La Guerre de France en 1870-71
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 3 (p. 108-146).
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LA
GUERRE DE FRANCE
— 1870 – 1871 —

II.
L’EMPIRE ET L’INVASION[1]

I. La Guerre franco-allemande de 1870-1871, rapport de l’état-major prussien. — II. Enquêtes parlementaires. — III. Opérations des armées allemandes, par, le colonel Borbstœdt, 1 vol. — IV. Un Ministère de la guerre de vingt-quatre jours, par le général Cousin de Montauban, comte de Palikao. — V. La Journée de Sedan, par le général-Ducrot. — VI. Belfort, Reims, Sedan, le 7e corps de l’armée du Rhin, par le prince George Bibasco. — VII. Histoire de l’armée de Châlons. — Campagne de Sedan, par un volontaire de l’armée du Rhin. — VIII. L’armée de Mac-Mahon et la bataille de Beaumont, par M. Defourny, curé de Beaumont-en-Argonne. — Documens inédits, etc.


IV. — L’ARMEE DE CHÂLONS ET LA BATAILLE DE SEDAN.

C’est le destin d’une guerre mal engagée, les revers engendrent les revers, on n’échappe à un désastre que pour courir à un désastre plus terrible, encore, pour retomber sous le poids des malheurs qui s’enchaînent et s’aggravent. C’est surtout la vérité en 1870, à cette heure unique et décisive du mois d’août où Bazaine, après trois batailles sanglantes, reste fixé sous Metz, et où entre en scène à Châlons une autre armée improvisée dans la confusion avec des débris et des conscrits, poussée à l’aventure par une sorte de fatalité mystérieuse vers le gouffre invisible qui l’attend : Ici tout conspire à préparer l’effroyable denoûment que nul certes ne peut entrevoir et où l’on court tête baissée, les yeux fermés. Obsessions politiques, incohérence des mouvemens militaires, conflits de direction, malentendus, contre-temps, tout se réunit pour faire de cette armée nouvelle, la dernière qui reste pour l’instant à la France, la victime expiatoire d’une situation déjà plus qu’à demi perdue, pour précipiter une catastrophe qui d’un seul coup dépasse toutes les catastrophes connues, Azincourt et Waterloo ; oui, plus que Waterloo et Azincourt, — Sedan, pour tout dire, Sedan, la tragédie militaire qui est tout à la fois le dernier mot de cette phase de la guerre par l’empire et le prélude d’une révolution politique, de la chute de Metz, du siège de Paris, de l’invasion répandue jusqu’à la Loire, jusqu’au cœur de la France. Comment cette tragédie s’accomplit-elle après vingt-cinq jours de campagne, moins de quinze jours après Rezonville et Saint-Privat ?


I

Au moment où sur les hauteurs de Metz expiraient les derniers feux de la bataille de Rezonville, le soir du 16 août, l’empereur, parti le matin de Gravelotte, débarquait à Châlons, après avoir traversé Verdun en fugitif, avec le prince impérial, le prince Napoléon et quelques-uns de ses officiers, sans soupçonner encore assurément que derrière lui toutes les communications allaient se fermer. Au même instant arrivait de son côté le général Trochu, qui, après bien des incertitudes et des changemens de destination, venait prendre le commandement du 12e corps en formation au camp et s’était fait précéder dans la journée de son chef d’état-major, le général Schmitz. Pendant la nuit du 16 au 17 survenait à son tour le maréchal de Mac-Mahon, achevant la pénible retraite qu’il poursuivait depuis Frœschviller, qui l’avait un moment rejeté jusque vers Chaumont. Les uns et les autres arrivaient soucieux, préoccupés d’une situation qu’ils voyaient hérissée de difficultés et de périls, même avant de la connaître tout entière. Ce qu’ils avaient sous les yeux n’était guère de nature à les rassurer. Ce camp où ils se rencontraient à l’improviste, où naguère encore les parades officielles se déployaient dans toute leur régularité, ce camp n’était plus pour l’instant, selon le mot d’un chef militaire, qu’une sorte de plage où l’on venait échouer, où se confondaient au hasard des troupes venant de tous côtés : soldats de Frœschviller et de Wissembourg, plus délabrés, plus défaits, que s’ils avaient supporté six mois de guerre, — isolés et débandés, courant par milliers, se livrant au désordre et à la licence, gardes mobiles parisiens, au nombre de 18,000 hommes, agitant le camp de leur remuante indiscipline. La veille, ayant de quitter Paris, le général Trochu écrivait : « Je me rends au camp de Châlons, où il est vraisemblable que va se passer un singulier drame… » C’était en effet le commencement d’un véritable drame qui allait se passer, non plus entre Metz et Paris, mais entre Paris et Châlons, avant de se dérouler entre Châlons et la Meuse, — qui se nouait dès le matin du 17 au camp, dans un conseil de guerre où assistaient l’empereur, le prince Napoléon, le maréchal de Mac-Mahon, le général Trochu, le général Schmitz, le général Berthaut, commandant des mobiles parisiens.

Que voulait-on et que pouvait-on faire ? S’arrêter un moment au camp de Châlons pour se donner le temps de respirer, de rallier des forces et de prendre un parti, cela se pouvait encore. S’attarder sur cette plaine rase de Champagne, que le général Trochu appelait pittoresquement un « tapis de billard, » qui n’avait aucune défense, il n’y avait pas à y songer ; une attaque soudaine pouvait tout culbuter dans le désordre qui régnait, et ce danger, sans être aussi absolument pressant que le croyaient certains généraux, n’avait cependant rien de chimérique, puisque l’ennemi commençait à être signalé, puisque le maréchal de Mac-Mahon, venant de Chaumont, avait pu croire un moment sa retraite menacée au point d’intersection du chemin de fer, à Blesme. La question militaire se compliquait encore d’une question politique qui contenait déjà le destin de l’empire. La vérité est que la situation même de l’empereur, telle que la faisaient les événemens, devenait une des difficultés les plus graves. Dépouillé du commandement de l’armée, qu’il venait de céder au maréchal Bazaine à Metz, n’exerçant pas le gouvernement, qu’il avait laissé à la régence à Paris, jeté comme une épave sur cette plage de Châlons, l’empereur n’était plus qu’un souverain à demi déposé. C’est ce que le général Schmitz caractérisait en deux mots : « L’empereur ne commande plus l’armée, et il n’est pas sur son trône. — Oui, c’est vrai, répondait assez mélancoliquement Napoléon III, j’ai l’air d’avoir abdiqué. » il fallait sortir de là. Reprendre la direction de la campagne, l’empereur ne le pouvait plus, il le sentait lui-même. Rester au quartier-général de l’armée, c’était perpétuer une équivoque qui ne ferait que troubler l’opinion et aggraver les embarras des chefs militaires. Il n’y avait plus pour l’empereur qu’un moyen, dur à son orgueil, il est vrai, périlleux encore peut-être, mais imposé par la nécessité : c’était de rentrer sans plus de retard à Paris pour « remonter sur son trône, » comme on le disait, pour ressaisir le gouvernement en se servant du général Trochu, dont la popularité pouvait sauver la crise. Les résolutions du conseil de guerre étaient là tout entières, elles se résumaient dans des trois faits[2] : l’empereur reviendrait aux Tuileries, le général Trochu le précéderait sur-le-champ comme gouverneur de Paris ; le maréchal de Mac-Mahon prendrait le commandement en chef de l’armée de Châlons, qu’il allait se hâter de réorganiser autant que possible, et il suivrait à son tour le mouvement sur Paris en manœuvrant selon les circonstances, selon ce qui se passerait du côté du maréchal Bazaine, sous les ordres duquel, par une combinaison bizarre de plus, il restait placé.

Si peu régulière que fût une décision si grave adoptée par un conseil improvisé, entre chefs militaires réunis par le hasard, elle était certainement la plus prudente, elle s’inspirait des circonstances, d’une vive et forte impression des choses ; mais on n’avait pas compté avec Paris, où les résolutions arrêtées le 17 au matin à Châlons, portées dès le soir par le général Trochu lui-même, produisaient l’effet d’un coup de théâtre ou d’un coup de foudre. Ni le retour de l’empereur, ni la nomination du général Trochu au poste de gouverneur de Paris, ni le rappel de l’armée, n’entraient évidemment dans les vues de la régence et du ministère. Depuis quelques jours, la régente agissait avec la plus persévérante vivacité pour détourner l’empereur de revenir ; « avez-vous réfléchi, lui disait-elle, à toutes les conséquences qu’amènerait votre rentrée à Paris sous le coup de deux revers ? » Le ministre de la guerre, de son côté, se hâtait d’écrire à l’empereur pour le « supplier de renoncer à une idée qui paraîtrait l’abandon de l’armée de Metz ; » il s’efforçait de démontrer que « l’armée de Châlons serait avant trois jours de 85,000 hommes sans compter le corps de Douay, » qu’avec cela on pourrait « faire une puissante diversion sur les corps prussiens, déjà épuisés par plusieurs, combats. » C’était en un mot dès cette heure de la nuit du 17 au 18 août, et pour quelques jours une lutte directe, passionnée, obscure, entre deux systèmes, — l’un tendant à ramener l’armée sous Paris, dans des conditions où, « reposée et reconstituée, selon l’expression du maréchal de Mac-Mahon, elle pourrait offrir une résistance sérieuse, » l’autre rejetant cette armée à peine agglomérée vers le maréchal Bazaine, la poussant à la rencontre de l’ennemi en rase campagne. Je voudrais préciser cette situation où, pendant cinq longs jours, du 17 au 22, s’agite à tâtons, dans l’ombre, au milieu de toutes les contradictions, la grande et émouvante question : cette armée de Châlons, la dernière armée qui reste à la France, sera-t-elle ramenée sur Paris pour devenir le noyau d’une défense réorganisée, ou bien sera-t-elle envoyée à l’aventure, sacrifiée pour tenter de relever par un dernier effort la fortune militaire et politique de l’empire ? Ici tout se hâte, tout a son importance, chacun prend son rôle et sa responsabilité dans ce drame que le général Trochu avait bien raison d’appeler « singulier, » où une fois de plus les affaires de la France semblent livrées à l’inconnu.

Et d’abord la régente, le ministre de la guerre, de qui venaient surtout l’opposition au plan de Châlons, l’excitation ardente à l’action, obéissaient-ils uniquement, comme on l’a dit, à une préoccupation de salut dynastique ? Ils avaient évidemment cette pensée des périls croissans de la dynastie, ils avaient cette pensée à leur manière, en esprits troublés, peu prévoyans, se laissant entraîner à tout risquer sur un coup de dé, et refusant presque avec un dédain irrité la seule combinaison qui pût peut-être pour le moment détourner une explosion révolutionnaire, — le retour de l’armée sous Paris. Chose étrange ! la guerre durait depuis quelques jours à peine, et déjà le malheur avait produit le phénomène le plus curieux d’hallucination et de confusion. Les personnages du gouvernement, et ils n’étaient pas les seuls, j’en conviens, semblaient vivre dans une atmosphère factice et enflammée où ils perdaient le discernement de la réalité, des choses possibles, de cette situation qui d’heure en heure se déroulait et s’aggravait au loin.

L’impératrice mettait dans ces tristes affaires un sentiment à la fois féminin et chevaleresque. Qu’elle eût des inquiétudes pour la sûreté personnelle de l’empereur, s’il revenait, cela n’est point douteux ; elle disait qu’il « ne rentrerait pas vivant aux Tuileries, » — car on en était là ! L’anxiété de la femme perçait dans ces mots. Il y avait aussi chez la régente un instinct de fierté qui se révoltait. Elle ne pouvait se résigner à voir le souverain rentrer aux Tuileries nuitamment, en se cachant comme un vaincu et un fugitif. Un tel retour lui semblait un attentat à « l’honneur de l’empereur, » à sa « gloire. » On avait encore l’illusion de la gloire ! La chevalerie de l’impératrice fixait l’empereur au camp et l’envoyait se relever à la première bataille qui se livrerait. Le ministre de la guerre, vieux et vaillant soldat dépaysé dans les affaires publiques, homme d’imagination et d’expédiens encore plus qu’organisateur, avait, lui aussi, sa pensée ou, si l’on veut, sa fascination. Il n’avait pas eu de peine à voir que l’éparpillement de nos forces avait contribué à nos désastres, et il voulait, comme il le dit assez naïvement, « changer les rôles, opposer aux masses prussiennes des masses françaises. » Il avait été de plus frappé de ce fait que notre armée, d’habitude si hardie, s’était vue dès le premier moment réduite à une défensive décousue, déconcertée, et il voulait lui rendre la confiance en la ramenant tambour battant à l’ennemi. Le général de Palikao improvisait de nouveaux corps, il s’enivrait un peu des plans de campagne qu’il imaginait, et c’est ainsi que par des raisons militaires qui n’excluaient pas la préoccupation dynastique, qui la voilaient ou la palliaient tout au plus, le ministre de la guerre se trouvait d’accord avec la régente pour s’opposer à toute pensée de retraite sur Paris. Aller en avant, aller au secours de Metz, c’était bientôt le mot d’ordre habilement propagé de façon à intéresser le patriotisme ; mais il ne suffisait pas de vouloir. Tout dépendait d’un certain nombre d’élémens inconnus ou incertains : l’état de l’armée qu’on voulait envoyer au combat, la position et les ressources du maréchal Bazaine, qu’on se proposait de rejoindre, la marche et les progrès de l’ennemi dans les provinces françaises, la nature du terrain où l’on pouvait engager une campagne nouvelle. Qu’en était-il de tout cela réellement ?

L’armée de Châlons, cette armée que le ministre de la guerre destinait à rétablir nos affaires, allait être en quelques jours, il est vrai, d’un peu plus de 100,000 hommes avec une artillerie de plus de 400 bouches à feu ; mais comment se composait-elle ? Elle ressemblait déjà, même après s’être débrouillée de la confusion du premier moment, à une de ces armées qui sont le suprême effort d’un pays. Le 1er corps, jeté avant les autres sur cette « plage » de Châlons et placé maintenant sous les ordres du général Ducrot, avait cruellement souffert du feu de Frœschviller, du trouble d’une longue retraite. Ducrot s’employait énergiquement à le refaire. Il fallait suivre en courant ce travail de réorganisation, rétablir la discipline, jeter dans des cadres à demi détruits des renforts de réserve qui ne suffisaient pas à remplir les vides. Je ne veux citer qu’un exemple ; même avec un contingent assez copieux, qu’il recevait de son dépôt d’Afrique, la 3e régiment de zouaves ne remontait pas à plus de 1,200 hommes. — Le 5e corps n’avait pas débarqué complètement à Châlons avant le 20 août. Il n’avait pas perdu de monde au feu, il avait laissé une de ses brigades à Sarreguemines, une partie de ses bagages à Bitche, son moral un peu sur les chemins, et, sans avoir combattu, il était plus désorganisé que ceux qui avaient vu l’ennemi. — Le 12e corps, de nouvelle formation, destiné d’abord à Trochu, puis confié au général Lebrun, aide-de-camp de l’empereur, avait un noyau sérieux et solide, la division d’infanterie de marine, qui allait bientôt montrer sa valeur. Il avait de plus trouvé fort à propos trois régimens du 6e corps qui n’avaient pu passer pour atteindre Metz avec Canrobert. Le reste se composait de bataillons de marche sans instruction et sans esprit militaire. — Le 7e corps enfin, sauf la division Conseil-Dumesnil, qui avait suivi Mac-Mahon depuis Frœschviller, était encore à Belfort le 17 et le 18. On hésitait à le diriger sur Châlons par la ligne de Chaumont, qui pouvait n’être plus sûre ; il fallait le faire passer par Paris, et il ne rejoignait l’armée que le 21, peut-être même le 22, après un voyage en chemin de fer long et entrecoupé, funeste pour la discipline, fatigant pour les hommes et, pour les chevaux, qui arrivaient exténués.

Tout était ainsi, de sorte que cette armée, dont le ministre de la guerre parlait comme d’une force avec laquelle on pouvait tout entreprendre, n’existait pas le 18 ; elle se formait dans la confusion, elle arrivait à peine, avec les plus énergiques efforts, à être à peu près agglomérée, à demi réorganisée vers le 22. Elle comptait certes assez de braves gens pour aller courageusement au combat, s’il le fallait ; telle qu’elle était, avec ses incohérences et ses lacunes, avec ses corps rassemblés en toute hâte, avec ses soldats de toute provenance, en partie atteinte déjà d’un certain esprit de défiance et de désordre, pouvait-elle passer dès ce moment pour une véritable armée de campagne, d’opérations devant l’ennemi ? Redoutable question qui restait en suspens à Châlons !

Un autre élément de la situation, et non le moins grave pour la décision à prendre, était ce qui se passait à Metz. L’obscurité commençait à envelopper l’armée du Rhin. L’empereur avait à peine atteint Châlons qu’un voile semblait s’étendre sur les événemens de la Moselle. Bazaine se disait victorieux le 16 au soir, et même l’impératrice se servait de l’heureuse nouvelle pour convaincre le général Trochu de l’inopportunité de la retraite sur Paris. Trochu, un instant ébranlé, démêlait néanmoins la vérité ; « oui, disait-il à l’amiral Jurien de La Gravière en quittant l’impératrice, Bazaine est victorieux, et pourtant il est arrêté… » Le commandant de l’armée du Rhin était en effet arrêté le 16, il était encore plus arrêté et en outre complètement cerné à partir du 18 au soir, après la bataille de Saint-Privat. Dès lors on ne savait plus rien ou presque rien. Les communications, interceptées par les voies régulières, devenaient rares et incertaines. Aux pressantes interrogations que le maréchal de Mac-Mahon adressait à Paris, le ministre de la guerre répondait le 20 par le renseignement le plus vague sur la position de Bazaine le soir du 18, — ce qui n’empêchait pas cependant le général de Palikao de raconter ce jour-là même au corps législatif l’histoire fabuleuse de « trois corps d’armée prussiens précipités dans les carrières de Jaumont ! » Non-seulement le maréchal Bazaine se montrait peu communicatif, mais les rares et sommaires informations qu’il transmettait étaient de nature à donner l’idée la plus inexacte de sa situation et à égarer ceux qui, placés loin de lui, avaient à prendre une résolution. Ainsi, sans parler des inquiétudes peu fondées qu’il exprimait sur ses approvisionnemens de munitions, Bazaine déguisait évidemment une partie de la vérité lorsqu’il écrivait le soir de Saint-Privat : « En ce moment, sept heures, le feu cesse, nos troupes sont constamment restées sur leurs positions… » Il n’était pas plus précis dans un rapport du lendemain où il décrivait les principaux résultats de la terrible affaire de la veille, et qui n’arrivait du reste que plusieurs jours après. Certainement rien dans ces dépêches ne pouvait donner l’idée d’une bataille qui avait fait plus de 30,000 victimes. Une seule chose apparaissait manifestement : Bazaine était cerné, il avait dans tous les cas, selon son propre aveu, besoin de quelques jours pour se refaire sous Metz, au risque de laisser le blocus se resserrer, les issues se fermer autour de lui, — et qu’on remarque bien dès ce moment ce qu’il y avait d’étrange, de peu réfléchi, à mettre ou à maintenir le maréchal de Mac-Mahon sous les ordres d’un chef investi ! Il en résultait que tout ce qu’on faisait, tout ce qu’on pouvait tenter à Châlons, restait à la merci de nouvelles incertaines ou tardives ou même détournées en chemin de leur destination. Entre Châlons et Metz, tout est donc de plus en plus vague et obscur lorsque tout devrait être concerté et précis.


II

Que se passe-t-il pendant ce temps au camp ennemi ? L’état-major prussien n’avait eu d’abord qu’une pensée : se porter à grandes marches sur la Moselle pour gagner la route de Verdun et atteindre au passage d’armée française de Metz, qu’il supposait disposée à la retraite. C’est à quoi il employait les forces considérables de Frédéric-Charles et de Steinmetz, Ire et IIe armées. Pour le moment, après avoir franchi les Vosges à la suite des divisions de Mac-Mahon, le prince royal de Prusse devait s’arrêter avec la IIIe armée sur la route de Nancy, en attendant l’effet des grands coups qui se préparaient, en se tenant prêt à seconder, s’il le fallait, ces combinaisons. La question une fois vidée devant Metz par les batailles du 16 et du 18, tout changeait de face. Les chefs militaires allemands, sachant ce qui en était beaucoup mieux qu’on ne le savait à Châlons ou à Paris, se sentaient plus libres. Le prince royal pouvait désormais reprendre sa marche, dépasser Nancy et s’avancer en côtoyant le chemin de fer de l’Est dans la direction de la Marne et de Paris. Ce n’est pas tout. La bataille de Saint-Privat était à peine finie depuis quelques heures, l’état-major allemand croyait déjà possible de former une armée nouvelle qu’il appelait « l’armée de la Meuse » et qu’il plaçait sous les ordres du prince royal de Saxe. Il allait rester, pour bloquer Metz et contenir Bazaine, les trois corps de la Ire armée, quatre corps du prince Frédéric-Charles, deux divisions et demie de cavalerie et 104 batteries d’artillerie. L’armée du prince de Saxe, composée de la garde prussienne, du IVe corps, du XIIe corps saxon et de deux divisions de cavalerie, — à peu près 80,000 hommes, — devait enlever Verdun, si elle pouvait, passer dans tous les cas la Meuse à cette hauteur et s’avancer par la route de Sainte-Menehould sur Châlons en se reliant au prince royal de Prusse, en concourant au grand mouvement sur Paris. C’était sur un vaste front une masse de 240,000 hommes, divisée en deux armées qui devaient sans cesse combiner leurs marches et leurs opérations. — Dès le 20 août, ce mouvement était commencé et allait continuer les jours suivans, éclairé et couvert à distance par des nuées d’audacieux cavaliers battant le pays, devançant le gros des forces prussiennes.

Ainsi entre le 18 et le 23 août la question en est là. L’armée de Châlons se forme en toute hâte, confusément. Bazaine est enfermé sous Metz, plus ou moins occupé à se refaire, donnant sur ce qu’il peut ou sur ce qu’il veut des nouvelles plus ou moins exactes. D’un autre côté, le prince royal de Prusse est en marche, s’avançant vers la Marne, poussant bientôt des partis jusque vers l’Aube. Le prince de Saxe, qui a déjà un de ses corps, le IVe, à Commercy, se liant à la IIIe armée, commence à franchir la Meuse avec la garde prussienne et le XIIe corps en contournant Verdun, où il va se heurter inutilement, qu’il ne peut enlever de vive force, mais qui n’arrête pas sa marche. Cette distribution même des rôles et des situations définit et limite en quelque sorte d’avance le terrain où allait s’engager la campagne, si l’on voulait essayer de rejoindre l’armée de Metz pour combattre avec elle ou pour la dégager en appuyant sa retraite : c’est cette région montueuse et boisée qui se déroule depuis Toul, ; particulièrement depuis Bar-Ie-Duc jusqu’aux Ardennes, qu’il faut franchir pour se porter des plaines de la Champagne dans l’ancien pays des trois évêchés. C’est l’Argonne, vaste complication de plateaux, de gorges, d’étangs et de forêts. Du côté de la Champagne, en avant de l’Argonne, l’Aisne est une première ligne d’opérations. Du côté du nord, les versans du massif s’abaissent vers la Meuse, qui, descendant des régions de Langres, court par Commercy, Saint-Mihiel, Verdun, Stenay, Mouzon, Sedan, Mézières. Au-delà de la Meuse, sur la rive droite, des hauteurs parallèles entrecoupées de vallées, le chemin de fer de Mézières à Metz par Carignan et Montmédy, puis la frontière belge. Des routes nombreuses sillonnent depuis longtemps le pays, devenu facile même pour des armées. Quatre principaux passages s’ouvrent toujours à travers l’Argonne. L’un, le plus direct, le défilé des Islettes, est celui que suit la grande route de Paris à Metz par Sainte-Menehould et Verdun. C’est là que Dumouriez, campé autour de Sedan, venait en 1792 prendre à revers et briser par la canonnade de Valmy l’invasion prussienne qui était déjà en Champagne. Plus à l’ouest se succèdent les passages de Grand-Pré, — de la Croix-au-Bois, où l’on arrive par Vouziers, — du Chêne-Populeux. Toutes ces issues servent à déboucher sur la Meuse entre Verdun et Sedan. Qu’on observe bien qu’à partir du 21 et du 22 août l’armée du prince de Saxe avait précisément sa direction par Verdun sur la route de Sainte-Menehould en se liant au prince royal de Prusse.

C’est dans ces conditions et sur ce terrain, c’est en présence des dispositions stratégiques d’un ennemi aussi vigilant qu’audacieux et avec des forces à peine rassemblées à Châlons que le général de Palikao parlait de revenir aussitôt à l’action. Il avait deux ou trois plans de campagne en quelques jours. Il voulait ou qu’on allât droit sur Verdun pour culbuter le prince de Saxe et donner la main à l’armée de Metz, — ou qu’on marchât par Stenay sur Montmédy, si Bazaine ne pouvait plus percer que de ce côté, — ou bien, enfin qu’on se jetât sur le prince royal de Prusse en marche sur Paris par la ligne de l’Est. Il n’y avait que le choix des combinaisons tour à tour proposées et agitées, malheureusement fondées les unes et les autres sur une appréciation bien peu juste de nos forces, et sur une ignorance des mouvemens de l’ennemi qui ne fut peut-être jamais égalée, qui reste un des phénomènes les plus étranges de cette étrange et triste guerre.

Aller à Verdun, — premier projet de prédilection du général de Palikao, — oui, assurément, rien de mieux, si c’était possible, si on avait une armée manœuvrière en état de renouveler sous un Napoléon les miracles de la campagne de 1814, si on pouvait gagner de vitesse le grince de Saxe sur la Meuse, si le prince de Prusse, qui allait être sur notre flanc, avait les yeux fermés et ne faisait rien pour nous troubler. Un désastre devenait inévitable, si une de ces conditions manquait, et elles pouvaient manquer, elles manquaient toutes. Je ne veux d’autre preuve que ce fait : le général de Palikao suppose, pour le succès de son plan, que l’armée de Châlons aurait dû partir le 21 août, et ce jour-là le 5e, le 7e corps débarquaient à peine, ils arrivaient exténués, certainement hors d’état de se mettre en route sur-le-champ. Avant le départ, les contre-temps commentaient. Au moment où l’on serait arrivé, vers le 25 ou le 26, on serait infailliblement tombé sur le prince de Saxe, qui était déjà en avant de la Meuse, ayant ses forces concentrées dans un rayon peu étendu, pouvant de plus compter tout au moins sur l’appui des deux corps bavarois de l’armée du prince de Prusse, que leur ligne de marche tenait assez rapprochés. — Se porter sur Montmédy par Stenay, c’était encore fort bien, à la condition de réussir à tromper la surveillance de la cavalerie allemande, qui battait déjà l’Argonne. Si on ne réussissait pas, l’armée française avait la chance de se trouver d’un instant à l’autre dans un étroit espace entre la Meuse et la frontière belge, serrée de près par les forces allemandes, qui se détourneraient momentanément de Paris pour se replier sur elle. — Se jeter sur le prince royal de Prusse pour tenter de le surprendre isolément, c’était bientôt dit. La IIIe armée allemande ne comptait pas moins de 150,000 hommes. Il fallait donc aborder cette masse en s’exposant du même coup à être assailli par l’armée du prince de Saxe, accourant de son côté sur nous avec ses 80,000 hommes. Voilà la vérité des choses, que le général de Palikao méconnaissait ou ignorait lorsqu’avec ses imaginations et ses hardiesses à la Dumouriez il proposait de si singulières et si terribles parties.

Ni l’empereur, il faut le dire, ni surtout le maréchal de Mac-Mahon, ne partageaient les illusions du ministre de la guerre, quoiqu’ils se crussent obligés d’en tenir compte. L’empereur, réduit à un rôle tout passif d’ostentation suprême et d’embarrassante inertie, restant au camp comme si c’était désormais le seul lieu où il pût rester, l’empereur flottait entre l’opinion du général Trochu, qu’il avait paru sanctionner le 17, qui répondait à sa propre pensée, et l’opinion du général de Palikao, à laquelle il avait l’air de se rendre le 18. Le-maréchal de Mac-Mahon résistait de toute la force de son bon sens aux combinaisons qu’on voulait lui faire exécuter, et si dans un premier moment, pressé de sollicitations, il écrivait à Paris que le gouvernement pouvait compter sur lui, qu’il « ferait tout pour rejoindre Bazaine, » cela voulait dire simplement qu’il ferait ce qu’il pourrait, qu’il attendrait les événemens. Il attendait en effet, plein de perplexité, impatient de voir clair et de se fixer. Il s’adressait à Paris, au ministre de la guerre, qui lui envoyait plus d’excitations et de plans de campagne que d’informations. Il s’adressait même, lorsqu’il le pouvait encore, au maréchal Bazaine, qui ne lui disait rien ou qui lui répondait qu’il était « trop éloigné du centre de ses opérations pour régler ses mouvemens, » qu’il le laissait « libre d’agir comme il l’entendrait. » Dès lors Mac-Mahon n’hésitait plus, et le 21 août, quittant le camp de Châlons ; qu’une précipitation malheureuse livrait aux flammes derrière lui, il portait son armée ou ce qui pouvait s’appeler son armée, non plus sur Verdun, mais sur Reims. Là il pouvait encore, ou revenir vers le nord, s’il le fallait, ou se replier décidément sur Paris, ou même attendre l’ennemi sur les fortes positions de la montagne et de la forêt de Reims. Au fond, il avait fait son choix ; Reims n’était pour lui à ce moment que la première étape de la retraite définitive sur Paris.

Une scène caractéristique qui se passait ce jour-là même ne faisait que confirmer et accentuer la pensée du maréchal. M. Rouher venait d’arriver en plein mouvement de l’armée. Ancien ministre de confiance de l’empereur, président du sénat, assistant au conseil depuis les premiers désastres de la guerre, M. Rouher n’était-il conduit à Châlons que par une inspiration toute spontanée de sympathie pour son souverain ? S’il n’avait aucune mission, s’il n’était qu’un voyageur de sentiment, et il l’assure, il pouvait passer du moins pour un plénipotentiaire suffisamment autorisé des vœux, des désirs, des impressions qui régnaient autour de la régente, dans les conseils, du gouvernement de Paris. Toujours est-il qu’arrivé le matin du 21 au camp de Châlons, le soir à Reims, il se rencontrait au quartier-général de Courcelles avec l’empereur, le maréchal de Mac-Mahon, le chef d’état-major de l’armée, et dans cette entrevue, transformée en une sorte de conseil de guerre assez étrange, il livrait un dernier combat pour les idées d’offensive du général de Palikao. Bien qu’il n’eût aucune illusion et qu’il crût déjà « tout perdu, » — c’était le mot dont il se servait en abordant l’empereur, — M. Rouher n’insistait pas moins pour la grande combinaison. Il faisait de la stratégie à sa manière, il proposait au maréchal de Mac-Mahon d’aller « faire sa jonction avec Bazaine, » de battre sans doute les Allemands, puis « de revenir sur le prince royal » pour « protéger Paris dans des conditions de victoire et sauvegarder tous nos intérêts. » C’était ce qui s’appelait conduire rondement les choses. Le maréchal avait une idée bien autrement sérieuse de la situation, et refusait absolument de se laisser entraîner dans cette aventure. « C’est impossible ! » s’écriait-il, et il déclarait du ton le plus résolu que le lendemain, à moins de quelque nouvelle décisive ou d’un ordre de Bazaine, il se dirigerait positivement sur Paris. L’empereur écoutait et ne disait rien, il en revenait à son mot : « alors que faut-il faire ? » M. Rouher n’avait pas réussi ; il était réduit à repartir immédiatement pour Paris sans avoir rien obtenu, emportant, avec des proclamations et des décrets, la certitude de cette résolution de retraite qui allait jeter la régente, le conseil, le ministre de la guerre, dans des transes nouvelles et provoquer de leur part un suprême effort d’opposition.

La question en était là lorsque tout changeait de face par une de ces péripéties qui sont comme les auxiliaires de la fatalité. Dans la matinée du 22 août, au moment où les ordres pour la marche sur Paris étaient déjà prêts, arrivait à Reims une dépêche du maréchal Bazaine datée du 19, et disant : « Je compte toujours prendre la direction du nord et me rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould et Châlohs, si elle n’est pas fortement occupée ; dans le cas contraire, je continuerai sur Sedan et même Mézières pour regagner Châlons… » D’un autre côté, à peu d’intervalle, arrivait de Paris un télégramme plein d’émotion et d’impatience, expédié sous l’impression du rapport de M. Rouher. « Le sentiment unanime du conseil en présence des nouvelles du maréchal Bazaine » est plus énergique que jamais, disait-on. Les résolutions prises hier soir devraient être abandonnées ;… ne pas secourir Bazaine aurait à Paris les plus déplorables conséquences. En présence de ce désastre, il faudrait craindre que la capitale ne se défendît pas… » C’est sous le coup de ces communications que le maréchal de Mac-Mahon se décidait, entre dix heures du matin et une heure de l’après-midi, à suspendre son mouvement sur Paris, à reprendre la route du nord. Que cette décision fût prise tout d’abord sur la dépêche de Bazaine, avant l’arrivée de la dépêche du ministre de la guerre, qui se serait croisée, dit-on, sur le fil du télégraphe avec l’avis de la détermination nouvelle adoptée à Reims, soit ; la question de responsabilité morale ne change guère. Le télégramme ministériel n’était pas moins parti de Paris avant qu’on connût aux Tuileries ce qui se passait à Reims depuis le matin ; il avait pour objet d’aiguillonner le maréchal ou, pour mieux dire, de lui fermer la route de Paris. C’était la manifestation redoublée, aggravée, de la pression sous laquelle se débattait depuis quatre jours le commandant en chef de l’armée de Châlons, et qui pesait certainement sur lui à cette dernière heure ; mais ce n’est pas tout, ce n’est même pas le point le plus grave.

Cette délibération contradictoire, agitée, se complique d’une circonstance plus délicate. Il y avait une autre dépêche de Bazaine « expédiée de Metz à la suite de la première le 19 au soir ou le 20 au matin par une voie différente, arrivée aussi le 22 à Reims, adressée spécialement au maréchal de Mac-Mahon et disant : « J’ai dû prendre position près de Metz pour donner du repos aux soldats et les ravitailler… L’ennemi grossit toujours autour de moi ; je suivrai probablement pour vous joindre la ligne du nord et vous préviendrai si la marche peut être entreprise sans compromettre l’armée… » Dans cette dépêche, Bazaine se montrait évidemment bien moins affirmatif que dans celle où il traçait son prochain itinéraire par Montmédy. Tout était incertain, douteux, suspensif, tout se résumait dans ce mot : « je vous préviendrai ! » Or cette dépêche, Mac-Mahon ne la recevait pas, il n’en avait aucune connaissance. Qu’était-elle devenue ? Dans quelle intention, ou par quelle fatalité, ou par quelle négligence se trouvait-elle interceptée ou retenue et dans tous les cas détournée de sa destination ? C’est là un mystère qui même encore aujourd’hui n’est point éclairci[3]. Une chose bien certaine, la dépêche était arrivée, le ministre de la guerre du 22 août 1870 l’avait reçue de son côté, il ne jugeait nécessaire ni de la transmettre à Mac-Mahon, ni de lui demander s’il la connaissait, et, lorsqu’il a été interrogé, il a répondu : « Je ne pouvais pas prévoir que le maréchal de Mac-Mahon n’aurait pas connaissance d’une dépêche qui avait été adressée en triple expédition et dont l’une m’était parvenue. J’ai pensé que le maréchal l’avait reçue… » De trois expéditions, une seule, la plus importante, n’était donc point arrivée : voilà le fait ! Si le maréchal de Mac-Mahon avait reçu cette dépêche, s’il avait connu les restrictions du général en chef de l’armée du Rhin, s’il avait su que Bazaine se réservait encore de le prévenir, aurait-il pris sans plus de réflexion le parti auquel il s’arrêtait le 22 août ? C’est au moins douteux, à en juger par ce mot poignant qu’il aurait dit à un de ses lieutenans en sortant du conseil où venait d’être décidée la marche sur le nord : « j’aurais mieux aimé me voir couper le bras droit que d’être forcé de signer un ordre pareil, qui est la perte de notre dernière armée ! »

C’était l’acte d’obéissance d’un soldat se préparant à une entreprise que son instinct et son jugement désavouaient, se rendant à des nécessités qu’il ne pouvait ni éluder ni dominer, et ici je voudrais montrer cette situation d’un chef militaire ayant à se débattre au milieu de toutes les impossibilités et de toutes les incohérences. Le maréchal de Mac-Mahon avait affaire au ministre de la guerre, qui ne cessait de « peser sur lui, » — c’est le mot du général de Palikao, — pour le pousser en avant, pour lui imposer des plans de campagne. Il était censé en même temps placé sous les ordres de Bazaine, dont il ne recevait que peu de nouvelles, dont il ne connaissait ni la position, ni les ressources, ni les intentions. Il portait dans son camp un empereur qui ne commandait plus, d’est vrai, qui ne restait pas moins un embarras. On prétendait lui donner à exécuter une opération qu’il croyait compromettante, impossible, avec une armée dont il n’ignorait pas les faiblesses, en présence d’un ennemi dont il venait d’éprouver la puissance. Son sentiment militaire, sa raison, le ramenaient vers Paris, et, puisqu’il pensait ainsi, il aurait dû, dit-on, résister à toutes les obsessions, refuser de se prêter à des combinaisons dont il voyait le péril. C’est possible ; mais, d’un autre côté, on ne cessait de faire peser sur lui les responsabilités les plus redoutables, la perte de Metz et de l’armée du Rhin, les événemens qui pouvaient éclater à Paris. Lui-même, dans ses délibérations intimes, il n’était pas insensible à la gravité des choses. « Abandonner Bazaine, a-t-il dit, me causait un véritable déchirement. » Au dernier moment enfin, lorsqu’il aurait eu l’intérêt le plus pressant à ne rien ignorer, un élément essentiel de décision lui manquait ; la dépêche qui aurait pu le mieux l’éclairer lui restait inconnue.

Tout est lutte et contradiction, et c’est de cet ensemble de circonstances obscures, tourmentées, que sort la résolution suprême qui, pour sauver l’armée de Metz, va perdre l’armée de Châlons, — que Mac-Mahon résume, non sans laisser entrevoir comme une dernière réserve, dans une dépêche expédiée à tout hasard au maréchal Bazaine : « Je marche dans la direction de Montmédy. Je serai après-demain sur l’Aisne, d’où j’opérerai suivant les circonstances pour venir à votre secours., »


III

C’en est donc fait, tout est décidé le 22, et le 23 au matin l’armée entière s’ébranle, un peu en désordre d’abord, mais avec l’élan et la bonne volonté que des soldats retrouvent bientôt quand ils vont en avant. Elle doit se porter le premier jour sur la Suippe, entre Saint-Masmes et Saint-Martin-L’Heureux, en pleine Champagne, puis sur l’Aisne. Le 5e et le 12e corps tiennent la gauche de l’armée, le 1er corps est au centre, le 7e corps forme l’aile droite, protégée par les cuirassiers de Bonnemains. La cavalerie de Margueritte, qui a escorté l’empereur le 16, au sortir des lignes françaises de Metz et qui n’a pu rejoindre l’armée du Rhin, est en avant vers Monthois, observant l’Argonne du côté de Grand-Pré. C’est là le point de départ. La direction générale est le passage de l’Argonne par le Chêne-Populeux, Vouziers, Grand-Pré, pour tomber sur la Meuse vers Stenay, où l’on touche à Montmédy.

Assurément, puisqu’on tentait l’aventure, il n’y avait plus qu’un moyen de se tirer d’affaire, c’était d’atténuer les périls de l’entreprise par la vigueur foudroyante de l’exécution, par la précision et la rapidité des mouvemens, de se mettre en mesure d’arriver sur la Meuse au plus vite, de façon à devancer l’ennemi, sans lui laisser le temps d’amener ses masses à notre rencontre ou à notre suite. Ce n’était point impossible. La marche par l’ouest de l’Argonne, en s’accomplissant plus loin des Allemands, avait la chance de leur échapper tout d’abord et peut-être de les embarrasser. Il n’y avait guère, que 80 kilomètres à parcourir pour atteindre Stenay, trois ou quatre jours devaient suffire amplement. Vers le 26 ou le 27 au plus tard, le 5e et le 12e corps, débouchant par le Chêne, par le défilé de Quatre-Champs, le 1er et le 7e corps s’avançant par Vouziers, la Croix-au-Bois, Grand-Pré, pouvaient se trouver assez concentrés sur la ligne de Buzancy, Nouart, à portée de la Meuse. Le succès définitif restait certes bien problématique encore. La jonction n’était pas faite, elle dépendait de Bazaine, qui aurait à livrer une nouvelle bataille et à la gagner. L’armée de Châlons pouvait courir avant peu d’étranges risques ; mais enfin, si elle arrivait le 27 sur la Meuse, elle avait la chance de n’avoir affaire qu’au prince de Saxe. Tout tenait à la célérité. Malheureusement les difficultés commençaient presque au départ de Reims, et l’armée en était à peine à sa seconde marche que déjà le 5e et le 12e corps, brusquement détournés de leur direction, se voyaient ramenés à l’ouest sur Rethel pour ne repartir que le 26 après une journée perdue. Pourquoi ce détour sur Rethel ? C’était en partie la suite d’une nécessité de ravitaillement, peut-être aussi en partie l’effet d’un excès de prudence et dans tous les cas la conséquence de l’organisation hâtive, incomplète de l’armée. Dès le premier jour, deux des chefs de corps avaient prévenu le maréchal que leurs troupes allaient manquer de vivres le lendemain. Inquiet pour ses approvisionnemens, bien plus préoccupé encore de sa ligne de communication avec Paris, qu’il laissait découverte en s’avançant et qui pouvait être coupée d’un instant à l’autre, soucieux des témérités périlleuses auxquelles on le poussait, Mac-Mahon se sentait disposé à redoubler de précautions bien plus qu’à payer d’audace, et il ne croyait pouvoir mieux faire que de s’appuyer à Rethel, au chemin de fer de Reims à Mézières : première et irréparable perte de temps, premier signe d’indécision dans une marche où chaque heure est précieuse, où le doute peut tout compromettre.

Qu’arrive-t-il en effet ? Le mouvement prend aussitôt une sorte d’allure flottante et décousue. Tandis qu’une partie de l’armée passe la journée du 25 autour de Rethel ; le reste ralentit nécessairement sa marche ; le 1er corps fait au plus 15 kilomètres pour gagner Attigny, le 7e corps atteint Vouziers après une étape plus courte encore. Le 26, Ducrot et Douay sont comme la veille obligés de se borner à une étape de quelques kilomètres, ou même de s’arrêter pour laisser à l’aile gauche, partie le matin de Rethel, le temps de rentrer en ligne par le Chêne et Tourtéron, où le 12e corps arrive le soir avec le quartier impérial. Le 1er corps va camper sur le plateau de Yoncq, à 8 kilomètres d’Attigny ; le 7e corps, quant à lui, tourne autour de Vouziers, passant d’une rive de l’Aisne sur l’autre rive, piétinant sur place, dans la boue, sous des pluies torrentielles. Hésitations du commandement, oscillations des marches, désordres dans le service des vivres, encombremens des équipages, tout commence à réagir sur le moral de cette armée prompte à s’énerver et à se décourager. Par une combinaison étrange de plus, par un ordre que rien n’explique, la cavalerie de Margueritte, qui pendant les premiers jours a éclairé l’aile droite, est ramenée, à dater du 25, de même que la cavalerie Bonnemains, au centre et à la gauche, où elle n’a rien à faire, tandis, que notre flanc le plus menacé n’est gardé que par la cavalerie peu nombreuse de Douay. C’est dans cette situation que se révèle tout à coup la présence des Prussiens, contre lesquels va se heurter une partie de la division Dumont, du 7e corps, la brigade Bordas, que le général Douay a envoyée pour garder le défilé de Grand-Pré, et qui se croit déjà en face de « forces supérieures. » Douay, bientôt informé de ce qui se passe à Grand-Pré, n’a plus qu’un souci : charger le général Dumont d’aller dégager sa brigade, qu’il croit en péril, se mettre lui-même sous les armes en avant de Vouziers pour attendre l’ennemi, et prévenir le commandant en chef, dont le quartier-général est malheureusement assez éloigné. Voilà où en sont les choses le soir du 26 après quatre jours de marche : on a gagné 50 kilomètres depuis le départ de Reims, et l’armée, occupée d’un côté à reprendre son équilibre, rompu par le détour sur Rethel, sent d’un autre côté l’ennemi sur elle. L’alerte a été sans doute un peu prompte et un peu vive : ce n’est point encore le gros de l’armée prussienne ; tout se borne pour le moment à des escarmouches d’avant-garde. L’échauffourée de Grand-Pré prouve du moins que l’ennemi est sur nos traces, qu’il accourt, et cette nouvelle, arrivant d’heure en heure de toutes parts, vient raviver les anxiétés du maréchal de Mac-Mahon en lui révélant l’imminence et la gravité de la crise qui s’approche.

L’armée allemande effectivement n’était plus bien loin, et ce qu’on commençait à distinguer ne devait être que le prélude des opérations. par lesquelles l’ennemi se disposait à déjouer les entreprises de l’armée de Châlons. Au premier moment, il est vrai, les chefs de l’état-major prussien n’avaient d’autre pensée que de poursuivre le grand mouvement d’invasion qu’ils dirigeaient, sur Châlons et sur Paris. Tandis que le prince de Saxe, après une tentative inutile sur Verdun, franchissait la Meuse, poussant sa cavalerie sur la route de Sainte-Menehould à travers l’Argonne, le prince royal de Prusse s’était avancé de son côté vers la Marne, envoyant des partis jusqu’à Vitry-le-Français. Ce qu’ils pouvaient rencontrer de résistance à Châlons ou sur un autre point, ce que nos généraux se proposaient de faire, les Allemands ne le savaient pas encore. La retraite sur Reims avait réussi à les tromper ou du moins à prolonger leur incertitude sur nos desseins. Le fait est que pendant deux jours la marche de Mac-Mahon vers le nord leur avait complètement échappé. Ce n’est que le 25 qu’ils commençaient à démêler la vérité. Ils l’apprenaient par les cavaliers du prince Albert qui dépassaient le camp de Châlons évacué et incendié, par les éclaireurs du prince de Saxe qui battaient l’Argonne, surtout peut-être par des journaux de Paris, dont les légères et coupables indiscrétions les mettaient sur la voie. Aussitôt l’état-major-général du roi, qui était à Bar-le-Duc le 25, prenait son parti, et, avant que le soir fût passé, il avait arrêté ses résolutions : il suspendait le mouvement sur Paris pour rejeter par une grande conversion l’armée du prince royal et l’armée du prince de Saxe sur Mac-Mahon. À ce moment, la IIIe armée était entre Bar-le-Duc et Châlons, à plus de 80 kilomètres de la ligne de marche des corps français ; l’armée de la Meuse, bien que plus rapprochée de nous, était encore, au moins en partie, à plus de 50 kilomètres : il suffit de rapprocher les dates et les positions pour voir ce que pouvaient nous coûter des lenteurs inévitables peut-être, dans tous les cas désastreuses.

Rien n’était certes plus audacieux que le mouvement résolu le soir du 25 août par les Allemands ; mais ils avaient l’orgueil du succès, une confiance doublée par la désorganisation croissante dont ils étaient les témoins. De plus, pour accabler cette armée de Mac-Mahon dont la marche, en les étonnant d’abord, les comblait de joie, ils avaient les huit corps du prince de Prusse et du prince de Saxe, représentant une force de 230,000 hommes au moins, et, comme si ce n’était pas assez, ils allaient détacher de l’armée d’investissement de Metz deux corps, le IIe et le IIIe, qui se portaient un moment dans la direction de Stenay, pour rentrer, à la vérité, presque aussitôt dans leurs lignes. Les Allemands avaient à l’appui de leur hardiesse l’avantage du nombre, c’est bien certain, ils étaient servis par nos hésitations, rien n’est plus clair. Tendre ce vaste filet destiné à se resserrer sur nous, faire arriver, à point nommé, presque à heure fixe, par des chemins différens, sans interruption et sans trouble, des forces si considérables concourant à une même action, tout cela n’était pas moins une opération de premier ordre, rappelant les plus puissantes combinaisons de Napoléon. Il faut savoir se dire que, si l’on a été vaincu, on l’a été par un ennemi qui avait tout fait pour vaincre, et qui savait la guerre, que nous avions un peu oubliée. Dans le plan de M. de Moltke, l’armée du prince de Saxe, à laquelle on adjoignait momentanément les deux corps bavarois, avait mission de descendre la Meuse jusqu’à Stenay, de se jeter sur notre flanc à travers l’Argonne, de nous harceler, de nous retarder de façon à laisser à la IIIe armée le temps d’arriver. Celle-ci de son côté devait se porter sur notre ligne de marche, prendre l’Argonne à revers par Grand-Pré, Vouziers, Attigny, le Chêne, en sorte que cette grande conversion, appuyée d’une part à la Meuse, décrivant au sud un cercle qui pouvait s’étendre ou se resserrer selon les circonstances, tendait sans cesse à envelopper Mac-Mahon pour l’étreindre sur un point que les hasards de la guerre fixeraient.

Le signal partait de Bar-le-Duc dans la nuit du 25 au 26. Toute la cavalerie allemande se jetait aussitôt en avant à travers l’Argonne, paraissant partout, se montrant dès le 26 à Grand-Pré, où elle commençait à nous joindre, et c’est à l’abri de ces mobiles rideaux de cavaliers que s’accomplissaient à marches rapides ces mouvemens conçus avec une hardiesse mêlée de prévoyance, exécutés avec un ensemble et une sûreté redoutables. Notre quartier-général n’était pas encore au Chêne que le quartier-général du roi de Prusse, quittant Bar-le-Duc, était à Clermont en Argonne, au centre des opérations. Le 27, le XIIe corps saxon se trouvait à Stenay, tenant les deux rives de la Meuse ; il était suivi du IVe corps, de la garde des Bavarois, qui avant deux jours allaient être sur nous. Le 27 aussi, le Ve, le XIe corps, les Wurtembergeois du prince royal, avaient des avant-gardes à Sainte-Menehould, de sorte que, si l’on n’était pas encore tout à fait en présence, on se rapprochait d’heure en heure.

Le maréchal de Mac-Mahon, sans connaître la vérité tout entière, en voyait assez dans la journée du 27 pour juger la situation avec l’esprit militaire le plus sûr. Il démêlait clairement, — on le lui annonçait d’ailleurs de toutes parts, — que deux fortes colonnes, deux armées distinctes, marchaient sur lui par le nord et par le sud de l’Argonne. D’un autre côté, il n’avait reçu aucune nouvelle de Metz depuis son départ de Reims, il était informé d’une manière sûre, quoique indirecte, que deux jours auparavant Bazaine n’avait encore rien tenté. Que pouvait-il faire dans ces conditions ? Devait-il poursuivre sa marche ou s’arrêter ? Question terrible qu’il se posait à lui-même à son quartier-général du Chêne ! C’est alors que le 27 août, à huit heures du soir, il adressait à Paris cette dépêche, où tout était vrai, sauf l’évaluation des forces de l’ennemi, qui restait bien au-dessous de la réalité :


« Les Ire et IIe armées, plus de 200,000 hommes, bloquent Metz. Une force évaluée à 50,000 hommes serait établie sur la rive droite de la Meuse pour gêner ma marche sur Metz. Des renseignemens annoncent que l’armée du prince royal de Prusse se dirige aujourd’hui sur les Ardennes avec 50,000 hommes… Je suis au Chêne avec un peu plus de 118,000 hommes. Je n’ai aucune nouvelle de Bazaine ; si je me porte à sa rencontre, je serai attaqué de front par une partie des Ire et IIe armées, qui à la faveur des bois peuvent dérober une force supérieure à la mienne, en même temps attaqué par l’armée du prince royal de Prusse me coupant toute ligne de retraite. Je me rapproche demain de Mézières, d’où je continuerai ma retraite, selon les événemens, vers l’ouest »


Que répondait-on de Paris ? La dépêche de Mac-Mahon était visiblement un nouveau coup de foudre pour le gouvernement. Aux appréciations si nettes du maréchal, le ministre de la guerre opposait des alarmes politiques, des informations de fantaisie puisées on ne sait où. « Si vous abandonnez Bazaine, disait-il, la révolution est dans Paris, et vous serez attaqué vous-même par toutes les forces de l’ennemi. Ce n’est pas le prince royal de Prusse qui est à Châlons, mais un des princes, frère du roi, avec une avant-garde et des forces de cavalerie… » Le général de Palikao assurait qu’on se trompait, qu’on avait « trente-six heures, peut-être quarante-huit heures d’avance » sur le prince royal. « Vous n’avez devant vous, ajoutait-il, qu’une partie des forces qui bloquent Metz, et qui, vous voyant vous retirer de Châlons à Reims, s’étaient étendues vers l’Argonne. » Évidemment le général de Palikao ne voyait rien, il n’avait aucune idée ni de la position du maréchal, ni des intentions et des mouvemens de l’ennemi, ni de la vérité des choses ; il fermait les yeux à la lumière qu’on lui montrait, et tout entier à sa pensée, à l’entraînement de sa confiance, comme s’il eût craint de n’avoir pas dit assez dans sa première dépêche de la nuit, il adressait le 28 au matin à Mac-Mahon une véritable sommation : « Au nom du conseil des ministres et du conseil privé, je vous demande de porter secours à Bazaine en profitant des trente heures d’avance que vous avez sur le prince royal de Prusse. Je fais porter le corps de Vinoy sur Reims… » C’était le renouvellement des pénibles luttes de Châlons et de Reims, mais cette fois dans des conditions nien plus extrêmes, bien plus décisives. Il s’agissait sinon de tout sauver, — c’était difficile désormais, — du moins d’éviter de tout perdre, de s’arrêter au bord de l’abîme, et ce jour-là certes le général de Palikao se chargeait d’une terrible responsabilité. Livré à lui-même, Mac-Mahon n’eût point hésité ; il n’avait point écrit à Paris pour provoquer des ordres qu’on pouvait se dispenser de lui donner ; il notifiait simplement une résolution prise. Que ne le laissait-on faire ? que ne résistait-il de son côté et ne suivait-il jusqu’au bout sa propre inspiration ? Chose curieuse qui peint le chaos du moment, l’empereur lui-même, qu’on a toujours cru favorable aux idées venant de Paris, pressait au contraire le maréchal de persister dans ses intentions de retraite. Devant les dépêches si impératives qu’il recevait coup sur coup, Mac-Mahon croyait devoir s’arrêter. C’était la fatalité qui triomphait encore une fois dans ce drame intime du Chêne-Populeux, ayant pour messagère un télégramme du général de Palikao !

Le désastre, j’ose le dire, ne pouvait plus être loin. Cette péripétie nouvelle avait d’autant plus de gravité que par le fait, au moment où arrivaient les injonctions aussi impérieuses qu’irréfléchies du ministre de la guerre, la retraite sur Mézières était déjà commencée. Dès le 27 au soir, les premiers ordres avaient été donnés, et aux premières heures de la nuit les quatre corps s’étaient hâtés de préparer leur marche vers l’ouest par Vendresse, Poix, Mazerny, en se faisant précéder des parcs et des bagages. Il fallait donc tout changer maintenant, revenir sur ses pas, ramener dans la direction qu’on venait d’abandonner ces masses de quatre corps d’armée qui, en s’accumulant sur quelques routes autour du Chêne, en se coupant pour reprendre leur ligne, finissaient par produire des « encombremens inextricables d’hommes, de voitures et de chevaux. » Le temps était affreux, les soldats, excédés de fatigues inutiles, manquant souvent de vivres, s’abandonnaient à l’indiscipline, l’inquiétude et la défiance entraient dans les esprits au spectacle de ces mouvemens contradictoires qu’on ne s’expliquait pas, dont le commandement souffrait dans son prestige. C’est à peine si, après plus de douze heures passées à se débattre dans une confusion démoralisatrice, on avait regagné quelques kilomètres le 28 au soir, et ce n’est guère que le 29 que l’armée française pouvait reprendre sa marche sur une ligne assez incohérente, où le 12e corps occupait la gauche, où le 5e corps, par une évolution singulière, avait passé à l’extrême droite. Malheureusement ce temps que nous perdions tournait au profit de l’ennemi, qui s’avançait rapidement, qui se montrait à Grand-Pré, à Buzancy, sur notre front, même à Vouziers sur nos derrières, tourbillonnant de toutes parts, prenant nos positions à mesure que nous les quittions, grossissant à vue d’œil, si bien que ce qui eût été encore possible le 27 devenait à chaque instant plus difficile.

Que se proposait de faire le maréchal de Mac-Mahon, exécuteur obéissant des ordres de Paris ? Il voulait toujours sans doute franchir la Meuse, dont il n’était plus éloigné, pour se diriger sur Montmédy ; il voulait même la franchir « coûte que coûte, » au plus vite. C’était l’instruction incessante qu’il adressait à tous ses lieutenans ; seulement, rien n’est plus clair, à mesure qu’on avançait, le désarroi augmentait. Tandis que Lebrun passait librement la Meuse dès le 29 à Mouzon et que Ducrot allait à son tour la passer sans trouble le lendemain un peu plus bas, à Remilly, Douay et de Failly restaient pendant ces deux jours aux prises avec les difficultés les plus sérieuses. Si l’état-major prussien avait voulu attendre le moment décisif, il n’aurait pu mieux calculer, et il ne pouvait aussi être mieux servi : il allait trouver le 30 août deux de nos corps sur la rive droite de la Meuse, deux autres corps sur la rive gauche, celui de Douay s’avançant péniblement à travers le défilé de Stonne, celui du général de Failly s’attardant à Beaumont, comme pour préparer au prince de Saxe une facile victoire, premier prix des habiles manœuvres de M. de Moltke.


IV

Il y a des heures où tout est contre-temps. Ce premier contretemps de Beaumont, où venait aboutir cette étrange campagne, fut une désastreuse surprise, prologue de la grande et irréparable catastrophe qui se préparait. La veille, le général de Failly avait passé une partie de la journée à se battre avec les Saxons vers Nouart et Bois-des-Dames, sur la route de Stenay qu’il avait mission de suivre. Un officier lui avait été envoyé le matin pour modifier sa direction et le détourner d’un combat trop obstiné ; cet officier, M. de Grouchy, avait été pris par l’ennemi. Le général de Failly n’avait donc appris qu’assez tard, par un second officier, qu’il devait se rabattre sur Mouzon par Beaumont, où son corps refluait effectivement pendant toute la soirée, où il n’arrivait lui-même qu’assez avant dans la nuit.

Cette petite ville de Beaumont, où le général de Failly se trouvait conduit par un hasard de la guerre, est sur les derniers versans de l’Argonne, dans une sorte d’hémicycle fermé au sud par la vaste forêt de Dieulet, couvert au nord par une série de collines, les Gloriettes, couronnées de bois qu’il faut franchir pour arriver à Mouzon. Par l’est, elle touche presqu’à un repli de la Meuse, coulant à peu de distance par l’ouest, elle communique avec l’intérieur de l’Argonne, avec les défilés où Douay se trouvait en ce moment même engagé. Ce n’était pas une ville à défendre, c’était un camp de passage où pouvait s’abriter un moment une petite armée marchant avec vigilance. La vérité est que le malheureux 5e corps, arrivant pendant toute la nuit pêle-mêle, exténué de fatigue et affamé, s’était installé comme il avait pu autour de Beaumont : au sud de la ville, au bas des pentes boisées de Dieulet, la division Goze avec quelques régimens de la division Guyot de Lespart, au nord le reste de la division de Lespart, la brigade qui restait, au général Labadie, la cavalerie, le génie. Une simple vue du pays aurait dû suffire pour montrer la nécessité d’occuper les collines du nord qui dominent la vallée, de surveiller au sud ce mystérieux amphithéâtre de forêts d’où pouvait descendre un ennemi invisible, — on n’en faisait rien. Des camps mal posés, l’artillerie laissée dans un pli de terrain, les principales positions négligées, peu de grande gardes, pas de reconnaissances, on en était là le 30 au matin, — « et, selon le mot expressif d’un des témoins, l’ennemi laissé la veille après le combat à 5 kilomètres ! » Chose étrange, le général de Failly négligeait toutes les précautions au moment même où il avouait qu’il lui était « impossible de dire s’il avait devant lui une division ou plusieurs corps d’armée. » Il ne savait pas que le prince de Saxe était déjà tout près de lui avec le IVe le XIIe corps et la garde, que les Bavarois touchaient à Buzancy et suivaient Douay, que le Ve, le XIe corps, les Wurtembergeois du prince royal, arrivaient de leur côté, que le quartier-général du roi était à Grand-Pré, et allait être dans quelques heures sur les hauteurs voisines de Soromauthe.

Cette journée du 30, la dernière laissée à notre pauvre fortune pour passer la Meuse et qui allait être marquée par la jonction définitive des armées prussiennes, cette journée inquiétait gravement le maréchal de Mac-Mahon, qui dès le matin, à l’aube, arrivait à Beaumont, témoignant le plus sérieux souci pour cette aile droite de son armée, îl aurait voulu que le 5e corps ne perdît pas un moment et se hâtât de partir pour Mouzon, qui n’était plus qu’à deux lieues ; il allait d’un autre côté presser la marche de Douay. Il sentait que là était le danger, qu’on pouvait tout craindre tant que l’armée entière n’avait pas franchi la Meuse. Le général de Failly cependant montrait la plus bizarre sécurité, et se laissait retarder sous prétexte de donner à ses soldats le temps de se remettre un peu et de fourbir leurs armes. Vainement, à mesure que s’écoulaient les heures de la matinée, les avis alarmans se multipliaient, vainement des habitans fugitifs venant du côté des bois assuraient que l’ennemi se rapprochait, ces propos n’excitaient que des railleries. On était au camp comme en pleine paix, les hommes à la corvée ou à la maraude, l’artillerie dételée, à l’aventure, les chevaux à l’abreuvoir, lorsque, entre onze heures et midi, les officiers, répandus dans Beaumont, et le commandant en chef lui-même, qui se trouvait à déjeuner chez le maire, entendaient ce cri sinistre : « les Prussiens sont sur vous ! » Peu après, vers midi, un premier coup de canon retentissait. Presque aussitôt des colonnes d’infanterie débouchaient des bois par quatre ou cinq chemins forestiers. L’armée du prince de Saxe se déployait, portant son centre sur nos campemens du sud de Beaumont, s’étendant par son aile droite vers la Meuse et Letanne, gagnant par son aile gauche la Thibaudine sur la route de Stonne ; elle tendait à nous envelopper. Avant qu’on eût le temps de se reconnaître, le centre de l’ennemi tenait notre camp sous son feu, à 400 mètres de distance !

La surprise ne pouvait être plus complète et plus terrible. Cet orage inattendu tombant sur nos bivouacs en désarroi produisait tout d’abord un affreux désordre, une confusion indescriptible d’hommes, de chevaux effarés se précipitant de toutes parts sous les obus. Pas une pièce d’artillerie n’était en position, pas un bataillon n’était formé. Bientôt cependant ces soldats, un instant déconcertés, se jetaient sur leurs armes et se mettaient en devoir de soutenir le choc La panique éclaircissait les rangs ; en définitive la division Goze, avec les deux brigades Nicolas et Saurin, et les quelques autres troupes qui se trouvaient là, formaient un noyau de 7,000 ou 8,000 hommes qui, vigoureusement ralliés par leurs chefs, ne laissaient pas d’arrêter l’ennemi. Au premier moment s’ouvrait un combat décousu, meurtrier ; où en moins d’une heure tombaient à la tête de leurs soldats le colonel de Behagle du 11e de ligne, frappé à mort, le vaillant colonel Berthe du 86e de ligne, grièvement blessé et depuis général, le colonel du 68e de ligne et ses trois chefs de bataillon, le commandant de Lacvivier du 46e de ligne, et bien d’autres. Les Allemands souffraient aussi du feu de notre mousqueterie et du feu de l’artillerie, qui pendant ce temps avait pu aller prendre position au-delà de Beaumont. La lutte était cependant trop disproportionnée, elle avait été surtout engagée dans de trop mauvaises conditions pour pouvoir se prolonger. Ces troupes engagées au sud de Beaumont ne tardaient pas à se voir obligées d’abandonner leur camp, laissant leur matériel et des prisonniers à l’ennemi, se repliant le mieux possible vers les collines du nord de la ville, dans la direction de Mouzon. Ce n’était pas la fin du combat. Les Allemands marchaient sur nos traces, contournant Beaumont, abordant ces hauteurs, où le général de Failly avait maintenant toutes ses forces, singulièrement réduites et encore plus ébranlées. Si atteint qu’il fût, le 5e corps ne résistait pas moins. Pendant deux heures encore, il disputait la position de La Harnoterie, que tenait énergiquement le général de Fontanges, il ne cédait le terrain que pas à pas ; mais déjà il se voyait menacé d’être tourné de toutes parts, d’un côté par les Saxons, qui en longeant la Meuse manœuvraient pour lui couper le chemin de Mouzon, d’un autre côté par les Prussiens et les Bavarois, qui l’attaquaient et le débordaient sur la droite. Le général de Failly s’était hâté de faire connaître sa situation à Mouzon, où l’on entendait d’ailleurs depuis midi le bruit des engagemens de Beaumont. Lebrun avait envoyé successivement une brigade, puis deux autres brigades et de la cavalerie pour recevoir ou dégager le 5e corps, et, lorsque le général de Failly se rapprochait le soir de Mouzon, ce secours lui devenait certes des plus utiles. C’est une brigade du 12e corps qui avait à soutenir le dernier choc. C’est le 5e régiment de cuirassiers qui, par une charge hardie où périssait le colonel de Contenson, achevait de couvrir la retraite plus que précipitée du général de Failly, heureux d’arriver enfin à Mouzon après une affaire où il avait infligé à l’ennemi une perte de plus de 3,000 hommes en perdant lui-même 1,800 hommes, atteints par le feu, plus de 3,000 prisonniers et une partie de son artillerie.

Que devenait de son côté pendant ces cruelles heures le général Douay, engagé vers la Meuse sur une ligne assez rapprochée du 5e corps ? Il était lui-même fort en péril, harcelé par l’ennemi, qui l’aiguillonnait depuis le matin en le menaçant toujours de se jeter sur lui. Arrivé à la hauteur de Stonne vers midi, il avait entendu distinctement le canon de Beaumont, et, s’il n’eût écouté que son inspiration de soldat, il se serait dirigé aussitôt sur de Failly, mais il avait pour première instruction de gagner la Meuse à tout prix avant le soir. Il ne le pouvait qu’en s’efforçant d’échapper à l’ennemi, et il n’y réussissait pas même entièrement. Une de ses colonnes, la division Conseil-Dumesnil, égarée à la recherche de son chemin, était allée se heurter contre les Bavarois, qui manœuvraient pour se jeter entre le 5e et le 7e corps français. Une violente échauffourée s’ensuivait ; les deux généraux de brigade Morand et de Bretteville étaient mis hors de combat, et une partie de la division, prise de panique, se rejetait en désordre sur le gros du 7e corps. Douay devait donc se hâter, s’il voulait éviter de se laisser surprendre dans ces défilés qu’il avait encore à traverser. Il se hâtait sur Raucourt, vers Remilly, et cette marche était dure, elle s’accomplissait péniblement au milieu de toute sorte d’anxiétés. A chaque instant, il fallait s’arrêter, les obus ennemis ne cessaient de tomber sur l’arrière-garde.

Lorsqu’enfin vers le soir le 7e corps commence à déboucher sur Remilly, nouveau contre-temps : on tombe sur la cavalerie Bonnemains, arrêtée elle-même par les dernières colonnes du 1er corps, qui en sont à passer la Meuse, franchie depuis midi par Ducrot. Que faire ? Ces soldats de Douay exténués tombent sur la route et s’endorment ; leur chef seul veille dévoré d’inquiétude en songeant qu’il peut être attaqué d’un instant à l’autre, que pour sûr au jour il risque d’être précipité dans la Meuse, s’il ne s’est pas mis à l’abri d’ici là. A dix heures du soir, la cavalerie Bonnemains passe encore la rivière sur un pont flottant. Ces cuirassiers aux longs manteaux blancs et aux casques scintillant dans la nuit, ayant de la peine à contenir leurs chevaux effarés, ressemblent à une apparition fantastique sur les eaux à la lueur blafarde des feux allumés sur les deux rives. A deux heures du matin, il n’y avait encore que deux régimens et trois batteries du 7e corps de l’autre côté de la Meuse. Alors Douay, prévenant ses lieutenans, laissant devant Remilly le général du génie Doutrelaine et prenant avec lui une de ses divisions, sa réserve d’artillerie, se jette, par la rive gauche de la Meuse, dans la direction de Sedan, où il arrive vers cinq heures du matin, à bout de forces. Douay n’avait du reste pris ce parti qu’après avoir reçu l’avis que l’armée tout entière se portait sur Sedan. C’était la suite de ces malheureuses affaires du jour qui n’étaient point sans doute un désastre complet, mais qui étaient à coup sûr le commencement et la préparation du désastre.

Cette triste journée du 30 avait en effet une gravité décisive qu’on n’apercevait pas peut-être tout d’abord pendant le combat. Lorsque le général Ducrot, déjà sur la rive droite de la Meuse avec ses premières divisions et inquiet au bruit du canon, avait fait demander des instructions, l’officier qu’il avait envoyé revenait avec cette singulière réponse, que « tout allait bien. » A six heures du soir, l’empereur adressait de Carignan à Paris cette dépêche bien plus étrange encore : « il y a eu un engagement aujourd’hui sans grande importance. Je suis resté à cheval assez longtemps. » L’engagement « sans importance, » c’était Beaumont. Que pouvait faire désormais le maréchal de Mac-Mahon ? Il ne pouvait plus songer à revenir sur Montmédy par Carignan après avoir été obligé d’abandonner la route directe par Stenay, et, s’il eût persisté dans cette pensée, il aurait couru au-devant d’un danger bien plus sérieux encore qu’il ne le supposait, puisque le lendemain même, le 31, Bazaine, qui jusque-là était resté immobile, échouait dans une tentative pour sortir de Metz. L’armée de Châlons se serait donc trouvée seule au milieu de toutes les armées allemandes accourant sur elle. Mac-Mahon pouvait-il attendre l’ennemi en arrière de Mouzon, sur les hauteurs de la rive droite de la Meuse ? Il était exposé à se voir tourné, d’un côté par Stenay, dont les Prussiens restaient maîtres, d’un autre côté peut-être entre Mouzon et Sedan ; dès lors il perdait toute ligne de retraite s’il était battu, il n’avait plus d’autre ressource que de se réfugier en Belgique. Voyant cette situation, le maréchal se décidait immédiatement à se replier vers Sedan, gardant ainsi tout au moins une possibilité de retraite par l’ouest. Malgré la longanimité qu’il montrait à l’égard de ceux qui lui imposaient leurs plans, il devait, j’imagine, ressentir quelque impatience en adressant à Paris pendant la nuit cette sèche et laconique dépêche, qui ressemble à un reproche : « Mac-Mahon fait savoir au ministre de la guerre qu’il est forcé de se porter sur Sedan. » Comme s’il avait voulu pousser à bout l’honnête soldat, le général de Palikao avait le triste courage de lui répondre dans de pareils momens : « Je suis surpris du peu de renseignemens que M. le maréchal de Mac-Mahon donne au ministre de la guerre ;… votre dépêche ne m’explique pas la cause de votre marche en arrière ; vous avez donc éprouvé un revers ? »

Ce n’était point effectivement une victoire qui avait été remportée à Beaumont, et qu’on remarque bien ce fait saisissant : depuis qu’il a quitté Reims, Mac-Mahon ne cesse d’être partagé entre toutes les obsessions et ses propres instincts ; il flotte entre deux directions. On le pousse vers Montmédy et Metz, il veut revenir sur Mézières, il tombe sur Sedan ! Sedan n’est plus ainsi un hasard ; c’est la résultante de tout ce qui s’accomplit depuis huit jours. On dirait qu’un destin implacable a désigné d’avance la malheureuse ville comme le point mystérieux où doit expirer le dernier effort d’une armée française, où va s’achever la grande manœuvre de l’ennemi, impatient de saisir et d’étreindre sa proie.


V

Quel est donc ce champ de bataille où vont se rencontrer comme au fatal rendez-vous de si grandes masses humaines, où va s’accomplir une des plus tragiques péripéties de la guerre ? Sedan, la ville même de Sedan n’est qu’un réduit, un dernier refuge, avec son vieux château qui la surmonte et ses vieux remparts qui ne lui font plus qu’une impuissante cuirasse contre l’artillerie moderne. Le vrai champ de bataille est tout autour, irrégulier, tourmenté, marqué néanmoins dans son ensemble d’une certaine unité frappante, formant un vaste cercle que coupe la Meuse de son cours sinueux. A partir de la ville, au-dessus du château et d’un vieux camp qui existe encore, se déploie une sorte de massif central montueux, mouvementé, isolé pour ainsi dire dans sa configuration sur la rive droite de la Meuse. Par le sud et par l’ouest, il s’abaisse vers la Meuse, qui, en arrivant sur Sedan, passe à Bazeilles, au faubourg de Balan, contourne la ville, va former par une boucle vigoureusement dessinée la presqu’île d’Iges, puis se redresse sur la petite ville de Donchery pour s’en aller vers Mézières. A l’est, les pentes assez escarpées sur certains points tombent sur la vallée industrieuse et charmante de la Givonne, qui, venant du nord, trouve sur son chemin tous ces villages de Givonne, Haybes, Daigny, La Moncelle, et va déboucher sur la Meuse, à Bazeilles. Au nord, le groupe montagneux est également circonscrit, à partir de Givonne, par une dépression de terrain où coule le ruisseau d’Illy et de Floing, qui va rejoindre la Meuse au-dessous de Sedan, à la presqu’île d’Iges, C’est tout un ensemble de positions décrivant ainsi un cercle de Bazeilles à Floing, dominant la vallée de la Givonne par les hauteurs de La Moncelle, de Daigny, faisant face au nord par le calvaire d’Illy, point culminant de ce plateau où s’étend, comme pour servir d’abri et de défense, le bois de la Garenne.

Étendez votre regard tout autour du haut du plateau d’Illy, un autre spectacle saisissant se déroule aussitôt : de toutes parts, à peu de distance, apparaissent des positions dominantes et plus fortes encore. Ainsi, devant Bazeilles et Sedan, sur la rive gauche de la Meuse, se déploie tout un amphithéâtre de hauteurs, les Noyers, le Liry, les bois de la Marfée, où le prince Frédéric-Maurice livrait autrefois bataille au maréchal de Châtillon, envoyé par Richelieu, le Frenois, la Croix-Piot, qui domine le pays, qui surplombe Donchery et le cours de la Meuse au-dessous de Sedan. En face des hauteurs de La Moncelle, de Daigny, de l’autre côté de la vallée de la Givonne se déroulent les positions du bois Chevalier, les coteaux qui depuis Carignan bordent la vallée du Chiers. Au nord, au-delà de la dépression d’Illy, le terrain se relève vers Fleigneux ; on a devant soi les vastes et épaisses forêts qui touchent à la Belgique, à travers lesquelles se dessine la route qui conduit de Sedan à Bouillon. Plus loin, au-delà de Floing et faisant suite aux pentes de Fleigneux, ce sont les coteaux de Saint-Menges, le Hattoy, les bois de La Falizette, le pic de Sugnon, Vrigne-aux-Bois, se reliant avec Donchery. C’est une série presque ininterrompue de bois, de hauteurs s’élevant par degrés, de sorte qu’on a sous les yeux un amphithéâtre immense aux étages superposés, comme un vaste cirque formé par la nature, avec un cercle intérieur resserré sur Sedan et un cercle extérieur dominant tout le cours de la Meuse, la ville, le plateau de Sedan, fermant toutes les issues et tous les passages, par Mouzon comme par Mézières, par la Belgique comme par le sud. C’est là le champ de bataille où couraient deux armées, l’une cherchant à s’échapper après l’affaire de Beaumont, qui lui fermait la route de Montmédy, l’autre s’efforçant d’atteindre l’armée fugitive pour la contraindre à combattre ou l’envelopper de ses replis, — et maintenant tout allait se précipiter.

Dès la nuit du 30 au 31, le mouvement français avait commencé. Le maréchal de Mac-Mahon lui-même, précédé dans la soirée par l’empereur, arrivait à Sedan vers minuit. Ses troupes le suivaient ou allaient se mettre en route au matin pour se concentrer dans la journée autour de Sedan. Elles devaient prendre précisément ces positions qui couronnent la ville, le 12e corps de Lebrun sur les hauteurs de La Moncelle et à Bazeilles, faisant face à la Meuse, le 1er corps se repliant à la gauche de Lebrun sur les crêtes qui dominent la vallée de la Givonne, Daigny, — le 7e corps, en arrière de Floing, se reliant à Ducrot par le plateau d’Illy. Quant au 5e corps, dont le commandement passait ce jour-là même du général de Failly au général de Wimpfen, arrivant tout droit d’Afrique, il restait tellement éprouvé et désorganisé par l’affaire de Beaumont qu’il ne pouvait plus servir que comme réserve ; il allait bivouaquer sous le vieux camp, au ravin du fond de Givonne, qui communique avec toutes les positions. La cavalerie Bonnemains, Margueritte, Fénelon, devait camper sur le plateau en arrière de Douay et de Ducrot. Tout cela s’exécutait le 31 ; mais déjà il n’y avait plus à s’y tromper. La retraite elle-même devenait difficile. Le 1er corps, venant de Garignan, qu’il avait atteint la veille lorsqu’on songeait encore à se diriger sur Montmédy, le 1er corps, bien que cheminant assez loin, par les coteaux du Chiers, par Francheval, Villers-Cernay, avait été obligé de s’arrêter plusieurs fois dans la journée, se croyant près d’être attaqué. Le 12e corps, plus rapproché de la Meuse, avait eu des engagemens.

C’est qu’en effet nous ne pouvions plus faire un pas sans être suivis. A chacun de nos mouvemens répondait un mouvement de l’ennemi. La garde prussienne marchait sur les traces de Ducrot par Francheval et le haut de la vallée de la Givonne comme pour nous fermer la route de la Belgique et doubler la pointe d’Illy. Le XIIe corps saxon se dirigeait sur Daigny et La Moncelle, suivi par le IVe corps. Les Bavarois de Von der Tann se trouvaient dès le soir du 31 devant Lebrun. Ils s’emparaient du pont du chemin de fer, passaient audacieusement la Meuse et tentaient d’enlever Bazeilles, qu’ils couvraient de feu, dont ils commençaient l’incendie. L’infanterie de marine du général de Vassoigne les repoussait avec le plus vigoureux entrain et les rejetait au-delà de la Meuse ; mais les Bavarois restaient maîtres du pont, et les troupes de Lebrun campaient à la lueur des incendies mal éteints de Bazeilles. A l’autre extrémité de la ligne ennemie, le XIe et le Ve corps arrivaient déjà sur Donchery, ayant à leur gauche les Wurtembergeois. Les têtes de colonne du XIe corps allaient là aussi s’emparer du pont de Donchery, passer la Meuse et doubler la presqu’île d’Iges et nous fermer la route de Mézières par Vrigne-aux-Bois. Les Allemands, dans la dévorante activité de leurs mouvemens, n’avaient qu’une crainte, celle de voir l’armée française leur échapper. Toute la question était là pour eux, et pour nous aussi elle était là : il s’agissait de se hâter sur Mézières ou de livrer bataille sous Sedan, où l’on arrivait à peine. Je ne parle pas d’une évasion en Belgique, que personne n’eût osé proposer avant le combat à des hommes résolus à faire leur devoir jusqu’au bout.

Le maréchal de Mac-Mahon soupçonnait-il la gravité de sa situation ? Qu’en pensait-il ? L’idée de la retraite sur Mézières flottait dans son esprit, ce n’est pas douteux. C’était surtout la préoccupation du général Ducrot, qui, sans avoir une initiative de commandement, ne voyait pas d’autre issue ; mais le temps pressait déjà, les troupes n’arrivaient que lentement, quelques-unes n’atteignaient leur camp que le soir. — Attendre l’ennemi devant Sedan, c’était une résolution étrangement grave. Rien n’était plus périlleux que de s’appuyer sur une place sans canons, sans vivres, qui, dans un moment d’émotion et de panique, pouvait exercer une attraction terrible sur des soldats ébranlés ou peu aguerris. Le plus sage eût été sans doute de ne point rester sur ce que j’appelais le cercle intérieur autour de Sedan, de se placer sur le cercle extérieur vers Saint-Menges et Vrigne-aux-Bois, de façon à se réserver une issue. Le maréchal se perdait évidemment un peu dans ce tourbillon, il ne se rendait pas compte de ce qu’il faisait lui-même, et il croyait avoir plus de liberté qu’il n’en avait lorsque dans la journée il disait au général Douay, qui ne lui cachait pas ses inquiétudes : « Je ne veux pas m’enfermer dans des lignes, je veux être libre de manœuvrer. — Monsieur le maréchal, répondait avec tristesse le commandant du 1er corps, demain l’ennemi ne vous en laissera pas le temps. » En réalité, le maréchal délibérait avec lui-même, sans avoir encore un projet bien arrêté ; mais de toute façon, qu’on voulût se frayer un chemin vers Mézières, qu’on voulût attendre la bataille sous Sedan, c’était une précaution élémentaire de se mettre à l’abri le plus possible en coupant les ponts de la Meuse. On ne l’avait pas fait à Bazeilles, on ne le faisait pas à Donchery. Une compagnie du génie était envoyée à Donchery, à son arrivée elle n’avait plus ni poudre ni instrumens nécessaires. Lorsque tout était de nouveau expédié, l’ennemi avait déjà le pont et le gardait. Autre contre-temps : il y avait dans la gare de Sedan un convoi de 1 million de rations de vivres envoyé pour l’armée. Quelques obus tombent sur la gare, aussitôt le convoi, sans être déchargé, repart pour Mézières !

Le 31 au soir, les esprits étaient soucieux dans les camps. « Je pense que nous sommes perdus, disait le général Doutrelaine à Douay dans son bivouac de Floing. — C’est aussi mon opinion, ajoutait Douay, il ne nous reste donc plus qu’à faire de notre mieux avant de succomber. » De son côté, Ducrot, dévoré d’anxiété et d’impatience, s’étendait sur la terre nue près d’un camp de zouaves pour attendre le jour. Lebrun était tenu en alerte par l’échauffourée de Bazeilles. La nuit pesait sur tout le monde, lorsqu’à quatre heures et demie du matin le feu éclatait tout à coup, d’abord devant Lebrun, puis devant Ducrot, au milieu d’une brume épaisse qui couvrait la vallée de la Meuse et la vallée de la Givonne. C’était la bataille de Sedan qui commençait !

Engagée successivement sur toutes les parties des lignes françaises à mesure que l’ennemi étend ses mouvemens, prolongée pendant neuf heures, cette triste et sanglante bataille peut se résumer en trois phases distinctes marquées par trois commandemens différens, de même qu’elle se concentre en trois actions principales :: les combats devant Bazeilles et La Moncelle, les combats devant Daigny et Givonne, les mêlées confuses et terribles du plateau d’Illy, qui sont le signal du désastre. Au premier moment, ce sont les Bavarois de Von der Tann qui, après avoir passé la nuit à disposer dix-huit batteries sur les pentes de la rive gauche qu’ils occupent, franchissent la Meuse à la faveur de l’obscurité, et se portent brusquement sur Bazeilles. Ils trouvent devant eux la brigade de marine de Martin des Pallières, qui les reçoit avec la plus inébranlable fermeté. Plusieurs fois ils renouvellent leurs tentatives avec des forces croissantes, ils sont toujours repoussés, et la lutte ne tarde pas à devenir meurtrière. Ce n’est encore que le début. Bientôt les Bavarois sont soutenus par une attaque dirigée sur La Moncelle, à la gauche de Lebrun. Ici les Saxons, accourus au secours des Bavarois, vont se heurter contre la division Grandchamp et la division Lacretelle. Plus haut, vers Daigny et Givonne, Ducrot s’est engagé à son tour, jetant au-delà de la vallée la division de Lartigue, chargée d’aller prendre les positions du bois Chevalier ; mais le général de Lartigue trouve le bois déjà occupé par des troupes du XIIe corps saxon, avec lesquelles il ouvre un combat des plus vifs sans pouvoir avancer. Ce n’est qu’un peu plus tard que Douay va être attaqué de son côté. Ainsi l’action ne se dessine pas encore vers Floing, elle commence assez vivement devant Daigny, elle est dans toute son intensité, et en définitive avantageuse pour nos marins à Bazeilles. Rien de précis encore, lorsqu’un accident imprévu, quoique bien simple à la guerre, vient compliquer la situation. Le maréchal de Mac-Mahon, au premier avis donné par le général Lebrun, est accouru sur le champ de bataille, s’avançant sous le feu ennemi auprès de La Moncelle, et là, sur un point où s’élève aujourd’hui une croix commémorative, il est atteint d’un éclat d’obus. Le maréchal, ramené à Sedan, rencontre sur son chemin l’empereur, qui vient se montrer sur ce champ de bataille où il erre comme un fantôme. A six heures du matin, l’armée a perdu son chef, douloureusement frappé, et sauvé du moins par cette blessure presque heureuse d’une effroyable épreuve. Première crise dans la direction des affaires de la journée.

Si Mac-Mahon avait un plan, il l’emportait avec lui. Au fond, il n’en avait aucun sans doute, il recevait l’attaque sur les positions qu’il avait prises : c’est précisément pour se décider qu’il venait sur le terrain. Ducrot, à qui le maréchal faisait remettre le commandement, avait quant à lui ses idées arrêtées. Il avait le pressentiment des desseins de l’ennemi, qu’il soupçonnait de vouloir recommencer « son éternel mouvement de capricorne, » et il ne voyait d’autre moyen d’échapper à un désastre que de tentée de se frayer un chemin vers Mézières, en commençant par ramener l’armée sur le plateau d’Illy. Aussi, dès qu’il recevait le commandement, prenait-il son parti sans hésiter. Il envoyait partout l’ordre de se porter sur Illy et il se rendait lui-même auprès du général Lebrun, plus engagé que les autres. Vainement Lebrun objectait-il la difficulté et le danger de retirer du combat des troupes qui tenaient vigoureusement l’ennemi en échec. Aux yeux du nouveau général en chef, l’affaire de Bazeilles n’avait qu’une importance secondaire, l’essentiel, le plus pressé était de déjouer la combinaison par laquelle les Prussiens tendaient à nous cerner. Ducrot voyait évidemment juste. Si avant onze heures, — il n’était pas encore huit heures du matin, — on pouvait arriver par Illy et Floing vers Saint-Menges et Vrigne-aux-Bois, rien de mieux ; on avait la chance de ne trouver encore que les têtes de colonne de l’ennemi. Était-ce possible ? Le désordre ne se mettrait-il pas dans les rangs de cette armée en retraite ? N’arriverait-on pas trop tard ? Une chose bien certaine, c’est qu’il n’y avait pas d’autre moyen, et que dans tous les cas il ne pouvait arriver rien de plus désastreux que la catastrophe à laquelle on courait. Ducrot insistait donc auprès du général Lebrun, en même temps qu’il faisait remonter sur le plateau les deux divisions Pellé et Lheriller du 1er corps, laissant pour le moment la division de Lartigue aux prises avec l’ennemi au-delà de la Givonne.

A peine le mouvement commençait-il cependant, qu’une péripétie nouvelle venait encore une fois tout changer. Le général de Wimpfen réclamait tout à coup le commandement en chef, que lui remettait une lettre du ministre de la guerre au cas où il arriverait malheur au maréchal de Mac-Mahon, et son premier acte était de rétracter les ordres donnés par le général Ducrot. A quel mobile obéissait le général de Wimpfen ? Il était arrivé la veille du fond de l’Afrique ; il n’avait pas eu le temps de se mettre au courant de la situation, il ne connaissait pas cette armée qu’il avait à conduire. Il avait attendu deux heures, il revendiquait le commandement lorsqu’il voyait peut-être dans la vigoureuse attitude du corps de Lebrun un présage de succès. Et tout cela se passait en plein combat ! Il était neuf heures du matin, il y avait eu trois chefs, trois directions différentes. Quelle armée engagée avec l’ennemi résisterait à tant de mobilités et à tant de contradictions ? Par un jeu étrange des choses, le général de Palikao, après avoir pesé de toute façon sur cette campagne par ses excitations, se trouvait intervenir encore jusque sur le champ de bataille par cette lettre de commandement qu’il aurait dû tout au moins ne pas laisser ignorer du maréchal de Mac-Mahon. Il avait préparé sans le savoir une péripétie de plus !

Le mouvement entrepris par le général Ducrot fût-il d’un succès douteux, il n’y avait que du danger à l’interrompre, une fois qu’il était commencé, pour se porter en avant au sud en fermant les yeux sur le nord. Le général de Wimpfen, peu après avoir pris le commandement, rencontrait l’empereur, et à ce souverain, témoin passif et inerte de toutes ces contradictions, il disait : « Que votre majesté ne s’inquiète pas, nous allons jeter les Bavarois à la Meuse, puis nous nous tournerons avec toutes nos forces contre notre nouvel ennemi. » C’était une bien présomptueuse confiance. Wimpfen croyait qu’il n’y avait qu’à suspendre un mouvement, à ramener en avant les divisions de Lebrun, à poursuivre un avantage à Bazeilles.

Sans doute le combat n’avait pas cessé depuis le matin à Bazeilles et s’étendait au parc de Monvillé à l’entrée de la vallée de la Givonne ; il était encore dans toute sa violence. Les Bavarois se voyaient obligés d’appeler successivement toutes leurs forces du Ier corps, puis une division du IIe corps, ils rencontraient une résistance opiniâtre qui les exaspérait. Notre infanterie de marine soutenait la lutte intrépidement au prix de son sang, mais en infligeant aussi à l’ennemi les pertes les plus graves. Chaque issue avait été barricadée pendant la nuit, chaque position était disputée. On se battait au milieu des flammes et des décombres. Ce malheureux village de Bazeilles restait pendant quelques heures livré à toutes les fureurs de la guerre, au point qu’il allait bientôt n’être plus qu’un amas de ruines fumantes[4]. Le combat était si violent que ni nos soldats restés au feu, ni les Bavarois n’avaient pu s’apercevoir qu’il y eût un commencement de retraite. On se battait toujours avec obstination. Seulement il est bien clair que la résistance devait faiblir, elle cédait le terrain pas à pas, allant se réfugier dans quelques maisons. La défense devenait de plus en plus pénible, et des retours offensifs, même conduits avec intrépidité, ne pouvaient qu’être plus difficiles. C’était l’effet inévitable des oscillations de commandement. Le résultat était plus sensible encore vers le haut de la vallée de la Givonne, devant Daigny. Les divisions Pellé et Lheriller, rappelées près du bois de la Garenne, en arrière d’Illy, par le général Ducrot, avaient dû, d’après les intentions nouvelles de Wimpfen, redescendre vers la Givonne ; mais, lorsqu’elles revenaient, la division de Lartigue, engagée depuis le matin au-delà de la vallée, était déjà en retraite. Elle disputait encore un moment Daigny, puis elle se repliait. Le général de Lartigue était blessé, le général de brigade Fraboulet de Kerléadec blessé aussi ; le chef d’état-major, le colonel d’Andigné, restait sur le terrain criblé de blessures. Les Saxons étaient à Daigny et abordaient les pentes occupées par nous. Plus haut la garde prussienne menaçait le village même de Givonne. Après dix heures, le mouvement ennemi se dessinait sur toute cette ligne jusqu’à Bazeilles, où les Bavarois décimés, mais obstinés, gagnaient du terrain sur Lebrun.

On n’avait rien fait, on avait épuisé ses forces dans des retours décousus et impuissans, on n’avait nullement l’air de « jeter les Bavarois dans la Meuse, » et pendant ce temps, à l’autre extrémité, au nord, la lutte s’animait par degrés à partir de onze heures. Le XIe corps prussien, venant de Donchery, s’avançait en force devant Douay, précédant le Ve corps et gagnant les pentes de Saint-Menges, de Fleigneux. Le XIe et le Ve corps venant de Donchery, la garde venant de l’autre côté par le haut de la vallée de la Givonne, — encore un instant, le cercle allait se fermer sur nous à Illy ! Là était la clé de la position, là était maintenant le péril signalé par le formidable feu d’artillerie qui s’ouvrait sur nous. Wimpfen, courant sur ce champ de bataille de Lebrun à Douay, rencontre Ducrot, qui est attiré lui-même sur le plateau par le bruit de ce qui se passe, et qui lui dit : « Vous le voyez, les événemens se produisent plus tôt que je ne le pensais. L’ennemi attaque le calvaire d’Illy. Douay est ébranlé. Les instans sont précieux. Hâtez-vous d’envoyer des renforts, si vous voulez conserver cette position. — Eh bien ! répond Wimpfen, chargez-vous de cela, réunissez tout ce que vous trouverez de troupes et maintenez-vous bon par là pendant que moi je m’occuperai du 12e corps. »

C’était plus facile à dire qu’à faire. Ducrot néanmoins s’élance, donnant l’ordre au général Forgeot d’amener sur le plateau tout ce qu’il a d’artillerie, rappelant encore une fois les divisions Pellé et Lheriller, déjà diminuées, ralliant autant que possible quelques troupes du 5e corps qui se trouvent au bois de la Garenne. Ducrot voit grossir l’orage qui le menace, et alors, appelant la division Margueritte, d’autres fractions des divisions Bonnemains et de Fénelon, il prépare une charge de cavalerie qui, débouchant par une dépression de terrain entre le bois de la Garenne et Floing, devra balayer tout ce qu’elle trouvera devant elle pour se rabattre ensuite à droite sur le flanc des lignes ennemies en marche sur Illy. Margueritte, un des plus intrépides et des plus intelligens officiers de l’armée, s’avance pour reconnaître le terrain, il est blessé mortellement. Aussitôt un des chefs de brigade, le général de Gallifet, prend le commandement et se précipite à la tête de ses cavaliers. Il brise la première ligne ennemie et va échouer sur la seconde. Les escadrons se replient et vont se reformer en arrière pour s’élancer de nouveau. Trois fois ils recommencent, semant la terre de leurs morts, laissant dans la mêlée le général Tillard, le colonel Cliquot ; du 1er de chasseurs d’Afrique, les lieutenans-colonels de Gantès et de Linières, tués, le lieutenant-colonel Ramond, grièvement blessé, 22 officiers du 1er de hussards, tués ou blessés : ils ne peuvent arriver à rompre la ligne de fer qu’on leur oppose. Charges héroïques, mais impuissantes, qui vont arracher au roi Guillaume lui-même, placé sur les hauteurs de Frenois et contemplant le sanglant spectacle, ce cri significatif : « Oh ! les braves gens ! » En même temps que ces cavaliers se dévouent, l’artillerie du général Forgeot s’avance à son tour sur le plateau, ouvrant intrépidement son feu ; mais en peu d’instans les affûts sont brisés, les caissons sautent, deux batteries sont pulvérisées par le feu convergent de cinquante pièces ennemies. Ducrot enfin, ralliant les bataillons ou fractions de bataillons qu’il peut trouver, s’efforce d’enlever ses soldats par son impétueuse énergie. Les soldats le suivent d’abord, puis reculent accablés, et bientôt infanterie, cavalerie, artillerie, tout se mêle et se confond dans un désordre qui ne permet plus de rien entreprendre, qui est le signal de la débandade et de la fuite vers Sedan.

Douay, de son côté, ne reste pas inactif. Aux prises avec l’ennemi depuis le matin, mais surtout depuis onze heures, il tient tête de son mieux, bien qu’avec des forces diminuées de deux brigades, que Wimpfen, par une singulière inspiration, lui a demandées pour secourir le général Lebrun, et qui dès ce moment se trouvent perdues pour Douay sans pouvoir arriver à Lebrun. Pour le 7e corps, l’occupation d’Illy est une condition de sûreté et de salut. Aussi, dès qu’il voit la position menacée et abandonnée, Douay, sans hésiter, se hâte de former une colonne pour essayer de la reprendre. Une première fois il croit avoir touché le but lorsque son infanterie, saisie de panique, se replie précipitamment. Une seconde fois il revient à la charge, secondé par tous ceux qui l’entourent, se multipliant pour raffermir ses hommes. Il a presque réussi un instant, les troupes ramenées sur le plateau ne se laissent pas ébranler d’abord, l’artillerie arrive et se met courageusement en batterie ; mais bientôt rien ne peut plus résister, tout plie ; c’en est fait, la position est définitivement perdue. Il est deux heures ; avant qu’une heure soit écoulée, la garde prussienne arrivera sur Illy, rejoignant le XIe, le Ve corps, et le cercle sera fermé ! À ce moment, quelle est la situation ? Le 1er et le 7e corps français n’existent plus, on peut le dire ; ce ne sont que des masses éperdues, décomposées, n’écoutant plus leurs chefs, se dérobant sous les obus qui sillonnent le plateau de toutes parts, et se jetant comme un torrent vers la place, où s’accumulent depuis le matin les fuyards, les déserteurs du champ de bataille. Le 12e corps, après sa vigoureuse résistance à Bazeilles et à Monvillé, a été obligé de se replier, partie vers le vieux camp, partie vers le faubourg de Balan, aux portes de la ville. Les événemens se pressent. Alors deux scènes bien différentes se passent au quartier-général de Wimpfen et à Sedan même.

Le général de Wimpfen avait-il le sentiment de la gravité croissante des choses, de la réalité de sa situation ? Toujours est-il qu’au moment où il n’y avait plus d’espoir, où une partie de l’armée s’effondrait sur le plateau d’Illy, entre une heure et deux heures, il concevait l’idée la plus étrange ; il voulait, disait-il, « forcer la ligne qui se trouve devant le général Lebrun et le général Ducrot, » pour se porter sur Carignan, et il écrivait à l’empereur : « Que votre majesté vienne se mettre au milieu de ses troupes, elles tiendront à honneur de lui ouvrir un passage. » En même temps ordre était envoyé à Ducrot et à Douay d’arriver et de couvrir la marche. Ainsi le matin Wimpfen arrêtait le mouvement vers Mézières, et maintenant, après sept heures de combat sanglant, en présence de forces qui semblaient grossir à chaque instant, il parlait de percer par Carignan, d’où l’on était arrivé la veille, pour échapper à l’ennemi ! S’il avait la puissance de s’ouvrir un passage, pourquoi rétrogradait-il depuis le matin ? Avec quoi voulait-il tenter son aventure désespérée ? Ducrot ne connaissait, je crois, cet ordre qu’en entrant à Sedan, et Douay le recevait sur le plateau, lorsqu’il venait d’échouer dans sa dernière tentative pour reprendre Illy. Wimpfen attendait toujours cependant l’arrivée de l’empereur ; il s’agitait, mettant sa dernière espérance dans une entreprise chimérique. Wimpfen semblait ignorer ce qui se passait autour de lui, à quelques pas de lui, dans cette malheureuse ville dont il n’était séparé que par des murs.

Ce qui se passait à Sedan, c’était le drame de la déroute dans sa sinistre réalité. A mesure que les minutes s’écoulaient, les troupes débandées affluaient et se répandaient partout. Les obus, venant de tous les côtés, tombaient sur les remparts, dans les rues, sur les places, et faisaient des trouées dans les foules surexcitées ou hébétées de terreur. Ducrot, Douay, Lebrun, arrivaient successivement avec le désespoir de la défaite, craignant de pressentir le dénoûment de tout cela. Placé au milieu de ces désastres, entendant l’effroyable canonnade qui sévissait, voyant les victimes se multiplier, l’empereur ne songeait guère à répondre aux propositions héroïques de Wimpfen ; déjà résigné à tout avec le fatalisme passif de son caractère, il n’avait pour le moment d’autre idée que d’arrêter l’effusion du sang, et il faisait hisser le drapeau blanc parlementaire entre trois et quatre heures. Ce n’était point évidemment son droit puisqu’il ne commandait pas, et le chef d’état-major, le général Faure, faisait aussitôt abattre le drapeau. On envoyait un officier au général de Wimpfen, qui repoussait avec emportement la pensée de capituler ; son âme de soldat se révoltait, et c’était bien naturel. Peu après, vers quatre heures et demie, le général Lebrun, envoyé par l’empereur, arrivait à Balan auprès de Wimpfen, qui l’accueillait avec sa proposition de tenter la percée. « Soit, répliquait froidement Lebrun, nous sacrifierons 2 ou 3,000 hommes de plus sans résultat utile ; mais, si vous le voulez, marchons ! » Et les deux chefs, ramassant un millier d’hommes, marchaient en effet à la rencontre de l’ennemi ; seulement, au bout de 200 mètres, ils s’apercevaient qu’ils n’étaient plus suivis.

Tout s’effondrait, il n’y avait plus rien à espérer. Wimpfen, rentrant à Sedan, essayait encore de se dérober à la fatalité qui l’étreignait en envoyant sa démission à l’empereur ; mais quoi ? aucun des généraux n’aurait voulu accepter la responsabilité du dénoûment qui se préparait. C’était cruel sans doute d’être arrivé la veille d’Afrique, d’avoir pris le commandement à neuf heures du matin pour signer une capitulation le soir. Puisque le général de Wimpfen avait si vivement revendiqué les périlleux devoirs du commandement, puisqu’il restait seul le chef de l’armée, seul il pouvait traiter en son nom, et il finissait par se résigner. Pendant que ces dernières scènes se passaient, l’empereur avait reçu un officier parlementaire envoyé par le roi de Prusse, qui, chose curieuse, ignorait la présence de Napoléon III à Sedan, et avec cet officier était parti le général Reille, chargé de cette lettre tristement fameuse : « n’ayant pu mourir à la tête de mes troupes, je remets mon épée à votre majesté ! » Tout était là : reddition personnelle de l’empereur à discrétion, nécessité de traiter pour l’armée.

Un jour de vivres dans la place, les Prussiens déjà maîtres des portes de Sedan, tout autour 500 bouches à feu encore chaudes de la lutte et pointées sur le dernier refuge d’une armée en détresse, 240,000 hommes disposés de façon à fermer tous les passages, toutes les fissures, — c’est dans ces conditions que le général de Wimpfen, accompagné du général Faure, du général Castelnau, aide-de-camp de l’empereur, et de quelques officiers, se rendait le soir du 1er septembre à Donchery pour négocier avec M. de Mollke, M. de Bismarck et le général de Blumenthal ! Dès le premier moment d’ailleurs il n’y avait aucune illusion à se faire. M. de Moltke se montrait le ministre froid et implacable de la force victorieuse dictant ses volontés. Les conditions étaient dures : l’armée prisonnière de guerre avec armes et bagages, les officiers gardant leurs armes, et prisonniers comme la troupe. Vainement Wimpfen cherchait à se débattre, invoquant le courage de son armée, les ressources qui lui restaient, les considérations politiques. M. de Moltke demeurait parfaitement insensible et se bornait à remettre sous les yeux du général français l’extrémité de sa situation en même temps que la force des positions prussiennes. Un instant, le général Castelnau, envoyé par Napoléon III, intervenait, déclarant que l’empereur, en remettant son épée sans conditions au roi, avait espéré que cette démarche vaudrait à l’armée une capitulation plus honorable. « Quelle est l’épée qu’a rendue l’empereur Napoléon III ? dit M. de Bismarck. Est-ce l’épée de la France ou son épée à lui ? Si c’est celle de la France, les conditions peuvent être singulièrement modifiées… — C’est seulement l’épée de l’empereur, » reprit le général Castelnau. Dès lors les conditions restaient les mêmes, et, comme Wimpfen parlait — de recommencer la bataille le lendemain, puis paraissait accepter la proposition qui lui avait été faite au commencement de la conférence d’envoyer un officier pour vérifier les positions de l’armée allemande, M. de Moltke finissait par ajouter sèchement : « Vous n’enverrez personne, c’est inutile, et d’ailleurs vous n’avez pas longtemps à réfléchir, car il est minuit ; c’est à quatre heures du matin qu’expire la trêve, et je ne vous accorderai pas un instant de sursis… » Pourtant, sur l’observation que Wimpfen ne pouvait prendre une telle décision sans avoir consulté les autres généraux, et aussi sur quelques mots de M. de Bismarck, M. de Moltke accordait jusqu’à neuf heures. À six heures du matin, dans un conseil de guerre, les généraux, la mort dans l’âme, se résignaient à subir une capitulation à laquelle ils ne voyaient aucun moyen humain de se soustraire. Deux seulement, le général Pellé et le général de Bellemare, protestèrent, sans indiquer comment on pouvait échapper à la terrible extrémité. Tout était fini pour cette armée qui depuis dix jours portait le nom d’armée de Châlons.

Au moment où l’on délibérait encore pour la forme, à six heures du matin, le 2 septembre, l’empereur de son côté sortait de Sedan, se dirigeant sur Donchery, où il croyait trouver le roi. Il ne rencontrait que M. de Bismarck, avec qui il s’entretenait pendant une heure dans une petite maison d’ouvrier qui est sur la route de Donchery. L’empereur pensait voir le roi avant la signature de la capitulation, et le roi ne voulait pas voir l’empereur avant que la capitulation ne fût signée. Cela fait, une entrevue était arrangée dans un petit château qui domine la vallée de la Meuse, et où le vaincu allait attendre son vainqueur. À une heure, Guillaume arrivait. Napoléon III répéta ce qu’il venait de dire peu d’instans auparavant à M. de Bismarck, « qu’il n’avait pas voulu la guerre, que l’opinion publique de la France l’y avait forcé. » Il se lavait les mains des désastres de la France en disant : Ce n’est pas moi ! S’il n’avait pas voulu la guerre, il avait fait du moins tout ce qu’il fallait pour la rendre inévitable et désastreuse. L’entrevue au surplus dura peu. « Nous étions tous les deux très émus de nous rencontrer en pareille circonstance, écrivait le roi Guillaume à la reine de Prusse. Je ne puis exprimer tout ce que j’éprouvais lorsque je pensais que trois ans auparavant j’avais vu l’empereur, qui était alors au faîte de sa puissance. » L’empereur partait pour Wilhelmshœhe, tandis que l’armée française, avant d’être traînée captive en Allemagne, allait subir pendant dix jours, dans la presqu’île d’Iges transformée en prison, toutes les misères et toutes les humiliations.

Non, ce ne fut pas une honte, comme on l’a dit souvent sans y réfléchir, ou du moins la honte n’est que pour les défaillances individuelles et les coupables calculs mêlés à ce lugubre drame de la guerre. Telle qu’elle était, cette bataille de Sedan avait mis 10,000 Allemands hors de combat ; elle nous coûtait à nous 11,000 hommes, 20 généraux, des officiers sans nombre, tués ou blessés. Cette malheureuse armée qui succombait, qu’on traitait si peu généreusement, n’avait point certes rendu les armes sans combat, sans avoir sauvé l’honneur, et si elle se trouvait conduite à ce point où, serrée dans un formidable étau, elle ne pouvait plus échapper à une capitulation assurément désastreuse, ce n’était point encore une honte pour elle. Elle payait la rançon de l’imprévoyance, de l’irréflexion, des contradictions, qui avaient présidé à la campagne. Elle expiait toute une politique dont l’empereur, par un oubli de dignité dans l’infortune, pouvait décliner la responsabilité devant le vainqueur, mais qui n’avait pas moins livré notre pays désarmé aux fatalités de la guerre. Sedan était pour l’armée un deuil, pour la France la révélation de ce qui la menaçait, et lorsqu’on prétend encore innocenter l’empire par la supposition des avantages qu’il aurait pu obtenir, s’il fut resté debout, c’est qu’on ignore ou l’on veut ignorer ce que M. de Bismarck, dans la hautaine confiance de la victoire, disait dès la nuit du 1er au 2 septembre 1870 : « Il faut que nous ayons entre la France et nous un glacis. Il faut un territoire, des forteresses et des frontières qui nous mettent pour toujours à l’abri de toute attaque. » M. de Bismarck voyait juste cependant lorsqu’il croyait à ce moment que tout n’était pas fini, qu’il y aurait encore bien des combats à livrer, des torrens de sang à verser, pour arriver à des conquêtes qui au bout du compte pèsent souvent sur les vainqueurs comme sur les vaincus.


CH. DE MAZADE.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier, du 1er février et du 15 mars.
  2. Je ne parle pas de ce renvoi à Paris de la garde mobile, qui fut décidé en effet dans le conseil de guerre de Châlons sur l’avis du général Trochu, du général Schmitz et du général Berthaut, commandant des mobiles parisiens. Ce n’était qu’un incident peu important de la délibération ; la passion de parti l’a grossi démesurément depuis pour en faire un texte de récriminations violentes contre le général Trochu, qu’on a en vérité accusé d’avoir voulu s’assurer une garde prétorienne en rentrant à Paris. Tout cela est assez ridicule. Ces jeunes gens n’étaient pas même entièrement armés, ils manquaient totalement d’instruction, ils n’avaient encore aucune habitude militaire, et on ne pouvait songer à les conduire tels qu’ils étaient à l’ennemi en rase campagne. Ils pouvaient au contraire bien servir et devenir de bons soldats avec un peu de temps, en se battant d’abord dans des positions défensives. C’était l’avis du général Berthaut, qui avait une grande confiance en eux. Les ramener à Paris, où l’on commençait à prévoir une attaque de l’ennemi, semblait une chose assez simple. On aurait pu envoyer la partie la plus indisciplinée, réputée la plus dangereuse, dans les places fortes du nord ; il en fut question. Et après ? A quoi cela eût-il conduit ? C’eût été certainement d’un déplorable effet d’envoyer quelques-uns des bataillons dans les places du nord, tandis que les autres seraient revenus à Paris. L’empereur lui-même le reconnaissait, et, s’il semblait éprouver d’abord quelque hésitation, il se rangeait très promptement à l’avis du conseil. En fin de compte, après tout le bruit qu’on a fait, je suis à chercher de quel poids a pesé dans les événemens cette rentrée de la garde mobile à Paris. Elle n’a eu en réalité aucune influence, il n’y avait eu aucun calcul à Châlons, et ce n’était qu’un détail dans la délibération du 17, dont le point essentiel dans la pensée du général Trochu, — le retour de l’armée tout entière sous Paris, — excluait certainement toute préméditation fondée sur le concours d’une troupe révolutionnaire.
  3. Une instruction judiciaire a été commencée sur cette affaire à la suite du procès du maréchal Bazaine, qui a mis en lumière cet incident, assez peu connu pour que bien des récits aient fait une confusion entre les dépêches arrivées au maréchal de Mac-Mahon. On a supposé tout simplement que la dépêche n’avait pas pu être ignorée du maréchal, puisqu’elle était parvenue au quartier-général de l’empereur et au ministre de la guerre. Il ne s’agit nullement ici, bien entendu, de chercher qui a été coupable. Il y a eu ou négligence ou suppression de dépêche, voilà le fait.
  4. Le lendemain et les jours suivans, par une représaille soldatesque, sous prétexte que les habitans s’étaient mêlés au combat, les Bavarois exercèrent d’impitoyables violences : près de 40 personnes, et parmi elles des femmes, des vieillards, des enfans périrent tuées pendant le combat, asphyxiées ou fusillées. Ce n’est pas tout. Le pétrole vint activer l’incendie commencé le 31 août et continué le 1er septembre : 263 maisons furent livrées aux flammes ; il y en a aujourd’hui 265 reconstruites, dont 34 par le comité du sou des chaumières.