La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-06

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 135-137).

CHAPITRE VI


La lectrice



C ’était pendant la toilette que la lectrice exerçait ses fonctions. Elle aussi était revêtue d’un peplum fait comme les nôtres. La pauvre fille était corrigée plus souvent qu’à son tour. La maîtresse semblait vouloir se rattraper du prix qu’elle avait payé pour l’avoir à son service. Cependant elle ne l’abîmait pas trop pour qu’elle pût continuer son emploi.

Elle devait lire à genoux sur un tabouret à la portée de la pantoufle de sa maîtresse qui voltigeait de la joue à la gorge que Véra, c’était le nom de la lectrice, avait fort belle. Aussi la lecture était souvent interrompue par les sanglots qui sortaient de son gosier et par les larmes qui coulaient de ses yeux.

Pour vous donner un échantillon des lubies de sa maîtresse, je veux vous la montrer un jour qu’elle avait ses nerfs. Elle fut cette fois-là d’une injustice révoltante pour la pauvre fille à ses gages.

— Véra, tu bredouilles, je n’entends pas un mot de ce que tu me lis.

On entendait fort bien. La lectrice éleva la voix pour obéir aux ordres de sa maîtresse.

— Là, maintenant tu m’écorches les oreilles avec tes cris. Tiens, sotte bête !

La pantoufle cingla la joue de la lectrice. Celle-ci se mit à sangloter.

— Bon, te voilà devenue muette, maintenant. Allons, reprends ta lecture. Ah ! tu ne veux plus lire ! Eh bien ! tiens attrape !

Et la pantoufle cingla et recingla la gorge rebondie qui sautait et ressautait sous les rudes soufflets que lui appliquait la cruelle maîtresse, s’acharnant à vouloir qu’elle lise. Elle voyait bien que c’était impossible car la pauvre fille sanglotait éperduement.

— Ah ! tu t’obstines à ne pas vouloir lire ! Eh bien ! je te promets que tu vas chanter alors. Mettez-la en tenue vous deux.

Deux vigoureuses filles de chambre conduisirent Véra au milieu de l’appartement ; elles la firent s’incliner et chacune d’elles prit un pan du peplum dans la main.

La boïarine s’avança armée d’un martinet de cuir dont elle se servait presque toujours avec sa lectrice, parce qu’ainsi elle pouvait faire durer plus longtemps la correction sans endommager la peau qu’elle savait lui faire cuire et qu’elle pouvait la fouetter tous les jours si bon lui semblait.

Elle la flagella avec sa sévérité des grands jours, lui appliquant une soixantaine de coups. Les lanières retombaient avec vigueur sur les fesses qui se tordaient sous la violence des cinglées. La maîtresse l’avait bien dit qu’elle la ferait chanter. La malheureuse poussait un cri strident à chaque coup qui lui froissait la chair.

La flagellation continua avec la même sévérité jusqu’à la fin. Et pour terminer dignement cet injuste châtiment, la maîtresse eut la cruauté incroyable de lui donner plusieurs coups en visant un endroit effroyablement sensible.

La pauvre Véra hurlait.

Elle la renvoya dans sa chambre pour ne pas être incommodée, pendant qu’on achevait sa toilette, par ses cris assourdissants.