La Femme et le Féminisme avant la Révolution/II/6

Éditions Ernest Leroux (p. 429-456).

CHAPITRE VI
INFLUENCE DES IDÉES FÉMINISTES
i. Pas de mouvement féministe au xviiie siècle. Pourquoi ? — ii. La question féminine et les cahiers des États Généraux. — iii. Les revendications en dehors des cahiers. — iv. Les femmes et le problème de la reconstitution nationale.
i. Pas de mouvement féministe au xviiie siècle

« Je suis toujours étonné, fait dire à l’un de ses héros une femme de lettres, que les femmes ne se soient pas encore liguées entre elles, qu’elles n’aient pas imaginé de former un corps à part afin de pouvoir se venger des injustices que leur font les hommes. Que ne puis-je vivre assez longtemps pour les voir faire un aussi heureux usage de leur courage ! Mais, jusqu’à présent, elles ont été trop coquettes et trop dissipées pour s’occuper sérieusement des intérêts de leur sexe ! [1] »

Romancière pourtant peu hardie, Mme  de Robert semble annoncer dans ses œuvres et prévoir ces associations féministes qui, dans tous les pays du monde, se constitueront au xixe siècle et réussiront seules à arracher aux gouvernements et à l’opinion la reconnaissance des droits féminins.

Au xviiie siècle, s’il y a des aspirations féministes, si les hommes comme les femmes les ressentent et les expriment, s’il y a bien un courant d’opinion féministe au sens propre du terme, jamais, comme le constate très justement Mme  de Robert, des femmes ne se réunissent pour engager, avec l’aide des écrivains favorables, la lutte pour leurs droits. Contraste frappant avec la période révolutionnaire cil, dès qu’il y a idées féministes, il y a, sauf pendant de très courtes durées, mouvements féministes. Quelles sont les causes de ce contraste ? D’abord et avant tout, l’indifférence de la plupart des femmes à l’amélioration de leur propre sort, indifférence qui à toutes les époques est la pierre d’achoppement du mouvement féministe et qui, au xviiie siècle, l’empêche même de naître. L’ouvrière, sur qui pèse le plus lourdement la loi d’airain, n’a même pas conscience de sa misère. Il en sera ainsi plus d’un siècle encore. Ces bourgeoises déclassées, si nombreuses au xixe siècle, qui, par généreux sentiment de solidarité autant que par intérêt personnel, combattent pour l’affranchissement politique et économique de leurs sœurs et essayent, avec plus ou moins de succès, d’entraîner les masses, n’apparaissent pas encore. Les plus ardentes à combattre le préjugé des sexes les plus foncièrement féministes, une Mme  Dupin, une Mme  de Puisieulx, une Mlle  Archambault, une Mme  de Coicy, sont des privilégiées dont le sort est doux, qui, par discrétion aristocratique, par accoutumance à leurs chaînes si dorées, si légères, se refuseraient à faire quoi que ce soit pour hâter l’heure de l’affranchissement et ne considèrent le féminisme que comme un thème favorable à d’éloquentes amplifications.

N’y a-t-il cependant pas de véritables rebelles, des femmes qu’irrite le joug même léger de l’homme, et cette galanterie dont l’origine est la pitié pour leur faiblesse ? Peut-être, en pénétrant à l’aide des livres et des opuscules tombés de leur plume, la psychologie des femmes trouverait chez quelques-unes du moins d’entre elles ces aspirations, ces rancœurs, ce désir de vivre sa vie qui sont l’essence du féminisme.

Une Mme  de Lambert est désolée que les femmes n’aient pas dans la société la part d’influence que devrait leur assurer leur rôle de mères et qu’on leur refuse le droit à la gloire ; une marquise d’Argenson, pénétrée « d’un goût absolu de l’indépendance « , indignée de « tout ce qui détrône les femmes dans le monde » et de tout ce qui assure leur obéissance[2] ; une Mme  Roland qui, jeune fille, se demande avec amertume « si la destinée des personnes de son sexe est seulement de briller aux yeux comme des fleurs d’un parterre, si c’est pour cette vanité qu’elles acquièrent tant de talents, tant de vertus, si elle-même est au monde pour dépenser son existence en soins frivoles, on sentiments tumultueux et non dans la pratique de ce qui est sage, beau et généreux » [3], auraient été en d’autres temps des féministes militantes. Elles doivent renfermer en elles-mêmes leurs aspirations. Et tel fut le cas, sans doute, d’un grand nombre de femmes de leur époque à l’esprit inquiet, à l’âme ardente mais qui, pratiquement émancipées pour leur compte et peu soucieuses d’ailleurs de braver le ridicule, ne jugèrent ni opportune, ni possible la lutte ouverte contre le préjugé.

Ces préjugés sont d’ailleurs encore puissants. Si l’on admet que la femme peu à peu conquière sa liberté, on a horreur de la femme qui, par son genre de vie ou ses manières, veut imiter l’homme et perd la discrétion, la réserve naturelle à son sexe. Écoutons un des plus libres esprits du temps : le prince de Ligne, l’un de ceux qui ont le plus admiré, le plus loué les Françaises, parler des femmes émancipées, de ces « femmes-hommes qui ne craignent plus les revenants, à moins que ce ne soient les maris ou les amants premiers qui sont à la campagne, qui ne craignent plus le diable, ni le tonnerre, ni les voleurs, ni de verser en voiture ». Combien elles ont eu tort de renoncer à la timidité apeurée de leur sexe ! « Ces enfants tout aimables, en sachant bien moins que nous, en sauraient bien davantage ; lorsque nous voyons qu’elles veulent être sur la ligne, on appelle la raison à son secours, et quand même l’esprit gagnerait la bataille, le cœur la perd. »

« Malheur aux penseuses qui, ayant lu hâtivement et mal assimilé leurs lectures, prennent l’imagination pour l’instruction, la sécheresse pour la vertu, l’envie de savoir pour de la science, et l’entêtement dans un mauvais parti pour du caractère[4] ! » Dans ces critiques assez âpres d’un homme spirituel et à l’esprit ouvert, il y a déjà en puissance tous les anathèmes que lanceront, en 1790, Prud’homme, en 1793, Chaumette contre les femmes émancipées.

À cette défaveur de l’opinion publique, il faut ajouter une dernière cause : les grands mouvements féministes, à l’époque moderne, ont été suscités par des perspectives d’affranchissement politique. Or, avant la Révolution, cette perspective ne peut se faire jour. Les quelques droits politiques qu’a laissés subsister la monarchie absolue sont presque communs aux femmes et aux hommes et presque personne, hors Condorcet, n’aperçoit l’importance d’une réforme qui donnerait aux deux sexes la même capacité politique. Il faudra le spectacle de l’affranchissement des hommes pour susciter chez quelques femmes des aspirations politiques et les réunir en des groupements destinés à la lutte contre le sexe fort, pour créer en un mot un véritable mouvement féministe. Rien de pareil avant 1789.

ii. La question féminine et les cahiers des États Généraux

On ne saurait dire cependant que les efforts de tous ceux, de toutes celles qui ont attiré l’attention du public sur l’infériorité de la situation des femmes, qui ont demandé pour elles plus de justice, aient été vains. En 1788, l’opinion connaît l’existence d’une question féminine. Elle en aperçoit quelques-uns des aspects et si elle est loin de lui donner encore toute son importance, du moins soupçonne-t-elle que sa solution peut prendre place dans la série des grandes réformes qu’elle désire. Les cahiers des États Généraux de 1789 et les brochures si nombreuses qui les ont accompagnés vont nous permettre d’apercevoir jusqu’à quel point et dans quelle mesure.

Les rédacteurs des cahiers des State Généraux ont été seulement frappés par quelques faits particulièrement apparents : l’extrême ignorance de la plupart des femmes du peuple, les ravages causés chez elles par la misère et par la prostitution que celle-ci appelle. Ce sont surtout sur ces points qu’ils ont attiré l’attention des pouvoirs publics.

Les trois ordres et toutes les provinces ou presque sont unanimes à déplorer l’insuffisance des efforts faits jusqu’alors pour instruire les femmes. De la capitale comme des régions les plus diverses montent, vers le trône, les plus vives plaintes. Paris, la Champagne, la Lorraine, l’Orléanais, le Vermandois, le Cambrésis, le Boulonnais, la Normandie, l’Angoumois, l’Auvergne, la Provence donnent une place à l’instruction féminine dans leurs revendications. Cette place est d’ailleurs bien loin d’être partout la même. Paris, la Champagne, la Lorraine, l’Angoumois se préoccupent davantage de cette question que l’Orléanais, le Languedoc ou l’Auvergne ; celles-ci davantage que la Provence. La Bretagne y semble totalement indifférente[5].

Le plus ordinairement, les préoccupations portent sur l’enseignement primaire, celui pour lequel il y avait à faire le plus. Nombreux sont les cahiers qui demandent, comme le cahier général du Tiers de Paris, que l’on établisse « dans chaque paroisse comptant plus de cent habitants, un maître et une maîtresse d’école pour instruire les enfants de l’un et l’autre sexe » [6].

La plupart du temps, les vœux formés sur ce chapitre se résument en cet article assez succinct. Parfois, cependant, les cahiers nous permettent d’entrevoir comment ils conçoivent l’organisation de l’enseignement féminin. Il importe, dit le cahier de la paroisse de Bret (sénéchaussée de Saint-Maixent), « de séparer nettement dans les établissements d’enseignement public les filles des garçons, la délicatesse exigée pour l’éducation de celles qui doivent être un jour la portion la plus respectée et la plus chérie de la nation » n’étant pas compatible avec le mélange de ces sexes communément pratiqué[7].

Mais quelles seront ces maîtresses qui enseigneront les filles dans les classes et dans les écoles séparées ? On envisage, la plupart du temps, qu’elles doivent être, suivant la coutume établie, des religieuses. Tel est le vœu formel de l’Université d’Orléans, du Tiers de Toul, du Tiers-Etat du bailliage de Bar-le-Duc et de Cambrai, qui veulent voir dans l’enseignement des filles la principale utilité des communautés religieuses féministes[8]. Le plus souvent, on se contente, sans spécifier autrement, que l’enseignement féminin sera entre les mains des religieuses, de demander qu’il soit sous la surveillance du clergé.

« Les écoles de campagne, dit le clergé du Vermandois, doivent être inspectées par les curés, dont l’approbation sera nécessaire pour les maîtres et les maîtresses » [9]. Le clergé de Paris, hors les murs, demande également que les maîtresses d’école appartenant aux communautés religieuses soient sous la surveillance immédiate des curés, nommées et destituées par eux. Les autres cahiers qui réclament l’établissement d’écoles de filles dans chaque paroisse ne se préoccupent pas autrement d’assurer la main-mise du clergé sur l’enseignement féminin. Le cahier de la noblesse de Paris, hors les murs, spécifie nettement que le ministère des sœurs chargées de soigner les malades, et des maîtresses qui instruiront les jeunes filles, doit être bien distinct ; il envisage donc, comme le fait également le Tiers-État de Paris intra-muros, comme le Tiers-État de Saint-Dionisy (diocèse de Nîmes), qui réclament « des écoles d’éducation publique et nationale pour les deux sexes de toute secte », un enseignement purement laïque[10].

Le Tiers-État de Paris se préoccupe d’assurer aux maîtresses la compétence ; il voudrait qu’elles ne fussent instituées qu’après avoir passé un examen devant le syndic et quatre notables de la paroisse[11]. Un seul cahier, celui du Boulonnais, spécifie que le traitement de ces maîtresses devrait être de 300 livres, un seul également, celui du Tiers de Cambrai, que l’instruction doit être distribuée gratuitement jusqu’à 13 ans. Mais il semble que cette gratuité de l’enseignement primaire soit sous-entendue dans la plupart des cahiers.

À peine quelques brèves et rares allusions à la possibilité d’établir un enseignement secondaire. La noblesse de Riom demande des établissements pour la noblesse pauvre de l’un et l’autre sexe ; le Tiers de Saint-Dionisy, des écoles « uniquement destinées aux sciences profanes, confiées à des laïques après un sévère examen de leurs talents… » [12].

Dans l’ensemble, les préoccupations se portent presque exclusivement sur l’enseignement primaire. Les théories de Riballier, de l’abbé Saint-Pierre et autres sur l’organisation d’un enseignement secondaire féminin sont restées sans aucune influence.

Plus encore que par l’insuffisance de leur instruction, parce que la question semblait d’un intérêt national encore plus évident, les rédacteurs des cahiers ont été frappés par les conditions lamentables où se trouvaient, au moment de leur maternité, la plupart des femmes du peuple. Livrées à des mains trop souvent inexpertes, au moment de leur accouchement, dans l’impossibilité de prendre le repos nécessaire dans les premières semaines qui suivent, et de donner à leur enfant, dans de bonnes conditions d’hygiène, les soins dont il a besoin, flétries, lorsqu’elles ne sont plus mères, par un absurde préjugé, elles périssent souvent à la peine et avec elles leurs enfants.

Il faut, pour le plus grand bien du pays à qui l’on rendra, en empêchant la mortalité infantile, maints citoyens utiles, remédier à cette situation. Assurer aux jeunes mères, particulièrement à celles de la campagne, les soins de sages-femmes expérimentées, voilà, jugent la plupart des cahiers, la condition primordiale du relèvement de la natalité.

Ainsi cette question fait-elle l’objet de vœux presque unanimes des représentants des villes et surtout des représentants des campagnes où, malgré les tournées de Mme  Ducoudray, continuaient à exercer maintes sages-femmes ignorantes : Paris, Beauvais, Mantes, Auxerre, Orléans, Bar-sur-Seine, Rochefort, Angoulême et Bordeaux, Auch, Draguignan et Marseille, Riom et Chaumont-en-Bassigny formant, en ce sens, les vœux les plus pressants. C’est donc bien toute la France qui est convaincue de l’urgence de la réforme.

Si quelques cahiers se contentent de réclamer « l’établissement de matrones dans les campagnes »[13], la plupart insistent sur les conditions de compétences qu’elles doivent remplir et les moyens d’assurer cette compétence. La noblesse de Chaumont-en-Bassigny et celle de Clermont-en-Beauvaisis, le clergé d’Evreux, le Tiers-État de Draguignan demandent l’institution d’écoles de sages-femmes ou des cours d’accouchement ou, comme le fait le Tiers-État de Rochefort, l’établissement d’un règlement pour l’instruction des sages-femmes.

Quelques cahiers précisent davantage. Nulle ne pourra exercer si elle n’a suivi un cours d’accouchement pendant quatre mois[14], ou « si elle n’a été examinée par des chirurgiens compétents »[15]. On créera pour enseigner Tart des accouchements une école spéciale, réclament la paroisse de Pressé-le-Petit (sénéchaussée de Saint-Maixent) et la noblesse de Bar-sur-Seine, qui exhortent les États Généraux et les États particuliers à s’occuper de cette question comme de l’une des plus importantes qui puissent solliciter leur attention. Ces écoles, déclare le Tiers-État de Bordeaux, seront établies dans chaque province.

Les chirurgiens de Beauvais, eux, veulent faire des sages-femmes de véritables fonctionnaires publics. Chaque district aura sa sage-femme, qui n’exercera que dans ses limites et bénéficiera d’un traitement fixe[16].

Le meilleur recrutement des sages-femmes compétentes n’est que la première des mesures qui s’imposent pour favoriser la maternité. Après la délivrance, même si elle a été faite dans de bonnes conditions, beaucoup de femmes pauvres, ne sachant où trouver un asile, ou astreinte de suite à un dur travail, meurent faute de soins. Il faut donc multiplier le nombre des établissements hospitaliers destinés à recevoir les femmes en couche. On établira pour elles une salle spéciale dans chaque hôpital, réclame le Tiers-État de Troyes, dont le vœu est appuyé par les chirurgiens de la même ville. Qu’il soit rétabli dans chaque ville un hospice particulier pour les femmes en couches, demandent le Tiers-État de Bordeaux[17] et celui de Rochefort[18].

Un tel hospice, déclarent les mêmes cahiers, sera surtout utile aux filles-mères. Il leur permettra, en les cachant aux regards, d’éviter la honte qui les amène très souvent au crime d’infanticide et de conserver « ces fruits précieux » « qu’elles sont soupçonnées de laisser périr par leur faute, les regardant comme l’étendard de leur ignominie ».

Le préjugé dont sont victimes les filles-mères apparaît d’ailleurs à quelques-uns des rédacteurs des cahiers comme l’un des plus funestes à l’État, par les infanticides ou les accouchements dont il est la cause directe. Le cahier de Rivière-sous-Verdun rappelle la nécessité d’établir des tours dans la ville principale de chaque diocèse pour recevoir discrètement les enfants que leur mère se voit dans l’obligation d’abandonner. Le Tiers-État de Beauvais demande que l’on dispense les filles ou veuves enceintes de faire, conformément au vieil édit de Henri II, leur déclaration de grossesse aux autorité locales.

Le Tiers-État de Touraine dénonce cette loi (qui obligeait les femmes à faire, sous peine de mort, cette déclaration) comme signe des temps les plus barbares et il en demande formellement l’abolition.

Le préjuge d’infamie qui s’attachait aux filles-mères était en train de disparaître ; les lois cependant le consacraient. Il s’agissait de mettre les lois en harmonie avec les mœurs. En somme, les rédacteurs des cahiers paraissent, lorsqu’ils abordent la question de la maternité, directement inspirés par les écrivains qu’avant eux la question a préoccupés. C’est la sanction pratique des plus réalisables de leurs idées qu’ils réclament des États.

Les rédacteurs des cahiers suivent également les idées des réformateurs du xviiie siècle, lorsqu’ils constatent la situation misérable du plus grand nombre des femmes du peuple et s’efforcent d’y apporter des remèdes.

Nous avons vu poindre au xviiie siècle le féminisme économique, c’est-à-dire la revendication pour les femmes du droit de gagner leur vie ; on en trouve dans les cahiers quelques échos. La mendicité, constate un assez grand nombre d’entre eux, est l’un des plus grands fléaux des campagnes. Comment faire pour l’éteindre ? La plupart du temps on n’envisage que des mesures charitables capables d’apporter au mal une atténuation passagère et toute locale.

La proposition la plus fréquemment émise est la multiplication des ateliers de charité qui existaient depuis longtemps déjà, nous l’avons vu, dans certaines provinces, et où les femmes sans ressources devaient pouvoir trouver du travail.

Tel est le vœu de la commune d’Arcey[19] et de la ville d’Angoulême.

Cette organisation suppose l’institution de bureaux de charité où sont appelées les personnes honorables de l’un et l’autre sexe[20].

D’autres cahiers vont plus loin et conçoivent qu’on n’obtiendra de résultats vraiment sérieux qu’en commençant par une réforme de l’instruction professionnelle des femmes. La question s’est posée déjà depuis quelques années, mais il s’en faut que l’on soit généralement convaincu de son importance. Seuls les cahiers du chapitre de Carrouges (diocèse de Séez) et de la ville d’Angoulême demandent l’établissement d’écoles de filatures qui donneront aux femmes la possibilité d’exercer un métier rémunérateur. Le Tiers-État de la même ville d’Angoulême et le Tiers-État de Paris suggèrent, eux, que le développement du travail à domicile serait le meilleur moyen d’empêcher la mendicité. Le Tiers de Paris prévoit même une véritable organisation d’ateliers nationaux. Dans chaque quartier, dans chaque ville, il sera, réclame-t-il, ouvert des ateliers publics pour tout sexe et tout âge. Ces ateliers seraient, autant qu’on peut le conjecturer d’après les fort succinctes indications qu’en donne la motion du Tiers, à la fois des établissements de commerce chargés de la vente des produits, et de grandes entreprises de travail à domicile. À toute personne domiciliée dans le ressort de l’atelier, le chef d’atelier serait tenu de fournir des travaux à exécuter chez elle[21]. Le cahier du Tiers-État de Paris est le seul qui prévoie une organisation aussi large et aussi générale du travail féminin.

Plus fréquemment, on envisage des sortes de béguinages où les femmes à qui leurs parents n’ont pas laissé de fortune pourraient vivre en exécutant des travaux de broderie. Les établissements des communautés religieuses seraient tout indiqués pour servir d’asile à ces filles pauvres. La noblesse de Riom, celle de Béziers demandent des établissements particuliers pour les filles pauvres de leur ordre. Mais elles les envisagent plutôt comme des chapitres nobles que comme des maisons de travail.

Si quelques hommes éclairés veulent supprimer la misère féminine par l’établissement de nouveaux métiers, certains protestent pour des raisons diverses contre l’intrusion des femmes dans certaines professions, et l’égoïsme masculin ne perd pas ses droits.

C’est ainsi que l’on voit les traiteurs, rôtisseurs et pâtissiers de Troyes s’élever contre la concurrence déloyale, à leur avis, que leur font les « femmes appelées cuisinières ou pâtissières » qui s’avisent de préparer, au mépris des droits des maîtres-rôtisseurs, les repas de noce et demander qu’elles ne puissent exercer à moins de s’être fait recevoir dans leur communauté[22].

D’autres veulent, sinon interdire aux femmes la profession théâtrale, du moins les empêcher d’y avoir trop facilement accès. Le cahier du Tiers-État de la commune de Passy se plaint « qu’une jeune fille puisse abandonner ses parents dès qu’un directeur de théâtre la réclame », et demande que l’on restreigne cette liberté attentatoire aux mœurs.

Les corporations féminines ne purent faire entendre directement leurs plaintes et, en général, elles ne le cherchèrent même pas. À Paris, cependant, deux communautés féminines, celle des marchandes de mode et celle des bouquetières, fleuristes et chapelières en fleurs, rédigèrent, en bonne et due forme, leur cahier et s’efforcèrent de le faire accepter par le bureau de la ville, puis, n’y pouvant parvenir, l’adressèrent directement à Necker[23].

Les cahiers contiennent des revendications d’ordre strictement professionnel.

Après avoir protesté discrètement contre la décision du roi, qui établissait à Paris la représentation du Tiers-État par quartier et non par corps, lèse une communauté « qui, payant annuellement au roi une somme considérable, pouvait espérer être représentée », les marchandes de mode[24] se montrent soucieuses de défendre leur intérêt contre la concurrence intérieure et extérieure.

Les maîtresses entendent réserver à elles et à leur famille le privilège de la maîtrise et elles demandent que les droits d’accès à la maîtrise, de 500 francs pour les filles de marchands, soient portés pour les autres à 700 francs.

D’autre part, elles désirent que l’on interdise aux marchandes à la toilette ou revendeuses sans maîtrise l’accès des différents lieux privilégiés (le Temple, parvis de Saint-Martin des Champs et de Saint-Gervais des Champs, de Saint-Jean de Latran, de Saint-Denis de la Châtre), où la vente à meilleur marché leur fait (ainsi que celle des salles de vente et des monts-de-piété dont elles demandent aussi l’abolition) une désastreuse concurrence[25].

Le point de vue des bouquetières fleuristes et chapelières en fleurs est analogue. Mais son accent est plus touchant, car il émane d’une communauté moins favorisée que celle des marchandes de modes. La corporation des bouquetières, supprimée en 1776, était parmi celles qui n’avaient pas été rétablies et elle avait été envahie par un très grand nombre de non professionnelles, souvent femmes sans aveu, de filles de mauvaise vie qui, dans leur métier, trouvaient une occasion de débauches et faisaient aux ouvrières qualifiées une mortelle concurrence. Pour éviter qu’il en soit ainsi et déclarant que leur cause particulière « est aussi celle des mœurs et celle du commerce des fleurs qui souffre de l’absence de toute police sur le carreau des Halles », les marchandes de fleurs demandent le rétablissement de leur corporation. Seul ce rétablissement, dit en leur nom Mme  Meali, syndique de leur communauté, permettra aux fleuristes honnêtes « de vivre de leur métier et de continuer leur assistance aux mères de famille que la corporation a l’habitude de soutenir »[26].

On le voit, les revendications ouvrières, chez les femmes comme d’ailleurs chez les hommes, tiennent peu de place et elles présentent un caractère seulement professionnel.

La question de la prostitution, qui est bien apparue à certains des rédacteurs des cahiers comme un aspect du problème économique féminin, a sollicité parfois l’attention. C’est le clergé, surtout, mais parfois le Tiers-État aussi, qui s’indignent de l’augmentation et de l’audace croissantes des filles de mauvaise vie[27] et qui demandent que l’on prenne les plus sévères mesures répressives pour la protection de la jeunesse. Ceux-ci veulent une réglementation nouvelle et plus sévère de la prostitution qui soumette les filles galantes de toute catégorie à la surveillance de l’État.

Ce sera le seul moyen d’empêcher la hardiesse effrénée avec laquelle les victimes de la prostitution « se répandent dans les rues, les places et les jardins, accostent les passants, les appellent de leurs croisées, presque sous les yeux des enfants et des jeunes filles, et répandent ainsi la contagion de leur mauvais exemple[28] ».

Élever de nouvelles maisons de correction pour les filles de joie[29], reléguer les femmes galantes dans des quartiers spéciaux et forcer les actrices mêmes, présumées par définition peu honnêtes, de distinguer leurs maisons par une enseigne[30], sont les mesures les plus souvent proposées. Le projet d’assemblées de quartier pour la ville de Paris propose une mesure plus radicale ; la monopolisation par l’État de la prostitution. « Si, dit-il, après Restif de la Bretonne[31], la prostitution est indispensable dans un État où la loi commande le célibat, où le luxe et la pauvreté l’encouragent, ces assemblées pourraient juger si l’établissement de parthénons ne seraient point préférables à cette équivoque manière de tolérer et de proscrire tour à tour un mal qu’on dit nécessaire ». L’auteur anonyme ne s’explique pas sur ce que seraient les parthénons, mais on le devine aisément. Mais si sa réforme est peu pratique, du moins a-t-il pénétré les causes profondes du mal.

L’auteur des additions aux projets de cahier voit, lui, le salut dans une réglementation plus sévère des hôtels garnis et dans les lois répressives applicables aux femmes entretenues[32].

Un seul cahier, celui du clergé de Vouzon, demande que l’on favorise et que l’on multiplie les maisons établies pour « retirer les personnes du sexe qui, prévenues de leurs égarements, cherchent un asile contre la séduction ».

Les théories des écrivains qui réclamaient l’égalité civile des deux sexes n’ont pas laissé également d’avoir quelque influence. Et, du moment où l’on songe à une réforme générale de la législation, quelques-uns pensent à faire disparaître les inégalités choquantes qui, au détriment des femmes, subsistent dans les lois. À vrai dire, les revendications de cette nature sont assez peu nombreuses. Seuls les cahiers de Neury-en-Sullan (bailliage d’Orléans), du Tiers-État de Cambrai, du Tiers-État de Chartres s’élèvent contre le droit de masculinité et demandent que les successions soient partagées également entre les enfants. Encore ne s’agit-il, pour eux, que de successions roturières.

Mais d’autres cahiers, au contraire, se plaignent de certains privilèges féminins, tel celui du douaire, et demandent qu’on le restreigne rigoureusement[33].

Le divorce est rarement demandé dans les cahiers. Cependant, le Tiers-État du district des Théatin et de la commune de Chelles le portent à leur programme. Mais l’un et l’autre semblent envisager surtout l’intérêt masculin. Le premier le trouve plus conforme au caractère essentiellement changeant de l’homme. L’autre veut soustraire le mari aux peines que lui causent « le dérèglement et la méchanceté d’une femme contre lesquels il n’a, dans l’état actuel des choses, de secours qu’en la violence qui l’expose aux sévérités de la justice »[34].

C’est plus également la pensée du bien public que le sort misérable des femmes qui languissent hors du mariage qui inspire aux merciers-drapiers d’Orléans leur proposition de loi contre les célibataires qui, suivant eux, devraient être « astreints à une double capitation »[35].

Aucune pensée féministe n’inspire les rédacteurs des cahiers et la meilleure preuve que presque personne ne songe parmi eux à donner aux femmes une influence politique, est l’insistance avec laquelle un grand nombre appellent l’attention sur la nécessité de maintenir dans toute sa force la loi salique, comme l’une des bases de la monarchie et de l’État.

Ce vœu part des régions les plus diverses et des rangs de la noblesse comme de ceux du Tiers-État. Il se trouvé dans les cahiers de la Provence comme dans ceux de l’Orléanais, de la Champagne, du Barrois, du Bourbonnais, de la Bretagne, de la Normandie, de la Picardie[36]. L’attachement à la loi salique est tellement fort qu’il semble prévaloir même contre le principe de la monarchie héréditaire, alors pourtant universellement accepté. « Les femmes, même les filles du roi décédé sans postérité mille, n’ont aucun droit à la couronne », dit le cahier des avocats d’Orléans[37].

Le Tiers de Pont-à-Mousson va plus loin et demande qu’en aucun cas et même dans celui de « l’extinction de toutes les branches masculines de la famille royale », les « femelles » ne puissent succéder au trône. La noblesse du baillage de Caen entend même priver la reine-mère de son droit traditionnel à la régence au profit du premier prince du sang.

Il faut attribuer une telle insistance en faveur de la loi salique à une crainte et à un souvenir : crainte de voir, par le mariage d’une héritière de France, s’il en était une, avec un prince étranger, le royaume perdre son indépendance ; mauvais souvenir laissé par l’ingérence trop ostensible et souvent malheureuse des femmes dans le gouvernement. Et cette dernière considération vaut pour expliquer l’hostilité que témoignèrent au féminisme politique la plupart des hommes de la Révolution.

iii. Le féminisme en dehors des cahiers

Si les cahiers des États Généraux, qui représentent l’esprit public de la France, restent en général assez timides dans leurs revendications concernant l’amélioration du sort féminin et n’effleurent qu’à peine ou même passent sous silence les plus brûlantes questions (divorce, situation économique des femmes, égalité politique), l’opinion fut néanmoins saisie de revendications plus précises et plus hardies. Maint réformateur, maint représentant des catégories sociales particulièrement déshéritées, qui n’avait pu faire parvenir ses projets ou ses plaintes aux États, fut à cette date, où pratiquement exista une liberté de la presse presqu’absolue, où toutes les idées purent librement s’exprimer, porter sa cause devant le tribunal de la conscience publique.

Aussi les brochures d’inspiration féministe furent-elles relativement nombreuses. Entre le retour au pouvoir de Necker annonçant la convocation des États Généraux et la transformation des États Généraux en assemblée Constituante, date à laquelle s’arrête notre étude[38], on en compterait certainement une trentaine[39].

Il faut d’ailleurs les ranger en plusieurs catégories bien différentes. Quelques-unes sont des projets très généraux de réformes de la société où les revendications féministes, comme d’autres revendications sociales ou économiques, trouvent leur place[40].

D’autres sont des remarques sur tel point ; en particulier les brochures sur le divorce sont tout particulièrement nombreuses[41], la question de la prostitution fait l’objet de diverses études, d’ailleurs mi-sérieuses, mi-plaisantes.

Enfin paraissent, et ce sont de beaucoup les plus nombreuses, des brochures vraiment inspirées par un esprit féministe au sens moderne du terme. Elles sont le plus souvent anonymes et il est vraisemblable qu’elles ne furent pas toutes écrites par des femmes. La plupart d’entre elles se présentent d’ailleurs sous un aspect fort singulier et qui a échappé aux rares auteurs qui les aient mentionnées[42].

Si on les parcourt superficiellement, elles apparaissent purement et simplement comme des manifestes féministes. Mais lisons-les avec plus d’attention, nous ne tarderons pas à nous apercevoir que le plaisant s’y mêle bien souvent au sévère. Les diatribes politiques[43], les sous-entendus érotiques ou grivois voisinent avec les revendications féministes d’une bien étrange façon[44].

On ne saurait donc accorder à toutes ces brochures la même authenticité, la même valeur. Le féminisme n’est souvent qu’une forme allégorique pour le pamphlet politique, l’écrit licencieux. Mais le fait même qu’ils songent à emprunter cette forme montre que les théories féministes étaient répandues, connues, discutées, voire populaires.

De telles brochures ont donc, au point de vue de l’histoire du féminisme, exactement la même valeur que la Lynstrata et l’Assemblée des femmes, d’Aristophane. Ce sont des mystifications, mais dont le thème a été fourni aux auteurs par des idées ambiantes, et la meilleure preuve en est que les brochures les moins sérieuses contiennent, parmi des revendications grotesques, des passages entiers évidemment empruntés à des brochures vraiment féministes où s’affirment les aspirations les plus justes et les plus raisonnables[45].

Sans les considérer toutes comme émanant directement de féministes, il faut du moins en faire état parce qu’elles nous permettent de connaître quelques-unes des théories qui furent émises alors.

C’est un véritable corps de doctrines féministes qui, d’après ces brochures, apparaît alors constitué. Directement, ou par ses avocats masculins, la femme réclame l’égalité la plus complète dans le domaine familial, civil, économique, social, politique.

La réforme du mariage apparaît comme l’une de ces aspirations les plus générales et l’une de celles dont la réalisation doit contribuer le plus à délier la femme de l’esclavage.

L’indissolubilité du mariage et son corollaire, la toute puissance que la loi accorde au mari sur la femme, apparaissent aux auteurs anonymes des Griefs et plaintes des femmes mal mariées et des Mémoires sur le divorce, comme le dernier vestige du despotisme incompatible avec le rétablissement de la liberté dont jouissent tous les Français. Sur le corps et sur les biens de sa femme, le mari n’a-t-il pas en effet toute la puissance de l’ancien seigneur féodal sur le corps et les biens de son serf ? Il faut donc faire tomber ces chaînes, digne de la barbarie, et « rendre aux femmes la liberté honnête dont tout être pensant est si jaloux ».

La première et la plus nécessaire des dispositions du nouveau droit conjugal doit être d’établir que « toute femme majeure jouisse et dispose de son bien comme bon lui semble sans avoir de compte à rendre à son mari »[46].

Proposition curieuse, hardie et fort en avance sur les revendications féministes, non seulement de l’époque, mais même du siècle suivant.

Il faut, non seulement libérer les biens de la femme, mais sa personne, en brisant les chaînes de l’indissolubilité.

Le divorce est unanimement demandé par tous ceux qui ont voulu une réforme du mariage. Sans doute, la religion catholique s’y oppose-t-elle. Ce n’est qu’en vertu d’une fausse interprétation du dogme, puisque l’Église a donné à ses ministres le pouvoir de lier et délier, que le mariage n’est pas un véritable sacrement et que, d’ailleurs, l’Église catholique a permis le divorce et l’autorise encore en Pologne.

Ce sont les femmes surtout qui doivent bénéficier d’une telle loi, car ce sont elles surtout qui souffrirent des mariages mal assortis ; elles presque seules qui furent blessées par les entraves de la loi. Cependant, il faut, tout en rendant leur liberté aux femmes, prendre garde que la facilité trop grande du divorce n’amène la dissolution de la famille.

Aussi doit-on ne l’autoriser qu’à bon escient. Il ne serait prononcé, propose l’un des projets, qu’après six démarches successives faites à un mois d’intervalle par les époux auprès du maire de leur commune[47].

Ni la mort civile du mari, ni son expatriation, ni la démence même ne devraient être, déclare le comte d’Autraignes, un cas de divorce. Et il faudrait, juge-t-il, l’interdire formellement quand il y aurait des enfants[48].

Toutes les fois que les cours de justice auraient prononcé la séparation de corps et de biens, dit encore le marquis de Villette, l’Église prononcera le divorce. Mais une même personne ne pourra divorcer qu’une seule fois. En proposant ces dispositions, les partisans du divorce répondent par avance à l’objection principale de leurs adversaires : le divorce est funeste à l’esprit familial. Au contraire, ils attendent, eux, du divorce, le relèvement de la femme et la rénovation des mœurs.

Avec la loi nouvelle, la femme aura un recours contre la brutalité de son mari ou contre l’infidélité qu’elle devait naguère souffrir sans se plaindre. Brisées pour elle ces grilles, ces verrous, finie cette captivité perpétuelle, ces prisons religieuses où, en cas de séparation, on la relègue, et qui sont dignes du despotisme oriental[49].

En recouvrant sa dignité d’être libre, la femme perdra « cet esprit d’intrigues qui la pousse à tout gouverner, à tout conduire, à mettre en profit les faiblesses que les hommes ont pour elles en dispensant les places, les grâces, les faveurs, les dignités ». Elle abdiquera, en un mot, ce despotisme qui « n’est qu’une révolte contre les lois qui sont mauvaises » [50], et l’homme trouvera enfin de vraies compagnes, aimantes et dévouées.

La conscience, chez chacun des conjoints, qu’ils n’ont pas abdiqué irrémédiablement leur liberté, les rendra l’un et l’autre plus conciliant. Il y aura moins de mauvais ménages, moins d’adultères et de débauches. Et les ménages étant plus unis, les enfants seront plus nombreux. « Le divorce, écrit l’anonyme auteur des Plaintes des femmes mal mariées, doublera la population ». Et sans aller aussi loin, le comte d’Autraigues et le marquis de Villette pensent qu’en effet la loi du divorce augmentera le nombre des mariages féconds et que l’État y gagnera autant que les individus. Ces points de vue, qui contiennent, avec des vérités évidentes, une grande part de généreuses illusions, sont ceux mêmes qu’avaient développés, au xviiie siècle, les partisans du divorce dont les idées ont inspiré directement nos réformateurs.

Considérant plus encore l’intérêt individuel de la femme que l’intérêt social, tel réformateur va jusqu’à revendiquer pour elle, mariée ou non, une liberté sans limites et le droit plein et entier de disposer de soi-même sans que la loi civile, ou le préjugé social, puisse en aucune manière le restreindre.

« Toute fille majeure, toute femme séparée qui donne atteinte à son honnêteté personnelle en souffrant qu’un homme l’entretienne, n’a que Dieu pour juge », écrit l’abbé Fauchet. Avec lui, quelques réformateurs songent sérieusement à relever les prostituées. Le marquis de Villette veut que l’on vienne au secours d’un sexe que les lois établies par nos pères semblent abandonner à sa faiblesse naturelle. Et il demande que les maisons de secours et de consolation « établies pour le relèvement des filles perdues ne soient pas (ce qui était le cas, nous l’avons vu, par les maisons du Bon Pasteur) un séjour effrayant qui saisit de crainte et qui repousse le malheur » [51]. Le même auteur désire que, pour éviter les trop nombreux infanticides, la société tienne pour son devoir de secourir les filles séduites et de se charger de leurs enfants.

Un effort très sérieux a été fait alors pour attirer l’attention du public sur la nécessité, en une société bien organisée, de faire aux femmes une place plus importante dans la vie économique, de les mettre à même de gagner leur vie, d’écarter, dans les professions spécifiquement féminines, la concurrence masculine, d’ouvrir à toutes celles que leur intelligence en rendra digne, l’accès de nouvelles professions.

Le marquis de Villette, qui a bien aperçu les rapports entre la misère des femmes du peuple et la prostitution, pose nettement le problème. « Il faut, dit-il, protéger l’innocence qui gagne douze sous par jour et qui se décourage en voyant le vice gagner un écu par heure » [52].

Et il veut que l’on réserve rigoureusement aux femmes tous les travaux concernant l’habillement féminin et qu’on frappe d’amendes les hommes occupés aux travaux d’aiguilles. L’abbé Sabineau[53] demande, presque dans les mêmes termes, que « les métiers exercés ci-devant par les femmes et filles comme les modes, les coiffures, robes et habillements soient interdits à tout jamais aux hommes comme un travail honteux pour eux sous des peines infamantes ». On trouve ici l’écho des idées de Mercier.

Avec quelqu’imagination d’ailleurs, mais non sans force et sans verve, l’auteur anonyme des Plaintes de la pauvre Javotte fait ressortir les difficultés que, dans les professions artistiques même, la concurrence masculine crée à la femme qui en veut faire son gagne-pain et revendique pour elle ces professions[54].

S’il faut en croire la Motion en faveur du beau sexe, ce ne sont pas seulement les travaux de l’aiguille et l’exercice lucratif des arts d’agrément qui doivent être réservés aux femmes, mais tous les emplois de bureau. Les innombrables postes qu’y tiennent les hommes devraient être réservés aux filles sans dot qui, pouvant gagner leur vie, ne seraient pas contraintes à des mariages déplaisants, à la débauche, ou à une vie religieuse qu’elles embrassent sans vocation.

Un an plus tard, Mary Woolstonevraft, leader du féminisme anglais, reprendra avec plus de développement la même idée et adjurera le gouvernement de son pays de trouver un gagne-pain aux jeunes filles pauvres.

Se plaçant, elle, à un point de vue tout spécial, — elle est orfèvre, nous voulons dire auteur dramatique, et auteur dramatique dans l’impossibilité de se faire représenter, — Olympe de Gouges demande que l’on facilite aux femmes l’accès de la carrière théâtrale. Son projet de création d’un second Théâtre Français est chimérique mais assez original. Une souscription publique et l’appui de l’État permettraient d’édifier un conservatoire, où les jeunes filles s’initieraient à l’art dramatique, et un théâtre exclusivement féminin où ne seraient représentées que les pièces dues aux autoresses et, au cas où la fécondité de celles-ci serait insuffisante, aux « jeunes » des deux sexes. Le nouveau Théâtre Français serait soumis à une discipline assez serrée pour que l’injuste préjugé relatif aux mœurs légères des actrices s’évanouît de lui-même. Et au bout de dix années de service, les artistes encore jeunes recevraient 40 000 livres pour s’établir honnêtement[55].

Ainsi, dès 1789, un grand nombre de professions étaient revendiquées pour les femmes. Il est à remarquer cependant que presque toutes nos féministes ne font que réclamer pour elles un accès plus large et plus facile aux métiers et professions qui leur sont ouverts déjà et que presque nulle d’entre elles ne songe à revendiquer, comme on le fera plus tard, l’exercice des professions libérales. Seule, la Requête des dames à l’Assemblée nationale demande l’admission des femmes à tous les offices de la magistrature, à tous les emplois civils, militaires et religieux. C’est que ceux-ci intéressent spécialement les bourgeoises. Et, en 1789, c’est le sort des femmes du peuple surtout qui apparaît digne de pitié.

Par contre, à une époque où toute la France vibrait d’un grand amour de liberté, où chacun brûlait de contribuer, dans la mesure de ses forces, à la rénovation du pays, les revendications politiques se font entendre.

Quelques femmes, quelques hommes ont demandé que la Révolution fut le signal de l’affranchissement complet du sexe faible et que, pour le plus grand bien de tous, les femmes puissent contribuer à la conduite des affaires de la nation.

Écrite à la fin de 1788, la Requête des femmes pour leur admission aux Etats Généraux prend pour base de l’organisation de la souveraineté politique des femmes, l’ancienne division en ordres. Les abbesses, prieures, chanoinesses composeraient, dit-elle, notre clergé ; les femmes titrées ou de noble naissance seraient notre noblesse, et toutes les autres notre Tiers-État. Mais si toutes les femmes sont de droit citoyennes passives, ainsi qu’on dira quelques mois plus tard, l’exercice de leurs droits est soumis à une condition essentielle : la maternité. Seules seraient éligibles aux assemblées des ordres « les femmes qui auraient donné un citoyen à l’État ».

La Requête des femmes à Messieurs de l’assemblée des notables pour leur admission aux États Généraux, qui vit le jour à la même époque, se plaint que « sur les vingt-quatre millions d’hommes qui habitent la France, plus de la moitié n’a pas le droit d’être représentée » et adjure les notables de donner à l’Univers « un grand exemple de galanterie française en appelant les femmes à concourir aux élections pour les États Généraux »

Et la Requête demande que toute femme âgée de quinze ans soit électrice dans son ordre. Malheureusement, les sous-entendus érotiques qui accompagnent la Requête permettent de douter de son authenticité. La Requête des dames à l’Assemblée nationale, parue, celle-ci, vers le milieu de 1789, mérite d’être citée comme un curieux exemple du style et des aspirations idylliques de l’époque :

« Vous avez détruit tous les préjugés anciens, mais vous laissez subsister le plus ancien et le plus général qui exclut des places, des dignités et des honneurs et surtout du droit de siéger au milieu de vous, la moitié des habitants du royaume. Quoi, vous avez décrété l’égalité de droit des individus. Vous avez fait marcher l’humble habitant des chaumières à l’égal des princes et des dieux de la terre ; par vos soins paternels, le villageois n’est plus obligé de ramper devant l’orgueilleux seigneur de sa paroisse, le timide fantassin ose se plaindre d’être écrasé par le phaëton du publicain superbe, le noir africain ne se verra plus comparé à l’animal stupide qui, stimulé par la verge du féroce conducteur, arrose de sa sueur et de son sang nos pénibles sillons.

« Bientôt, un jour serein va briller sur nos têtes et la terre stupéfaite va voir naître dans son sein cet âge d’or qui, jusqu’alors, n’avait existé que dans les descriptions fabuleuses des poètes. Ah ! Nos seigneurs seront les seuls pour qui existera toujours l’âge de fer…

« Vous avez brisé le sceptre du despotisme… et tous les jours vous souffrez que treize millions d’esclaves portent les fers de treize millions de despotes ! » Aux femmes comme à tous les êtres doivent s’étendre les bienfaits du nouvel âge d’or. Et les auteurs de la Requête demandent, comme l’une des premières conséquences de l’abolition des privilèges du sexe masculin, que « toute personne du sexe féminin soit indistinctement admise aux assemblées du district et du département, élevée aux charges municipales et même députée à l’Assemblée nationale, lorsqu’elle aurait les qualités requises par la loi des élections ». Elles y auraient « voix consultative et délibératrice » [56].

Sans doute, étant donné le ton badin de certaines des brochures où se trouvent ces revendications politiques, pourrait-on douter de leur réalité. Mais le doute n’est plus permis lorsque l’on songe qu’Olympe de Gouges, qui écrit un an plus tard la Déclaration des droits de la femme, pourrait bien être (l’emphase du style permet de le conjecturer) l’inspiratrice ou du moins la rédactrice de quelques-unes de ces proclamations, lorsque l’on voit un homme politique comme le marquis de Villette, disciple chéri de Voltaire et député de Senlis, prendre à son compte les revendications féministes les plus hardies.

Dans ses cahiers, en effet, le marquis de Villette ne se contente pas de plaider la cause des filles-mères et de réclamer pour la femme l’ouverture de nouvelles professions. Le dernier article qu’il faut citer tout au long comme le monument le plus précieux et le plus authentique du féminisme politique avant la Déclaration des droits de la femme et l’Admission des femmes au droit de cité, est ainsi conçu : « Déroger à l’usage gothique qui exclut les femmes de nos assemblées politiques. En vain, quelques pédants ignares et dédaigneux souriront de pitié à cette proposition… On a remarqué que des points de controverse longtemps agités par des hommes étaient devenus clairs et simples par la sagacité des femmes.

« L’Europe donne des régences et des royaumes aux femmes. Par quelle contradiction ne leur est-il pas permis de discuter elles-mêmes leurs propres intérêts ? » Et le marquis de Villette conclut en demandant l’attribution des droits politiques « à toute jeune fille ou femme âgée de vingt-cinq ans et possédant des propriétés ».

Cette proposition, modérée en somme, rappelle celle de Condorcet dans son étude sur les assemblées provinciales. La coïncidence n’a rien d’étonnant d’ailleurs si l’on songe à la parenté spirituelle qui unissait les deux disciples de Voltaire. Il ne s’agit pour l’un et l’autre que du vote des femmes chefs de famille et qui ont des intérêts matériels à défendre. Mais le principe n’en est pas moins nettement posé.

iv. Les femmes et la reconstitution nationale

Quelques-uns, d’ailleurs, attendent de la libération des femmes, non seulement la réparation d’une injustice, mais de sérieux avantages pour la nation.

Les philosophes ont montré que les femmes ont une décisive influence sur les mœurs — sur les mœurs politiques comme sur les mœurs privées — et l’expérience du dernier siècle a confirmé leurs vues.

Que les femmes donc soient plus instruites, mieux pénétrées de leurs devoirs civiques et du sentiment intime de leur dignité et elles formeront, dans le respect des institutions établies par l’Assemblée, les générations nouvelles ; elles assainiront l’atmosphère politique, elles feront un pays plus prospère et plus uni. « La voix d’un sexe puissant, dit l’une des proclamations féministes, doit rallier tous les cœurs sous les drapeaux du patriotisme. Les femmes doivent excommunier les suppôts du despotisme ; les femmes mariées, les mères doivent inspirer l’amour de la patrie, unir les volontés pour la conquête de la liberté, prêcher le désintéressement et la concorde, refuser leurs caresses aux prévaricateurs[57]. »

« Filles, sœurs, épouses des citoyens, pourrions-nous, dit une citoyenne, résister dans une coupable indifférence quand la patrie alarmée appelle tous ses enfants à son secours ? » Et elle demande que, bannissant la frivolité sinon naturelle à son sexe, du moins soigneusement entretenue par le préjugé masculin, la femme, associée et collaboratrice, mère sérieuse, épouse économe, pousse son mari, ses enfants aux actions généreuses, leur donne l’amour du bien public[58]. Dans les ouvrages qu’elle fit paraître nombreux à la fin de 1788 et au début de 1789 et qui annoncent la déclaration des droits de la femme. Olympe de Gouges insiste également sur le grand rôle que les femmes doivent jouer dans la rénovation du pays[59].

Le cri du sage par une femme insiste particulièrement sur le rôle conciliateur que doit jouer dans les assemblées politiques cet esprit féminin qui, même si on en exclut les femmes, y prévaudra.

Quelques femmes d’ailleurs montrent par la pratique qu’elles entendent en effet participer au grand œuvre qui est en train de s’accomplir. Assez nombreuses sont celles qui apportent sur les moyens de résoudre les difficultés où la France se débat, d’intéressantes suggestions.

Lorsque, dans le cours de l’année 1788, on discute la grave question de la convocation des États Généraux, plusieurs femmes joignent leur voix à celle des réformateurs qui en réclament d’urgence la tenue. « Tous les Français, écrit alors dans son Bonheur primitif Olympe de Gouges, sont d’accord sur la nécessité d’assembler le peuple. »

Les remontrances des dames, qui pourraient bien être dues également à la même plume, tiennent le même langage. Les femmes qui désirent les États Généraux n’envisagent ni ne souhaitent d’ailleurs un bouleversement. Elles prêchent la concorde et leurs doctrines, loin d’être extrémistes, sont d’une surprenante modération.

Olympe de Gouges, royaliste sincère, voire passionnée, jusqu’en 1792 ne voit pas de salut pour la France hors de la monarchie héréditaire, seul système qui puisse garantir le pays contre les troubles qui désoleront par exemple l’Angleterre révolutionnaire [60].

Disciple de Montesquieu, dont les idées dominent ses deux Discours à la nation française[61], Mme  de Fumelh ne demande à la nouvelle assemblée que de consolider la Constitution française. La monarchie héréditaire et absolue est voulue par la nature même qui, ayant fait de la France un pays continental, exige qu’il ait une forte armée dont le monarque use en temps de paix pour affermir son pouvoir. Le roi doit d’ailleurs bien se garder d’abolir « les pouvoirs intermédiaires » qui font partie de l’antique Constitution. Il lui faut seulement les surveiller pour éviter qu’ils ne travaillent contre le bien des peuples.

Nul désir non plus de profondes transformations sociales. Il est mauvais, dit Olympe de Gouges, de faire pénétrer dans l’esprit du peuple l’irréalisable idée d’égalité dont un essai d’application pratique entraînerait une « boucherie universelle » [62]. Et elle exhorte au calme les masses populaires, rappelant avec sagesse aux ouvriers quelles conséquences fâcheuses aurait pour leur budget une grève, fût-elle de vingt-quatre heures[63]. Les femmes se croient d’ailleurs tenues de jouer, au milieu des passions déchaînées, un rôle conciliateur. Au mois de juin 1789, au moment de la grande lutte entre le Tiers et les ordres privilégiés qui aboutit à la formation de l’Assemblée nationale, Olympe de Gouges adjure le Tiers et la noblesse de faire un patriotique effort pour réaliser l’union nationale. Et si elle réprouve les nobles de refuser, par préjugé de caste, de siéger avec le Tiers, elle ne reconnaît pas au Tiers le droit de faire seul les lois[64]. On ne peut donc pas dire qu’Olympe de Gouges pêche par excès de hardiesse.

Une femme, cependant, a émis, elle, des idées fort avancées sur la réorganisation politique et sociale de la France, c’est Sophie Rémi de Courtenai de la Fosse Ronde, qui s’est faite l’avocat des pauvres aux États Généraux.

Elle demande l’élection par le peuple des ministres, des généralissimes, de tous les officiers, une politique économique capable de remédier à la cherté des vivres et, pour assurer aux pauvres la subsistance, la main-mise sur tous les biens ecclésiastiques : les moines et les religieuses céderaient leurs couvents aux pauvres de l’un et l’autre sexe et vivraient eux-mêmes dans une évangélique pauvreté[65].

Mais c’est la question financière surtout qui préoccupait alors l’opinion. Quelques femmes offrent des moyens de la résoudre. Elles voient les unes et les autres le salut moins dans une refonte des lois fiscales, dont les effets ne sauraient être immédiats, que dans les sacrifices consentis à la chose publique par tous les citoyens. Dès la fin de 1788, Olympe de Gouges expose son projet d’une Caisse patriotique où chaque citoyen, chaque citoyenne apporterait son offrande et que symbolise, sur le frontispice de la brochure qu’elle fit tirer alors, un coffre largement ouvert où des évêques, des parlementaires, des ouvrières versent leurs économies. Pour défendre son projet de contribution volontaire, elle spécule avec assez de finesse sur la vanité : « les forts de la halle, les servantes seraient heureux de voir, sur les listes de souscription, leurs noms figurer à côté de celui des princes ». Et ils se priveraient volontiers, celui-là de quelques stations au cabaret, celle-ci de quelques colifichets pour cette satisfaction d’orgueil.

Olympe de Gouges peut donc se vanter à bon droit d’avoir lancé la première l’idée de la contribution patriotique, qu’on essaie quelques mois plus tard de réaliser. Quelques femmes mêmes ont, dès le mois d’août 1789, prêché d’exemple. La femme d’un artiste jouissant alors d’une certaine notoriété, Mme  Moitte, réunit ses amies, comme elle femmes d’artistes ou d’orfèvres (parmi elles Mme  Vien, Mme  David, Mme  Vernet) et leur persuada de « former une caisse uniquement destinée à recevoir les dons en bijoux et en espèces pour former un fond qui serait invariablement employé à l’acquittement de la dette publique »[66]. Réunissant leurs bijoux et une certaine somme d’argent, elles allèrent elles-mêmes vêtues de blanc, « décemment et proprement coiffées, ornées d’une cocarde patriotique », remettre leur offrande à l’Assemblée nationale, où elles furent chaudement remerciées par le président[67].

Quelques jours après, Mme  Rigal convoque à Paris ses amies, des femmes artistes et orfèvres, et leur propose en exemple ce beau geste des femmes artistes de Versailles. Elle réunit, elle aussi, argent et bijoux et les envoie à l’Assemblée[68].

Depuis lors, les contributions patriotiques féminines se multiplièrent. Elles furent particulièrement nombreuses et importantes, aux heures de péril national.

Les prétentions féminines à prendre part aux affaires publiques ou à contribuer pour leur part au salut de l’État parurent, à quelques hommes, extravagants, et l’antiféminisme se déploya dans plusieurs brochures assez mordantes, mais où la fantaisie et l’ironie plaisante tiennent heu d’arguments sérieux.

L’un rédige une réponse aux protestations des dames, la Protestation de l’ordre le plus nombreux de France, celui des C… où, après avoir daubé sur les émancipées, « qui perdent du côté de la chasteté ce qu’elles gagnent du côté des connaissances », il propose que « toute femme bel esprit s’érigeant en auteur soit condamnée par la société à retourner à son filet ou à son aiguille ». Presque tous les réquisitoires antiféministes sont écrits de ce style. Ils ne méritent pas que l’on s’y arrête.

D’ailleurs, le procédé le plus communément employé pour discréditer le féminisme est, nous l’avons vu, le lancement de fausses brochures féministes. En somme, nul n’ose aborder de front le problème et, en face des théoriciens du féminisme ne se dresse, de 1788 à 1790, nul théoricien de l’antiféminisme. Sans doute, les adversaires même du féminisme jugent-ils les revendications (à l’exclusion de celles, les moins nombreuses, qui concernent les droits politiques) comme raisonnables. Sans doute, surtout, ont-ils conscience que, pour la rénovation totale de la France, les femmes sont une grande force qu’il importe de se concilier. Et tel est à ce moment le point de vue de ceux-là mêmes qui seront plus tard les adversaires du féminisme.


  1. Mme  de Robert. Voyage de Milord Céton dans les sept planètes.
  2. D’Argenson, Loc. cit.
  3. Mme  Roland, Loc. cit.
  4. Réflexions sur les femmes.
  5. À Paris, et dans la région parisienne, les vœux sont très nombreux ; ils figurent dans les cahiers généraux du clergé, de la noblesse et du Tiers de Paris intra-muros et de Paris extra-muros, dans les cahiers des communes de Belleville et de Bessancourt. En Champagne, les cahiers des corporations et de Troyes, le cahier général du Tiers de Château-Thierry, de Provins le portent à leur programme. De même le Tiers du bailliage de Toul, les corporations de métier du bailliage de Bar-le-Duc, les corporations et le Tiers du bailliage d’Angoulême, de Niort, de Saint-Maixent, le cahier du Tiers de Cambrai, le cahier du Tiers de Bretagne, le cahier de la noblesse de Riom et du Tiers de Clermont-Ferrand, le cahier de l’Université d’Orléans, le cahier du clergé et du Tiers de Toulouse, En Provence, seul le cahier de la ville de Marseille fait mention de l’instruction des filles. On ne forme aucun vœu concernant renseignement féminin dans les cahiers bretons.
  6. Cahier de la noblesse, du clergé de Paris, hors les murs. Cahiers de Belleville, de Bessancourt ; cahier du Perche ; cahiers du clergé du Vermandois ; cahier du Tiers de Troyes, cahier de la paroisse de Bret (sénéchaussée de Saint-Maixent).
  7. Cahiers de la sénéchaussée d’Angoulême. Même vœu dans les cahiers du Boulonnais.
  8. Cahiers du bailliage d’Orléans ; cahiers du Tiers État de Toul, cahier du bailliage de Bar-le-Duc.
  9. Cahier du Vermandois.
  10. Bligny-Bondurand. Cahiers de la sénéchaussée de Nimes.
  11. Cahier général du Tiers-État de Paris (Chassin : Les cahiers de Paris, t. II).
  12. Cahiers de la sénéchaussée de Nîmes.
  13. Cahier de la ville de Metz ; cahier du Tiers-État de Mantes.
  14. Cahiers de la sénéchaussée de Nîmes.
  15. Cahiers de Saint-Gratien ; cahier du clergé de Beauvais.
  16. Le parti socialiste allemand a déposé, en 1921, sur les bureaux du Reichstag, une proposition de loi analogue.
  17. Sénéchaussée de Bordeaux : Demandes particulières à diverses communautés.
  18. Bailliage de Rochefort : Vœu du Tiers-État de la ville de Rochefort.
  19. Cahier d’Arcey (bailliage d’Amont) ; Cahier du bailliage d’Amont, par Abensour et Godard, tome I ; Cahier de la ville d’Angoulème ; cahier du clergé de Chartres ; cahier du chapitre de Carrouges (diocèse de Séez), etc., qui demandent des « établissements formés pour occuper les mendiants des deux sexes ».
  20. Cahier du clergé de Chartres.
  21. Cahier général du Tiers-État de la ville de Paris (Chassin. Cahiers de Paris, tome III).
  22. Cahier des traiteurs, rôtisseurs et pâtissiers de Troyes.
  23. Chassin. Les cahiers de Paris, tome II.
  24. Représentées par Jeanne Campeau, et les femmes Cabalin et Jourdan, rédactrices de leurs cahiers.
  25. Cahier des marchands de modes.
  26. Cahier des bouquetières, fleuristes et chapelières en fleur.
  27. Cahier du clergé de Paris. Cahier particulier de la ville de Paris. Cahier du clergé de Vouzon (bailliage d’Orléans). Cahier du Tiers-État de Bordeaux, etc.
  28. Cahier du clergé de Paris hors les murs. Cahier particulier de la ville de Paris.
  29. Cahier du Tiers-État de Bordeaux.
  30. Brochure déposée à l’assemblée du clergé.
  31. Qui avait exposé ces idées dans le Pornographe.
  32. « Qu’il soit défendu aux femmes de tout étage d’avoir un hôtel et d’occuper un appartement au-dessus de 400 livres, qu’il leur soit interdit de louer des loges à l’année. »
  33. Cahier de Bernon (sénéchaussée de Troyes).
  34. Cahier de la commune de Chelles.
  35. Cahiers du bailliage d’Orléans. Cahiers des merciers-drapiers de la ville d’Orléans.
  36. « La France sera une monarchie héréditaire de mâle au mâle. » (Cahier du district des Blancs Manteaux et Cahier général du Tiers de Paris).

    « … Les États Généraux sanctionneront la loi salique » (Cahier de Chelles).
    « Les filles seront exclues du droit à la couronne " (noblesse de Château-Thierry).
    « Les femelles seront exclues du trône » (Bourbonnais).

    « La loi salique sera confirmée » (Cahier de la ville de Brest). « Les filles seront exclues du trône » (Noblesse du bailliage de Caen ; Tiers-État de Douai).

  37. Cahier du bailliage d’Orléans.
  38. C’est pourquoi nous ne mentionnerons pas les brochures parues à la fin de 1789 et en 1790, telle la Déclaration des droits de la femme, d’Olympe de Gouges, et l’Admission des femmes au droit de cité, de Condorcet.
  39. Cf. Bibliographie.
  40. Par exemple, la brochure de l’abbé Sabineau, sur les 32 articles à ajouter aux cahiers des États Généraux (Chassin. Les cahiers de Paris) ; le cahier anonyme des demandes à faire aux États Généraux ; les deux brochures du marquis de Villette, intitulées Mes cahiers et Mes cahiers pour Paris ; l’ouvrage de l’abbé Fauchet sur la Religion nationale.
  41. Motion sur le divorce ; griefs et plaintes des femmes mal mariées. Observation sur le divorce, par le comte d’Antreignes. Le divorce, par Hennet.
  42. Chassin. Les cahiers de Paris. — Baron de Villiers. Histoire des clubs de femmes et des légions d’amazones.
  43. Soit contre la noblesse, soit contre le clergé, soit contre le Tiers-État, suivant les cas.
  44. Par exemple dans la Requête des femmes à MM. composant l’Assemblée des Notables et les Remontrances des femmes du Palais-Royal.
  45. L’exemple le plus remarquable de cette « contamination » entre les revendications féministes, le pamphlet anti-féministe et l’écrit grivois, est la requête des femmes pour leur admission aux États généraux, à MM. les composant l’Assemblée des Notables (s. l. n. d.). Bibliothèque nationale, L. DL. 39/(579.

    La protestation des dames contre la tenue des États prétendus généraux (Paris, 1789. Bibliothèque nationale, L. D. 39/1011), est une pure facétie dont les attaques contre les ordres privilégiés forment le fond.

    La protestation des filles du Palais-Royal (L. B. 39/1075) est un pamphlet contre la noblesse, ainsi que l’Arrêté des dames composant la vraie noblesse de Brest (L. D, 33 /1017), manifestation d’hostilité contre l’esprit réactionnaire des nobles bretons.

    L’avis aux dames (L.D. 39/604) et la Protestation de l’ordre le plus nombreux de France, celui des C… (L. B. 39/1827), sont des pamphlets anti-féministes, auxquels répond sur le même ton la Réponse des femmes (L. D. 39/1828).

    Au contraire, les Remontrances des femmes (L. B. 39/003), la Lettre d’une citoyenne à son amie (L. B. 39/1540), la Requête des dames pour leur admission aux États Généraux, sont très sérieuses.

  46. Motion sur le divorce. Bibliothèque nationale, R. Z., 3481-86.
  47. Griefs et plaintes sur les femmes mal mariées.
  48. Observations sur le divorce, par le comte d’Antraigues.
  49. Griefs et plaintes, etc…
  50. Mémoire sur le divorce.
  51. De la religion nationale.
  52. Marquis de Villette. Mes cahiers.
  53. Dans ses Trente-deux articles à ajouter aux cahiers (Chassin, tome II).
  54. « — Je veux vivre honnête et travailler. — Vous mourrez de faim. — J’ai appris tout ce qu’il faut pour être dans une maison de commerce. — Il n’y a que les hommes qui soient employés chez les connnerçants. — Je copie fort correctement de la musique. — Il n’y a que les hommes qui copient de la musique. — Je me suis encore appliquée au dessin, même à la peinture. — Il n’y que les hommes qui sachent le dessin et la peinture. — Je pince la harpe, la guitare, je touche passablement le clavecin, je donnerai les leçons aux jeunes demoiselles. — Seuls les hommes peuvent donner des leçons. — Eh ! bien, repris-je impatientée ! les hommes l’ont donc ce que les femmes feraient beaucoup mieux à leur place ! »
    (Motion de la pauvre Javotte).
  55. Le bonheur primitif de l’homme. Paris, 1788.
  56. Requête des dames à l’Assemblée nationale.
  57. De l’influence des femmes.
  58. Lettre d’une citoyenne à son amie.
  59. Lettre au peuple. Remarques patriotiques. Le bonheur primitif de l’homme. Le cri du sage par une femme.
  60. Le bonheur primitif.
  61. Paris, 1789.
  62. Le bonheur primitif.
  63. Lettre au peuple.
  64. Le cri du sage par une femme.
  65. L’argument des femmes aux États Généraux.
  66. Les généreuses Françaises. Paris, 1789.
  67. Arch. parl., tome IX.
  68. Discours prononcé par Mme  Rigal dans une assemblée de femmes artistes et orfèvres.