(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 217-229).


XII


Sarah dormit la nuit entière d’un sommeil paisible ; ses parents aussi d’ailleurs. Mais, au matin, comme elle était toujours la première levée, elle sortit de sa chambre ses deux petites valises.

Célestine lui servit son déjeuner, et elle mangea, n’ayant point de vanité mal placée. Ensuite, elle embrassa la boniche sur les deux joues, en jurant :

— T’en fais pas, on se reverra !

En bas, naturellement, elle négligea le chemin du lycée et prit un taxi. Cependant, en personne prudente, elle quitta le premier taxi aux Tuileries et marcha presque jusqu’à la Concorde pour en prendre un autre qui la conduisit au nid secret loué par Chalard.

Elle en possédait la clé et n’eut donc aucune difficulté à entrer. Immédiatement, en femme d’ordre, elle s’installa, arrangeant ses affaires.

Ensuite, ne sachant plus que faire, elle examina le contenu de son porte-monnaie et considéra que ses moyens lui permettaient d’aller prendre l’apéritif aux Champs-Élysées ; ce qu’elle fit incontinent.

Installée devant un madère de luxe qui sentait le vernis pour auto, elle songea à sa digne mère et sourit :

— Faut que je la tranquillise !

Au garçon, elle réclama du papier et d’un stylo léger écrivit une courte missive :

Ma chère Maman,

Ne prend pas d’indigestion par suite de mon départ, je ne suis pas loin, toujours à Paname. Je te donne ma part de soupe pour tous les jours qui vont suivre. Si vous essayez de vous prévaloir de vos droits paternels et maternels et que vous lanciez les flics à mes trousses, je ferai du scandale. Je dirai que papa est un satyre qui m’a violée et que tu étais consentante. Si, au contraire, vous êtes bien sages, j’irai vous voir gentiment. Ne croyez pas que je me destine à la haute noce, je ne suis pas née de la semaine dernière. Mais, je prétends rigoler et m’assurer mon avenir par des procédés modernes.

Ta fille respectueuse et attendrie,

Sarah la Vamp.

Évidemment, lorsque la douce Madame Clarizet lut cette lettre, elle fut un peu estomaquée ; et comme celle-ci arriva un peu avant déjeuner, elle la plaça sur la serviette de son mari.

Clarizet blêmit, devint écarlate et gémit :

— Elle serait capable de le dire que je l’ai violée !

Il soupira :

— Et on a payé un trimestre d’avance au lycée, c’est bien de l’argent perdu !

Ils demeurèrent silencieux jusqu’au dessert inclusivement, puis Madame Clarizet hasarda timidement :

— Le mieux est d’attendre qu’elle vienne nous voir… nous dirons que le médecin l’a envoyée à la campagne.

Clarizet, furieux, grogna :

— Elle te reviendra bientôt avec une bedaine comme une outre… Au fait, cela la regarde, j’ai fait assez de sacrifices pour son éducation.

— Ça lui servira, assura la bonne Madame Clarizet. Si j’avais eu autant de caractère, je serais peut-être maintenant une star de cinéma !

Cette fois, Clarizet ne voulut plus en entendre davantage, il partit à la belotte une heure plus tôt que de coutume.

Pendant ce temps, Sarah, libérée, déjeunait solitairement en une brasserie des boulevards. Son voisin de gauche lui souriait, celui de droite la dévorait d’un regard d’anthropophage. Elle les dédaigna l’un et l’autre parce que trop jeunes, ses moyens ne lui permettaient pas encore un gigolo.

En prenant le café, elle écrivit un mot à Laveline, lui fixant un rendez-vous pour le lendemain. Ensuite, avec une paisible nonchalance, elle remonta jusque chez elle à pied.

Chalard, amoureux, l’attendait, elle l’embrassa sur la barbe et, avant de lui rien avouer, se mit toute nue. Ce fut à son tour à lui de l’embrasser sur la bouche.

Astucieuse, elle le mit en forme pour entendre une confidence, puis tout à trac lui confia :

— J’ai plaqué la maison… Je m’installe ici !

Chalard blêmit :

— Ici… mais, le logement est à mon nom !

— Tu le mettras au mien et tu paieras la location.

Il ne put s’empêcher de sourire. Ce n’était point que la combinaison lui déplut mais il craignait les risques :

— Et tes parents ?

Sarah éclata de rire :

— T’en fais pas pour eux, s’ils bronchent, je les menace d’un scandale, et ils deviendront doux comme des agneaux !

— Comment vivras-tu ? insinua-t-il.

Fièrement, elle releva le front :

— Je prendrai un amant généreux !

Cette fois, il trembla sincèrement :

— Tu me quitterais ?

Elle plissa ses paupières en une mimique narquoise :

— Certainement, si tu n’es pas l’amant généreux.

Il l’étreignit de ses bras, farouchement :

— Je le serai… je le serai… mais tu promets qu’il n’arrivera pas d’histoires avec tes parents.

— J’en fais mon affaire… tu me connais assez !

Elle interrompit la conversation pour entreprendre des jeux innocents. Il ne tarda pas à être subjugué de nouveau et lui rendit de menus services que réclamait sa sensualité en éveil.

Naturellement, ils s’attardèrent plus que de coutume, mais lorsqu’il s’éloigna, Chalard lui fixa un rendez-vous à l’Opéra, afin qu’ils dinassent ensemble.

Ce fut un repas somptueux dans un restaurant où les dames étaient abondamment décolletées. Ensuite, les deux amoureux gagnèrent un théâtre afin d’achever agréablement la soirée.

Ce fut, pour Sarah, le commencement de la grande vie, mais Fernand n’en demeurait pas moins soucieux sur la suite de cette équipée.

De retour à son petit appartement, Sarah trouva son sac à main bourré de billets monnayables.

Elle n’eût plus d’inquiétude pour l’avenir.

Le lendemain, elle téléphona de bonne heure à Laveline, afin de changer le moment du rendez-vous. Elle tenait à le rencontrer le matin afin d’être chez elle à l’arrivée de Fernand.

Le quinquagénaire s’empressa d’accourir et, sans lui laisser le temps de souffler, elle l’entraîna dans un hôtel.

Audacieusement, elle sut l’exaspérer pendant quarante minutes, et à l’instant où il croyait qu’elle cédait, elle le repoussa pour lui avouer :

— J’ai plaqué ma famille, je vis seule, si tu tiens à moi tu m’aideras.

Toute son exaltation tomba, il ne resta en lui qu’un désir sourd, tyrannique. Il tenta de discuter, de la ramener dans le droit chemin.

Elle l’écouta d’un air narquois, puis balançant la croupe, s’en fut prendre sa chemise :

— Si c’est tout ça que tu as à me dire, autant que je m’en aille !

Il se précipita, affolé :

— Mais non, mon petit, compte sur moi.

Moqueuse, elle lui caressa l’épine dorsale :

— Sois tranquille, il n’y aura pas d’histoires ! Mes parents, je les mettrai à la raison. D’ailleurs, personne ne saura que tu es mon ami.

Ce fut arrangé ainsi et elle accorda ce qu’il souhaitait.

Ensuite, il éprouva un malin plaisir à l’emmener déjeuner dans une brasserie et, cynique, il se demandait quelle figure aurait Clarizet à la belotte de l’après-midi ?

Sarah rentra à son appartement et sa propriétaire ne tarda pas à faire son apparition pour lui tendre une quittance en son nom. Elle expliqua :

— C’est le monsieur qui m’a dit que vous vous installiez ici.

En même temps, elle la dévisageait, cherchant à deviner son âge, peu désireuse de s’attirer un scandale en hébergeant une mineure en rupture de tutelle paternelle.

Sarah, à cause de son embonpoint agréable paraissait plus que son âge ; la brave dame fut rassurée.

La jeune fille, une fois seule, se débarrassa de tout vain ornement et attendit l’amant, supputant à l’avance les tourments hypocrites qu’elle lui infligerait.

Mais Chalard ne vint pas. Prudent, il attendait de savoir comment tourneraient les choses.

Lorsque la nuit tomba, Sarah commença à s’inquiéter, elle soupçonnait la pusillanimité du quadragénaire et regrettait de n’avoir point incité Laveline à verser son obole.

Évidemment, elle aurait pu ensuite voguer sur les trottoirs à la recherche de Chalard, mais Célestine lui avait appris que c’était là un mauvais procédé. Dès que l’on arrive à se vendre, on ne parvient plus à se faire payer.

Néanmoins, comme la solitude lui répugnait, elle prit un taxi qui la conduisit au Quartier Latin.

Elle n’ignorait point où elle allait et, au café habituel, elle trouva bien Léon, mais quel que fut son désir de le ramener chez elle, le jeune homme s’y refusa craignant la colère paternelle. En revanche, ils s’arrangèrent pour se voir plus souvent durant le jour, ce serait pour la jeune fille un pis aller.