La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 21




Chapitre XXI.


Influence bienfaisante des forces perturbatrices dans la production des veines métallifères[1].


Un autre effet des forces perturbatrices sur l’écorce du globe, ç’a été d’y produire des déchiremens ou fissures dans les roches qui ont été soumises à leurs actions violentes, et de les convertir ainsi en des réservoirs où se sont rassemblés les minerais métalliques, à la portée des efforts de l’homme. La plus grande partie des veines métallifères prend son origine dans des fentes et des crevasses énormes qui descendent irrégulièrement et obliquement à des profondeurs inconnues et qui ressemblent aux déchiremens et aux fentes qui se produisent de nos jours par l’action des tremblemens de terre. On comprendra facilement la disposition générale des veines métalliques dans ces fentes étroites, en jetant les yeux sur notre première planche[2]. Les lignes minces qui traversent obliquement cette coupe depuis le point le plus bas jusqu’à la partie supérieure, font voir comment les terrains des diverses époques sont coupés par des fissures, où se sont entassées, comme dans des magasins, d’immenses richesses minérales. Ces fissures sont plus ou moins remplies de minerais métallifères et terreux de diverses formes qui s’y sont déposés par couches successives et se correspondant souvent sur les faces opposées de la veine.

Des veines métalliques se montrent très fréquemment dans des roches de la série primaire et de la série de transition, et surtout dans ces portions basses des roches stratifiées qui se rapprochent le plus des roches cristallines non stratifiées. On en trouve rarement dans les formations secondaires et plus rarement encore dans les couches tertiaires[3].

Quelques métaux se montrent, mais rarement, disséminés dans la substance même des roches. Ainsi l’étain se rencontre parfois disséminé dans le granite, et le cuivre dans le schiste cuivreux de la base du Hartz à Mansfeld, etc.

La plupart et les plus riches des veines métalliques du Cornouailles, ainsi que celles d’un grand nombre d’autres districts métallifères, se trouvent près du point de jonction du granite avec les schistes qui le recouvrent. Elles varient en puissance depuis moins d’un pouce jusqu’à trente pieds et au delà ; mais l’épaisseur la plus ordinaire des veines, soit d’étain, soit de cuivre, dans cette contrée, est comprise entre un et trois pieds, et ces couches, d’une épaisseur moindre, contiennent un minerai plus dégagé de toute autre substance, et par conséquent d’une exploitation plus avantageuse[4].

On a proposé diverses hypothèses pour expliquer comment ces fissures au sein de roches solides ont été remplies de minerais métalliques en même temps que de substances terreuses, souvent différentes par leur nature de la roche qui les contient. Werner supposait que les substances qui y sont contenues y avaient pénétré d’en haut à l’état de solution aqueuse, tandis que Hutton, au contraire, et ses partisans, pensent que ce contenu y a été lancé d’en bas par injection, à l’état de fusion ignée. D’après une troisième hypothèse proposée tout récemment, les veines minérales auraient été remplies par un procédé de sublimation qui aurait transporté dans les ouvertures et dans les fissures des terrains divers les substances minérales soumises plus bas à une chaleur intense[5]. Dans une quatrième théorie on suppose que les veines ont été lentement remplies par ségrégation ou infiltration, soit dans des crevasses et dans des cavités contemporaines formées pendant la contraction et la consolidation des substances primitivement liquides des roches elles-mêmes, soit, ainsi qu’on l’observe le plus fréquemment, dans des fissures produites par la rupture et la dislocation des couches solides. Des ségrégations de cette nature pourraient avoir eu pour causes des actions électrochimiques continuées sans interruption pendant un laps de temps étendu[6].

Tous les métaux qui existent dans l’écorce terrestre, si l’on en excepte le fer, ne s’y trouvant qu’en quantités comparativement petites, en même temps qu’ils ont la plus haute valeur pour l’espèce humaine, puisque ce sont les principaux instrumens à l’aide desquels elle s’éloigne de l’état sauvage, il était de la plus haute importance qu’ils fussent disposés d’une manière qui les rendit accessibles à l’industrie humaine, et ce but est admirablement atteint par le mécanisme des filons métalliques.

Si les métaux avaient existé en grande quantité dans les terrains de toutes les formations, ils fussent devenus nuisibles à la végétation ; s’ils eussent été disséminés par petites quantités dans la substance même des couches, il en eût trop coûté pour les séparer de leur gangue. Mais toutes ces difficultés sont levées dans la disposition actuelle, où ces substances sont réunies çà et là dans les réservoirs naturels des veines métallifères.

Dans ma leçon inaugurale (page 12), j’ai dit comment un plan et des arrangemens créés dans des vues pleines de bienveillance nous sont attestés par l’établissement primitif de ces dépôts minéraux, par la disposition qui leur a été donnée, par les proportions relatives suivant lesquelles ils ont été répartis, par les mesures qui ont été prises pour les rendre accessibles, moyennant certaines dépenses, à l’industrie de l’homme, et pour les mettre en même temps à l’abri d’un gaspillage insensé et d’une destruction prenant sa cause dans les agens naturels, par la dispersion plus générale de ceux de ces métaux qui sont les plus importais, et par la rareté comparative de ceux qui le sont moins ; enfin dans les soins qui ont été pris pour mettre à notre portée les moyens de réduire à l’état métallique les minerais qui les renferment[7].

Toutefois les argumens que nous tirons de l’utilité de ces dispositions sont complètement indépendans du succès d’une ou de plusieurs des hypothèses que l’on a proposées pour en rendre compte. Quels que soient, en effet, les procédés qui ont rempli les veines minérales de leurs précieuses richesses ; que ce soit exclusivement par ségrégation ou par sublimation que ces métaux y ont été entassés, ou bien que ces deux méthodes y aient contribué, soit simultanément, soit consécutivement, l’existence même des filons n’en demeure pas moins un fait de la plus haute importance pour l’espèce humaine : et, bien que les bouleversemens ou les autres phénomènes auxquels ces filons doivent leur origine se soient accomplis à une époque de long-temps antérieure à la création de l’homme, la raison nous conduit à conclure qu’il dut entrer dans les desseins providentiels du Créateur, à l’époque où il déchaîna les forces physiques qui ont produit quelques uns des bouleversemens les plus anciens et les plus violens dont notre globe ait été le théâtre, un souci providentiel des besoins et du bien-être des créatures les plus parfaites qui dussent avoir la terre pour demeure, et qui devaient être appelées les dernières à prendre leur place à sa surface[8].


  1. P. 4. fig. k 1- k 21 et pl. 67, fig. 5.
  2. Fig. k-1-k 21.
  3. M. Dufresnoy a fait voir récemment que les mines d’hématite et de fer spathique des Pyrénées orientales, lesquelles se rencontrent dans des calcaires appartenant à trois âges différens, dans le calcaire de transition, dans le lias et dans la craie, sont toutes situées sur des points où ces calcaires se trouvent presque en contact avec le granite ; et il les regarde comme ayant probablement été remplies par la sublimation de la matière minérale dans l’intérieur des cavités des calcaires, à l’époque même où eut lieu le soulèvement du granite de ce point des Pyrénées, ou peu de temps après. Ce soulèvement s’accomplit à une époque postérieure au dépôt de la formation crétacée, et antérieure à celui des couches tertiaires. Ces calcaires ont tous pris des formes cristallines là où ils ont été en contact avec le granite ; et le fer y est sur certains points mêlé à des pyrites de cuivre et à une galène argentifère. — (Mémoire sur la position des mines de fer de la partie orientale des Pyrénees, 1834.)

    D’après les observations récentes de M. C. Darwin, le granite des Cordillères du Chili, près du col de Uspellata, qui constitue des pics d’une hauteur qui parait aller jusqu’à 14,000 pieds, était fluide à l’époque des périodes tertiaires ; et les couches tertiaires que la chaleur de cette masse en fusion a rendues cristallines, et qui sont traversées par des dykes de substance granitique, sont maintenant fortement inclinées, et constituent des lignes anticlinales régulières et compliquées.

    Les mêmes couches sédimentaires, ainsi que les laves, sont également traversées par de véritables veines très nombreuses de fer, de cuivre, d’arsenic, d’argent et d’or, que l’on peut suivre jusque dans le granite sous-jacent. — (Lond. and Edimb. Phil. Mag. niuv. série, t. 8, page 158.)

  4. La disposition que prennent les filons métalliques dans les terrains où ils sont renfermés se trouve exposée d’une manière remarquable dans le rapport géologique de M. Thomas, auquel sont jointes une carte et des coupes du district métallifère des environs de Redruth, le plus intéressant de tous les districts métallifères du Cornouailles. On y voit réunis sur une petite étendue les phénomènes les plus importans, tels que les filons métalliques, les glissemens de terrains, les entrecroisemens de filons, phénomènes dont chacun se manifeste jusqu’à une profondeur inconnue, et se continue sans interruption à travers des terrains d’âges différens. Nous avons extrait de cet ouvrage une coupe (pl. 67, fig. 5), qui offre un ensemble remarquable de veines produisant de l’étain, du cuivre et du plomb.

    L’exploration géologique du comté de Cornouailles, qu’exécute maintenant M. Delabèche, sous les auspices de l’Ordnance (le corps d’artillerie), nous fournira dans peu de temps des données précieuses sur ces sujets.

  5. M. Patterson a publié dans le London and Edinburgh Phil. magazine (mars 1829, page 172), le résultat des expériences à l’aide desquelles il est parvenu à produire un minerai de plomb ou galène artificielle dans un tube de terre dont la partie moyenne était portée à une haute température. Ayant fait passer de la vapeur d’eau sur une certaine quantité de galène placée dans le point le plus échauffé du tube, il vit que l’eau s’était décomposée, et que toute la galène s’était portée par sublimation de la partie la plus échauffée du tube dans la partie la plus froide, où elle s’était déposée sous forme de cubes ressemblant exactement au minerai primitif. Il ne s’était pas formé de plomb pur. Ce fait du dépôt de la galène à un état parfait de cristallisation, par suite du contact de sa vapeur avec la vapeur d’eau, nous conduit à cette conclusion importante que la galène peut, dans certaines circonstances, avoir rempli les filons minéraux par une sublimation venant d’en bas.

    Le docteur Daubeny a trouvé par une expérience récente que si l’on fait passer de la vapeur d’eau à travers de l’acide borique échauffé, la vapeur s’empare de l’acide et en entraîne une partie, bien que cette dernière substance ne soit pas volatile par elle-même. Cette expérience nous explique la sublimation de l’acide borique dans le cratère des volcans.

  6. Les observations de M. Fox sur les propriétés électro-magnétiques des filons métallifères du Cornouailles (Trans. Phil., 1830, etc.) paraissent devoir jeter de nouvelles lumières sur ce sujet obscur et difficile. D’un autre côté, les expériences de M. Becquerel sur la cristallisation artificielle de composés cristallins insolubles de cuivre, de plomb et de chaux, et d’autres substances, par la réaction et le transport lent et prolongé des élémens de composés solubles (Becquerel, Traité de l’électricité, t. 1, ch. 7, p. 547, 1834), paraissent expliquer plusieurs changemens chimiques qui se seraient effectués sous l’influence de courans électriques faibles dans le sein de la terre, et surtout dans les veines métalliques.

    Je dois à l’obligeance de M. le professeur Wheatstone le court exposé suivant des expériences dont il s’agit.

    « Lorsque deux corps, dont l’un est liquide, réagissent très faiblement l’un sur l’autre, la présence d’un troisième corps conducteur, ou dans lequel la capillarité remplace la conductibilité, fournit un passage a l’électricité résultant de l’action chimique, et un courant voltaïque s’établit, qui accroît l’énergie de l’action chimique des deux corps. Dans les actions chimiques ordinaires, les combinaisons s’effectuent par la réaction directe des corps les uns sur les autres, réaction par suite de laquelle tous leurs élémens constituans concourent à l’effet général, tandis que, dans le mode d’action étudié par Becquerel, les corps sont pris à l’état naissant, et l’on n’emploie que des forces excessivement faibles ; d’où il suit que les molécules, qui ne sont produites pour ainsi dire qu’une par une, sont, malgré leur insolubilité, disposées à prendre des formes régulières, parce que leur nombre n’apporte aucune perturbation dans leur arrangement. C’est en appliquant ces principes, et à l’aide de faibles courans électriques, que cet auteur a fait voir que l’on pouvait obtenir artificiellement plusieurs corps cristallisés que jusqu’ici l’on n’avait encore rencontrés que dans la nature. »

  7. Mon ami M. John Taylor m’a suggéré un autre argument déduit des phénomènes des mines, et qui tire une grande valeur de ce fait qu’il est le résultat de la longue expérience d’un homme versé dans la pratique aussi bien que dans la science.

    « Il est un argument, dit M. Taylor, qui m’a toujours fortement frappé, comme prouvant, d’après la position même des métaux, l’existence d’une sagesse et d’un plan rempli de bienfaisance. Les métaux sont en effet disposés de telle façon qu’ils sont mis à l’abri du gaspillage de l’imprévoyance, et qu’ils exercent en même temps au plus haut degré le génie de l’homme, d’abord par la difficulté de les découvrir, puis par la nécessité où il se trouve de vaincre les obstacles dont leur recherche est environnée.

    De là l’origine de bienfaits qui se continuent dans toute la durée des siècles ; de là des aiguillons pour l’industrie, et pour l’exercice des facultés de l’esprit qui sont pour nous la plus abondante source de bonheur. Si les métaux eussent été placés de façon à pouvoir être extraits sans peine, on en eût eu trop dans certaines circonstances, on en eût manqué dans d’autres ; et leur recherche n’eût exigé ni intelligence ni habileté.

    Dans l’état actuel des choses, ils me paraissent en accord complet avec les plans parfaits d’un créateur plein de sagesse, plans dont la vue et la contemplation nous procurent tant de jouissances. »

  8. Cette partie de l’histoire des métaux, qui a trait à leurs propriétés et à leurs usages divers, ainsi qu’à leurs rapports avec la condition physique de l’homme à la surface de la terre, a été exposée d’une manière si complète et avec tant d’habileté par deux des savans qui se sont associés à moi pour l’exécution de cette série de traités, que j’ai plus de plaisir à renvoyer mes lecteurs aux chapitres qu’ont écrits sur ce sujet le docteur Kidd et le docteur Prout, que je n’en aurais à remonter moi-même, dans l’histoire de la production des veines métallifères, jusqu’aux points où elles prennent leur origine dans l’intérieur du globe.

    Un des hommes qui ont écrit les premiers et avec le plus d’originalité sur la théologie physique, a résumé dans le peu de mots qui suivent l’importance des métaux pour l’humanité.

    « Quant aux métaux, ils sont à tant de titres utiles à l’espèce humaine, et leurs usages sont si bien connus de tout le monde, que ce serait peine superflue que d’en dire quelque chose. Sans eux en effet toute culture et toute civilisation seraient impossibles ; point de charrues ni d’agriculture, point de faux ni de récoltes, point de bêches ni de jardinage, point de serpette ni d’horticulture, point de greffe ni de culture des arbres, point d’ustensiles ni de meubles de ménage, point de maisons commodes ni d’édifices publics, point de vaisseaux ni de navigation. Quelle condition sauvage et misérable eût nécessairement été la nôtre ! C’est ce que nous pouvons facilement comprendre en voyant la condition des Indiens de l’Amérique du nord. Nous ferons seulement remarquer que, parmi ces métaux, ceux qui sont d’un usage plus fréquent et plus nécessaire, comme le fer, le cuivre et le plomb, sont ceux qui se rencontrent le plus fréquemment et en plus grande abondance : d’autres, qui sont plus rares, sont aussi d’un usage moins fréquent ; cependant ils sont, par cela même, utilisés comme mesure commune et comme terme de comparaison pour tous les besoins de la vie. C’est en effet avec ces métaux que se font les monnaies. Les peuples de toutes les nations civilisées de toutes les époques les ont employés à cet usage. — Ray. Wisdom of God in the création, 1re partie, 5e édition, 1709, page 110.