La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-08

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 147-157).

CHAPITRE VIII


Serfs amoureux. — Ivan et Léna, —
Le supplice. — Le pilori.



I van et Léna continuaient à se voir dans une cachette introuvable pour qui ne la connaissait pas. Leurs relations étaient connues des serviteurs comme toutes celles de ce genre et tenues par tous secrètes.

On n’avait jamais entendu parler d’une délation. Pourtant les deux amants furent surpris une nuit dans une posture non équivoque. On a toujours soupçonné un serf jaloux de leur bonheur qu’il enviait, de les avoir dénoncés.

Nous assistâmes le lendemain au châtiment des deux complices. Je n’avais jamais vu donner le knout que le bourreau infligeait au coupable devant les serfs réunis. C’est un affreux spectacle. Ici ce ne fut pas le bourreau, mais la boïarine qui fouetta l’homme et le boyard qui donna les verges à la fille après que les deux complices se furent fouettés mutuellement, par ordre des maîtres.

Tout le personnel employé au château assistait à l’exécution car ce fut une véritable exécution. Les deux coupables était complètement nus et paraissaient consternés, connaissant le sort affreux qui les attendait. Les deux amies entouraient la maîtresse confortablement assise dans de moelleux fauteuils. Les jeunes maîtres assis à côté l’un de l’autre avaient les yeux fixés sur le théâtre du châtiment.

Ivan était un beau gaillard de vingt ans, blond comme les blés, et plus d’une serve, chuchotait-on, avait fait l’expérience de son habileté au noble jeu d’amour… Léna qui allait expier si cruellement les secrets plaisirs qu’elle avait pu goûter avec lui, était une fort jolie fille aux cheveux châtain clair, toute potelée, faite à ravir. Ils nous tournaient le dos. Le boyard mit le knout entre les mains de l’amoureuse du bel Ivan.

— Voyons, lui dit-il, comment tu vas traiter ce gaillard qui te vaut d’être sur cette estrade d’ignominie. Si tu le ménages, gare à toi. Allons, voyons si tu t’entends à ce jeu aussi bien qu’à l’autre.

Ivan alla s’agenouiller au milieu de l’estrade, tournant toujours le dos aux assistants. Léna brandissait les nerfs de bœuf à l’extrémité desquels brillaient des paillettes d’acier. Elle cingla le dos de son amant, frappant au milieu des épaules. On entendait faiblement le contact des lanières avec la peau heurtée et la trace des coups rosa à peine la chair.

Elle descendit ainsi jusqu’à la croupe qu’elle cingla avec la même indulgence, puis les cuisses jusqu’aux genoux. Cette jolie fille faisait les plus gracieux mouvements pendant que son bras maniait le knout. Le maître la lorgnait d’un œil complaisant.

Quand elle eut fini son indulgente correction, elle s’agenouilla à son tour au milieu de l’estrade. Ce fut au tour d’Ivan qui se montra moins indulgent et frappa, sinon cruellement, du moins avec une assez grande violence surtout quand, après avoir fouetté les reins, il eut atteint la croupe. Ce champ de bataille parut exciter chez lui une fureur assez singulière. Je n’en ai compris que plus tard la manifestation et ses effets possibles. Mes compagnes, d’ailleurs, ne perdaient, pas plus que les maîtres, une bouchée de ce spectacle répugnant. Léna gémissait pitoyablement. Un moment, projetée à terre, par la violence des coups, elle resta étalée dans une posture fort indécente. Le maître arrêta le fouetteur. Ce ne fut d’ailleurs qu’un répit bien court. De nouveau les deux amoureux durent s’agenouiller et de nouveau le boyard et boïarine vinrent les flageller avec fureur.

La maîtresse frappait comme une sourde, descendant des épaules par le dos qu’elle lacérait avec les paillettes d’acier jusqu’au bas des reins, arrachant chaque fois un cri de détresse au patient. Les lanières avaient marbré toute la chair des épaules aux hanches. Là, elle retombèrent si rudement qu’elles sillonnèrent la peau d’une longue raie livide, pailletée de rubis.

De son côté le boyard cinglait le dos de la jeune fille, le rayant de plaques rouges, descendant ainsi jusqu’à la chute des reins. Les deux victimes hurlaient comme des écorchées, et à bon droit, je suppose.

Tout le monde paraissait navré. Cette orgie de cruauté n’enchanta que les deux bourreaux et les deux amies flagellatrices.

Ces deux mégères n’avaient pas seulement goûté le spectacle au point de vue du châtiment infligé et du lamentable état dans lequel on avait laissé les victimes. La nudité d’Ivan les avait induites en une parfaite extase. Ces femmes, aussi cruelles qu’ignoblement libertines, eurent le courage d’aller le soir même trouver dans son lit le malheureux serf encore tout saignant, enveloppé de bandelettes et souffrant mille morts au moindre mouvement. Il dut, sous peine de se voir infliger plus tard des tortures encore plus grandes, satisfaire à leurs caprices.

J’ai su par Léna que la boïarine avait eu, un peu plus tard, la même tentation et qu’Ivan lui avait démontré, sur sa demande, à maintes reprises, que chair d’esclave vaut chair de maître.

Mina et Rita, deux de mes compagnes qui couchaient ensemble (nous couchions ainsi deux par deux) furent surprises une nuit par la gouvernante qui leur en voulait tout particulièrement, je n’ai jamais su pourquoi. Leur crime était, paraît-il, à peu près semblable à celui de Léna et d’Ivan. Du reste, le souci de la morale n’était pour rien dans la fureur de la gouvernante et dans le châtiment qui leur fut infligé par les maîtres. Toutes les occasions étaient bonnes pour fouetter et faire souffrir. Cette fois, nous assistâmes à une scène particulièrement cruelle.

On nous introduisit vers deux heures dans la salle du fouet. Toutes les filles susceptibles d’être fouettées étaient présentes. Le pilori était, comme la scène d’un théâtre, derrière un rideau qui se levait à un signal donné.

Ce jour-là, nous attendîmes plus longtemps que de coutume. Il y avait au château des invités qui avaient dû faire plusieurs lieues pour assister à une fête qui se donnait le soir. Ils furent naturellement enchantés du supplément que le hasard leur offrait, car c’est un vrai régal pour les friands du fouet que ce tableau vivant qui change d’aspect à chaque tour que fait le pilori.

On attendit que ces gens fussent confortablement assis dans des fauteuils moelleux pour commencer. Dès que le signal fut donné, la toile monta et l’on vit sur l’estrade les deux filles de chambre toutes nues, les cheveux tordus et ramassés en un épais chignon, seins contre seins, les jambes liées ensemble, les bras attachés par les poignets. Des anneaux de cuir, glissés sous les aisselles, attachés à des cordes qui descendent d’une petite plaque tournante scellée au plafond, comme deux anneaux de gymnase, les soutiennent pour les empêcher de tomber, mais non de se balancer.

À gauche, en dehors de la plaque tournante, à la portée des corps nus, le jeune barine est armé d’un martinet d’un aspect formidable, fait de quinze lanières larges et épaisses qui doivent assommer les chairs qu’elles flagellent.

Le jeune bourreau brandit le martinet, la plaque se met aussitôt à tourner ; les quinze longes de cuir retombent, cinglant les blanches épaules de Mina comme si c’eût été l’une de nous. On entendit le froissement des chairs assommées. Rita apparut à son tour, les lanières s’abattirent avec fracas sur le dos qui passait.

Lorsque Mina parut, elle avait une large plaque livide entre les deux épaules. Les lanières la cinglèrent en dessous amenant le sang à fleur de peau. Les deux dos passèrent et repassèrent ; à chaque tour la ligne rouge descendait plus bas et cependant les deux patientes, malgré la torture inséparable d’une flagellation aussi sévère, avec un instrument de supplice de ce calibre, n’avaient pas poussé un seul cri.

Quand la ligne de démarcation fut bien tranchée au bas des reins, le jeune barine se pencha et appliqua un coup formidable sur le bombement des fesses, à la naissance des cuisses, là où la peau est si tendre. La jeune fille, pincée au vif, poussa un cri strident ; sa croupe se souleva, frémissante.

Le jeune maître semblait se venger d’un affront. Parbleu, il était jaloux de l’amie et il fouettait sa maîtresse en amant jaloux. Il n’épargnait pas davantage l’amie, car elle poussa un cri de détresse quand les lanières vinrent la cingler au même endroit.

Il descendit ainsi, flagellant les cuisses, puis les jambes, ne s’arrêtant qu’aux talons. Tout le corps, à l’exception des fesses qui avaient gardé leur neige immaculée, était cardinalisé.

Les invités applaudirent. Ça faisait un drôle d’effet que ces deux corps vêtus de pourpre, avec une lune d’argent suspendue dans le milieu, qui passaient et repassaient sous nos yeux. Il leur laissa faire quelques tours ainsi, comme s’il se reposait avant de reprendre les verges.

Le jeune barine avait choisi un faisceau de verges très lourd qu’il brandissait depuis un moment, effleurant les fesses quand elles passaient à sa portée. On les voyait frissonner au sifflement menaçant que faisait cette verge en fendant l’air.

Enfin, elle s’abattit. Ce fut Mina qui reçut la première cinglée. La violence du coup repoussa la croupe en avant. On eût dit que le corps, ployé, allait se rompre. Quand la croupe de Rita s’offrit à la verge levée, elle se présenta, soulevée par la pression qu’exerçait Mina et elle reçut la cinglée sur ses chairs tendues à éclater.

Mina repassa dans la même posture cambrée : les verges la fouaillèrent au même endroit, ce qui la fit se redresser.

Le jeune barine semblait se complaire à la torture qu’il infligeait aux deux pauvres filles. Elles ne cessaient de pousser des cris de détresse à chaque coup qui leur meurtrissait les chairs. Elles se secouaient, se tordaient sous les affreuses piqûres.

Les spectateurs applaudissaient à ce jeu cruel, car les fesses empourprées se couvraient de perles rouges qui dégouttaient sur les cuisses aux derniers coups plus cruellement cinglés que les autres. Puis il les cingla avec intention dans un endroit secret. Ce coup traître leur arracha à toutes les deux de véritables cris de damnées. Les spectateurs et surtout les dames applaudirent de plus belle, ce qui encouragea ce jeune criminel à récidiver.

Quand la séance fut terminée, on nous fit défiler devant le tableau vivant qui passait et repassait devant nos yeux. Les deux victimes geignaient pitoyablement ; elles avaient le feu par tout le corps. Les fesses plus maltraitées ressemblaient à deux soleils couchants constellés de taches rouges.

Le jeune barine, seul de la société qui avait assisté à la séance, était resté là, se délectant à la vue des corps nus qu’il avait si bien accommodés.

La plaque tourna ainsi pendant un bon quart d’heure. Lorsqu’on les détacha, elles gémissaient encore à fendre l’âme. On les conduisit dans leur chambre.

Le jeune barine les y suivit et poussa le verrou. Que se passa-t-il entre ces trois personnes, entre le bourreau et ses victimes ? On ne le sut pas tout de suite, mais le jeune maître ne sortit de là que deux heures après.

Les deux amies eurent des soins dont, à l’ordinaire, on n’était nullement prodigue. Au lieu de les séparer, comme on en avait l’intention, on les mit ensemble dans une chambre séparée. Elles furent dispensées de toute besogne pendant huit jours jusqu’à complète guérison.

C’est par Rita que je sus ce qui s’était passé entre le jeune barine et les amies. Sans leur octroyer une seconde pour se panser de suite et goûter quelque repos, il les avait obligées à des caresses dont les complications lui avait été suggérées par la scène de sadisme dont il venait d’être le héros.