La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-16

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 210-216).

CHAPITRE XVI


La répétition, — Une orgie de
flagellation.



D ès le lendemain de mon arrivée, je dus assister à la répétition, costumée comme les autres, corsage très échancré, la gorge nue, jupes de gaze raides d’empois, très courtes, ballonnées, laissant voir toute la chair quand elles s’envolaient. Nous avions des bas de soie de nuances diverses, attachés sur les genoux, et des escarpins de danse aux pieds.

On ne prenait le maillot que le soir pour le théâtre. Les caleçons avaient été supprimés par les Grands-Ducs. L’hiver, la salle de répétition était chauffée, mais l’été comme l’hiver, on arrivait avec des peignoirs qu’on laissait au vestiaire.

Cette absence de toute étoffe protectrice avait une raison. C’était d’abord pour les yeux et aussi pour que la correction, qui, en cas de faute, était immédiate, fût plus sensible sur la peau nue que rien ne défendait contre la rigueur des cordes et des lanières de cuir. On s’arrangeait toutefois pour que la flagellation, aussi cuisante que possible, ne laisse aucune trace.

Toutes les pensionnaires, les élèves comme les danseuses, étaient de la chair à plaisir que les grands seigneurs, les hauts dignitaires de la cour, les officiers de la garde impériale s’offraient à leur gré. Les Grands-Ducs avaient le privilège du choix. Mais on ne les voyait que rarement aux répétitions.

Seules, les gamines n’étaient pas soumises à leurs fantaisies. Mais l’intendant, la directrice et le maître de ballet ne manquaient pas de s’informer de la pousse de ces jeunes plantes en serre chaude.

L’armée, la cour, la haute aristocratie avaient donc leur entrée dans la salle de répétition. Les vieux étaient en plus grand nombre. Tous les spectateurs étaient armés de lorgnettes, malgré la faible distance qui les séparait de la scène. Aussi, après la répétition, n’était-il pas rare de voir disparaître quelques-unes des fouettées qui revenaient une heure ou deux après.

Les dames assistaient également aux répétitions. Mais c’était surtout le soir, après la représentation, qu’elles arrivaient en foule dans leurs voitures, les unes seules, les autres avec leurs époux, assister aux corrections bien plus intéressantes aux lumières.

Les élèves prenaient leurs leçons par groupes, suivant la classe à laquelle elles appartenaient. La répétition générale se faisait à la fin.

Je dus assister, cette première fois, en simple spectatrice à la répétition. On me plaça en face des commençantes, avec la recommandation d’être bien attentive, qu’on me mettrait à l’épreuve le lendemain.

Il y avait dans ce petit escadron volant des débutantes depuis dix ans jusqu’à quatorze. J’étais la plus âgée et la plus grande, ayant alors près de seize ans. J’étais naturellement la mieux développée et je me sentais le point de mire des assistants des deux sexes qui me lorgnaient à l’envi.

L’escadron des débutantes, qui se composait d’une vingtaine d’élèves, marchait au commandement d’une des danseuses gagées qui les dirigeait, un martinet en main, aux sons d’un violon accompagné d’une harpe.

Soudain, les musiciens se turent, l’escadron s’arrêta et je vis la plus grande de ces filles se pencher en avant, les jupes prenant la forme d’une cloche à la moitié de sa volée. Le professeur femelle vint lui appliquer six coups de lanières qui lui rougirent la peau. Je ne devinais pas ce qui lui avait valu cette correction. Toutes les lorgnettes étaient braquées sur le contenu vibrant de la cloche qui reprit l’aplomb horizontal quand la fustigée eut le droit de se redresser.

Le violon et la harpe reprirent leurs accords, les marcheuses leurs pas cadencés, moi, toute mon attention et les lorgnettes des assistants des deux sexes le point de vue qui les fascinait.

Les marcheuses, à un moment, firent demi-tour et cette fois deux d’entre elles durent se mettre en posture, une gamine de dix ans et une autre plus grande. La fouetteuse commença par la gamine qui reçut six coups de martinet sans sourciller. Elle prit la nagaïka pour la grande qui se trémoussa de la belle façon, se lamentant comme si on l’écorchait. Les assistants, surtout les dames, se tordaient à ce spectacle, et elles crièrent bis pour lui apprendre à geindre pour rien. La fouetteuse, accédant au désir de ces grandes dames et qui était un ordre pour elle, compléta la douzaine par six nouveaux coups de cordes, qui teignirent la croupe en un beau rouge vif, au milieu des contorsions et des sanglots de la fustigée.

La fille, ainsi fessée, dut reprendre l’exercice avec ses compagnes. La leçon dura une demi-heure. Il y eut encore deux marcheuses qui reçurent le fouet dans la même posture.

Puis ce fut le tour de la seconde classe. Une flûte et un second violon vinrent s’adjoindre aux deux musiciens. Ici, c’étaient des danseuses de quinze à vingt ans. On voyait qu’elles avaient été choisies avec un soin minutieux, triées sur le volet. Elles étaient toutes jolies. Il y en avait une trentaine qui s’élancèrent, tournant sur la pointe des pieds, les jupes envolées.

Ensuite, elles valsèrent enlacées, laissant voir, dans leur volte rapide, un peu de chair nue.

Quand la valse fut terminée, les danseuses vinrent saluer l’assistance en s’inclinant. Leur poitrine nue émergeait des corsages échancrés, palpitante.

Elles durent se retourner. On n’avait pas interrompu la valse pour infliger les corrections. La directrice se leva de son fauteuil de présidente, armée d’une nagaïka, se dirigeant vers une des deux danseuses, une fille de vingt ans. La ballerine devait savoir ce qui l’attendait, car elle se pencha en avant et l’on vit qu’elle eût pu lutter avantageusement avec la Vénus Callipyge.

La fouetteuse fit un signe à la surveillante, qui devait savoir ce qu’elle avait à faire, car elle vint se placer devant la danseuse, mit ses mains sur ses épaules, l’inclinant vers la terre, de façon à ce qu’on vît sa figure entre ses jambes.

La directrice la fouetta avec une lenteur calculée, pour faire jouir plus longtemps les spectateurs des mouvements lascifs de cette belle croupe blanche qu’elle traitait avec sévérité. Elle lui appliqua douze coups de cordes, habillant de pourpre la vaste croupe qui sautait à chaque cinglée, aux applaudissements des spectateurs ravis.

Elle dut rester ensuite dans sa pose fatigante, pendant que les surveillantes fouettaient une demi-douzaine de ses compagnes. Ce fut un concert de gémissements et de plaintes qu’accompagnèrent des chanteurs et des musiciens, véritable cacophonie.

Puis ce fut le tour des deux autres quadrilles, composés d’environ vingt-cinq danseuses qui avaient de vingt à trente ans, et qui répétèrent ensemble. On se défaisait généralement des danseuses avant cet âge, mais il y en avait qui restaient fraîches, bien conservées. Et ce fut cette fois une véritable orgie de fouet.