femme s’approcha de la Commandante.

— Non, dit-elle, il est mon mari et il a trouvé la vie que je veux vivre. La pauvreté et le dur travail nous conviennent.

— Ah, s’écria la mourante, vous voulez être heureux à votre guise ! Mais tu accepteras Ekebu, Gösta : tu l’accepteras des mains de celle que tu traitas de sorcière. Et nous verrons un jour quel sera le plus grand sorcier de nous deux !

Elle saisit brusquement la lettre et la lança au visage du jeune homme. Le papier noir voltigea un instant dans l’air, puis tomba à ses pieds.

— Ah, pauvre Ekebu, murmura-t-elle épuisée, quelle ruine !

Mais à ce moment un coup sourd retentit à travers le silence, encore un, puis encore un. Le rythme laborieux du martinet grondait dans la nuit de Noël.

— Écoutez, dit Gösta. Ekebu n’est pas mort. D’autres et de plus dignes que nous reprendront et poursuivront votre œuvre. Et l’on célébrera votre mémoire, à vous qui fûtes bonne pour le peuple et bonne pour les Cavaliers ingrats.

La voix du martinet de la forge semblait appuyer celle de Gösta. Et toutes les voix qui jadis avaient été douces aux oreilles de la Commandante résonnaient dans ce bruit puissant et familier. Ses traits se détendirent, et l’ombre du dernier sommeil s’étendit sur sa figure.

La fille du pasteur de Brobu entra et la prévint que les Messieurs de Högfors étaient là. Elle fît signe qu’elle ne voulait plus les voir.

— Que ton désir se réalise donc, Gösta, soupira-t-elle.

Et elle entra en agonie.

Quand les Cavaliers revinrent de la forge et qu’ils apprirent la mort de la Commandante, ils demandèrent tout d’abord si elle avait entendu le martinet. On leur répondit qu’elle l’avait entendu. Et ils connurent ensuite qu’elle avait eu l’intention de leur laisser Ekebu, mais que le testament n’avait point été fait. Ils ne se plaignirent jamais d’avoir perdu ces richesses qu’ils avaient si peu méritées.

La légende raconte qu’ils se dispersèrent. Gösta et sa femme accomplirent-ils leur rêve ? Il faut croire qu’ils furent heureux, puisque les vieilles gens se taisent. Lilliécrona retourna, le violon sous le bras, près de sa femme et de ses enfants. On raconte qu’un vieil homme déposa avant de mourir un traité de philosophie dans l’église de Bro : et c’était peut-être l’oncle Eberhard. Le petit Ruster s’en alla de domaine en domaine, de ferme en ferme, jouant de la flûte et copiant de la musique. Le silence s’est fait sur les autres. Les infirmités de la vieillesse les attendaient, et la solitude de la mort.

Ah, mes bons messieurs les Cavaliers, voilà donc la dernière nuit où nous veillons ensemble ! Je n’entendrai plus vos rires sonores. Je vais vous quitter, vous et le joyeux monde des rives du Leuven.

Chers vieux amis, au temps jadis, vous m’avez fait de précieux cadeaux. Vous apportiez à celle qui vivait ignorante et solitaire les premières images d’une vie aventureuse. Et moi, que vous ai-je donné ?

Vous plaira-t-il que vos noms sonnent unis à ceux de nos domaines ? Vous plaira-t-il que l’éclat de votre fortune rejaillisse sur le pays où vous avez vécu ? Borg se dresse encore sur son promontoire ; Bjorné est toujours debout. Ekebu, au bord du Leuven, est toujours encadré de son torrent, de ses parcs et de ses prairies. Et, quand on sort sur ses balcons, les légendes et les histoires y volent tout autour comme les abeilles de l’été…

Mais, à propos d’abeilles, laissez-moi vous conter encore une vieille histoire — la dernière !

Le petit Ruster, depuis que, tambour, il avait suivi l’armée suédoise en Allemagne, ne se lassait point de parler des merveilles de ces pays du sud. Les gens, disait-il, y sont forts et hauts comme des clochers, les hirondelles grandes comme des aigles et les abeilles comme des oies.

— Et leurs ruches ? lui demandait-on.

— Leurs ruches ? Elles sont comme nos ruches.

— Mais alors, comment peuvent-elles y entrer ?

— Ah ! ça les regarde, répondait le petit Ruster.

Je dirai comme le petit Ruster. Durant une année, les abeilles gigantesques de l’imagination ont voltigé autour de nous. Comment feront-elles pour se loger dans la ruche de la réalité ? Ça les regarde !