La Femme en blanc/I/Walter Hartright/01

Traduction par Paul-Émile Daurand-Forgues.
J. Hétzel (1 et 2p. 1-2).
Première époque — Walter Hartright


I


Ce que peut supporter la patience d’une femme, ce que peuvent accomplir le courage et la constance d’un homme, cette histoire le dira.

Si tout événement qui prête aux soupçons pouvait être éclairci par les engins compliqués de la loi, et si ces instruments réguliers pouvaient être mis en jeu pour conduire l’enquête jusqu’à son terme, grâce à l’influence lubricante de l’huile d’or, employée avec modération, les incidents racontés dans les pages qui vont suivre auraient déjà été signalés à l’attention publique, volontiers éveillée par un débat devant les tribunaux.

Mais la loi, dans certaines situations inévitables, est d’avance et demeure au service des bourses bien garnies, et voilà comment c’est ici que, pour la première fois, sera contée cette histoire. Telle que le juge l’eût entendue, telle le lecteur l’apprendra. De l’exposition au dénoûment, aucune circonstance essentielle ne sera rapportée d’après un simple ouï-dire. Lorsque celui qui écrit cette espèce d’introduction (il se nomme Walter Hartright) sera plus intimement en jeu que tout autre personnage dans les événements qu’il s’agit de faire connaître, il les relatera en son nom. Dès qu’il cessera de pouvoir parler avec cette certitude, il abandonnera son rôle de narrateur, et sa tâche sera continuée (du point où il l’aura laissée à celui où il la pourra reprendre) par d’autres personnages aussi étroitement impliqués dans les faits à rapporter, et pouvant fournir sur ces faits un témoignage aussi précis, aussi positif que le sien l’avait été jusque-là.

Ainsi, et de même que toute offense aux lois est racontée en cours de justice par plusieurs témoins, le présent récit émanera de plusieurs plumes ; et cela, dans le même but, à savoir : que la vérité soit toujours présentée sous son aspect le plus clair, le plus intelligible, et qu’une série d’événements, formant un tout, soit éclairée du jour le plus vif, les personnes qui s’y sont trouvées le plus étroitement mêlées fournissant, l’une après l’autre, à mesure que chaque épisode successif se présente, le fidèle récit de la part qu’elles y ont eue.

Écoutez donc tout d’abord Walter Hartright, professeur de dessin, âgé de vingt-huit ans.