La Légende de Gösta Berling/Note du traducteur

Traduction par André Bellessort et Thekla Hammar.
Nilsson (p. 7-10).

NOTE DU TRADUCTEUR

Le roman que nous publions cette année, de Mlle Selma Lagerlóf, La Légende de Gösta Berling, ne ressemble guère à cette Jérusalem que nous donnions l’année dernière et qui obtint, près des critiques et des lecteurs français, un si légitime succès.

La Légende, ou, comme on dit en suédois, La Saga de Gösta Berling parut pour les fêtes de Noël 1891 à Stockholm. C’était le premier ouvrage de Mlle Selma Lagerlóf. Inconnue la veille, le lendemain elle était célèbre.

Son Gösta Berling déconcerta un instant la critique : était-ce un roman ? Un poème ? Un recueil de contes ? On ne pouvait préciser à quel genre il appartenait. Mais, pendant que les juges discutaient, le public l’acclamait. La Suède avait reconnu dans ce livre étincelant et si étrangement décousu, d’une fantaisie si exubérante, une saga, une vraie saga de Vikings. Seulement, au lieu d’être chantée par un vieux poète islandais, elle était écrite par une jeune institutrice du Vermland. Au lieu de célébrer les exploits sauvages des Nial et des Ragnar, elle nous racontait la vie bizarre, brutale et à demi fantastique d’une petite commune vermlandaise. Ses héros ne dataient point du ve ou du vie siècle ; ils avaient tous vécu entre 1820 et 1830. C’étaient des maîtres de forges, des pasteurs, des officiers retraités, des paysans et des bohèmes, recueillis par charité dans de vieux manoirs et qu’on nommait des Cavaliers. Les aventures de ces gens rudes, impulsifs, fantasques — et romantiques sans le savoir — ; leurs fêtes surprenantes dans une nature farouche et qui semblait parfois atteinte de leur folie, frappèrent d’autant plus l’esprit du peuple que le peuple du Vermland était alors très superstitieux. Ils devinrent rapidement des personnages légendaires ; et la jeune institutrice, qui devait être leur barde, grandit dans une atmosphère tout imprégnée de leur souvenir et encore toute vibrante de leur gloire. Les histoires qu’elle avait écoutées en frissonnant dans cette maison de Lilliécrona, où s’était passée son enfance, hantèrent sa jeunesse ; et elle les enferma toutes ou presque toutes dans son premier livre. Ce fut à peine si elle eut le courage de choisir. Elle y mêla peut-être quelques réminiscences des romans qu’elle avait lus. Son imagination renchérit encore sur l’imagination populaire ; sa délicatesse de femme et d’artiste donna souvent à ces vieux récits une grâce qu’ils n’avaient pas. Mais la Suède, qui s’était retrouvée dans leurs pages plaisantes ou tragiques, réelles ou merveilleuses, adopta son Gösta Berling et en fit comme une de ces œuvres impersonnelles où tout un peuple se sent vivre et que chacun accommode à son rêve et transforme à sa guise.

Ne demandez donc à La Légende de Gösta Berling ni cette rigueur de composition, ni cette logique dans les caractères que l’on exige d’un véritable roman. Ce n’est pas un romancier qui s’adresse à vous ; ce sont les voix de toute une vieille province qui vous rapportent des choses extraordinaires.

Vous assistez à une veillée, à une longue veillée où des gens du Vermland qui ont beaucoup vécu y vont chacun de leur histoire ; et ces histoires ne tiennent souvent l’une à l’autre que parce que les conteurs vivaient l’un près de l’autre. Il ne faut point juger La Légende de Gösta Berling comme cette Jérusalem, œuvre exquise et forte. Il faut la juger comme on ferait d’une antique saga. Aimez-vous les contes ? Les uns vous séduiront par leur richesse de couleurs : Le Dîner de Noël — Les Loups — La Vente à Bjórné ; les autres par leur bonhomie et leur poésie : Le Patron Julius — La maison de Lilliécrona — Le Grand Ours de Gurlite est une comédie ; L’Histoire d’Ebba Dohna, un drame. Et qui ne frémirait au récit des tribulations fantastiques de la pauvre Ulrika Dillner ? Mais sous les plus fabuleux de ces contes il se cache plus de réalité que vous ne seriez tentés de le croire…

Dans l’édition suédoise, dont ma collaboratrice Mlle Thekla Hammar a fait l’entière traduction littérale, La Légende de Gösta Berling est beaucoup plus longue que dans cette édition. Il nous a semblé que nous pouvions faire un choix parmi ces richesses. Et ce choix donnera peut-être une idée assez exacte de la saga suédoise. Mais ce qu’aucune traduction, ce qu’aucune adaptation ne rendra jamais, c’est la poésie de cette œuvre, son souffle parfois épique, son charme si profondément national.

A. B.