La Grande Morale/Livre I/Chapitre 6

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CHAPITRE VI.

§ 1. L’excès et le défaut ne sont pas d’ailleurs les seules limites qu’on puisse donner à la vertu ; on peut la limiter et la déterminer encore par la douleur et le plaisir. Souvent c’est le plaisir qui nous pousse au mal, comme la douleur nous empêche souvent de faire le bien ; en un mot, on ne saurait trouver en aucun cas, ni la vertu, ni le vice, sans qu’il n’y ait en même temps peine ou plaisir.

§ 2. Ainsi, la vertu se rapporte aux plaisirs et aux douleurs ; et voici d’où la vertu morale tire le nom qui la désigne, si toutefois l’on peut prétendre dans la lettre même d’un mot découvrir la vérité, et y trouver ce qu’elle est réellement, moyen qui peut-être n’est pas plus mauvais qu'un autre. Le moral, qui se dit dans la langue grecque éthos, par un é long, est ainsi dénommé de l'habitude qui se dit éthos, par un é bref ; et la morale, éthiké, ne s'appelle ainsi en grec que parce qu'elle résulte d'habitudes ou de moeurs, éthidzesthai.

§ 3. Ceci doit encore nous montrer clairement qu'aucune des vertus de la partie irraisonnable de l'âme ne nous est innée par l'action seule de la nature. Il n'y a pas une chose de nature qui puisse, par l'habitude, devenir autre qu'elle n'est. Ainsi, par exemple, la pierre et en général tous les corps pesants, tous les graves sont naturellement portés en bas. On a donc beau jeter une pierre en l'air et l'habituer en quelque sorte à y monter, elle n'ira pas pour cela jamais d'elle même en haut; elle ira toujours en bas. Et de même pour tous les autres cas de ce genre. [modifier] Chapitre 7

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