La Guerre américaine, son origine et ses vraies causes/Troisième Lecture

LA GUERRE
AMÉRICAINE.
Séparateur


TROISIÈME LECTURE

de l’esclavage.

2ème Partie.


Messieurs,

Je vous ai dit des choses bien horribles l’autre soir, et pourtant il m’avait fallu ne pas faire allusion, à cause de la présence des dames, à mille faits odieux dans lesquels l’immoralité le dispute à la brutalité. Dans cette société coupable et pervertie le cynisme des habitudes marchait de pair avec la cruauté des mœurs. Quoiqu’en puissent dire les défenseurs du Sud et les champions de l’esclavage, il ne se passait pas de jour, sur un point ou un autre des états à esclaves, que tous les sentiments les plus sacrés de la nature ne fussent odieusement outragés, que les règles les plus essentielles de la plus commune décence ne fussent brutalement violées.

L’esprit et le cœur se révoltent également à l’idée d’une pauvre femme qui hurle de douleur sous le fouet qui déchire sa chair et met ses os à nu : à l’idée d’une jeune fille que l’on prive du nécessaire, des aliments, de la lumière, de l’air, des vêtements pour la forcer de céder à la brutalité d’un maître ou d’un surveillant : à l’idée d’une mère à laquelle on arrache son mari et ses enfants, précisément les seuls êtres qui puissent lui faire parfois oublier son état de chose vendable et rachetable à volonté, comme si une négresse n’avait pas elle aussi une âme et un cœur !

Mais l’esclavage avait tellement perverti les idées et les sentiments de toutes les classes de cette société exceptionnelle que ce qui nous paraît horrible ne provoquait pas même, chez les planteurs, le plus léger soupçon d’irrégularité. Les choses les plus profondément immorales ne leur causaient pas la moindre répulsion parce qu’elles étaient d’habitude universelle. Voilà comment l’esclavage, en faussant les idées et pervertissant la conscience publique, avait rendu les mœurs cruelles ou relâchées au point qu’il est presqu’impossible de les décrire exactement sans être taxé d’exagération.

Examinons donc maintenant mon troisième point : « l’effet de l’esclavage sur les mœurs du pays. »

Messieurs, pour approuver l’esclavage, ou même seulement essayer de pallier ses horreurs inévitables et journalières, il faut mettre de côté, effacer en quelque sorte de la conscience humaine toutes ces notions primordiales de droit, de devoir, de justice, de vertu, de vice, de décence, de pudeur, d’obligations réciproques qu’un usage immémorial, l’application séculaire des idées religieuses, les conséquences universellement acceptées des principes fondamentaux du Christianisme, le progrès social et la civilisation moderne ont rendues sacrées parmi nous.

Ce qui était d’occurence journalière dans le Sud, ce qui était devenu habituel dans les familles, admis, reçu sans objection, ce qui était devenu de pratique ordinaire et autorisé par la loi ou consacré par les mœurs choque tellement chez nous le plus vulgaire sentiment de moralité ou de bienséance sociale que mille détails paraissent incroyables ou impossibles. Ainsi loin de regarder comme faute grave, chose déshonorante, toute relation immorale de la part des jeunes filles esclaves, on les y encourageait au contraire, on leur faisait comprendre que le maître regardait cela d’un bon œil, car son but principal, l’augmentation des têtes de bétail humain qui peuplaient ses plantations et ses métairies, n’en était que mieux atteint. Un des faits les mieux établis, tant par les documents officiels que par les ouvrages spéciaux, est celui qu’il était presqu’impossible de trouver une jeune fille esclave, noire ou blanche, vierge à seize ans !  !

Ce fait déplorable est établi très explicitement dans le témoignage d’un M. Roudanez, mulâtre libre de la Nouvelle Orléans, homme de haute probité et de grande intelligence, rendu devant la commission nommée en 1863 par M. Stanton, secrétaire de la guerre dans les États-Unis, pour s’enquérir de l’état des populations esclaves du Sud.

Je vous ai déjà dit que le mariage n’existait pas, dans le Sud, parmi les esclaves. C’est-à-dire que quatre millions de noirs étaient obstinément retenus, dans un pays civilisé, dans une société que ses défenseurs nous représentent comme si raffinée dans ses idées et ses manières, étaient obstinément retenus, dis-je, dans un état de concubinage universel ! Concubinage chez les noirs, concubinage aussi entre les blancs et les noirs ; c’est-à-dire, pour appeler les choses par leur vrai nom, promiscuité générale.

« Quant à la chasteté des mœurs, dit M. Roudanez, elle était complètement inconnue sur les plantations. D’abord, les surveillants jouissaient de la maîtrise non contestée de toutes les femmes de ferme, et si l’une d’elles les refusait, ils savaient bientôt faire naître l’occasion de leur imposer quelque punition sévère. J’ai eu connaissance de l’administration la plus cruelle du fouet à des femmes qui n’avaient pas voulu se rendre chez le surveillant ou le maître pour subir leur brutalité. Les maîtres d’un certain âge choisissaient ordinairement pour concubines les servantes de la maison, et leurs fils, les jeunes maîtres comme on les appelait, préféraient pour leurs concubines les jeunes esclaves jaunes ou blanches, très souvent enfants de leur père, c’est-à-dire leurs demi-sœurs ! C’était la coutume générale. Les jeunes maîtres de 17 à 18 ans choisissaient leurs concubines parmi les jeunes esclaves de 13 à 14 ans. Il n’était pas rare de voir les jeunes esclaves mères à cet âge. Les planteurs traitaient leurs propres enfants comme esclaves et les punissaient aussi cruellement que les autres, Les rapports immoraux qui existaient entre les maîtres et leurs femmes esclaves étaient souvent la source de cruelles souffrances pour ces femmes. Fréquemment une femme jalouse les faisait fouetter pour des fautes imaginaires ou très légères, et quand leurs maris étaient absents, les faisaient punir en leur présence. On a des exemples assez nombreux de jolies esclaves traitées de la manière la plus révoltante pour les défigurer et les rendre laides. Le fait de la promiscuité avec les noirs, tant chez les pères que chez les fils, était parfaitement connu dans les familles. »

Eh bien comment veut-on qu’une société n’ait pas été gangrénée jusqu’à la moëlle sous un pareil système ? Le père voit les immoralités du fils, le fils agit sur l’exemple qu’il reçoit du père ; la mère est furieuse de l’immoralité du père mais laisse faire le fils, c’était l’usage ! Les négresses ne sont pas des femmes, mais des choses… ce qui n’empêche pas la mère de famille d’en être jalouse et de les traiter cruellement. Voyez la position horrible d’une femme esclave ! Battue par le maître si elle résiste, punie avec assaisonnement de vengeance par la maîtresse si elle cède !  ! Que dis-je si elle cède ! Céder comporte liberté de refuser… elle ne l’a pas cette liberté ! Le maître a tout pouvoir sur son corps depuis la jouissance de sa personne jusqu’à sa mort en certains cas ! Ainsi les maîtresses punissaient leurs servantes de l’immoralité de leurs maris auxquels celles-ci ne pouvaient rien refuser ! Tout était infernal dans ce système. !

Un maître forçait un noir de cohabiter avec une négresse pour en avoir des enfants, ce qui augmentait le produit de la plantation. Puis tout-à-coup il lui prenait fantaisie de cette femme. Elle n’avait rien à refuser, elle n’était que la concubine du nègre, pourquoi pas du blanc ? Mais celui-ci osait faire une remontrance à son maître : fouetté ! Et s’il osait se mettre entre son maître et la femme qu’il lui avait donnée, et essayer de la défendre, eh bien sa vie y passait quelquefois. Permettez-moi de vous citer quelques faits.

Le révérend Francis Hawley, du Kentucky, écrit que le fils d’un propriétaire d’esclave voulut un jour s’emparer de la femme d’un des esclaves. Le mari voulut lui faire des représentations… Le misérable tire un pistolet et le tue sur place ![1]

Le maître d’une esclave, sa propre fille, exige qu’elle se livre à lui. Elle refuse. Il l’envoie au surveillant de la plantation qui la fouette. Elle refuse une seconde fois, nouvelle punition. À la fin elle cède et l’inceste s’accomplit.[2]

Messieurs, vous serez peut-être tentés de dire que ces choses sont impossibles, que je charge le tableau ; que je prends quelques-uns des faits que je cite dans des ouvrages hostiles à l’institution. Cela m’a déjà été dit ; mais je voudrais bien savoir si les panégyristes de l’institution qui, depuis cinquante ans, trompent systématiquement le monde sur ses résultats, me fourniraient grand’chose à dire sur ses côtés odieux ou immoraux. Il répugne toujours, dans les pays qui ont le bonheur d’être exempts du fléau, de la malédiction de l’esclavage de croire à ces horreurs, et pourtant elles existent, il n’y a pas à en douter.

D’ailleurs, Messieurs, nous avons au milieu de nous plusieurs personnes qui ont vécu dans le Sud, qui ont observé cette société coupable de toutes les cruautés et de toutes les immoralités imaginables, et quelques-unes de ces personnes m’ont fait l’honneur de venir m’assurer que tout ce que j’avais affirmé, avancé, était vrai à la lettre ; et elles m’ont rapporté des faits qu’elles avaient vus de leurs yeux, qui sont pires que tout ce que je vous ai dit jusqu’à présent. Comment douter du moins quand le plus est prouvé, et prouvé par ceux-mêmes qui vivent au milieu de vous et que vous connaissez tous !

Un jour une alarme de feu sonne à Baltimore. Les gens qui arrivent à la maison incendiée en parcourent les pièces et y trouvent deux femmes qu’on y avait laissées.

L’une d’elles était une jeune fille d’une grande beauté qui était attachée dans le grenier et qui avait été traitée d’une manière révoltante. La personne qui cite le fait se sert du mot improper chastisement. Or ce mot ne peut s’appliquer au simple fouet, car personne au Sud ne regardait le fouet administré sur les reins nus d’une femme comme comportant la moindre indécence. Pour qu’on se servît du mot improper, appliqué à une esclave, il fallait toute autre chose que la simple nudité. Eh bien ce traitement, qu’on qualifiait improper était tel que, quoiqu’il n’y ait pas de dames ici, et malgré la nature des choses que je vous ai dites ou qu’il me reste à vous dire, il m’est impossible de vous en faire la description, car il est certaines limites à la liberté du langage, même entre hommes, qu’on ne saurait dépasser vis-à-vis des honnêtes gens. Les actes de cruauté infâme, de punition obscène, étaient fréquents chez les propriétaires d’esclaves. L’autre femme, qui était mulâtresse, venait évidemment de recevoir une correction modérée dans le langage du Sud. Son dos, sa figure, ses membres étaient dans le plus terrible état de lacération ou de mutilation, et elle avait de si fortes contusions à la tête qu’elle semblait ne pouvoir survivre. Elle fut portée à l’hopital. Si la maison eût brûlé, ni l’une ni l’autre de ces femmes ne pouvaient éviter l’horrible sort d’être brûlées vives, l’une parce qu’elle était attachée, l’autre parce qu’elle ne pouvait s’aider elle-même dans l’état affreux où on l’avait laissée.

Il y a quelques années, à Baltimore, un maître tue son esclave sans raison suffisante dit le narrateur qui rapporte le fait. Donc il y avait des raisons suffisantes pour autoriser le meurtre d’une créature humaine, mais passons. Cet esclave avait une excellente réputation comme homme industrieux et inoffensif, mais la mulâtresse qui était sa femme était d’une grande beauté. Celle-ci apprenant le fait du meurtre de son mari, et sachant parfaitement le sort qui l’attendait, court se précipiter à l’eau. Des bateliers se trouvant tout au près vont la repêcher et la ramènent au rivage. Eh bien on vit alors cet effroyable spectacle d’une femme qui supplie avec larmes ses sauveurs de la laisser se noyer plutôt que de retourner recevoir les odieux traitements qu’elle avait déjà subis ! Messieurs, il faut être réduit à une bien terrible extrémité de désespoir pour continuer d’insister à mourir dans le moment où l’on vient d’être arraché à une mort certaine ! Eh bien, le soir elle dut probablement subir la pollution du meurtrier de son mari ! Mais au Sud rien de cela ne tirait à conséquence, un planteur n’admettant même pas la possibilité qu’une esclave, même quand elle était sa fille, pût ressentir quelque chose comme de la vertu, de la pudeur, ou du dégoût pour l’immoralité quelque brutale qu’elle fût.

— Non non, me disait dernièrement un ami, tout cela n’est pas possible. J’ai voyagé au Sud, et les gens que j’ai vus étaient incapables de pareilles infamies. Ils étaient humains pour leurs esclaves.

— Je l’admets avec empressement pour ceux que vous avez vus, répondis-je ; mais ceux que vous n’avez pas vus, en répondriez-vous ? Vous avez vu des gens bien nés, et qui, naturellement humains et bons, prenaient soin de leurs esclaves avec une sollicitude réelle. Qui nie que la majorité, si vous le voulez, des planteurs, des maîtres d’esclaves, ait été mus par des sentiments d’humanité envers ceux de leurs esclaves qui étaient attachés à leur service personnel ? Mais cela prouve-t-il que les esclaves des hommes avides de gain, des hommes de caractère difficile, des maîtres impérieux et exigeants, des hommes à passions brutales, viles, cruelles, effrénées, ne fussent pas maltraités ? De ce qu’il y avait de bons maîtres pouvez-vous raisonnablement conclure qu’il n’y en avait pas de mauvais ? De ce que vous n’avez vu que les bons pouvez-vous légitimement conclure que les mauvais n’existaient pas ? Si, de tout ce que je vous ai dit, je concluais que tous les planteurs étaient des bêtes féroces, ne me diriez-vous pas avec toute raison que cette conclusion est absurde ? Eh bien, comment pouvez-vous, de ce que vous avez vu dix, vingt, cinquante familles qui traitaient bien leurs esclaves, conclure avec certitude que dans les localités même que vous avez visitées, il n’y en avait aucune qui leur fissent subir des traitements odieux ?

Vous ne voulez pas que je conclue du particulier au général et voilà que pour soutenir votre thèse vous tombez forcément dans cet écart, dont je me suis préservé moi, car la proposition que je soutiens n’est nullement qu’il n’y avait pas de bons maîtres, mais que l’atroce législation du Sud, en laissant le champ libre aux mauvais, ouvrait la porte à toutes les atrocités et exposait même les bons à devenir injustes, immoraux ou cruels. Et c’est au soutien de cette dernière proposition que je cite ces faits. « Je ne l’ai pas vu, dites-vous, donc cela n’existe pas. » Mais avez-vous vu davantage les infanticides de la Chine, les sacrifices humains du roi de Dahomey, et cependant doutez-vous qu’ils existent ?

— Mais j’étais en pays civilisé !

— Eh bien, en pays civilisé n’y a-t-il que des gens honnêtes, justes, bons, compatissants, généreux ? N’avez-vous pas là aussi l’envers da la société, les gens vicieux, immoraux, suppôt de cabarets et de mauvais lieux ; les gens qui, pour gagner quelque chose, feraient mourir leurs propres enfants sous les coups ? Est-ce chez ceux-là que vous voyez l’impossibilité d’une conduite inhumaine pour le noir ?

Mais laissons pour le moment la classe dégradée et prenons la haute classe, celle que vous avez vue, celle où vous n’avez rien observé d’inhumain. Pensez-vous que si on a eu quelque punition un peu forte à infliger à quelqu’esclave, on n’a pas un peu songé au fait de la présence d’un étranger dans la maison ?

Pensez-vous que si le maître avait son petit harem de belles esclaves il vous l’aurait dit ?

Mais sans entrer dans les détails d’intérieur, dans les faits de précoce immoralité partout permis aux jeunes gens je ne m’arrêterai qu’à deux idées, deux raisonnements.

Les maîtres humains que vous avez connus ignoraient-ils les abominations du code noir, ses tyrannies permises, ses cruautés autorisées, ses actes d’arbitraire imposés sous peine de l’amende et du fouet, comme par exemple le fouet infligé à un blanc qui montrait à lire à un noir, et même à une mère noire qui eût montré à lire ou à écrire à la fille esclave d’un blanc ? Vos amis n’ignoraient pas cela, et néanmoins admettaient-ils l’immoralité et la cruauté du code noir ? N’ont-ils pas été très probablement parmi les plus ardents défenseurs de l’esclavage dans la grande révolte au moyen de laquelle on espérait le sauver des atteintes de la civilisation et du progrès moderne ?

Vos amis ignoraient-ils les atrocités des ventes d’esclaves, les brutales immoralités auxquelles elles donnaient lieu ? En voulaient-ils davantage l’abolition du système ? Si un de leurs esclaves se fût échappé, eussent-ils plus que leurs confrères planteurs empêché les propriétaires de meutes de courir après le fugitif et de le ramener après l’avoir fait mettre en lambeaux par la dent des chiens ?

Messieurs, personne au Sud n’était exempt de cette indifférence incompréhensible pour les souffrances physiques infligées aux noirs ! Les journaux parlaient habituellement du fouet et autres tortures sur le ton de l’ironie ! Voyez plutôt :

Le Richmond Republican, dans ses rapports de police, cite les faits suivants :

— Isaac Adlen, un monsieur de couleur, a reçu hier une partie de sa toilette du dimanche, par ordre du Maire, pour avoir oublié de faire endosser son permis.

— Félix Harwood a été pris dans l’acte de voler un morceau de bois de chauffage, La cour lui a ordonné la « casaque chaude, » afin de lui réchauffer le système par un traitement approprié. Une casaque rayée a dû lui produire un effet agréable par le vent glacial qu’il faisait hier !

Eh bien qu’était-ce que la toilette du dimanche ? Les reins ensanglantés d’un noir ! Qu’était-ce que la casaque chaude, la casaque rayée ? La même chose : le fouet, la lacération de la chair ! ! ! Voilà comme on habituait la population, même les enfants et les femmes, à rire des tortures du nègre, à le prendre beaucoup moins en pitié que le bœuf ou l’âne de la ferme, ou le chien de garde de la cour !

Le nègre n’excitait jamais la pitié. Dans les familles même où les esclaves étaient bien traités, où on leur témoignait la commisération que tous les cœurs bien faits doivent aux malheureux, dans ces familles là même on n’eût pas fait un pas pour sauver un pauvre nègre, étranger à la maison, de la dent des chiens sur le point de le saisir ; ou bien encore on n’eût jamais osé faire la moindre remontrance contre une fustigation exagérée ! Si la cruauté n’eût pas été au fond des mœurs et enracinée dans les habitudes, n’y aurait-il pas eu ça et là quelque protestation contre les nombreux traits de barbarie, de correction cruelle pour les moindres peccadilles, dont les feuilles publiques entretenaient leurs lecteurs ? Mais jamais un mot ! Ceux même qui sont humains dans leur maison deviennent féroces au dehors vis-à-vis des étrangers qu’ils soupçonnent d’être ennemis de l’institution sacrée !

Un Irlandais, à Charleston, se permet quelques réflexions sur les mauvais traitements dont un nègre est victime en sa présence. De suite on le saisit, on le déshabille complètement et un tolle général s’organise contre le malheureux. La populace et les gentlemen rivalisent de zèle contre un pauvre diable qui est seul contre 500 et qui se sauve nu à travers la foule au milieu des cris de « Marquez-le ! brûlez-le ! et les fouets lui lacéraient les chairs, et on lui jetait du goudron bouillant !  ! Voilà les mœurs des descendants des cavaliers !

Un peu plus tard nous reviendrons sur cette prétention ses Caroliniens et des Georgiens à une noble descendance.

Je tiens d’un artiste qui demeure aujourd’hui au milieu de nous et qui a vécu plusieurs années à Charleston, qu’un Italien du nom de Costa, colporteur de bijoux, ayant été vu parlant à des nègres dans la rue, quoiqu’il n’y mît pas l’ombre de mystère et que ses allures n’eussent rien de suspect, on en prit ombrage et il se vit tout-à-coup assailli par cinq ou six dogues qui le mirent en sang en quelques secondes et le mutilèrent affreusement. Quand on le débarrassa des chiens il était dans le plus pitoyable état, ses habits et sa chair tombant en lambeaux. Il voulut se plaindre aux autorités mais on lui signifia qu’un blanc étranger s’exposait beaucoup en parlant aux noirs. Voilà tout ce qu’il put obtenir !

Voyons, tous ces faits ne démontrent-ils pas une grande férocité de mœurs ? Cela serait-il souffert ici, toléré une seule minute ? Laisserait-on ainsi manger un homme par les chiens ? Les autorités se moqueraient-elles impitoyablement d’un malheureux déchiré par 5 ou 6 dogues ? N’auraient-elles pas quelqu’autre réponse à lui donner que : « Mais mon cher, vous parlez à nos noirs en pleine rue !  ! »

Voilà un grand crime, en vérité !  !

J’admire de tout mon cœur quelquefois les gens qui viennent nous réciter des églogues sur le bonheur des noirs, sur l’institution toute philantropique, toute patriarcale, de l’esclavage !  ! Mais pourquoi donc tant de malheureux s’exposaient-ils tous les jours à mille morts, à la dent des chiens, à la gueule des crocodiles, pour s’échapper vers le Nord ? Pourquoi les mères tuaient-elles leurs enfants plutôt que de les voir vendre à des maîtres reconnus pour cruels ? Quoi, voilà une race qui n’avait pas même le droit de faire entendre une plainte, une remontrance ; une race qui n’était pas même admise à prouver le meurtre de ses membres ou les cruautés inouïes dont quelques-uns d’entre eux étaient victimes et on vient nous réciter des idylles sentimentales sur le bonheur dont elle jouissait ! Allons donc ! c’est trop compter sur la naïveté publique !  !

Un maître du nom de Dempsey Weaver, de Nashville, dit un jour à une esclave qui avait commis quelque faute qu’il allait la vendre à un trafiquant du Mississippi. Cette femme avait un enfant. Voyant qu’on allait la séparer de son enfant, elle le prend dans ses bras et se précipite avec lui dans la rivière ![3]

Cette femme ne savait pas apprécier le bonheur qu’il y a d’être esclave.

Il y a quelques années, vers 1855, une femme fut pendue à Cedartown, Géorgie, sous les circonstances suivantes.

Son maître l’informe qu’il avait vendu ses quatre enfants à un homme qui viendrait les chercher le lendemain. L’acheteur était connu dans le voisinage pour un maître avare et brutal qui affamait ses esclaves et les battait beaucoup. La mère supplie son maître de garder les enfants ou au moins de les vendre à un maître moins cruel. Il refuse. Elle se traîne sur les genoux et l’adjure en pleurant de lui épargner cette douleur, mais l’autre la repousse durement. Exaspérée, elle se relève, et quelques instants après tue ses quatre enfants ! ! Voilà pourquoi on la condamna à être pendue.[4]

Cela est horrible sans doute, mais cet acte atroce ne doit-il pas être un peu mis à la charge du système ?

Un planteur s’en allait à Memphis, Tenn. en novembre 1855, avec une famille d’esclaves : le père, la mère et plusieurs enfants. Arrivé à Memphis, le père s’aperçoit à certains indices qu’on le destine au marché du Sud et qu’il allait être pour toujours séparé de sa famille ! Profitant d’un moment où son maître avait le dos tourné, et quoiqu’on lui eût mis les menottes, il prend son élan, saute pardessus le bastingage du steamboat et s’élance dans la rivière ! Le maître perdit ainsi les $1500 que la vente de ce nègre lui eût rapportées.

L’hon. M. Giddings, dans son intéressante histoire de la rébellion du Sud, si remplie de faits, et surtout de preuves de la déraison des planteurs, cite les deux faits que voici.[5]

Dans la prison aux esclaves de Washington on avait enfermé une mère esclave et ses deux enfants, en attendant leur départ pour le Sud. Le mari de cette femme avait été vendu. Elle-même venait d’être achetée par un spéculateur, commerçant en chair humaine. Elle n’ignorait pas qu’elle avait été achetée pour être revendue à la première occasion. Dans la solitude de sa prison, séparée pour toujours de son mari, voyant le sort réservé à ses enfants, songeant avec amertume au passé et envisageant l’avenir avec désespoir, elle fut saisie d’un accès de rage, tua ses deux enfants et se tua elle-même ensuite. Le spéculateur qui l’avait achetée ne rentra dans sa cellule, le lendemain matin, que pour retrouver trois cadavres ! Eh bien, le croiriez-vous ? Cet homme poursuivit celui qui lui avait vendu cette femme pour lui avoir livré un esclave vicieux et réussit à se faire rembourser son argent.

Une jeune fille de 19 ans s’évada un jour de cette même prison et se sauva du côté du pont qui traversait le Potomac.

Elle fut immédiatement pousuivie, mais comme elle avait une avance considérable sur les limiers qu’on avait lancés sur ses traces, elle eût réussi à traverser le pont si ceux-ci n’eussent fait signe à quelques personnes de l’arrêter à l’autre extrémité.

Se voyant ainsi cernée et connaissant parfaitement le sort qui lui était réservé, elle n’hésite pas un instant, monte sur le parapet du pont et s’élance dans le Potomac au moment où on allait la saisir. Ce fut une victime de moins pour la prostitution.

Permettez-moi de vous citer encore deux faits parmi plus de cinquante du même genre que j’ai lus.

La Gazette de Cincinnati, du 29 janvier 1856, publiait les détails terribles qui suivent.

Une bande de dix-sept esclaves s’était échappée des comtés de Boone et de Kenton, dans le Kentucky, et arrivés à l’Ohio, ils purent le traverser sur la glace. Ils se cachèrent dans Cincinnati en attendant qu’ils pussent gagner le Nord. Leurs poursuivants découvrirent néanmoins leur retraite et la police vint les y chercher. Après une lutte grave, on enfonça la porte et voici le spectacle qui s’offrit aux yeux. Dans un coin de la chambre se trouvait un enfant auquel sa mère venait de couper la gorge d’une oreille à l’autre, et on entendait des cris de détresse affreux venant d’une pièce voisine. On s’y précipite et on aperçoit une esclave tenant à la main un couteau tout ensanglanté, agenouillée auprès de deux autres enfants étendus par terre et qui jetaient les cris terribles qu’on avait entendus. On lui arrache le couteau des mains et on examine les enfants. Ils avaient déjà plusieurs blessures. Cette femme avoua être leur mère, et dit que son seul regret était de ne pas avoir eu le temps de tuer ses trois autres enfants comme elle avait fait du premier, afin de leur épargner les horreurs de la vie qu’ils auraient à mener s’ils étaient repris.

On lui demanda si elle avait commis de sang-froid, un acte aussi atroce. — « Oui, dit-elle, j’avais tout mon sang froid, et j’aurais de beaucoup préféré les tuer du coup et mettre ainsi fin à leurs misères, que de les voir remis en esclavage pour être tués lentement et par morceaux. »

On lui demanda enfin si elle préférait retourner au Sud ou avoir son procès de suite dans l’Ohio, avec chance d’être pendue pour meurtre. Elle répondit avec une effroyable détermination : « J’aime bien mieux danser au bout d’une corde que de retourner être esclave !  ! »

Mais la malheureuse n’eut pas même cette horrible satisfaction. Dans le conflit de juridiction qui s’éleva à-propos de son crime et de sa fuite, la loi d’un état libre devait céder le pas à l’intérêt esclave. Cette femme avait commis un meurtre, avec tentative d’en commettre d’autres, sous la juridiction de l’état de l’Ohio ; mais elle était en même temps esclave fugitive. Si elle eût été jugée à Cincinnati et pendue, son maître perdait sa valeur. Il se trouva donc un juge fédéral, tenant sa charge comme les cinq-sixièmes des employés fédéraux, du pouvoir esclave qui, comme je vous l’ai dit, ne consentait à une nomination que si le candidat avait des opinions saines sur l’institution patriarcale ; il se trouva, dis-je, un juge fédéral pour décider qu’un crime devait rester impuni plutôt que de compromettre la propriété d’un planteur. Cette femme fut donc emmenée au Sud !

Vous le voyez, en tout et partout le pouvoir esclave se mettait au-dessus des lois. Tout, constitution, lois, institutions du pays, intérêt général, traités internationaux, nécessité de punir les crimes, morale publique, morale privée, souveraineté des états dans lesquels un crime s’était commis, tout devait céder devant l’ascendant où l’intérêt du pouvoir esclave. Vous verrez plus tard, à propos de quelles futilités, au Congrès fédéral, les planteurs menaçaient à tout propos de rompre l’union ; quelle était en tout leur intolérable arrogance.

Le Dr. C. G. Parsons, qui a séjourné longtemps au Sud, raconte, dans son livre intitulé : Inside view of slavery : qu’étant un jour chez un planteur de la Géorgie, la dame de la maison qui abhorrait l’esclavage pour plus d’une raison, lui dit en conversation, en lui montrant une vieille esclave du nom de Sylva :

« Tenez, vous voyez cette femme. Eh bien, elle dit qu’elle a eu treize enfants et qu’elle les a tous tués de ses propres mains pour qu’ils ne devinssent pas esclaves ! ! »

Cette dame avait aussi forcé Sylva de se déchausser en présence de M. Parsons pour lui prouver la barbare coutume de mutiler les esclaves pour les marquer. Sylva avait quatre orteils de moins à un pied et deux à l’autre !

Je vous ai déjà parlé du mariage noir. Ce mariage était tout simplement un concubinage organisé. Chez les catholiques on ne mariait pas les esclaves, non plus que chez quelques sectes protestantes. Seulement on n’ignorait pas que mariés ou non, les esclaves n’en vivaient pas moins comme mari et femme, quand les maîtres les accouplaient deux à deux, et bien souvent même pis que cela.

Dans quelques autres sectes, on les mariait, et les ministres du culte informaient les conjoints qu’ils se devaient mutuellement fidélité jusqu’à ce qu’ils fussent séparés par la mort ou par une inexorable nécessité. Qu’était cette inexorable nécessité ? La vente de l’un des conjoints. Une fois l’un des deux vendus, le maître qui ne voulait perdre aucune source de profit, forçait la femme de prendre un nouveau mari, ou le mari de prendre une autre femme, car un enfant, à sa naissance, valait $100, et une belle mulâtresse de dix-huit ans se vendait jusqu’à $3000. Les maîtres voulaient donc des enfants à tout prix, particulièrement dans les états éleveurs.

Voilà un fait qui nous prouve que l’esclavage pervertissait jusqu’à la religion. En principe le christianisme rejette le concubinage comme une monstruosité ; en pratique, les clergés de toutes dénominations le toléraient chez les esclaves, car jamais, dans aucune chaire, un mot sur cet abus ! Cela eût offensé les planteurs !  !

Le raisonnement au moyen duquel on mettait sa conscience en repos sur l’autorisation formelle ou tacite du concubinage était basé sur l’absence du libre-arbitre chez l’esclave, « Les esclaves, » disait-on, « ne sont pas des agents libres. La séparation des conjoints est pour eux un fait de force majeure. La volonté du maître équivaut pour eux à la mort de l’un des deux. Ils ne peuvent donc être coupables d’un acte sur lequel ils ne peuvent exercer le moindre contrôle. »[6]

Si l’esclavage pervertissait ainsi jusqu’à la pratique du christianisme, comment veut-on qu’il n’ait pas étendu son influence délétère à la politique, aux relations sociales, aux mœurs générales, aux rapports de famille ? Quoi, il corrompait même la religion, soit en faussant les idées de ses ministres, soit en les forçant de rester muets sur des immoralités qu’il était de leur devoir de combattre, et on voudrait soutenir qu’il ne corrompait pas la société ! Il pervertissait jusqu’aux plus fondamentales notions du sens commun tant chez les hautes intelligences que dans les masses, et l’on voudrait nous persuader que la société qui en était gangrénée pouvait être, soit sous le rapport de la moralité, soit sous celui de l’intelligence générale, l’égale des autres sociétés où il n’existe pas ! Le faux de cette prétention saute aux yeux les moins exercés !  !

Mais le nombre de ceux qui se mariaient régulièrement, dans le sens que l’on attachait à cette expression, était comparativement restreint. Les trois quarts des unions étaient illicites même au point de vue du système. Il y en avait beaucoup néanmoins qui étaient permanentes, au moins jusqu’à la mort des conjoints, mais il y en avait beaucoup aussi qui n’étaient que temporaires ou momentanées.

— Êtes-vous marié ? demandait John Ball à un nègre. — Oui maître.

— Avez-vous été marié par un ministre ?

— Non maître, j’ai été marié à la couverte.

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

— Eh bien, maître, nous entrons dans la même cabane, et elle étend sa couverte à côté de la mienne, et c’est comme cela qu’on se marie.

Ce n’est toujours pas là un des côtés divins de l’esclavage.

Mais que les esclaves fussent mariés ou non, les liens du sang, de la parenté, les rapports de mari à femme et de père ou de mère à enfants n’en existaient pas moins, et la séparation journalière des familles constituait une des plus grandes cruautés de l’institution.

— Mais on séparait très rarement les familles, disent avec impatience les panégyristes de l’esclavage. On évitait cela autant qu’on le pouvait.

Un examen même superficiel des faits, Messieurs, vous convaincra de suite que les séparations de familles, au contraire, étaient très communes, et plus on approfondit la question plus on acquiert la certitude que cela est vrai.

Quels sont ceux qui le nient ? Les intéressés ! Et permettez-moi de vous faire observer combien la tâche des panégyristes parmi nous est facile. Pour soutenir leur thèse, il ne leur faut ni connaissances étendues, ni études approfondies, ni même grande provision d’esprit ! Un simple non est tout leur bagage scientifique ! Quand on n’a pas étudié une question, c’est chose admirablement commode que de pouvoir la traiter en quatre ou cinq négations ! On peut se dispenser de lire vingt volumes pour trouver quatre ou cinq nons !

Eh bien, à propos de cette atrocité constante, de tous les jours, de la séparation des familles, les panégyristes viennent savamment nous dire : « Ah bah, cela était très rare. » Comme ce n’est pas à eux de prouver une négative, si la personne à laquelle ils s’adressent n’a pas sur le champ les preuves nécessaires pour établir ce qu’elle affirme, la négation produit son effet et l’esclavage en devient moins odieux aux yeux des personnes présentes.

Il en est ainsi de tous les détails relatifs à l’esclavage. Les défenseurs ne discutent qu’avec un monosyllabe ; le non est leur château fort ; ils s’y réfugient comme des assiégés dans leurs casemates et s’y moquent des faits qu’on leur cite comme les autres des bombes qu’on leur envoie ! Rien ne les en peut faire sortir ; ils crient non à tue-tête et restent enchantés de leurs connaissances sur le sujet.

Messieurs, les cas de séparation des familles étaient au contraire très fréquents. Le moindre examen de la question vous le prouvera de suite.

Il y avait séparation de familles dans les cas suivants :

1o. Quand une succession se liquidait, car tous les esclaves étaient vendus :

2o. Quand les biens d’un individu étaient vendus par autorité de justice :

3o. Quand un propriétaire éprouvait de la gêne dans ses affaires, vendait une plantation et n’avait plus besoin des esclaves qui la cultivaient :

4o. Quand ceux qui se livraient à l’élève des esclaves faisaient leurs ventes régulières de bétail humain :

5o. Enfin quand les trafiquants d’esclaves achetaient des familles entières afin de revendre les filles quand elles étaient belles, car celles-ci rapportaient toujours de très hauts prix.

Maintenant, Messieurs, veuillez songer un peu aux résultats que devaient produire, réunies, ces cinq causes principales, sans parler d’autres causes secondaires et moins importantes, et vous verrez que les cas de séparation entre membres d’une même famille devaient se produire au moins une fois sur quatre individus vendus. Si c’est là ce que les amis de l’esclavage appellent la rareté des cas de séparation des familles, il me semble que nous pouvons très raisonnablement douter de leur connaissance du sujet ou de leur sens appréciateur des choses.

Si l’on a recours pour s’édifier là-dessus aux journaux des grandes villes du Sud, on voit que dans chacune des villes de la Nouvelle-Orléans, Mobile, Montgomery, Jackson, Macon, Milledgeville, Savannah, Charleston, Raleigh, Nashville, Memphis, Louisville, Little Rock, St. Louis, Richmond, Baltimore et Washington, il se passait à peine une semaine pendant laquelle une ou plusieurs ventes d’esclaves n’eussent lieu, et dans la grande majorité des cas on annonçait à vendre des hommes, des femmes et des enfants. Était-il possible qu’il n’y eût pas séparation de parents, dans ces cas ? Ceux qui faisaient de la vente des esclaves un commerce régulier faisaient souvent d’énormes affaires. Quelques uns de ces trafiquants en chair humaine vendaient en moyenne jusqu’à 60 ou 80 esclaves par semaine. La maison Dickinson, Hill et Cie. de Richmond, a vendu en 1856, plus de 2600 esclaves représentant une valeur de plus de $2,000,000. Un voyageur de ce pays écrivait en 1848, de la Nouvelle-Orléans, qu’un encanteur de cette ville lui disait un jour que ses ventes d’esclaves dépassaient le chiffre de 5000 par an. J’ai vu nombre d’avertissements annonçant la vente de cent, de cent cinquante, de trois cents esclaves appartenant à un même maître.

Un nommé Green, comté de Warren, C. N. annonce cent esclaves à vendre pour le 22 février 1856.[7]

Le Columbia Times de la même année, parle d’un marchand du nom de Phillips qui vient de vendre un nombre immense d’hommes, de femmes et d’enfants.[8]

Et loin de vendre les familles réunies, il arrivait souvent qu’on les séparait, parce que quatre ou cinq esclaves se vendaient toujours pour une plus forte somme séparés que réunis.

Ainsi un nommé Stony, exécuteur testamentaire de William Mangin, Beaufort, C. S., annonce d’abord quinze esclaves adultes à vendre : puis plus loin il en annonce dix autres, enfants des premiers.[9]

À la vente des meubles de Edwin Townsend, de Huntsville, Géorgie, 285 esclaves de tout âge sont vendus.

Voyez maintenant, et comme trait de mœurs, la singulière annonce suivante, à propos de la liquidation des affaires de feu le Colonel John McIntosh, de la Floride.

On recevra des propositions pour l’achat de propriétés immobilières et mobilières, consistant en terres, instruments d’agriculture, mules, bétail à cornes, chevaux, cochons et 221 esclaves !

Les bêtes à quatre pattes avaient le pas sur les autres ! !

Un correspondant de la Nouvelle-Orléans écrit en date du 18 janvier 1856 :

« Je viens d’être témoin d’une vente considérable d’esclaves. J’en ai vu entrer au moins 250 à la suite des encanteurs, et il en arrivait constamment de nouvelles bandes. Ces esclaves étaient de tout âge. »

L’exécuteur testamentaire de Charles S. Taylor, de la Virginie, annonce 629 esclaves à vendre, presque tous élevés sur la plantation !  ! Ces 629 esclaves réprésentaient au moins 129 familles. Très peu de familles furent vendues entières.

Le Dr. Parsons raconte le fait suivant qui s’est passé dans une petite ville du Sud où il s’était arrêté.

Ayant vu une affiche annonçant une vente de 44 négresses, il se rendit au lieu de la vente, et se mit à questionner ces femmes sur le nombre d’enfants qu’elles avaient dû abandonner. Ces quarante quatre femmes laissaient derrière elles cent vingt-quatre enfants ! !

Voilà comme on ne séparait les familles que rarement !

Mais les voyageurs qui ne faisaient que passer dans les états du Sud et qui demandaient à un planteur de leurs amis si on séparait souvent les familles, en recevaient toujours la réponse que cela s’évitait autant que possible ; et cette réponse était vraie quelquefois en autant que ces planteurs là pouvaient y être concernés. Nul doute que beaucoup de maîtres n’évitassent par système de séparer les familles, et de ce fait, qui ne constituait qu’une imperceptible exception dans le fonctionnement du système, ces voyageurs concluaient que généralement, dans le Sud, on évitait de séparer les familles. C’était là conclure du particulier au général, c’est-à-dire adopter précisément celle de toutes les méthodes de juger qui conduit aux plus graves mécomptes. Mais ces planteurs-là même qui, mus par des sentiments de philanthropie, suivaient fidèlement le système de ne pas séparer les familles, pouvaient-ils empêcher ce malheur après leur mort !

Il ne se faisait pas de vente importantes d’esclaves que plusieurs familles ne fussent dispersées ; et comment pouvait il en être autrement ? Une grande vente d’esclaves, surtout pour une liquidation d’affaires, s’annonçait à de grandes distances ; les trafiquants d’esclaves y venaient de partout, et l’on sait si ces gens consultaient autre chose que leur intérêt. S’il était plus avantageux pour eux d’acheter une famille entière tout allait bien, mais s’ils trouvaient leur avantage à la vendre séparément, ce n’était certes pas la philanthropie ni la charité chrétienne qui les en empêchaient !

Le National Intelligencer de Washington, il y a quelques années, annonçait pour le 16 février, 1855, la vente des esclaves de défunt H. B. Hill qui devait avoir lieu à la Nouvelle-Orléans. Trois cents quatre-vingt-cinq esclaves devaient être vendus.

Une pareille troupe d’esclaves représentait une valeur de plus de $300,000. Une vente de cette importance valait la peine d’être annoncée à de grandes distances, car on était sûr que les spéculateurs y afflueraient ; et il est presqu’inutile de dire qu’ils s’y rendaient dans un but de profit pécuniaire et non de philanthropie. Aussi, bien naïf serait celui qui s’imaginerait, ou qui même croirait sur l’assertion d’autrui, que dans une pareille vente on eût le plus léger souci de la séparation des familles.

Tous ces gens, toute la société du Sud, étaient complètement endurcis sur le fait de la souffrance physique, de la torture infligée au nègre ; peut-on raisonnablement croire qu’ils s’occupassent davantage des douleurs purement morales qu’il pouvait éprouver ? Le plus gros bon sens fait justice de cette prétention ! !

On ne se fait guères d’idée de l’importance du commerce des esclaves dans les états du Sud. Le New-Orleans Delta, du 24 février 1856, dans sa revue des marchés et des affaires, dit que « pendant les six dernières semaines, on avait vendu des hommes, des femmes et des enfants pour une valeur de plus d’un million de piastres. »

Comme les esclaves se vendaient, en moyenne, à peu près $750, voilà donc 1300 esclaves, environ, vendus pendant ces six semaines, ce qui suppose un total d’à peu près 11000 pour l’année dans la seule ville de la Nouvelle-Orléans. Ces 11000 esclaves formaient au moins 2500 familles. Donc, d’après la proportion admise, au moins huit ou neuf cents familles dispersées dans une seule ville ! Est-ce là ce que l’on appelle des cas rares ?

Les estimations les plus modérées portent à 30,000 le nombre des esclaves que la Virginie fournissait annuellement aux états de l’extrême Sud. Vous savez tous que la Virginie, ainsi que le Maryland, le Kentucky et la Caroline du Nord étaient appelés les breeding states, les états éleveurs. On y faisait en grand l’élève des esclaves. Les plantations y servaient au maintien des haras de nègres. Le mot peut vous paraître un peu étrangement appliqué, mais il est parfaitement juste, car on y faisait l’élève des nègres précisément comme les grands agriculteurs font l’élève des chevaux. On y donnait plusieurs femmes à un seul homme pour que le produit de la plantation fût le plus grand possible.

Eh bien, sur 30,000 nègres vendus dans la Virginie, sur plus de 180,000 vendus dans tous les états à esclaves, qui osera dire que l’on suivait généralement le système d’éviter la séparation des familles ? Cela pouvait se faire dans certains cas, dans un grand nombre de cas si l’on veut, mais il restera toujours vrai que le principe régulateur de ces ventes était l’intérêt, soit du vendeur soit de l’acheteur, et nullement le désir de respecter même les justes susceptibilités de l’esclave !

Les panégyristes de l’esclavage connaissent parfaitement ces faits ; ceux au moins qui viennent du Sud. Quant à ceux qui vivent parmi nous ils répètent bénévolement ce qu’on leur dit et ne se doutent même pas qu’on s’est moqué d’eux.

Et quand ils viennent nous soutenir froidement que « les cas de séparation des familles étaient rares » ils n’en savent rien par eux-mêmes et ils défendent l’esclavage exactement comme ils défendent la rébellion du Sud, c’est-à-dire, sans avoir la moindre connaissance des faits.

L’un d’eux me disait ces jours derniers mêmes :

— Mais enfin pourquoi le Nord est-il allé attaquer le Sud chez lui ?

— Ah, dis-je, vous en êtes à croire que c’est le Nord qui est l’agresseur dans la lutte actuelle ?

— Mais très certainement !

— Alors, mon cher, voulez-vous me permettre de vous apprendre une chose ?

— Très volontiers.

— Eh bien, vous ne connaissez pas même l’A B C de la question et vous feriez mieux de n’en pas parler.

La dispersion des familles donnait, constamment lieu aux scènes les plus déchirantes.

Le correspondant de la Nouvelle-Orléans, dont j’ai déjà parlé, écrivait en janvier 1856 à la suite d’une vente d’esclaves à laquelle il avait assisté :

« Une très belle mulâtresse était assise sur un banc, tenant deux enfants dans ses bras, l’un pouvant avoir sept ou huit ans et l’autre beaucoup plus jeune. La figure de cette femme trahissait une profonde inquiétude, comme si elle eût eu le pressentiment de quelque grand malheur.

« Quand son tour vint, elle monta sur la plateforme, tenant le plus petit enfant dans ses bras, l’autre se collant à ses habits.

« L’encanteur[10] offrit de vendre le lot ensemble, mais personne ne voulut mettre d’enchère, et il fallut vendre la mère et les enfants séparément. Ils furent vendus à différents maîtres. La mère s’en alla au Texas et les deux enfants en Géorgie. La séparation de cette mère et de ses enfants fut le plus pénible spectacle dont j’aie jamais été témoin. La pauvre mère éperdue fit d’abord les supplications les plus désespérées à son nouveau maître d’acheter les enfants aussi, et voyant qu’elle ne pouvait rien obtenir, elle se mit à fondre en pleurs et les assistants furent témoins de la plus frénétique explosion de lamentations que le désespoir ait jamais causée. Elle serrait ses deux enfants à les étouffer et il fallut employer la force pour les lui arracher.

« Je demandai à un homme de belle stature, presque blanc, qui allait être vendu, s’il avait une famille. — Oui, dit-il, une femme et trois enfants, deux garçons et une fille. Un de mes garçons a été vendu jeudi dernier à un trafiquant du Mississippi ; l’autre à un maître de la Géorgie ; et ma pauvre fille, (me montrant du geste une magnifique fille de quinze ou seize ans) vient d’être vendue à ce gros irlandais à tête rouge que vous voyez là. Quant à ma femme elle est maintenant sur la route du Kansas.

« Le pauvre homme ne put tenir à ce douloureux récit, et je vis tout son corps frémir et ses larmes coulèrent en abondance. »

Eh bien, cette société endurcie, que la souffrance physique et la torture infligées aux nègres touchaient si peu, cette société où l’on riait si volontiers des hurlements d’un noir que l’on arrosait de saumure après avoir mis sa chair en sang et en lambeaux, cette même société regardait avec une parfaite indifférence le désespoir et les gémissements d’une mère à laquelle on arrachait brutalement ses enfants ! ! Le seul fait d’être esclave autorisait tout, justifiait tout, même les plus incroyables atrocités. On eût frémi du désespoir d’une femme blanche libre à laquelle on eût arraché sa fille pour la livrer à la prostitution, — car Messieurs, il ne faut pas s’y tromper, les belles filles esclaves, noires, mulâtresses ou blanches, ne se vendaient que pour devenir les concubines des planteurs, — mais une femme blanche esclave qui se désespérait dans un dernier adieu à ses enfants, on en riait à sa face ! ! Est-ce qu’une esclave, quoique blanche, et conséquemment fille d’un blanc, pouvait ressentir un sentiment quelconque ? Son propre père, souvent, qui savait qu’il la livrait à la lubricité de ses pareils, la regardait partir d’un œil sec et sans la moindre compassion !

Je trouve dans le livre du Dr. Parsons,[11] le récit suivant, qui vous fera voir à quel degré de cruauté, d’endurcissement sur les souffrances morales des nègres, cette société, depuis frappée de Dieu, en était venue. L’auteur de ce récit était présent au départ d’un train qui emmenait un certain nombre d’esclaves que l’on venait de vendre. Un jeune fou, dans une partie de billard en avait mis six en gage, tous jeunes gens, et ici la loi, loin de flétrir l’inexorabilité de Shylock insistant sur son morceau de chair, la sanctionnait au contraire tous les jours.

J’aurais fort bien pu classer les habitudes invétérées et universelles du jeu dans le Sud au nombre des causes les plus fécondes de la séparation des familles.

Les esclaves vendus faisaient donc leurs adieux à leurs parents qu’ils laissaient en arrière et à mesure que l’heure du départ approchait, les expressions de chagrin devenaient plus bruyantes.

Enfin, au départ du train, on entendit de véritables cris de désespoir.

Il y avait dans le char où était le Dr. Parsons environ 35 passagers, mais personne ne songeait à la douleur des nègres qui s’embrassaient pour la dernière fois. Parmi les passagers se trouvaient des jeunes filles de bonnes familles du Sud, élevées avec soin pourtant, mais auxquelles ce spectacle ne causait pas la plus légère émotion. Loin de là elles riaient à qui mieux mieux des pleurs des pauvres nègres.

« Regardez donc » dit tout à coup une des jeunes Miss. « regardez donc ces nègres. Quel tapage ils font ! Comme si des nègres s’occupaient le moindrement de leurs enfants ! Regardez donc Cuffey embrasser Dinah ! Comme ils y vont !  ! Et pourtant il aura peut-être une autre femme dans huit jours !  ! »

Je vous le demande maintenant. Comment peut-on attacher la moindre importance à ce que nous disent les gens du Sud sur l’esclavage aux justifications qu’il nous en offrent, aux assurances qu’ils nous donnent de l’humanité des maîtres, quand toutes les notions d’humanité, de bonté d’âme, de pudeur, de vertu, de charité, de sympathie pour le nègre étaient complètement perverties chez eux ? Cette jeune Miss qui se moquait si impitoyablement du désespoir des nègres auxquels on arrachait leurs enfants n’est pas une exception au Sud. Elle est au contraire la personnification vraie de cette société aveuglée, coupable, qui ne reculait devant aucun genre de cruauté barbare ! Ainsi M. Roudanez, dont je vous citais le témoignage en commençant au sujet de l’immoralité que le système enracinait dans les mœurs, affirme aussi que dans le Mississippi et la Louisiane, l’on aimait mieux acheter les nègres que les produire, on forçait les négresses enceintes de travailler jusqu’au dernier moment. « Quelquefois, » dit-il « on leur donnait une semaine pour se rétablir, quelquefois moins. »

Le Dr. Hyde, vieux médecin, qui a vécu plus de trente ans parmi les planteurs des deux Carolines, affirme devant la même commission : « que les femmes esclaves étaient forcées de travailler jusqu’au moment de l’accouchement. J’ai été témoin, dit-il, de naissances en plein champ, dans les rangs de coton, et on donnait à ces femmes une heure pour se remettre. »[12]

L’hon. Henri Clay disait un jour à M. James Birney qu’un M. Outerbridge Horsey, qui a été sénateur au Congrès, l’avait assuré que son surveillant faisait si bien travailler ses nègres qu’une fois une femme était accouchée d’un enfant pendant qu’elle travaillait aux champs.[13]

Vous le voyez ; pas le moindre commentaire, pas le moindre regret exprimé à propos de cette inqualifiable cruauté ! Il n’entre pas même dans l’esprit de M. Horsey qu’il y ait du tout cruauté à faire travailler une femme jusqu’à la dernière minute ! La seule idée qui se présente à son esprit est celle de la diligence du surveillant qui pousse le talent de faire travailler les négresses jusqu’à les faire accoucher en plein champ. C’est par cet exemple qu’il prouve naïvement quel agent exceptionnel est son surveillant ! !

On peut avec quelque raison être surpris de ce que de pareils faits aient été ignorés pendant si longtemps. Mais si l’on réfléchit que l’esclave n’avait aucun moyen de recours possible contre les plus odieux traitements, que la plus légère plainte lui était sévèrement interdite ; qu’aucun moyen de publicité n’existait dans le Sud ; que c’était ceux-là même qui commandaient la presse qui étaient intéressés à cacher ces choses et à en empêcher la publicité, on verra qu’il n’y a réellement rien que de naturel dans l’ignorance où le monde entier a si longtemps été tenu à propos des horreurs de l’esclavage dans une société que l’on supposait civilisée, mais qui était la honte comme la négation de la civilisation moderne.

Et puis on ne sait pas assez, ici ou ailleurs, que les plaideurs suivaient généralement un système parfaitement combiné de déception vis-à-vis des gens du Nord ou des étrangers qu’ils soupçonnaient le moins du monde de vouloir étudier l’institution. Nombre de personnes ont demeuré longtemps dans le Sud sans découvrir la vérité ou même sans la soupçonner ! Ceux qui n’observaient le système que dans les villes ou les grands villages y pouvaient demeurer fort longtemps et n’avoir aucune idée de l’état réel des choses. C’était loin des grandes villes qu’il fallait aller étudier l’esclavage, et la chose n’était pas sans danger, car au moindre soupçon, la loi de Lynch était appliquée et vous savez tous avec qu’elle énergie !  !

Le docteur Parsons dit à la page 32 de son ouvrage qu’un planteur de sa connaissance lui disait au commencement de son séjour dans le Sud :

« Permettez-moi de vous dire que, si vous avez pris vos idées sur l’esclavage dans vos journaux abolitionnistes du Nord, vous vous êtes nécessairement formé une très fausse idée de l’institution. Vous allez trouver les esclaves dans une bien meilleure condition que ne veulent l’avouer ces feuilles fanatiques. Aucun de ces écrivains n’a voyagé dans le Sud. Si vous examinez les choses, vous verrez que les esclaves sont bien traités et ne souffrent aucune des cruautés que l’on cite au Nord. »

Le Dr. Parsons laissa son interlocuteur persuadé de sa bonne foi. Néanmoins quand il eût pu observer le systême sur les lieux et pénétrer par delà le rideau qui le cache aux étrangers, il crut voir que le planteur avait essayé de le tromper de propos délibéré. Avant de laisser la Géorgie pour retourner au Nord il alla lui faire sa visite d’adieux. Voici ce qui se passa. C’est le docteur Parsons qui parle.

« Je dis à M. N que j’avais pris la liberté de venir le voir dans l’intention de lui poser franchement une question à laquelle j’espérais qu’il voudrait bien répondre franchement aussi.

— Que voulez-vous savoir ? répondit M. N avec un peu de surprise et d’embarras.

— Le voici M. Voulez-vous bien me dire pourquoi vous m’avez affirmé, lors de ma première visite ici, que les esclaves étaient bien traités ; que les feuilles abolitionnistes calomniaient les planteurs, et qu’après examen je changerais d’opinion sur le système ?

— Pour vous dire la vérité, répondit M. N en rougissant un peu, je ne savais pas alors que vous aviez l’intention de visiter l’intérieur du pays.

Là-dessus Madame N me dit : « J’ai dit à M. N, Monsieur, quand vous nous avez eu quittés, qu’il vous avait trompé, et voici l’excuse qu’il m’a donnée. » « L’esclavage, dit-il, ne sera jamais aboli : ce Monsieur ne peut rien pour améliorer le sort des esclaves, et il vaut autant le renvoyer au Nord satisfait sur ce point que de lui laisser des raisons de s’inquiéter de ces choses »

Mais souvent les esclaves eux-mêmes se disaient contents. Cela se comprend parfaitement. D’abord il est incontestable que dans un grand nombre de familles, ils l’étaient réellement, mais parlons des esclaves des plantations, ceux que l’on appellait les field hands. On ne pouvait que difficilement leur parler hors de la présence du maître ou d’un surveillant, car cela était toujours vu de très mauvais œil, et à moins d’être parfaitement recommandé cela était excessivement dangereux, témoin le pauvre italien Costa dont je vous ai parlé.

Eh bien, un voyageur en visite chez un planteur demandait à un esclave s’il désirait sa liberté.

— Oh non, répondait invariablement l’esclave, je suis content. Mais cela se passait en présence du maître, ou de quelqu’un de la maison.

La tentative se renouvellait plus tard hors de la présence du maître. Même réponse de l’esclave. Cela paraissait concluant.

Et pourtant comment voulait-on que cet esclave répondît franchement à un inconnu, ami de son maître et bien venu de lui ? Évidemment l’esclave devait avoir de la défiance, car la moindre indiscrétion de l’étranger pouvait lui être fatale et lui valoir une longue suite de mauvais traitements. L’esclave ne se livrait qu’à bonne enseigne. Rien n’était difficile comme de lui inspirer une confiance entière ; et il ne parlait sans déguisement que quand il était parfaitement sûr de ne pouvoir être trahi. Il n’y a peut-être pas eu un voyageur sur cinquante, dans le Sud, qui ait pu obtenir des nègres des réponses sincères, car leur état de sujétion et le despotisme absolu et terrible qui pesait sur eux les rendaient excessivement dissimulés.

Je ne veux certes pas nier que ceux qui prenaient des informations ne pussent parler à des nègres réellement satisfaits de leur sort. Cela arrivait très souvent dans les bonnes familles, mais il est incontestable que bien souvent aussi on recevait des réponses dont le seul objet était de donner le change au questionneur et de le dérouter. Et ceci était vrai de la plupart des nègres des plantations.

Passons maintenant à quelques autres détails, aux ventes d’esclaves, par exemple, car c’est ici que l’immoralité et la cruauté inouïe du système se montraient avec le plus d’évidence. Pas le moindre sentiment de la plus commune décence, de la plus vulgaire notion de pudeur. Les hommes étaient exposés nus, souvent les femmes aussi, surtout quand elles étaient belles. On les mettait même quelquefois sur un trépied tournant et elles devaient subir les regards avides de deux cents hommes de toute couleur morale qui souvent ne leur épargnaient pas les quolibets obscènes.

Pour ceux qui n’ont jamais observé la basse classe du Sud, celle que les planteurs eux-mêmes appelaient le White Trash, la canaille blanche ; les habitudes d’ivrognerie des hommes, leur inconcevable brutalité dans tous les rapports sociaux, il n’est pas facile de se bien rendre compte du dégoûtant spectacle qu’offraient quelquefois les salles d’encan. Ce que je dis ici ne s’applique sans doute pas à nombre d’hommes du meilleur ton dont se glorifiait la classe riche au Sud ; mais ces hommes là n’étaient pas partout, on les voyait même assez rarement aux ventes publiques d’esclaves ; et la très grande majorité de ceux qui suivaient ces ventes était le plus souvent composée de cette classe désœuvrée, bruyante, tapageuse et démoralisée qui avait à tout propos le couteau ou le pistolet au poing. Il ne m’est pas possible de vous décrire ici toutes les révoltantes particularités de ces ventes ; non pas de toutes, je le sais parfaitement, mais d’un grand nombre. Là comme ailleurs on avait quelquefois affaire à un trafiquant d’une certaine respectabilité et qui savait conserver et faire observer certains dehors de bienséance, mais aussi il arrivait quelquefois que le trafiquant était de ceux qui n’ont aucune notion de dignité, de convenance ou de pudeur, et alors la canaille présente avait carte blanche, et il s’y passait des choses horribles que l’homme le plus flétri, le caractère le plus perdu et le plus bronzé, n’oserait certainement pas décrire même devant une assemblée d’hommes.

Un jeune Newyorkais faisant un voyage d’agrément dans le Sud, est témoin d’une vente d’esclaves à Richmond. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :

« Je n’ai ni le pouvoir ni le courage de décrire complètement les scènes dont j’ai été témoin à une vente publique d’hommes, de femmes et d’enfants. Il y a quatre de ces marchés d’hommes dans la rue où se trouve mon hôtel, qui est l’une des plus fréquentées de la ville, et ils sont tous très rapprochés les uns des autres. Les ventes se font sur le rez-de-chaussée au niveau de la rue. Dans l’appartement se trouvent plusieurs écrans derrière lesquels se fait l’examen des femmes arrivées à un certain âge, mais les hommes et les enfants étaient examinés en présence de tous les spectateurs. Ces examens étaient faits par les intéressés et eussent dû suffire, à mon avis, à choquer les sentiments du vagabond le plus endurci. Vous ne pouvez concevoir que des êtres à forme humaine puissent agir avec une pareille brutalité. On appréciait avec la dernière minutie les conséquences possibles de chaque plaie, de chaque cicatrice ; ses causes probables, ses effets sur la santé !

« J’ai vu vingt hommes et autant de femmes déshabillés ce matin, et il n’y en avait que trois qui eussent ce que les trafiquants appellent « des reins intacts » (clean backs). Plus d’un quart de ceux que j’ai vus portaient des marques du fouet dont la seule vue faisait frémir. Un particulièrement avait été si lacéré qu’il était impossible de placer le doigt sur une partie non cicatrisée. Quelques unes de ces cicatrices avaient un pied de long. »

« Une des mères esclaves attira particulièrement mon attention. Elle était très belle, avait à peu près 25 ans et avait trois enfants qui eussent fait honneur à n’importe quelle dame dans la chrétienté. Je m’approchai d’elle pour entendre ses réponses aux acheteurs. L’un d’eux lui demanda ce qu’elle avait aux yeux. « Essuyé mes larmes, dit-elle, je suppose que j’ai pleuré. » — Pourquoi pleures-tu ? Parce que j’ai laissé mon mari. — Oh si je t’achète, je t’en donnerai un meilleur. — Je n’en veux pas de meilleur que celui que j’ai laissé, et je n’en veux pas d’autre tant que je vivrai. — Oh, tu en prendras un certainement si je t’achète. — Non, maître, Dieu aidant, je ne le ferai jamais.

« On lui fit alors les questions les plus indécentes auxquelles il lui fallut répondre en hésitant beaucoup. Mais quand on lui demanda si elle pouvait promettre un enfant tous les ans, elle répondit : — Non, maître, je n’en veux plus avoir et je regrette d’avoir eu ceux-ci.

« Elle fut vendue pour $1875. »[14] L’honorable Joshua Giddings, dans un discours au congrès, en 1853, disait :

« Vous avez vu dernièrement, M. M. un avertissement inséré dans le principal journal Whig de cette ville contenant les mots que voici : à vendre : Une femme de chambre belle et accomplie, âgée de seize ans seulement. Eh bien, Monsieur, à l’exception de cette ville de Washington et de la Terre-de-feu, je ne pense pas qu’il existe dans la civilisation moderne un seul gouvernement sous lequel on permettrait une pareille violation de décence. Que l’on me comprenne bien, je parle de la Terre-de-feu sans avoir la moindre intention d’insulter le peuple de cette île en comparant ses habitudes aux nôtres. Là au moins c’est pour les manger qu’on achète des hommes et des femmes. Leur but est donc moins honteux, j’oserais dire moins anti-chrétien que celui dans lequel on annonce ici de belles jeunes femmes à vendre. »

Voici l’avertissement auquel l’hon. M Giddings faisait allusion. Il était inséré dans le National Intelligencer.

À vendre : Une femme de chambre belle et accomplie. Elle a juste seize ans. Elle a été élevée dans le Maryland. On l’offre en vente, non pour la commission d’aucune faute, mais parce que son maître n’en a plus besoin. Une note adressée à O K, Hôtel Gadsby, Washingtion, D. C., recevra une prompte réponse.

Eh bien cet avertissement, à première vue, ne comporte rien de choquant. Un maître peut fort bien n’avoir plus besoin d’une esclave. Mais néanmoins ceux qui connaissent les habitudes d’un pays, les mœurs locales, voient dans certaines choses une portée dont ne se doutent pas les étrangers. De certains quartiers une chose peut-être très innocente ; de certains autres elle ne l’est plus pour ceux qui sont au fait de ce qui se passe derrière le rideau. Tel était le cas ici, et l’hon. M. Giddings ne voyait dans cet avertissement qu’un moyen d’allécher les proxénètes masculins ou féminins de la prostitution.

Le maître ne voulait plus de cette esclave tout simplement parce qu’il lui en fallait une nouvelle.

Le rédacteur du Worcester Spy, (Mass) disait à propos de cet avertissement :

« Voilà un homme qui offre à vendre une jeune fille de seize ans et qui a bien le soin de nous dire qu’il n’en a plus besoin. Eh bien qu’est-ce que cela veut dire, clairement et sans erreur possible ? Le voici. Un démocrate américain, père de cet enfant, va vouer une fille, jeune, belle et accomplie à la prostitution, pour une somme d’argent qui va être chaudement débattue entre lui et l’acheteur. On a donné à cette jeune fille toutes les grâces et tous les ornements de son sexe, on lui a donné une éducation complète et distinguée, tout cela pour la vouer à un état devant lequel n’importe quel homme ayant une fille ou une sœur, doit reculer de dégoût, d’horreur et d’indignation. Et qu’on remarque bien que le fait de jeter cette pauvre fille comme une proie à la prostitution n’est pas accidentel. C’est un acte de tous les jours, délibérément commis par des gens qui se disent chrétiens, et cela avec la pleine sanction du gouvernement. Ce n’est pas non plus simplement l’acte d’un éleveur d’esclaves, mais c’est un acte infâme auquel consentent, dont sont responsables tous les démocrates du Nord, qui admettent et soutiennent la légalité de l’esclavage. »

Oui, Messieurs, on ne saurait assez le répéter, — car il faut que les partis coupables, que les partis qui ont soutenu le privilège, ou l’immoralité, ou le pillage effréné du coffre public, reçoivent tôt ou tard leur juste châtiment de l’indignation nationale, — on ne saurait trop le répéter ; le parti démocrate du Nord est de beaucoup plus coupable de l’existence et de l’extension de l’esclavage que les planteurs eux-mêmes ; car chez ceux-ci le sens moral était souvent obscurci par l’intérêt, par l’habitude d’un système dont ils avaient en quelque sorte sucé avec le lait les déplorables mœurs ; mais chez les démocrates du Nord, la seule raison que l’on puisse découvrir est leur soif du pouvoir, leur ambition de gouverner seuls le pays que leur alliance avec le Sud leur permettait de satisfaire pleinement. Pour contrôler le gouvernement, et prolonger son existence comme parti prépondérant, le parti démocrate du Nord couvrait de son manteau toutes les effroyables immoralités et les sanglantes cruautés de l’institution.

Un correspondant du Free Presbyterian, écrivant du comté d’Augusta en Virginie, disait :

« … J’entrai dans la salle d’encan qui était presque remplie d’hommes qui venaient spéculer sur la chair et le sang de leurs semblables ; et voyant un rassemblement compact j’allai voir ce qui s’y passait.

« Au milieu de ce rassemblement se tenait un jeune noir, entièrement nu, que les trafiquants examinaient, avec assaisonnements de grosses plaisanteries, d’une manière beaucoup trop révoltante pour que je puisse la décrire. Cela ne pourrait se faire que dans les journaux publiés au milieu de la société même qui permet ces choses. Le sexe ne forme nul obstacle à ces odieux examens.

« L’heure de la vente arrivée, un très bel homme âgé d’environ 20 ans monta sur la plateforme. Après quelques enchères, on le fit descendre de la plate-forme et marcher à travers la salle. On examina ses dents, sa bouche, on le fit marcher plusieurs fois pour voir l’action des muscles, et il fut vendu au prix de $1550. Après lui vint une très belle fille qui fut aussi minutieusement examinée et vendue pour $1750.

« J’avais le cœur malade en sortant de cet abominable lieu. Peu de jours auparavant j’avais eu le malheur d’être témoin d’un affreux accident, dans lequel deux hommes avaient été écrasés sous un éboulement de roches. J’avais vu leurs corps mutilés et en lambeaux retirés des décombres ; j’avais entendu les gémissements de leurs femmes et de leurs enfants, et j’espère bien ne jamais être de nouveau témoin d’une pareille scène. Mais ce que j’ai vu à cette salle d’encan était plus horrible encore. J’aimerais cent fois mieux voir enterrer chacun de mes amis que de les voir monter sur le billot de l’encanteur.

«… ! Des personnes qui n’avaient aucun motif de me tromper m’ont assuré qu’il n’était que trop notoire que beaucoup de gens venaient ici vendre leur propre sang. Le fait est que plusieurs y vendent non-seulement leurs filles, mais chose horrible à dire, les enfants de leurs filles dont ils sont les pères. Tels sont les effets abrutissants de l’esclavage !! »[15]

Messieurs, ces choses sont si abominables que bien des personnes se refusent absolument à les croire. On ne peut en quelque sorte se persuader que la nature humaine puisse descendre aussi bas.

On me dira peut-être que ce correspondant de journal a pu charger le tableau pour produire de la sensation, pour exciter les passions politiques.

Plût au ciel, Messieurs, que ces récits fussent inexacts et que les seuls coupables, dans tout ce que vous venez d’entendre, fussent les auteurs de ces récits ; mais, Messieurs, il faut se rendre à l’évidence, il ne faut pas dire, quand les témoins sont irréprochables ; « je ne le croirais que si je l’avais vu, » car il est aussi déraisonnable de douter contre l’évidence que de croire trop légèrement, et vous avez au milieu de vous des hommes parfaitement véridiques qui ont vu tout ce que je viens de vous décrire et qui peuvent vous le confirmer point par point !

Mais au risque de vous déplaire, permettez moi encore quelques citations.

Un voyageur écrivait de Richmond :

« … Il y avait un lot d’esclaves qui me parut être une famille d’enfants particulièrement beaux et pleins de vivacité et de feu ; plusieurs garçons et une sœur. L’encanteur me dit qu’ils avaient été amenés là par un homme que l’on disait leur père. La fille avait à peu près 18 ans, les garçons 13, 14, 15, 16 et 17.

Le plus jeune des garçons fut vendu le premier au prix de $750. Les autres montèrent graduellement jusqu’à $1325. Les acheteurs tâtaient leurs bras, leurs jambes, sondaient leurs côtes, examinaient leurs dents, et les déshabillaient, filles comme garçons, pour les mieux juger. On fit monter la sœur sur le billot. Elle était une des plus belles femmes que j’ai vues de ma vie. « L’assistant souleva ses habits pour montrer ses formes. Alors l’encanteur lui dit de lever les yeux et commença l’enchère. « Messieurs, voici un échantillon de choix, une belle fille, garantie saine sous tous rapports ; titre parfait ; couturière de première classe et menaçant de devenir magnifiquement féconde ! Qu’offrez-vous Messieurs ? J’entends $1000, Mille piastres seulement sont offertes pour ce superbe article de propriété. »

« Ici un des spectateurs du fond de la salle dit à l’encanteur de lui envoyer cette fille. « Marche légèrement » lui dit celui-ci en l’envoyant. Arrivée au Monsieur qui voulait la voir de plus près, celui-ci la fit tourner sur elle-même, lui dit de montrer ses dents, écarta ses lèvres avec ses doigts, l’examina ensuite minutieusement de la tête aux pieds, lui fit plusieurs questions et la renvoya. Elle fut vendue pour $1675.

Je trouve dans une lettre écrite de Columbia, C. S. le passage que voici :

« La victime suivante fut une jeune fille de dix-huit ans, de teint olivâtre, jolie et ayant des yeux doux et lustrés. Son propriétaire que l’on s’accordait à regarder comme son père,[16] lui ôta sa coiffure pour mieux faire juger son expression, et quand elle la remit il la lui ôta de nouveau. Tout en la faisant apprécier à l’auditoire, il en appelait tant de la parole que du geste aux plus brutales passions de la foule. Elle serrait sur son sein un enfant au teint blond et aux yeux bleus qui n’avait que trois mois et était fils du propriétaire et père de cette esclave…

« Les larmes tremblaient au bord des paupières de cette pauvre fille et à chaque parole licencieuse ou obscène elle jetait un regard de commisération sur l’encanteur et sur la foule d’où partaient de bruyants éclats de rire.

« Elle fut adjugée à Frère Foster, vieillard de 65 ans à figure bestiale. Quand elle descendit les degrés du palais de justice, elle regarda son enfant avec amour et le pressa sur elle-même, ce qui lui attira de la part de l’encanteur cette remarque atroce : « Voilà un enfant qui n’incommodera pas longtemps son acheteur. »

« Je retournai chez moi moralement accablé de ce chaos d’horreurs !

N’allez pas croire, Messieurs, que je prétende le moins du monde que ces inqualifiables scènes fussent générales, fussent même très communes sous le systême. Je sais bien que ce sont là des cas rares et extrêmes qui n’arrivaient que de loin en loin et dont les honnêtes gens frémissaient ! Mais quand la loi les autorisait, j’ai pleinement le droit d’en conclure que cette effroyable démoralisation lui était due ; que c’était la loi qui démoralisait le peuple !  ! Et qui faisait la loi sous laquelle ces infamies ne pouvaient être punies ? Le pouvoir esclave ! Qui supportait le pouvoir esclave ? Le parti démocrate du Nord sans lequel le pouvoir esclave n’eût pu dominer dix ans dans les États-Unis !

Je ne veux certes pas dire non plus que tous les planteurs, que tous les propriétaires d’esclaves fussent coupables de ces crimes contre nature, car la chose serait absurde. Ce n’est certes pas moi qui nierai la moralité, les sentiments d’humanité, de droiture, d’honneur, les habitudes de bienséance et de bon ton de beaucoup de planteurs. Un grand nombre d’entre-eux n’auraient sans aucun doute jamais pu descendre à cette profondeur de vice, à ce cynisme de mœurs dont la classe dégradée, au Sud, nous offrait le pénible et malheureux exemple ; mais de ce que nombre de planteurs pouvaient être personnellement irréprochables, il ne faut pas conclure que tout le monde fût comme eux ! De ce que bon nombre de planteurs étaient de véritables types de bon ton et de grandes manières, il ne faut pas conclure que la masse leur ressemblât. Il y avait au Sud, comme je vous le disais il y a un instant, ce que les planteurs eux mêmes appelaient le white thrash, la tourbe blanche, qui formait une classe tout aussi opprimée, quoique sous une forme différente, et tout aussi dégradée, quoiqu’avec certaines variantes, que la race noire.

Mais quoiqu’on puisse dire en toute certitude que dans la haute classe chez les planteurs on trouvait à peu près autant de moralité personnelle que dans les classes analogues dans les autres pays, il n’en reste pas moins vrai que les planteurs connaissaient les mauvais côtés de l’esclavage, ses immoralités, ses cruautés, ses iniquités de tout genre, et qu’au lieu d’essayer de corriger le système ils ne reculaient devant aucun moyen pour le maintenir tel qu’il était, et le perpétuer, et l’étendre partout. Les planteurs, en autant que parti politique, en tant qu’influences sociales s’opposaient avec autant de détermination et d’entêtement à toute réforme du système qu’à son abolition.

Quand on voyait des avertissements comme les deux suivants publiés dans les journaux, comment se fait-il qu’avec leur esprit de régularité de conduite qu’on nous vante tant ; qu’avec le sentiment si développé des convenances sociales qu’on prétend se trouver à un si haut degré chez eux, comment se fait-il que non-seulement ils ne souffraient pas la moindre protestation publique ou privée contre de pareilles immoralités, mais qu’ils empêchaient même les clergés de toutes dénominations de les flétrir du haut de la chaire ?

Voyez l’avertissement suivant :

« Le même jour, et au même lieu, je louerai quinze ou vingt jolies esclaves aux plus hauts enchérisseurs : quelques-unes d’entre elles sont d’excellentes servantes. »

S’il ne s’était agi que de servantes esclaves ordinaires pourquoi se serait-on donné la peine de fixer particulièrement l’attention sur le fait qu’elles étaient jolies ?

Voyez cet autre, tirée du Charleston Mercury.

« À vendre : Une fille de 29 ans, élevée en Virginie, et ses deux enfants, l’un d’un an, l’autre de deux. La fille n’a jamais été malade. Ses enfants sont beaux et sains. Elle est extrêmement féconde et offre une magnifique occasion à celui qui désirerait élever une famille de nègres. »

Pensez-vous, Messieurs, que la moralité publique, que la pudeur des femmes blanches ne fussent nullement affectées par un avertissement de cette nature qui, par le journal, arrivait dans toutes les familles ? Était-il bien moral, bien décent, bien séant, de vanter ainsi la fécondité d’une fille ? Cette manière de traiter des êtres humains exactement comme nous traitons ici les animaux était-elle bien propre à relever le moral d’une population ? Et cette incroyable habitude n’était pas seulement le fait de la plus basse classe, les hommes les mieux posés en faisaient autant.

Je tiens d’un de mes amis intimes, qui voyageait dans le Kentucky, il y a quelques années, en compagnie de planteurs du meilleur ton, qu’en déjeunant un matin avec ses compagnons de voyage, il survint une connaissance de ceux-ci qui se mit à table avec eux. Cet individu avait un magnifique nègre. L’un des premiers avait aussi une négresse remarquablement grande et belle. Les deux maîtres remarquèrent la beauté des deux échantillons, comme on disait au Sud, et tout à coup l’un d’eux dit à l’autre : « Dites-donc, si nous les mettions ensemble !… » — Mais sans doute dit l’autre, quel beau nègre cela ferait ! !

— Mais, observa timidement mon ami — de l’assertion duquel, si je vous le nommais, vous ne douteriez pas un instant — mais c’est affreux cela !

— Bah ! bah ! disent les deux autres en riant à gorge déployée, des nègres !  ! Mais d’où venez-vous donc ?

Eh bien, voilà comme on faisait cas de la moralité d’êtres humains que l’on baptisait !

Tout, dans le système, tendait à corrompre la population sans ressources ! Était-ce par exemple la contemplation habituelle, journalière, des femmes exposées nues qui pouvait rendre la canaille meilleure ? Cela seul, au contraire, ne devait-il pas faire tomber beaucoup d’honnêtes gens à son niveau ? Était-ce l’habitude de fouetter publiquement des femmes nues qui pouvait rendre les mœurs plus douces ou corriger les passions inavouables de la partie même la plus honnête de la population ? Que devait-ce être de la plèbe, du White thrash, comme disaient les planteurs ?

Eh bien ces planteurs qui faisaient les lois dans les États du Sud, et qui faisaient la loi dans le Nord au moyen des démocrates qui en retour administraient le patronage du gouvernement, ces planteurs ont-ils jamais essayer de réformer le système même dans ce qu’il avait de plus infâme, la prostitution imposée par un père à ses propres enfants ? Jamais ! Ce sont les planteurs, et les planteurs seuls, je ne puis assez le redire, qui viennent de faire massacrer 500,000 hommes et de causer tant de misères et de ruines dans le Sud, pour la seule satisfaction de leur égoïsme, pour l’extension et la perpétuation indéfinie de cette institution que je ne crains pas de qualifier de maudite !

Messieurs, de peur que vous ne soyez disposés à douter de la rigoureuse exactitude des renseignements que je vous ai donnés ce soir, vu que vous n’avez pas tous de moyen facile de constater la compétence ou l’honnêteté des auteurs des récits que je vous ai lus, j’a cru devoir réserver pour la fin de cette lecture deux faits relatés, l’un par un homme qui vit au milieu de nous aujourd’hui et de qui je le tiens ; l’autre par un homme qui a vécu longtemps dans le Sud, qui y était allé partisan de l’esclavage et qui, après six ans de séjour parmi les planteurs, écrivait en 1859 à son frère demeurant à Boston, la lettre dont je vais vous lire un extrait que celui-ci a bien voulu me permettre de copier. Voilà deux preuves directes, irrécusables, qui vont vous confirmer tout ce que je vous ai dit.

Le premier de ces deux témoins, qui a vécu plusieurs années au Sud, à Charleston même, ce foyer constant de rébellion, d’anarchie, d’intolérance, de mœurs brutales, et en même temps de la plus grossière immoralité du système de l’esclavage, me disait ces jours derniers même, avoir assisté à une vente d’esclave dans laquelle il avait remarqué le fait suivant.

Une esclave parfaitement blanche et d’une beauté tout-à-fait hors ligne fut amenée dans la salle d’encan.

Son maître la vendait parce qu’il craignait toujours qu’elle ne fut enlevée, quand elle sortait, à cause de sa merveilleuse beauté, et qu’il ne voulait pas s’exposer à perdre la très ronde somme qu’elle pouvait lui rapporter.

Sur l’estrade sur laquelle était l’encanteur avait été placé un trépied tournant. Cette fille fut déshabillée en présence de la foule et on la fit monter sur le trépied que l’on fit tourner pour la mieux faire voir.

Les acheteurs venaient palper ses membres sous prétexte de juger de la souplesse des muscles et la pauvre fille était là, abymée de honte sous ces brutales caresses. L’enchère dura longtemps et elle fut adjugée pour la somme de $3000 à un vieillard de 75 ans !

Cette fille avait été bien élevée et avait reçu une bonne éducation, c’est-à-dire qu’on l’avait préparée à ressentir bien plus profondément encore l’horrible dégradation à laquelle on devait la soumettre un jour.

Franchement, Messieurs, la cause du Sud, cause de l’esclavage, cause de l’immoralité sous toutes ses formes les plus brutales et les plus cruelles, mérite-t-elle bien les sympathies qu’on lui donne ici, que des gens très sincèrement religieux manifestent constamment en sa faveur ?

On me rappellera peut-être que j’ai dit précédemment que la loi défendait de donner de l’éducation aux esclaves. Messieurs, les planteurs avaient toujours, dans leur odieux système, deux poids et deux mesures. Nul doute qu’un pauvre noir qui eût voulu donner de l’éducation à son enfant n’eût reçu sans miséricorde les 39 coups de fouet imposés par la loi ; mais un planteur était toujours au-dessus des lois parce qu’elles étaient invariablement faites ou appliquées par d’autres planteurs. Celui qui avait un certificat suffisant d’orthodoxie à l’endroit du système pouvait impunément violer la loi. Une fille aussi parfaitement blanche que celle dont je vous parle était nécessairement fille d’un blanc. Celui-ci l’avait fait élever et instruire avec ses propres enfants légitimes ; cela se voyait tous les jours dans cette étrange société. Les enfants illégitimes partageaient très souvent la table et les jeux des enfants légitimes de la maison. La familiarité ne cessait qu’à un certain âge, et on la faisait le plus souvent cesser en vendant ceux dont le père devait tôt ou tard être forcé de rougir.

Voici maintenant l’extrait de lettre dont je vous parlais il y a un instant. J’ai connu assez intimement le Monsieur auquel elle a été adressée par son frère qui écrivait de Charleston en 1859.

(Traduction,)
Charleston, 14 mars 1859

Mon cher frère.

« Si je n’avais pas été depuis longtemps décidé de laisser cette terre d’abominations pour retourner dans le vieux Massachusetts, cet heureux pays de l’abolitionnisme et de la vraie liberté, il eût certainement suffi des horribles scènes dont j’ai été témoin hier pour assurer mon départ prochain de cette ville dépravée. Je t’écris sous l’impression toute fraîche des choses infâmes que j’ai vues de mes yeux et qui me font encore me demander si je ne les ai pas rêvées. Dans tous les cas je n’ai pu les rêver cette nuit car je n’ai pas fermé l’œil.

« Non, il n’est pas possible que cette société sans Dieu comme sans pudeur ne reçoive pas bientôt quelque rétribution terrible !

« Je dis société sans Dieu, mais cela ne signifie pas qu’elle ne se donne pas extérieurement l’apparence d’y croire sincèrement, d’ailleurs le nombre de ses églises en ferait foi ; seulement je trouve que c’est une singulière manière de croire à Dieu que de commettre des abominations sans nom, de savoir qu’elles sont le pain quotidien de la population, et de n’en être que plus entêté dans la défense de l’institution qui en est la seule cause ! Non tous ces gens que je vois ici fréquenter les églises et s’y prosterner devant Dieu, ne croient sincèrement rien de ce que leurs lèvres prononcent. Sépulcres blanchis… chaque prière qu’ils marmottent au ciel est une impiété comme disait autrefois notre honnête John Jay.

« J’ai comme un pressentiment que la mesure est comble et prête à déborder. Comment s’exercera le châtiment, voilà ce que nul ne peut dire encore, mais en vérité il est temps qu’il arrive.

« Ce que j’a vu le voici, et je te l’écris comme je l’ai vu sans rien ajouter ni retrancher.

« L, que tu as vu une fois à New-York, m’ayant informé qu’il allait se faire une vente privée de quarteronnes, et qu’on les disait très belles, je lui demandai ce que signifiait cette vente privée.

— « Oh, me dit-il, le trafiquant a témoigné le désir que la vente n’eût pas lieu dans les salles d’encan ordinaires afin d’éviter la présence du White thrash, et on a envoyé des circulaires à des personnes connues. Il n’y aura là qu’une réunion de choix, car on n’entre qu’avec la circulaire ou une carte envoyée à chacune des personnes qui l’ont reçue. Si vous-voulez ma carte la voici. » J’acceptai pour voir s’il y aurait beaucoup de différence entre une vente à huis-clos et les ventes publiques ordinaires.

« À l’heure annoncée, L vint me prendre et nous nous rendîmes à la maison de pension du trafiquant.

« On nous fit entrer dans un fort beau salon où se trouvaient déjà réunies une trentaine de longues bourses.

« Il était près de neuf heures quand une porte s’ouvrit et deux noirs vinrent fixer sur le plancher deux trépieds tournants presqu’entièrement dorés.

« Quelques minutes après le trafiquant entra avec une belle mulâtresse, au teint légèrement olivâtre, mais très clair, avec de grands yeux bruns et une superbe chevelure. Il nous fit son histoire, nous dit qu’elle venait de Fayetteville C. N. qu’elle avait 21 ans et n’avait eu qu’un enfant. « C’est une parfaite femme de charge, dit-il, et elle peut conduire, comme le meilleur homme d’affaires, une maison considérable.

« Voyez, ajouta-t-il, s’il y aurait un abolitionniste au monde qui tiendrait devant une pareille femme ! »

« Un des assistants demanda si on la garantissait sans défauts corporels.

— Sans doute, Messieurs, répondit le trafiquant, et d’ailleurs elle est là, vous pouvez l’examiner. Cinq ou six des assistants s’avancèrent et le trafiquant commença à la déshabiller.

« En une demie minute elle se trouva complètement nue. Il la fit monter sur l’un des trépieds tournants, et l’un des noirs dont j’ai parlé le fit tourner lentement. Alors l’enchère commença et fut très animée. Elle fut adjugée à un planteur de l’ouest de l’état au prix de $2800. Son maître l’aida à s’habiller et l’emmena de suite.

« Le trafiquant sortit après avoir reçu son check et revint au bout de deux minutes avec une autre mulâtresse petite, mais admirablement formée. Les mêmes procédés eurent lieu, mais celle-ci, en conséquence d’une légère déformation de l’épine dorsale, ne fut vendue que $1000.

Le trafiquant alla alors dans l’appartement du fond et y resta un peu de temps. On l’entendit parler un peu fort, puis il rentra tenant par la main une grande et magnifique femme, parfaitement blanche, derrière laquelle marchait une fille plus belle encore et d’un teint réellement éblouissant. Ses yeux étaient bleus et ses cheveux noirs. Je dois dire que je n’ai jamais vu une plus admirable figure.

« Les deux femmes tenaient leur tête baissée et paraissaient avoir pleuré.

« Messieurs, dit le trafiquant, regardez ces deux superbes échantillons ! Voici deux filles d’une valeur exceptionnelle non-seulement à cause de toutes leurs beautés visibles et cachées, mais aussi à cause de l’excellente éducation qu’elles ont reçue. Celle-ci est la mère de celle là. Elle a 31 ans et la fille 16. Leur maître, qui les aimait beaucoup, les a fait élever avec tout le soin possible. Elles viennent toutes deux de la Virginie. Sans des revers de fortune leur excellent maître n’eut jamais pu se décider à s’en séparer. Voyez leurs mains, Messieurs, elles n’ont jamais fait de travail pénible et leur maître les a élevées plutôt comme ses propres enfants que comme des esclaves. Ce n’est pas une fois en dix ans, Messieurs, qu’un homme d’affaires a le bonheur de pouvoir offrir de pareils trésors à une assemblée aussi distinguée. Messieurs, vous conviendrez avec moi qu’un galant homme, bien posé dans le monde, ne saurait se passer de ce très agréable genre de propriété. »

— Lilly, mettez-vous au piano !

« La pauvre fille partit d’un air triste et joua un morceau d’une manière tout-à-fait artistique, mais elle semblait accablée d’émotion et de tristesse. Quand elle eut fini le trafiquant dit à toutes les deux : «  Maintenant vous allez ôter vos habits, car il faut que ces Messieurs sachent bien ce qu’ils achètent. Comme elles parurent n’avoir pas compris, le trafiquant s’approcha de la mère et commença sans façon à dégrafer sa robe ; mais elle le repoussa fortement et lui dit : « Jamais, tuez moi plutôt ! » Et sa voix tremblait encore plus de colère que d’émotion.

« Voyons, voyons, enfants, dit le marchand avec assez de douceur, vous savez bien qu’il faut que cela se fasse. D’ailleurs c’est une vente privée : il n’y a pas de canaille ici, et vous n’avez affaire qu’à de vrais gentlemen !  ! »

« Mais elles ne bougèrent pas. Alors le trafiquant appela ses deux aides noirs et comme la mère paraissait vouloir résister, il tira des profondeurs d’une poche de côté un fouet roulé d’a-peu-près dix-huit pouces de long. La jeune fille parût frémir de tout son corps et la mère se laissa faire. Quand celle-ci fut déshabillée on lui dit de monter sur l’un des trépieds, et comme elle hésitait, le trafiquant lui montra seulement du doigt le fouet qu’il avait placé sur un petit guéridon. Alors la pauvre femme monta, mais elle éclata en sanglots en disant : Quelle honte ! Quelle honte !  !

« Puis elle se cacha la figure avec ses mains, et l’assistant se mit à tourner le trépied. C’était une splendide créature.

« Mais la jeune fille s’était laissée tomber assise sur ses habits, sur le plancher. On lui dit de monter sur l’autre trépied. Mais elle paraissait être frappée de stupeur. Le trafiquant lui prit les deux mains pour la relever, mais elle se mit à sangloter si fort qu’il la laissa à elle-même quelques instants. Mais comme il ne voulait commencer l’enchère qu’avec ses deux femmes sur les trépieds, il la souleva, et lui dit durement : you must !  !

« La pauvre enfant se mit alors à genoux, n’ayant que ses deux bras pour se cacher, et elle éclata en gémissements et en supplications si poignantes que je sentais ma gorge se serrer. Sa merveilleuse beauté disparaissait à mes yeux devant l’infamie de ce trafiquant, et l’infamie bien plus grande encore de cet auditoire qui demeurait froid devant cette effroyable angoisse et qui dévorait des yeux ces deux pauvres victimes d’une institution infâme. J’aurais voulu pouvoir les exterminer tous. Je dis à mon ami : « Par Dieu, il faut nous interposer  ! Ceci est trop affreux ! ! »

— « Pas un mot ! ! me dit-il tout bas. Qu’allez-vous faire ? Vous n’empêcherez rien et on ne joue pas avec ces choses ici ! Si ces Messieurs vous savaient abolitioniste vous ne sortiriez peut-être pas en vie d’ici et tout retomberait sur moi. »

« Je fis donc un effort sur moi-même pour reprendre mon sang-froid.

« La jeune fille restait prosternée et sanglotait tout haut. Alors le trafiquant fit signe à un noir et à eux deux ils la placèrent debout sur le trépied inoccupé. Mais on la vit chanceler et elle tomba inanimée sur le trafiquant qui heureusement put la recevoir dans ses bras, et il la porta sur un sofa. Quatre ou cinq gentlemen s’en approchèrent et se convainquirent qu’elle avait perdu connaissance.

« Alors l’enchère commença sur la mère qui fut poussée jusqu’à la somme de $3200 et adjugée à un marchand de la ville. Pendant ce temps la jeune fille était revenue à elle-même et le trafiquant voulut la remettre sur le trépied, mais un assistant observa qu’elle paraissait avec tout autant d’avantage couchée sur le sofa ; et en effet elle était belle à ravir.

« Un grand demi-cercle se forma alors de manière à permettre à toute l’assistance de la voir à son aise et l’enchère commença. La pauvre enfant cachait sa figure avec ses deux mains, mais de temps en temps l’encanteur les lui soulevait un peu pour laisser voir ses traits. Je n’ai jamais vu de plus douce figure dans la Nouvelle-Angleterre.

« L’enchère dura à peu près une demie heure et elle fut finalement adjugée pour $4300 à un vieux satyre dont le rire lascif, quand il se l’entendit adjuger, s’est gravé pour toujours dans mon souvenir.

« Voilà, mon cher frère, les horreurs auxquelles j’ai assisté et je demanderai pardon à Dieu toute ma vie d’avoir pu un instant et avant de la connaître, me faire le défenseur de cette institution satanique. »

  1. Suppressed book about slavery.
  2. Suppressed book.
  3. Suppressed book.
  4. Suppressed book.
  5. Page 269.
  6. Réponse de l’association baptiste de la rivière Savannah.
  7. Suppressed book.
  8. Suppressed book.
  9. Suppressed book.
  10. Voilà, un mot dont je me sers quoiqu’il ne se trouve pas dans les dictionnaires français. Mais son usage est adopté ici et comme il n’a pas d’équivalent dans la langue française, car le mot commissaire-priseur n’est nullement la traduction exacte du mot Auctionneer, il finira nécessairement par être adopté comme des centaines d’autres mots dont on s’est moqué d’abord et qu’il a fallu finir par classer quand le public les a eu acceptés.

    Ce ne sont pas les faiseurs de dictionnaires qui font une langue ils ne font que la régulariser. Quand une idée n’a pas sa place dans les dictionnaires elle se la fait tôt ou tard. Et si l’Académie, au lieu de se laisser pousser et de s’arcbouter en quelque sorte contre le progrès de la langue, s’était vouée au contraire à l’activer tout en la dirigeant, nombre de mots de création récente eussent été peut-être plus rationnellement composés, ou plus euphoniques, ou mieux appropriés à l’idée qu’ils introduisaient dans la langue.

  11. Inside view of slavery.
  12. Rapport supplémentaire de James McKaye.
  13. Suppressed book.
  14. Suppressed book.
  15. Suppressed book.
  16. On peut sans doute dire que les mots « l’on s’accordait » ne constituent pas réellement une preuve. Cela est vrai. Mais quand un blanc venait vendre des enfants olivâtres ou même tout-à-fait blancs, il était parfaitement certain qu’ils n’étaient pas les enfants d’un noir ! On a pu sans doute attribuer inexactement certaines paternités, mais souvent aussi on devait tomber juste.

    Ainsi quand un homme vendait des enfants blancs qui lui ressemblaient, il était difficile de porter la bonne volonté jusqu’à supposer qu’un autre fût leur père. Quand on voyait un homme vendre des enfants jaunes ou blancs qui avaient été élevés chez lui on avait la certitude morale, sinon légale, qu’ils étaient ses enfants.