La France républicaine et les femmes/10

F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 38-43).
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X



Rien ne peut donner à l’âme une force surnaturelle, une force par laquelle la vie même est peu en face du devoir ; rien plus que la pensée de l’éternel et de l’infini.

La vue constante des objets matériels fait que nous ne pouvons concevoir un être sans lui donner une forme ; de là l’idolâtrie, culte nécessaire à toute âme qui ne regarde pas assez haut.

Il faut que l’esprit soit développé par l’étude et là méditation, qu’il domine la matière pour se faire de Dieu une idée plus parfaite.

Le sentiment de son existence peut saisir l’homme si puissamment qu’un cri d’amour et d’effroi s’échappe involontairement de ses lèvres. Ainsi Voltaire, à la vue d’un panorama sublime, ne peut que tomber à genoux en s’écriant : « Mon Dieu, je crois en vous ! »

Il est donc possible qu’un esprit fini ait quelque idée de l’esprit infini.

Écoutez ! le soleil luit dans ce moment ; mettez entre votre visage et son disque radieux un voile transparent et supposez que jamais vous ne l’avez vu autrement.

Quoique son éclatante lumière soit tamisée, la faible partie qui traverse la trame du tissu suffit pour prouver que non-seulement le soleil existe, mais que cet astre est un foyer lumineux et calorifique.

De même le voile qui est entre notre âme et Dieu, la matière, laisse cependant arriver jusqu’à elle les rayons du foyer divin : rayons vivifiants, transformant sans cesse cette même matière, et dont l’action permanente produit ce que nous appelons œuvres de la nature.

Celui qui attribué à Dieu un sentiment de colère, de vengeance ou de partialité, déifie ses propres passions ; mais il n’a pas la moindre idée de Dieu. Il s’agenouille devant sa propre image, il perfectionne à son gré la perfection même, et veut que l’essence de la vie ait telle ou telle manière d’être, tandis que la raison n’en peut admettre qu’une : « Elle est. »

Dieu est donc absolument ; c’est l’être par excellence d’où naît tout ce qui vit : c’est « le Père, » selon la belle parole du Christ.

Vous n’avez besoin ni de longs discours, ni de livres savants pour enseigner Dieu à votre enfant. Les œuvres de la nature le lui montreront véritablement, tandis que les arguments des rhéteurs ne pourraient que le démontrer.

Emmenez-la hors de ces lieux où les hommes trafiquent, et considérez avec elle ce qui vous entoure.

Prenez ce frêle bourgeon qui croît là, tout près de vous, et maintenant, c’est lui qui va instruire l’enfant.

Déchirez avec précaution les délicates enveloppes qui le préservent du froid et de la pluie, qui le défendent contre l’insecte meurtrier. Voyez quel fin duvet l’enveloppe de toutes parts ! Le roitelet dort-il dans un nid plus chaud et plus soyeux ? Voyez ces écailles brillantes superposées si régulièrement, soudées avec tant de solidité qu’elles gardent plus sûrement le germe précieux que la triple enceinte des palais ne protège le rejeton des rois.

Touchez cette couche résineuse étendue sur toute la surface : jamais l’art des hommes n’a inventé de si imperméables vêtements.

La bise peut souffler, le ciel peut laisser fondre sur lui son nuage printanier, le faible bourgeon ne périra pas.

Dans quelques jours vous chercherez en vain les enveloppes protectrices autour du germe délicat ; désormais inutiles, elles ont disparu comme les bonnes fées des légendes, veillant tant que dure le danger, et le jeune rameau, ferme et vigoureux, s’élance hardiment dans les airs.

La cause de cette étonnante transformation, c’est ce mystère que nous appelons « Vie. »

Oui, le jeune rameau est vivant ; car la vie, c’est l’affirmation de l’être, et il s’affirme par la croissance et la reproduction.

La vie circule en lui et elle circule partout sans interruption ; la mort, est un mot indiquant tel état de la matière subissant une nouvelle métamorphose ; mais nul atome matériel ne pouvant disparaître, il ne peut signifier anéantissement.

Le jeune rameau a donc la vie : dans ses vaisseaux le sang va et vient comme le sang dans les artères et les veines de l’homme ; comme chez lui deux appareils l’élaborent sans cesse, mus par les organes, de nutrition et de respiration : les racines et les feuilles.

Une telle série de phénomènes indique une prédestination. Etre, doué d’une vie inférieure, la plante doit concourir à l’œuvre divine, selon le degré de perfection qui lui a été départi.

Qui peut dire les prodiges qu’elle opère pour atteindre sa fin, la transmission de la vie ?

Esclave attachée à la glèbe, elle brise la tige qui la retient au fond des eaux, et donne sa vie pour un instant de liberté.

Captive, elle fuit sa prison ; collée à l’aile diaphane l’abeille, elle fend les airs, plus rapide que l’hirondelle, jusqu’à ce que sa compagne aérienne la dépose dans le sanctuaire, qui, pour la recevoir, emprunte à la lumière ses plus délicates nuances, exhale dans l’air ses plus suaves parfums.