La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 20




Chapitre XX.


Preuves d’un plan dans les effets des forces perturbatrices sur les couches du globe.


Les preuves de l’action d’un Créateur plein de sagesse, de pouvoir et de bienveillance, que nous avons trouvées dans le règne animal et dans le règne végétal, reposent pour la plupart sur l’harmonie et la perfection des arrangemens que nous y avons rencontrés, et sur les mécanismes admirablement calculés pour leurs fins, dont l’existence s’est révélée à nous dans l’étude que nous avons faite des débris organisés du monde ancien.

Un argument d’une autre nature nous serait offert par l’ordre, la symétrie et la constance des formes cristallines qu’offrent les substances minérales inorganisées qui entrent dans la composition de notre globe. Et si nous venons à considérer les grands phénomènes géologiques qui se manifestent dans la disposition des couches et dans leurs divers accidens, nous verrons une troisième nature de preuves surgir des conditions dans lesquelles la terre se trouve placée, et qui ont été produites par l’action de forces perturbatrices que l’on pourrait croire jusqu’à un certain point avoir agi au hasard et sans loi.

Des phénomènes qui ont eu pour résultat de soulever, d’enfoncer la surface du globe, de l’incliner et de la tordre dans tous les sens, de la briser et de la disloquer, pourraient sembler au premier coup d’œil n’offrir que désordre et confusion. Mieux étudiés, ils nous démontrent l’existence d’un ordre, d’une méthode et d’un plan, jusque dans les actions de ces forces physiques les plus turbulentes et les plus puissantes parmi celles qui ont modifié l’état de la planète que nous habitons[1].

Nous avons déjà signalé dans nos chapitres IV et V quelques uns des résultats les plus importans de l’action de ces forces ; et notre coupe générale (pl. 1) fait voir de quel avantage elles ont été pour l’homme en soulevant, pour les convertir en des terres habitables, des couches de diverse nature qui ont été formées au fond, des anciennes mers, et en coupant la surface de ces terres par des plaines, des montagnes et des vallées différentes entre elles par leurs productions, et propres, suivant des conditions différentes, à être habitées par l’homme et par les tribus inférieures d’animaux terrestres.

Nous avons considéré dans notre chapitre précédent les avantages qui résultent pour nous de la disposition des couches carbonifères sous forme de bassins. Il nous reste à examiner d’autres avantages qui résultent encore d’autres dislocations de ces couches par suite de failles ou de fractures, dislocations d’une haute importance par les facilités qu’elles procurent pour l’exploitation des mines de houille ; et nous étendrons notre étude jusqu’aux effets plus généraux qu’ont produits des dislocations semblables dans d’autres couches où elles ont établi des sortes de réservoirs destinés à recevoir des minerais métalliques d’une grande valeur, et à régulariser l’écoulement des eaux de l’intérieur de la terre par l’intermédiaire des sources.

J’ai déjà fait observer ailleurs[2] que l’existence des failles, et la position inclinée que présentent d’ordinaire les couches dans les terrains houillers, sont des faits de la plus haute importance, parle voisinage plus ou moins étroit où elles placent par rapport à l’homme les substances minérales qui y sont contenues. Par suite de leur position inclinée, les couches de houille qui n’ont que peu d’épaisseur sont exploitées avec plus de facilité que si elles offraient une direction horizontale ; mais comme cette inclinaison des couches tend sans cesse à en faire descendre les extrémités les plus basses jusqu’à des profondeurs inaccessibles, on voit s’y interposer une série de failles dont le résultat est de disposer les portions qui constituent une même formation en une série correspondante de tables ou d’étages successifs, situés les uns à la suite de autres, et s’élevant continuellement de bas en haut, et depuis les points de dépression les plus profonds jusqu’à la surface[3]. Souvent un effet tout semblable est produit par des ondulations ou des sortes de torsions qui, outre les avantages de la position inclinée qu’elles donnent aux couches, ont celui de les tenir à peu de distance de la surface. La disposition en bassins qu’offrent si souvent les gisemens houillers tend à produire les mêmes conséquences bienfaisantes[4].

Mais un autre bienfait résulte encore de l’existence de ces failles ou fractures[5], sans lesquelles les trésors que contiennent plusieurs profondes et riches mines fussent demeurées inaccessibles à l’homme[6]. Si les schistes et le grès qui alternent avec la houille eussent été disposés en des couches continues et sans fractures, les eaux se fussent rassemblées, à la surface supérieure dans les excavations des couches poreuses du grès, en des masses qui eussent défié toutes les forces mécaniques que l’homme eût pu employer avec fruit pour effectuer l’épuisement des mines, tandis qu’il a suffi de ce système simple des failles pour que l’eau n’y puisse être admise qu’en quantités subordonnées à la puissance humaine. Par suite de cette disposition, les couches qui constituent un bassin houiller se trouvent partagées en masses ou nappes distinctes, irrégulières dans leurs formes et dans leurs dimensions, dont aucune ne se continue suivant un même plan dans tout un district de quelque étendue, et dont chacune est d’ordinaire séparée de celle qui en est la plus voisine par une digue d’argile imperméable qui remplit les fissures produites par la fracture de l’enveloppe terrestre dont les failles ont été la conséquence[7].

Supposons qu’une nappe épaisse de glace soit brisée en fragmens à contours irréguliers, et que ces fragmens viennent à se réunir de nouveau, après s’être inclinés irrégulièrement d’une faible quantité par rapport au plan de la masse primitive, ces fragmens de glace ainsi réunis nous offriront la même apparence extérieure qu’offrent les parties constituantes des masses brisées ou des nappes dont se composent, comme nous l’avons dit, les terrains houillers. La glace, qui se forme postérieurement et qui soude entre elles les différentes nappes, représente l’argile et les débris qui remplissent les failles, et isolent, comme par des sortes de cloisons ou de murs, ces portions adjacentes d’une même couche qui furent primitivement formées dans un seul plan continu, de la même manière que les nappes de glace auxquelles nous les avons comparées. C’est ainsi que chaque nappe ou table inclinée des terrains houillers est enfermée dans un système de murs plus ou moins verticaux, formés par une argile broyée provenue, à l’époque même où eurent lieu les fractures et les dislocations, des lits de schiste argileux de la même formation. Telle est l’origine de ces jointures et de ces séparations qui, bien qu’elles surviennent souvent à contre-temps au milieu du travail des mines et qu’elles en viennent arrêter brusquement les progrès, bien qu’elles jettent souvent le désordre dans les portions des couches qui se trouvent en contact immédiat avec elles, n’en sont pas moins, considérées dans l’ensemble de leurs résultats, la sauve-garde des exploitations et les digues à l’abri desquelles peuvent s’en exécuter tous les travaux[8].

Ces mêmes failles, outre l’obstacle qu’elles opposent à l’envahissement, par d’énormes quantités d’eau, de points où les inondations seraient des causes de grands dommages, nous rendent encore d’autres services de la plus grande importance, en s’emparant de ces mêmes eaux dans un but utile et les amenant à la surface où elles se déversent en une série de sources tout le long de la ligne suivie par la faille elle-même, révélant même souvent ainsi l’existence de la fracture située au dessous. Ce rôle important que jouent les failles dans l’hydraulique de notre globe, elles en sont en possession dans les terrains stratifiés de toutes les formations[9], et il est également probable que la plupart des sources qui sortent des terrains non stratifiés sont maintenues en activité par l’action des failles qui les traversent.

De semblables solutions de continuité dans les masses que forment les terrains primitifs, et dans ceux qui occupent l’intervalle compris entre ces terrains et la formation houillère, se montrent sur une grande étendue dans les exploitations des filons métalliques. Il arrive fréquemment qu’un filon est coupé brusquement par une faille ou par une fracture perpendiculaire à sa direction, et que les deux parties primitivement continues se trouvent séparées par un intervalle considérable. La fracture est ordinairement remplie par un mur d’argile qui tire probablement son origine du broiement des portions de roches qui ont été ainsi violemment séparées. Il existe des failles semblables dans les mines du Cornouailles où on les désigne sous le nom de flucan, et elles y rendent souvent les mêmes services que celles qui traversent les mines de charbon, en préservant les mineurs contre l’inondation, par une série de digues naturelles qui traversent les terrains suivant toutes les directions, et interrompent toute communication entre la masse au sein de laquelle les travaux ont lieu et les masses situées de l’autre côté du flucan ou de la digue[10].

Nous devons ajouter encore que les failles, dans une mine de houille, en interrompant la continuité des couches, de telle sorte que les bords des nappes brisées se trouvent appliqués contre des couches d’un schiste ou d’un grès non susceptible de s’enflammer, mettent à l’abri des ravages d’un incendie tout ce qui se trouve en dehors de la nappe même où l’incendie aurait commencé. Sans cette précaution, des gisemens de houille tout entiers pourraient être consumés et complètement détruits.

Après avoir contemplé cet ordre de choses si admirablement disposé pour procurer aux habitans de notre globe les matériaux propres à satisfaire leurs premiers besoins et à alimenter leur industrie, il nous est impossible d’attribuer tout l’honneur de ce merveilleux arrangement à l’action aveugle des causes fortuites. Il est dangereux sans doute d’invoquer trop tôt les causes finales ; mais, comme d’un autre côté dans plusieurs branches des sciences physiques, et plus particulièrement dans celles qui s’occupent de la matière organisée, nous connaissons mieux la fin de plusieurs arrangemens que nous ne connaissons les arrangemens eux mêmes, il serait assurément tout aussi peu philosophique de se refuser à admettre les causes finales quand l’ensemble général d’un phénomène et les témoignages qu’il fournit nous y conduisent sans effort, que de les invoquer gratuitement, alors que nous n’y serions conduits par aucune considération de cette nature. Nous pouvons donc à coup sûr nous croire autorisés à voir, dans les arrangemens géologiques décrits plus haut un système de sagesse et des dispositions pleines d’une bonté providentielle, ayant pour but de fournir aux besoins et au bien-être des créatures qui devaient peupler ce globe, où leur influence, qui s’est manifestée dès le premier instant de sa création, n’a pas cessé un seul instant pendant toute la durée des révolutions et des convulsions qui en ont successivement modifié la surface.



  1. « Malgré le désordre et le chaos apparent qui se montrent dans la construction de la croûte terrestre lorsque nous en contemplons la physionomie extérieure, les géologues ont souvent réussi à découvrir dans la place qu’occupent les masses stratifiées et dans leur arrangement une tendance vers les lois géométriques. Des lois semblables se reconnaissent aisément dans les phénomènes des lignes anticlinales, des failles, des fissures, des filons métallifères, etc. » Hopkin, Researches in physical Geology. Transactions de la société philosophique de Cambridge, t. 6, 1re partie, 1856.

    « Il est à peu près hors de doute, dit l’auteur d’un excellent article du Quaterly-Review (septembre 1826, p. 537), que les arrangemens les plus parfaits et les mieux ordonnés reconnaissent leur cause dans des tremblement de terre dont les actions se sont produites avec des degrés divers de violence et à des intervalles de temps divers, pendant une longue série de siècles. Cet ordre qui règne à la surface du globe, nous en sommes donc redevables à des forces qui n’ont été généralement regardées que comme des agens de ruine et de destruction, mais que de puissantes considérations nous montrent aujourd’hui comme n’ayant été par rapport au globe dans son état primitif, comme elles les ont peut-être encore dans l’état actuel, que les instrumens d’un renouvellement incessant. Il est prouvé par les effets de ces forces souterraines qu’elles sont soumises à des lois générales, et que ces lois reconnaissent leur principe dans une Sagesse et dans une Prévoyance infinies.

    Les causes d’un désordre apparent dans le système du monde, si nous venons à embrasser dans un seul coup d’œil leurs opérations pendant une longue série de siècles, nous apparaissent comme ayant eu pour résultat définitif une grande somme totale de bien, et comme ayant été subordonnées à des lois générales déterminées, utiles, nécessaires peut-être, pour que le globe parvint à un état habitable. » Ibid, p. 559.

  2. Leçon inaugurale, Oxford, 1819.
  3. Pl. 65, fig. 3, et pl. 66, fig. 2.
  4. Pl. 65, fig. 1, 2 et 5.
  5. Les failles, dit M. Conybeare, consistent dans des fissures qui traversent les couches, en s’étendant souvent à plusieurs milles de distance, et descendant à une profondeur que l’on n’a pu reconnaître que dans un très petit nombre de cas. Elles coïncident avec un abaissement des couches de l’un de leurs côtés, ou, ce qui revient au même, avec un exhaussement des couches de l’autre côté, de sorte qu’on est conduit à penser que la même force qui a déchiré ces roches a été cause que l’un des bords de l’ouverture ainsi produite dans la masse fracturée s’est soulevé, ou que le bord opposé s’est abaissé. Ordinairement les fissures sont remplies d’argile. Geology of England and Wales.
  6. Pl. 65, fig. 5, et pl. 66, fig. 2.
  7. Pl. 66, fig. 2, et pl. 1, fig. l, l1, l2, l3, l4, l5, l6, l7.
  8. Si une mine de houille où l’eau abonde, dit M. Buddle, n’était pas coupée par des dikes, l’exploitation en serait rendue impraticable, la masse tout entière des eaux qui y pourrait être contenue coulant sans interruption dans toutes les cavités qui peuvent s’y trouver. Les failles remplissent l’office des caissons que l’on emploie pour la construction des ponts, et partagent la houillère en des districts séparés les uns des autres. Lettre de M. John Buddle, ingénieur distingué et inspecteur des mines, à Newcastle, écrite au, révérend docteur Buchland, le 30 novembre 1831.

    En creusant les galeries d’une mine de houille, les mineurs évitent avec soin de s’approcher trop d’une faille, car ils savent que s’ils venaient à détruire cette barrière naturelle, une éruption des eaux qui sont amassées de l’autre côté, et l’inondation de leurs travaux, en seraient une conséquence fréquente.

    Vers l’an 1825, on creusa à Gosforth, aux environs de Newcastle, an puits de quatre-vingt-dix brasses du côté mouillé d’un dike, et ce puits se trouva tellement inondé que force fut de l’abandonner. Un autre puits fut entrepris du côté sec du même dike, à quelques mètres seulement du premier, et l’on y put descendre jusqu’à une profondeur de deux cents brasses sans avoir éprouvé aucun obstacle de la part des eaux.

    On construit parfois dans les mines de houilles des digues artificielles destinées à remplacer les barrières naturelles des dikes et des failles. M. Hutton en a construit dernièrement une de cette nature près de Manchester, dans le but d’arrêter l’eau qui descendait de la partie supérieure des couches poreuses dans la portion basse desquelles il exécutait ses excavations, et dont la continuité s’est trouvée ainsi interrompue.

  9. Pl. 69, fig. 2.
  10. « J’ai surtout pour objet de voir si l’arrangement des filons et les autres phénomènes analogues ne nous fournissent pas des preuves qu’ils ont été dirigés par un plan, et s’ils ne sont pas dans des connexions probables avec les autres phénomènes de notre globe.

    Les filons métallifères, et les veines de quarz, etc., semblent être des canaux destinés à la circulation des eaux et des vapeurs souterraines ; et les nombreuses veines d’argile, ou flucan courses, comme on les nomme dans le Cornouailles, qui les coupent et y sont quelquefois contenues, permettent ainsi le travail des exploitations à des profondeurs où sans ce secours tout travail de l’homme aurait été impraticable. » — R. W. Fox. On the mines of Cornwaltl', Phil. Traos. 1830, page 404.