La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-07

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 138-146).

CHAPITRE VII


Visites intempestives. — Flagellation
de trois jeunes pages. — Une fessée générale.



D eux amies de la boïarine vinrent passer un mois au château. Ce mois fut pour nous un mois de transes, d’inquiétudes et de tourments. Pour la moindre peccadille, on nous fouettait jusqu’au sang. La gouvernante ne se mêlait plus guère de nos corrections. Il y avait assez des trois amies pour nous fouetter.

Elles devaient avoir une véritable passion pour le fouet.

Elles fouettèrent un jour trois jeunes pages de treize à quatorze ans, attachés au service du jeune barine. On fit assister vingt-quatre filles à cette exécution.

Quand nous entrâmes dans la salle du fouet, les jeunes garçons étaient tout nus, agenouillés, les mains attachées derrière le dos. Les trois amies étaient diversement armées ; l’une brandissait une forte verge, l’autre une nagaïka et la boïarine un martinet de douze branches d’un cuir épais.

Les verges inaugurèrent la fête. Le bras qui les maniait asséna dix coups furieux, espacés, claquant sur les fesses du petit. Chaque coup traçait un sillon rouge et arrachait un cri perçant au page malmené. Au dernier, le sang afflua à la peau.

L’amie, armée de la nagaïka, se porta à la gauche des fesses cramoisies et leur appliqua dix coups de cordes tressées qui devaient torturer cette peau attendrie par les verges pendant que les bouleaux striaient de lignes rouges le postérieur du second, l’obligeant à unir sa chanson à celle du premier.

Puis ce fut le tour du martinet de venir martyriser le premier gamin déjà passé par deux cruelles épreuves. Les lanières retombaient sur un terrain si bien disposé, si malléable, et la fouetteuse les maniait si férocement qu’il se produisit un fait inouï dans les annales du martinet de cuir : dix coups de lanières suffirent pour tirer du sang à ces fesses pourtant si fermes chez les jeunes garçons. Le même phénomène se reproduisit sur les deux autres. Quand la maîtresse arriva au dernier, c’était une cacophonie de cris assourdissants.

Je regardai en ce moment mes compagnes, elles riaient en contemplant ce spectacle plutôt affligeant. Je ne voyais pas ce qu’il pouvait y avoir là de risible, mais le rire me gagna à mon tour. Je ne me doutais pas de ce que ce rire innocent, sans malice, allait me coûter.

Quand les jeunes pages eurent repris leurs vêtements et disparu en sanglotant, la gouvernante tendit à la maîtresse son carnet sur lequel elle n’avait cessé de prendre des notes pendant la correction des jeunes postérieurs masculins. La boïarine, après avoir parcouru la page écrite, referma le carnet.

— Alors, toutes ?

— Oui, maîtresse, toutes.

— C’est bien, vous pouvez vous retirer. Nous n’avons plus besoin de vos services.

Ce « Nous n’avons plus besoin de vos services » semblait ne pas faire le compte des deux amies. Ce diable de carnet, que pouvait-il contenir ? Des corrections à infliger, évidemment. Elles vinrent causer à voix basse avec la maîtresse. Après un court conciliabule, celle-ci se tourna vers nous.

— Vous allez toutes être fouettées, depuis la première jusqu’à la dernière et pas en plaisantant, pour vous apprendre à rire effrontément à la vue des nudités des jeunes garçons, depuis le jeune postérieur de Mariska, pervertie à douze ans, jusqu’à toi, épaisse cuisinière.

Les trois plus jeunes sur l’estrade ! Pour elles, nous userons de ces martinets de cuir. Ce sera assez de vingt coups de ces bonnes lanières. La nagaïka viendra ensuite, trente coups de cordes, ça n’abîme pas trop la peau et ça cuit bien. Puis pour quelques-unes que j’aperçois là-bas et qui ont la peau plus dure, ce sera cinquante bons coups de verges. Il leur faut ça pour qu’elles sentent quelque chose.

Elle fit signe à la cuisinière et à ses deux aides de venir nous trousser. J’étais échue en partage à l’une des deux amies.

Elle m’appliqua vingt coups de lanière qui me mirent la chair en feu.

Trois autres nous remplacèrent sur l’estrade. C’était toujours le martinet qui flagellait ces fesses de quinze ans plus fermes que les miennes. Les lanières retombaient à l’unisson. En fermant les yeux, on aurait pu croire qu’on ne fouettait qu’une seule fille si l’on n’avait entendu un trio de gémissements.

Trois autres leur succédèrent. Celles-ci reçurent trente coups de cordes à nœuds appliqués avec le même sang-froid, le même unisson, la même vigueur par les trois fouetteuses qui gardaient un flegme britannique. Par exemple, les grandes filles fouettées gesticulaient furieusement sous les cordes tressées qui leur froissaient la chair, et poussaient des cris déchirants.

Ce fut encore la nagaïka qui fut de la partie pour les trois autres groupes, seulement au dernier qui devait recevoir trente coups de cordes se trouvait Irina, une superbe fille de vingt ans, qu’elle fouettait toujours elle-même, la traitant avec une sévérité incroyable.

— Non ! pas toi ici. Tu monteras avec le dernier groupe. Je te réserve pour la bonne bouche. Ce ne sera pas trop de cinquante coups de verges pour assouplir un postérieur aussi dur que le tien. Tu sais comment je te traite quand je m’en mêle.

Irina se retourna, ses couleurs roses avaient disparu sous la pâleur de la colère ou de la crainte. C’était plutôt la colère. Nous avions toutes remarqué qu’elle traitait cette belle fille plus cruellement encore que Catya dont elle jalousait les formes et qu’elle abîmait pour cette raison. La maîtresse fit donc monter à sa place une aide de cuisine qui se troussa elle-même.

Elle se laissa fouetter, immobile, ne bougeant ni pied ni patte, malgré la sévérité de la correction. Ses grosses fesses se remuaient à peine, tandis que celles de ses compagnes se tordaient sous la violence des coups et que les fustigées se lamentaient à haute voix.

Les trois amies prirent des verges. Dans cette première fournée se trouvait Catya. Naturellement elle échut à la maîtresse. Les trois condamnées à cette torture tremblaient en montant les degrés de l’estrade.

L’aide de cuisine qui avait repris sa place les troussa toutes les trois. Les verges voyagèrent pendant cinq longues minutes sur ces chairs tendues, les couvrant d’un tapis rouge au milieu des vociférations des deux voisines de Catya qui restait muette bien que sa croupe fût la plus endommagée des trois.

Enfin la pauvre Irina vint rejoindre la cuisinière et son aide qui se saisirent d’elle pour la mettre en état.

La fouetteuse avait jeté les verges, bien qu’elles fussent encore bonnes. Elle en avait choisi une très longue et très forte, formée d’un lourd faisceau de bouleaux fraîchement coupés. L’aide de cuisine tenait la pauvre fille tellement penchée que la peau de sa croupe brillait par la tension que lui imprimait cette posture.

La maîtresse, avant de commencer, semblait se repaître de la vue de cette chair si fraîche, si rose, qu’elle allait faire saigner, car elle ne la flagellait jamais sans que du sang coulât. Elle brandissait la verge, effleurait l’épiderme de sa victime qui frissonnait dans l’appréhension des coups.

Enfin elle cria « Un ! » en assénant un coup furieux qui creusa un sillon rouge sur les deux globes qui s’écartèrent violemment sous cette rude caresse. La verge retomba, brutale, meurtrissant les chairs, montant et descendant, cinglant les cuisses. Seules ces morsures sur cette peau si tendre lui arrachaient un cri strident en faisant sauter la croupe.

La cruelle boïarine détachait de temps en temps un coup sur des parties plus sensibles. C’était alors un cri de rage que poussait la malheureuse.

Je n’avais d’yeux que pour cette pauvre croupe si cruellement traitée. Je jetai un coup d’œil sur les autres, elles n’étaient pas aussi malmenées, et, cependant celle de la cuisinière était d’une telle envergure et semblait avoir une peau si épaisse qu’elle aurait pu supporter cent coups de verges avant d’être endommagée.

Quand je reportai mes yeux sur le corps d’Irina, des rubis perlaient sur la peau entamée. Les derniers coups, assénés avec rage, entaillaient la chair. La maîtresse semblait ravie de son œuvre, ravie d’entendre la gamme ascendante des cris arrachés à la martyrisée par l’horrible torture qu’elle lui infligeait aussi férocement.

Les victimes furent enfin délivrées et nous eûmes la permission de nous retirer. La séance avait duré deux heures. Les fouetteuses, chose extraordinaire, ne paraissaient pas trop fatiguées. Quelques-unes d’entre nous n’avaient pas été trop maltraitées et pour mon compte je ne sentais pas trop la cuisson, mais Irina dut se faire un bain d’eau tiède pour décoller la toile de sa chemise qui adhérait à ses chairs meurtries.

J’appris le jour même ce qui lui valait la haine implacable et l’excessive sévérité de sa maîtresse. Elle expiait le tort d’avoir subi les faveurs du boyard. Il y en avait cependant bien d’autres qui avaient passé par ses mains et qui n’étaient pas traitées comme la pauvre Irina, bien que la maîtresse fût au courant de leurs relations.

Nous connaissions aussi le motif de notre présence à la correction des jeunes pages. Elles avaient compté sur notre curiosité et sur nos rires pour trouver un prétexte plausible à l’orgie de flagellation qui eut lieu ensuite.