La France républicaine et les femmes/08

F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 33-36).
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VIII



J’ai vu des hommes passer de longs jours à dresser leurs chiens pour la chasse, suivre avez une sorte de tendresse le développement de l’instinct chez leurs chevaux, et se reposer entièrement sur des étrangers pour l’éducation de leur fille. Ensuite ils s’étonnaient que l’arbre ne produisît pas les fruits qu’ils voulaient récolter.

Vous vous préoccupez de bien des choses, ô pères de famille ! vous cherchez le moyen de réveiller le patriotisme et d’affermir le désir du bien public : commencez donc par regarder autour de vous, afin d’écarter de votre maison ce qui est nuisible, et de maintenir ce qui est bon, c’est-à-dire vrai. Alors seulement vous pourrez sans danger songer à étendre votre action bienfaisante sur vos frères. Il y en a au milieu de vous qui sont assez soucieux de vos intérêts pour cultiver le champ que vous abandonnez.

Leur tendre sollicitude prend le petit agneau de vos bras, ils lui choisissent les pâturages, l’ombre et les ruisseaux, selon qu’il leur plaît ; et c’est dans leur bergerie qu’ils l’emmènent, et le petit agneau ne connaît d’autre voix que la leur… mais que vous importe !

Père indolent ! tu cherches à t’absoudre par de spécieux prétextes ; mais je sais qu’un jour, par crainte ou entraînement, tu as dit à ta jeune enfant qu’on appelait : « Va ! » Un guide l’a prise par la main pour lui montrer le chemin de la vie, et il l’a conduite pas à pas sans que tu aies tourné la tête pour regarder si la route était sûre. Toi, père de famille, tu n’as pas trouvé de voix pour dire à ton enfant : « Ma fille, demeure, nous ne pouvons avoir qu’un peuple, et qu’un Dieu : il n’y a pas deux chemins pour ceux qui s’aiment… »

Le guide a marché et l’enfant avec lui ; il a posé la main sur son cœur, et, à chaque buisson épineux, à chaque bouquet d’églantines, il peut t’en dire les moindres pulsations… mais que t’importe !… De quel droit, du reste, viendrais-tu t’interposer entre l’homme divin et la vierge ? Qui lui a consacré ses soins, son intelligence et sa vie ? Retire-toi ! Vade rétro, Satanas ! Un sceau sanctifiant et Ineffaçable est gravé sur cette-jeune âme. Qu’y a-t-il de commun entre elle et toi, entre l’ange et L-excommunié ? Vade rétro, Satanas ! Tu as délaissé ta fille, une société sacrée l’a recueillie, instruite, élevée ; retire-toi ! ta fille ne t’appartient plus !

Tu te consoles présentement, car tu espères plus tard ébranler à ton gré sa foi ardente. Quel faux jugement as-tu conçu au sujet de ceux qui ont pétri son âme ? Va, parle et sois confondu ! Répète à ta fille ce qu’on a dit de plus amer contre ses précepteurs :

« Que celui à qui elle dévoile ses plus sécrètes pensées, qui ausculte son âme jusque dans ses plus intimes mystères, est soumis lui-même à toutes les misères de l’humanité ;

« Qu’il imite les mercenaires chassés à coups-de fouet du temple par le Christ ;

« Les Pharisiens, dont il disait au peuple : « Faites ce qu’ils vous disent ; mais ne faites pas ce qu’ils font. »

Dis cela, elle te répondra :

« Calomnie ! »

Poursuis, poursuis, afin de t’assurer toi-même de la puissance de la première éducation : dis-lui que ce Dieu auquel elle attribue des passions humaines est un faux Dieu, créé par l’homme à son image et modifié selon ses intérêts ; que son culte est une idolâtrie, qu’elle croit la Vierge plus dieu que Dieu même.

Prouve à ton enfant qu’on a frappé son esprit d’aveuglement et gonflé son cœur de superstitions, et qu’elle ne connaît ni « le Père, » annoncé par le Christ, ni le Christ lui-même. Affirme, l’Évangile en main, que la Vierge n’est point immaculée, et soutiens, appuyé sur l’histoire ecclésiastique, que le pape n’est point infaillible…

Homme audacieux et criminel, retiens enfin ta langue sacrilège ! Ta fille s’est détournée de toi avec horreur en criant : « Anathème ! »

Apprends donc que celui qui greffe l’arbre travaille pour lui et pour les siens.