La Guzla/Chant de mort

Levrault (p. 49-53).


Chant de mort1.


1.

Adieu, adieu, bon voyage ! Cette nuit la lune est dans son plein ; on voit clair pour trouver son chemin, bon voyage !


2.

Une balle vaut mieux que la fièvre : libre tu as vécu, libre tu es mort. Ton fils Jean t’a vengé ; il en a tué cinq.


3.

Nous les avons fait fuir depuis Tchaplissa jusqu’à la plaine ; pas un n’a regardé derrière son épaule pour nous voir encore une fois.


4.

Adieu, adieu, bon voyage ! Cette nuit la lune est dans son plein ; on voit clair à trouver son chemin, bon voyage !


5.

Dis à mon père que je me porte bien2, que je ne me ressens plus de ma blessure, et que ma femme Hélène est accouchée d’un garçon.


6.

Je l’ai appelé Wladin comme lui. Quand il sera grand, je lui apprendrai à tirer le fusil, à se comporter comme doit le faire un brave guerrier.


7.

Chrusich a enlevé ma fille aînée et elle est grosse de six mois. J’espère qu’elle accouchera aussi d’un garçon beau et fort3.


8.

Twark a quitté le pays pour monter sur la mer ; nous ne savons pas de ses nouvelles : peut-être le rencontreras-tu dans le pays où tu vas.


9.

Tu as un sabre, une pipe et du tabac, avec un manteau de poil de chèvre4 : en voilà bien assez pour faire un long voyage, où l’on n’a ni froid ni faim.


10.

Adieu, adieu, bon voyage ! Cette nuit la lune est dans son plein ; on voit clair pour trouver son chemin. Bon voyage !



NOTES.

1. Ce chant a été improvisé par Maglanovich, à l’enterrement d’un heyduque son parent qui s’était brouillé avec la justice et fut tué par les Pandours.

2. Les parens et les amis du mort lui donnent toujours leurs commissions pour l’autre monde.

3. Jamais un père ne se fâche contre celui qui enlève sa fille, bien entendu lorsque tout se fait sans violence. (Voy. note 1, l’Amante de Dannisich.)

4. On enterre les heyduques avec leurs armes, leur pipe et les habits qu’ils portaient au moment de leur mort.


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