Magasin d’Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901



CHAPITRE XIV


« Vintimille !… Vintimille !… Quarante minutes d’arrêt », criait l’employé en courant le long du train qui venait de stopper.

Mlle  Dorothée, toujours chargée de sa valise et du parasol café au lait, descendit hâtivement d’une voiture de première classe et grondant :

« Ah ! pécaïre, j’en ai assez ! les autres peuvent continuer leur route si cela les amuse… Pauvre Honoré, comment le trouver à présent ? Dites donc, mon brave, où faut-il s’adresser pour voir les victimes de l’accident ?

— Là-bas, dans la grande salle qui sert d’ambulance, répondit l’homme qu’elle interrogeait ; mais, passez d’abord au premier bureau à droite, on vous dira le nom des blessés.

— Merci, merci ! »

La tante Dor courut vers la porte indiquée et entra comme un ouragan, car son émotion grandissait. À sa demande, un employé plaça devant elle la longue feuille de papier où s’alignaient les noms des voyageurs que l’ambulance avait reçus ; mais elle eut beau lire et relire, celui qu’elle cherchait n’y était pas.

« Monsieur, dit-elle d’un ton sévère, votre liste est mal faite, je n’y vois pas le nom de M. Honoré Brial, de Grasse.

— Mais, madame, êtes-vous certaine que ce monsieur soit blessé ?

— Si, j’en suis sûre !… le journal de ce matin parlait d’un Grassois qui est au nombre des victimes, sans le nommer, c’est vrai ; mais ça ne peut être que mon cousin !… Je suis accourue pour le soigner ; il ferait beau voir que je me fusse dérangée pour rien !… oui ou non, savez-vous où il est ? »

L’employé fit un geste plein d’embarras.

« Madame, vous pouvez vous en assurer à l’ambulance, il ne reste plus que deux Anglais et des Italiens.

— Voilà un homme qui n’y entend rien !… Adressons-nous ailleurs, murmura Mlle  Lissac en tournant les talons… Ah ! mais je rêve tout éveillée ! »

Un train s’arrêtait à ce moment, les portières s’ouvraient, les voyageurs couraient déjà en tous sens et parmi eux ses yeux stupéfaits venaient de reconnaître M. Brial, plus frais et mieux portant que jamais !

« Honoré ! Honoré ! c’est bien toi, sans blessures, sans contusions. Ah ! quel bonheur ! s’écria-t-elle en se précipitant au-devant de lui avec des larmes de joie.

— D’où me viendraient-elles ces blessures ? Je n’étais pas, Dieu merci, dans le train de cette nuit… Mais, toi-même, ma bonne Dorothée, que t’est-il arrivé pour que je te rencontre ici ? s’exclama à son tour M. Brial. Tu es pâle d’émotion et la foule nous bouscule ; viens avec moi. »

Il prit le bras de sa cousine et, cinq minutes plus tard, ils étaient installés au buffet devant un breuvage réconfortant.

« À présent que te voilà plus calme, explique-moi comment tu as pu te décider à quitter ta bastide, reprit M. Honoré.

— Tu ferais mieux de me dire pourquoi tu as annoncé ton retour pour ce matin.

— L’ai-je vraiment fait ? Ai-je écrit jeudi au lieu de vendredi ?… Je ne m’en doutais pas, c’est une erreur et…

— Oui, oui, elle est jolie l’erreur, gronda Mlle  Lissac, incapable de se contenir davantage ; je croyais te trouver avec un ou deux membres en moins !… mais je vois que j’aurais pu rester tranquillement chez moi !… tu n’as pas besoin de mes soins.

— C’est donc par dévouement pour moi que tu as fait ce voyage ! s’écria M. Brial, très ému.

— Comment faire autrement ?… ta femme est très souffrante, nous lui avons caché l’accident ; Norbert, qui avait vu ta lettre et le journal, mourait d’inquiétude !… Ah ! cet affreux chemin de fer ! qu’il allait lentement… il me venait des idées terribles : j’avais peur de ne plus te voir vivant !

— Cela t’aurait donc fait un peu de peine ? »

La vieille demoiselle s’essuya les yeux :

« Ai-je la réputation d’une sans-cœur ?… Mais, à présent que je te sais en bonne santé, je peux m’en aller… bonsoir, Honoré !

— Ah ! non, c’est impossible ! tu ne me quitteras pas ainsi : puisque nous voici réunis, allons au télégraphe envoyer une dépêche rassurante là-bas ; nous dînerons ensuite et nous repartirons demain matin.

— Et la Foux-aux-Roses ?… tu l’oublies donc ?

— Je voudrais l’oublier, ma chère cousine », repartit M. Honoré avec douceur, et, franchement, c’est le parti que nous devrions prendre tous les deux.

— Quand tu reconnaîtras que ton père a fait tort au mien, nous ferons la paix.

— Dorothée, comment veux-tu qu’un fils accuse son père d’une aussi vilaine action ?… ton père se trompait… ils ont peut-être commis une erreur l’un et l’autre… Voyons, si tu me refuses la paix, accepte au moins une trêve jusqu’à demain ; dînons ensemble, nous parlerons de notre enfance, des bonnes parties d’autrefois… »

À ces dernières paroles, la tante Dor, qui s’apprêtait à s’éloigner, s’arrêta court :

« Une trêve ? fit-elle, les plus grands guerriers n’ont pas dédaigné les trêves ; on peut accepter cela sans se déshonorer. Donne-moi ton bras, cousin, et vite au télégraphe… en chemin, je te raconterai ce qui s’est passé ce matin. »

La dépêche consolatrice parcourut vite l’espace, et, le soir même, Raybaud, qui avait accompagné sa femme à la bastide Lissac, courut à Beau-Soleil porter l’heureuse nouvelle. Seuls, dans la salle à manger, les trois enfants achevaient leur repas. À la vue du papier bleu, Norbert s’était levé tout pâle :

« Lis sans crainte, mon cher garçon, tout va bien, il est sauvé ! s’écria le vieux marin, qui lui serrait les mains à les écraser, ton père n’était pas dans ce maudit train !… Ah ! bien, vas-tu te conduire en moussaillon ?… La joie l’étouffe, ajouta Raybaud en voyant son favori retomber sur sa chaise sans prononcer une parole.

— Qu’est-ce qui lui prend ?

— De quel train parles-tu ?… qui est sauvé ? demandèrent à la fois Marthe et Jacques, ne comprenant rien à cette scène.

— Je parle d’un train qui a déraillé la nuit dernière près de Vintimille ; Norbert croyait que votre père était dedans, blessé, peut-être mort !…

— Papa ! papa ! s’écria d’une voix déchirante Marthe, dont le visage s’inonda de larmes, pendant que Jacques éclatait en sanglots.

— Mais taisez-vous donc ! dit Norbert, qui reprenait son sang-froid, si mère vous entendait, cela lui ferait beaucoup de mal ; ma petite Marthe !… Jacquot !… puisqu’on vous assure qu’il est sauvé…

— Est-ce tout à fait sûr ? interrogea le gros Jacques en relevant la tête.

— Tout à fait, tiens, lis la dépêche qu’Irène a reçue », répondit Raybaud.

Il tendit le papier au petit homme, qui se tamponna les yeux avant de lire à haute voix :

« Honoré, bien portant, arrivé à Vintimille ; il s’était trompé de date dans sa lettre. Il n’a pas pris le train déraillé. Il embrasse ses chers enfants.

« Dorothée Lissac. »

« Qu’est-ce que la cousine vient faire là-dedans ? fit le garçonnet, dont les yeux arrondis par la surprise allaient de l’un à l’autre, pourquoi son nom au bas de la dépêche ?

— Apparemment parce que c’est elle qui l’a envoyée, répondit Norbert ; ne t’ai-je pas dit tantôt que Mlle  Dorothée est la meilleure et la plus dévouée des parentes ! »

En quelques paroles vives et émues il révéla aux deux enfants comment Bosque avait appris la catastrophe et le rôle de la vieille demoiselle dans ce terrible moment.

« Oh ! la bonne, bonne cousine ! dit Marthe en joignant les mains ; je voudrais avoir dix Foux-aux-Roses pour les lui offrir et lui prouver ma reconnaissance, qu’en dis-tu, Jacques ? »

Le jeune garçon, la tête baissée, semblait confondu :

« Je dis… je dis que c’est une chose bien étonnante… balbutia-t-il ; je croyais qu’elle détestait papa et nous tous… qu’elle serait même contente de nous faire du mal… Ainsi, la porte du pont fermé a été ouverte par elle ?…

— Oui, oui, pour venir plus tôt à mon secours, quand elle a vu que j’avais tant de chagrin ! » dit Norbert.

De nouveau il narra tous les détails de ce mémorable événement.

Marthe exultait, Raybaud s’attendrissait, Jacques gardait ses réflexions pour lui seul.

Ce fut une soirée de bénédiction, car, lorsque le vieux marin quitta Beau-Soleil, promettant de porter la dépêche à M. Ortiz dès le lendemain matin, Rousseline entra toute joyeuse dire que Mme  Brial dormait d’un sommeil paisible ; la garde assurait que c’était un excellent signe de guérison.

La prière du soir se ressentit de tant d’émotions douces et graves : avec un élan de reconnaissance les enfants remercièrent Dieu qui les avait préservés du plus grand des malheurs. Néanmoins, lorsque son frère et sa sœur furent paisiblement endormis, Jacques se retournait encore dans son lit ; il écoutait la respiration régulière de Norbert et murmurait avec de gros soupirs :

« Décidément, les idées de Philippe ne sont pas toujours bonnes !… pendant que nous nous réjouissions d’avoir enlevé la clef du pont, la cousine était partie pour nous… pour papa… si j’avais su !… mais quoi ! on ne trahit pas un camarade… surtout lorsqu’on a été presque son complice ! »

Le lendemain, dès le matin, Irène accourut à Beau-Soleil.

« Vite, lui cria Marthe, le facteur vient d’apporter une lettre de papa. »

Dans la salle de verdure, tous les enfants, Mme Francœur, Rousseline elle-même étaient rassemblés autour de Norbert :

« Ils arrivent à onze heures et demie, dit-il en parcourant les deux lignes contenues dans l’enveloppe, cela s’arrange parfaitement avec nos heures de cours, nous pourrons aller au-devant d’eux.

— Nous irons tous, reprit Mme Francœur, qui partageait la joie générale, je veux féliciter M. Brial de son heureux retour et exprimer à Mlle Dorothée mon admiration pour son courage ; elle et moi, nous apprécions mieux que personne le danger que l’on court en chemin de fer. »

À l’heure dite, la petite troupe piétinait d’impatience en attendant l’entrée en gare du train de Nice, et lorsque, enfin, la lourde machine s’arrêta, traînant derrière elle les voitures remplies de monde, les enfants s’élancèrent vers celle où ils venaient d’apercevoir les deux voyageurs.

« Là, là, mes chéris ! on a donc eu grand’peur ! disait M. Brial à Marthe et aux deux garçons qui se pressaient contre lui, les yeux humides et les lèvres tremblantes, on a compris qu’un papa, cela vaut quelque chose !… Irène, Nad, venez m’embrasser aussi… Norbert, tu t’es conduit en aîné de famille, tu as été prudent et si tendre pour ta mère, merci, mon fils !… Mais ne vous reste-t-il pas à remplir un devoir de reconnaissance ? » ajouta-t-il en désignant Mlle Lissac.

Celle-ci avait serré Irène dans ses bras, reçu les félicitations de Mme Francœur et contemplait avec satisfaction le groupe des Brial. Marthe et Norbert se rapprochèrent d’elle :

« Cousine, dit ce dernier, je vous aimais déjà beaucoup avant de savoir que vous seriez si bonne pour nous et pour papa ; mais, à présent, jamais je n’oublierai vos bontés !

— Tu parles pour toi seul, dit Marthe ; moi aussi, je veux remercier notre cousine, la reconnaissance des filles vaut bien celle des garçons. »

Jacques se contenta de présenter à son tour sa joue à Mlle Dorothée, qui l’embrassa ; puis, se tournant vers M. Brial :

« Tout est bien qui finit bien, dit-elle d’une voix nette, mais c’est fini, fini ! notre trêve touche à son terme, Honoré, serrons-nous la main une dernière fois, avant que je retourne sur l’autre rive de « ma source »…

— Nous quitter aussi vite, y songes-tu, ma chère Dorothée ! s’écria M. Brial, tu veux donc que cette triste querelle ne finisse jamais !

— Au contraire, je serais heureuse qu’elle se terminât, si elle pouvait finir ainsi que mon père l’entendait. Oui ou non, la Foux-aux-Roses est-elle à moi ?

— Mon père affirmait que ses deux rives faisaient partie de notre part, répondit M. Honoré ; cependant, pour faire la paix, je te les abandonnerai très volontiers.

— Adieu, cousin, nous ne pouvons nous entendre ; tu veux me faire une faveur inutile, puisque ma jolie Foux est bien ma propriété ! »

Mlle  Lissac, qui avait prononcé ces paroles avec fierté, fit signe à Irène de la suivre et elle allait s’éloigner de son pas le plus solennel, lorsque Norbert s’élança :

« Cousine, je vous en prie, laissez-moi vous accompagner comme au départ, cela me fera plaisir.

— Bien, mon ami, très bien, approuva son père, tu nous rejoindras à la maison. Au revoir, Dorothée !

— Adieu, Honoré ! » répéta obstinément la vieille demoiselle, pour laisser entendre une fois encore que la trêve expirait et qu’elle-même ne comptait plus revoir son parent.

Escortée des deux enfants, elle marchait rapidement ; Irène ne se souvenait pas d’avoir vu à sa tante cet air triste et abattu.

« Je sais pourquoi, murmurait la bonne petite à l’oreille de son cousin ; elle aurait voulu accepter quand le cousin a proposé la paix ; c’est à cause du grand-père Lissac qu’elle a dit non, et cela la chagrine.

— Tante, reprit-elle tout haut, si nous passions par le pont, ce serait plus court, puisqu’il est ouvert.

— Ouvert ! s’écria Mlle  Dorothée brusquement arrachée à ses réflexions, enfant terrible, tu t’es permis d’ouvrir le pont !…

— Mais, pas du tout, c’est toi, hier, pour parler à Norbert, qui…

— Et tu ne l’as pas fermé, petite négligente ! voilà comment tu maintiens mes droits en mon absence !… Ah ! il est temps qu’avec ma fermeté ordinaire je fasse rentrer toutes choses dans l’ordre, allons fermer le pont et plus vite que cela ! »

Au pas accéléré on fut bientôt devant la porte de bois, mais, avant de la franchir, Mlle  Lissac se tourna vers Norbert :

« J’en suis fâchée, mon ami, dit-elle, il est impossible que tu nous accompagnes plus loin par ce chemin-là ; le pont, comme la Foux, nous appartient et ce n’est pas sans raison que mon père l’a fermé.

— Quoi ! vous me renvoyez, cousine ?

— Tu pourras venir chez moi par une autre route. »

La tante Dor poussa le lourd vantail, mais elle le rouvrit aussitôt :

« La clef n’est plus à la serrure, elle a dû tomber ; cherche-la, Irène, cherche bien, ma fille », répétait-elle, se penchant vers la terre et remuant du bout de son parasol l’épaisse couche de poussière ; Irène aussi s’était mise en quête et Norbert, sans s’aventurer sur le terrain défendu, explorait avec complaisance chaque touffe d’herbe ou de mousse autour de la porte. Malgré leurs efforts, la clef demeurait introuvable. Les yeux gris d’Irène souriaient, le visage de Norbert exprimait l’allégresse, leurs regards se rencontrèrent et un double éclat de rire s’échappa de leurs lèvres !… Rire dans un pareil moment, c’était plus qu’il n’en fallait pour exciter l’indignation de Mlle  Dorothée, pour éveiller ses soupçons les moins vraisemblables. Elle se redressa et regarda les deux enfants, que le rire secouait encore.

« Puis-je savoir ce que veut dire cet accès de gaieté ? demanda-t-elle d’une voix qui tremblait d’impatience.

— Ah ! tante, s’écria Irène, que la clef a donc bien fait de se perdre !

— Et ceux qui l’y ont aidée sont deux malins, n’est-ce pas ?… Ils pensent ainsi réussir à ce que la porte reste ouverte ? La tante Dor ne se laisse pas tromper par des enfants de votre âge ; demain, je commanderai une autre clef ; mais, tant que vous ne m’aurez pas rendu celle que je tiens de mon père, je t’interdis l’entrée de ma bastide, Norbert ; et toi, Irène, tu ne retourneras pas à Beau-Soleil… Silence !… n’essayez pas de me faire prendre de mauvaises excuses pour de bonnes raisons ; vous êtes coupables, vos rires de tout à l’heure le prouvent clairement : Quand vous voudrez obtenir mon pardon, vous me rapporterez ma clef. »

Les enfants ne riaient plus ; Norbert, rouge d’indignation, s’apprêtait à protester, la fillette lui fit un signe qui voulait dire : « Taisez-vous, tante Dor n’aime pas qu’on réplique lorsqu’elle est en colère ». Il comprit et hésita une seconde, qui suffit à Mlle  Lissac pour s’enfoncer sous les orangers en tenant Irène par le bras.

Quand il ne les vit plus, le pauvre Norbert déconcerté se décida à retourner sur ses pas.

« En voilà une idée ! se disait-il le long du chemin, m’accuser de lui avoir joué un mauvais tour, juste le jour où elle allait soigner papa… Le docteur me l’avait bien dit, quand il s’agit de la Foux, notre cousine déraisonne. »

À Beau-Soleil tout le monde était en fête : Mme  Brial, que la fièvre avait quittée, venait d’apprendre les événements de la veille ; elle appela Norbert, l’embrassa tendrement : « Mon cher enfant, lui dit-elle, dès que je serai assez forte, nous irons ensemble à la bastide Lissac et nous essayerons de fléchir la cousine, que je veux décider à venir chez nous. »

Norbert, qui croyait encore entendre les paroles irritées de Mlle  Dorothée, n’osa répondre.

« Demain, pensa-t-il, il sera temps de raconter à papa l’histoire de la clef. »

Il s’efforça de prendre part à la gaieté générale ; néanmoins, sur la route du collège, Jacques s’aperçut que son frère n’écoutait pas son babil avec sa complaisance habituelle.

« Jacquot, demanda tout à coup Norbert, quand tu as passé près du pont fermé, sais-tu si la clef était à la serrure ?

— Je… je crois que oui.

— Elle n’y est plus… Mlle  Dorothée nous accuse Irène et moi de l’avoir cachée pour que le pont reste ouvert… Ne ris pas, ces choses-là, c’est très grave avec la cousine, si grave qu’elle m’a défendu de retourner chez elle et qu’Irène ne reviendra à Beau-Soleil que lorsqu’on aura retrouvé la clef… Mais où veut-elle que j’aille la chercher, moi ? »

Les deux enfants entraient au collège, Jacques n’eut que le temps de répondre par un ah ! sympathique à la confidence de son frère, cela le tirait d’embarras. En classe, il écouta distraitement la leçon du professeur, se fit plusieurs fois rappeler à l’ordre et s’arrangea pour éviter Norbert à la sortie. Un regret sérieux commençait à tourmenter l’ami de Philippe ; jamais il n’avait laissé punir, même soupçonner, son frère à sa place et cette faute lui pesait autant sur la conscience que la disparition de la clef. Avertir Philippe le soir même, c’était impossible, car, aux Myrtes, on attendait l’arrivée de M. et Mme  Jouvenet.

« Du reste, cela ne servirait à rien, pensa Jacques très abattu, Philippe n’est pas comme Norbert, qui irait tout de suite se dénoncer, il va m’envoyer promener et répéter que nous avons joué le tour ensemble. »

Ce soir-là, le gros Jacques eut encore beaucoup de peine à s’endormir ; il eut donc le temps de faire de longues réflexions et, avant de fermer les yeux, il avait formé un grand projet.