La Femme du capitaine Aubepin/3

E. Plon et Cie, imprimeurs-éditeurs (p. 30-49).


III


Le capitaine Aubépin était un homme de quarante ans, rude, loyal, d’une obstination dauphinoise greffée, du fait de sa mère, sur un entêtement breton.

Son caractère, tout d’une pièce dans le service, ne s’adoucissait guère dans l’intimité.

Il savait vouloir ; il savait encore mieux ordonner.

Excellent soldat, on pouvait dire de lui, avec exactitude, qu’il ne désarmait jamais.

Cela se lisait dans les lignes fermes de son visage et dans l’éclair froid de son regard d’acier.

Dur à lui-même, il l’était également aux autres.

Parlant peu, il possédait le grand art de ne livrer de ses impressions que ce qu’il voulait bien laisser paraître.

On ne se plaignait pas au 204e d’une seule injustice qu’il eût commise, mais les hommes de sa compagnie étaient rarement tentés d’enfreindre le règlement.

Sans vouloir entendre un mot d’explication, il punissait tout d’abord. Si plus tard, quelque renseignement nouveau déchargeait le coupable d’une partie de sa faute, le capitaine souriait gravement dans son épaisse moustache noire.

— Cela rendra ses camarades plus prudents, disait-il.

Et sa conscience était parfaitement satisfaite de cette application nouvelle de renseignement mutuel dans l’armée.

Ses chefs l’estimaient. Ses collègues étaient faits à ses manières brusques. Le monde aurait trouvé qu’il avait trop négligé de se frotter à sa civilisation raffinée.

Mais le monde avait peu d’occasions de porter un jugement sur son compte, car le capitaine Aubépin ne voulait pas se soumettre à ses exigences et le fuyait systématiquement.

Cet homme entier avait une grande passion, celle de la famille. Il respectait sa vieille mère à l’égal d’une idole ; il avait successivement élevé, dirigé, placé dans de bonnes conditions ses trois jeunes frères ; il aimait sa femme, il adorait ses enfants.

Les indifférents qui voyaient cela disaient avec conviction : « Comme madame Aubépin est heureuse ! »

Où donc l’avait-il découverte, cette femme jeune et distinguée, qui, depuis cinq ans déjà, usait sa douceur persistante aux angles aigus de ce caractère de fer ?

Ce mariage s’était fait très-vite, à Paris, pendant un congé du capitaine. Il en avait fait part à son régiment, et s’était empressé de le rejoindre à Limoges, où le 204e tenait alors garnison.

Dès le lendemain de son arrivée, avec une rectitude militaire, il avait obligé Berthe à se parer, et l’avait présentée aux dix-neuf ménages du régiment.

Madame Aubépin fut trouvée gracieuse, réservée, mélancolique, et suffisamment jolie pour désoler quatre ou cinq dames mûres, qui avaient des prétentions à la beauté.

Avait-elle de l’esprit ? personne ne s’en inquiéta.

Sa dot était-elle brillante ? on ne le supposait guère.

Avait-elle une élégance redoutable ? nullement… et c’était là l’essentiel.

Madame Aubépin fut donc favorablement accueillie, et la sympathie des femmes d’officiers, ses pareilles, lui fut presque généralement acquise triomphe rare.

Depuis lors, on la vit d’année en année un peu plus sérieuse, un peu plus pâle, toujours calme, parlant sans ardeur comme sans lassitude, pleine de déférence pour son mari, de cette déférence délicate qui est aussi loin de la servilité que de l’enthousiasme ; enfin, s’occupant de ses enfants avec une tendresse plus effective que démonstrative.

Les enfants, qui n’échappaient jamais à la surveillance de cette jeune femme instruite et bonne, étaient déplorablement élevés.

Ceci était l’œuvre particulière du capitaine Aubépin, dont la faiblesse paternelle dépassait toutes les limites.

Les trois ans de Bébé comprenaient déjà qu’ils pouvaient abuser…, et c’étaient des cris, des colères, des exigences !…

Marie, la fillette pâle et nerveuse, avait quatre ans, une santé délicate et un art merveilleux pour rendre ses caprices muets aussi productifs que les fureurs bruyantes de son frère.

Berthe avait voulu réagir contre ces tendances inexplicables chez un homme absolu ; elle avait été brisée dans la lutte, et, pour ne pas s’entendre donner tort ouvertement devant ses enfants, elle portait en silence la croix de sa maternité.

Le jour où madame de Lestenac prenait possession, bien à contre-cœur, de ce qu’elle appelait sa cellule, le capitaine Aubépin, en descendant du camp au Petit-Mourmelon, fut étonné de ne point voir ses enfants venir joyeusement à sa rencontre comme ils l’avaient fait les jours précédents.

Vaguement inquiet, il hâta le pas, et les aperçut immobiles et tristes sur le petit perron.

— Qu’avez-vous donc ? leur cria-t il.

— Où est maman ? répondit la petite Marie en se levant.

— Ta mère ! elle n’est donc pas là ?

— Je ne sais pas. Je jouais avec Bébé, j’ai voulu remonter ; la porte est fermée.

— Il fallait appeler.

— J’ai appelé maman, elle ne m’a pas ouvert.

Le capitaine l’écarta doucement, escalada l’escalier, et chercha à ouvrir la porte de son appartement, qui résista tout en s’entre-baillant.

Il n’y avait à l’intérieur ni clef ni verrou mais quelque chose comme un meuble qu’on aurait poussé contre elle.

Effrayé, il fit un effort violent, repoussa l’obstacle et jeta un cri : le corps de Berthe barrait la porte.

Elle était étendue, raidie, blanche comme ces touchantes statues du moyen âge couchées sur les tombeaux.

Le capitaine la souleva dans ses bras nerveux, la déposa sur son lit, et descendit comme une flèche chez le chirurgien-major du 204e, qui présidait en ce moment même à l’aménagement de madame Aurélie Lémincé.

Celle-ci avait trouvé fort ridicules les petites façons de sa voisine de Lestenac, et démontrait à son mari qu’elle, Aurélie, était infiniment supérieure à ces Parisiennes frivoles.

Le capitaine entra sans frapper, renversa un échafaudage de paquets amoncelés, et, courant au docteur, qu’il saisit par le bras :

— Venez vite, major, s’écria-t-il, venez vite, j’ai besoin de vous.

Cette brusque intrusion dans son intérieur parut surprendre le docteur, mais ce fut surtout madame Aurélie à laquelle un pareil procédé parut intolérable.

— Qu’est-ce donc, monsieur ? s’écria-t-elle indignée ; le feu est-il à la bicoque où je veux bien venir camper pour être agréable à M. Lémincé ?… On le croirait, vraiment, à voir la façon… étonnante dont vous pénétrez ici.

— Pardonnez-moi, madame… je suis horriblement inquiet. Au nom du ciel, docteur, venez avec moi !

— Vous avez un enfant malade ? interrogea le docteur en abandonnant la malle qu’il décordait.

— Non, c’est ma femme.

— Ah ! c’est Madame…

Et le docteur marcha vivement vers la porte.

Cet empressement déplut à madame Lémincé.

— Qu’a-t-elle ?… qu’a-t-elle donc ?… insista-t- elle en les suivant tous les deux.

Elle est sans connaissance, répondit le capitaine en s’engageant dans l’escalier.

Madame Aurélie s’arrêta et parut réfléchir.

— Un évanouissement ! fit-elle du bout des lèvres… Peuh ! elle est donc nerveuse, cette petite femme-là ?… et il faut que ce soit mon mari qui l’en retire encore !… Les femmes n’ont plus ni santé ni pudeur. Comme c’est agréable pour moi d’arriver ici, de manquer de tout… et de voir M. Lémincé se prodiguer pour une voisine vaporeuse !

Elle haussa les épaules et rentra chez elle avec humeur.

Pendant quelques minutes, qui lui semblèrent des heures, elle mit en ordre les divers objets épars, tout en tenant une oreille attentive incessamment dressée vers l’étage supérieur, où des allées et venues multipliées se faisaient entendre.

— Ah çà ! murmurait-elle, M. Lémincé va-t-il m’abandonner longtemps ainsi ?… est-il, oui ou non, un médecin militaire ou un médecin de dames ?… Il est inimaginable que, tout médecin de régiment qu’il soit, je ne puisse pas avoir une heure de tranquillité !

Elle arpenta furieusement sa chambre et, prenant une résolution énergique :

— Il faut leur prouver, dès le premier jour, que je vois clair dans tous les manéges, dit-elle en s’élançant dans l’escalier.

Pour avoir de l’air autour de la malade, on avait laissé les portes grandes ouvertes, et rien n’était facile comme d’arriver à elle.

Madame Lémincé n’y manqua pas et se glissa jusqu’au lit.

Berthe revenait seulement à elle. Le premier regard qu’elle jeta sur son entourage était empreint d’un égarement douloureux.

— Où est-il ? prononça-t-elle faiblement en soulevant la tête.

— Je suis là, répondit le capitaine Aubépin en se penchant vers elle.

Mais lorsque leurs yeux se rencontrèrent, elle se rejeta en arrière avec un mouvement répulsif.

Le docteur interrogeait le pouls.

Elle étendit le bras dans la direction du palier sombre, que la porte ouverte laissait apercevoir. et, tandis que le même effarement éclatait sur ses traits décomposés, elle répéta d’une voix troublée :

— Je l’ai vu !… là… je l’ai vu !

— Qui donc ? s’écria le capitaine.

Cette voix la fit tressaillir, elle laissa retomber sa tête, le murmure de ses lèvres s’éteignit.

Madame Lémincé eut un mauvais sourire.

— Elle a beaucoup de fièvre, dit le docteur, il faut envoyer au Grand-Mourmelon chercher le calmant que je vais prescrire.

M. Aubépin ne l’entendit pas. Penché sur la malade, il épiait le sens des sons indistincts qui mouraient sur ses lèvres blanches.

Ce fut madame Aurélie, en épouse attentive, qui arracha un feuillet du cahier de bâtons de la petite Marie, pour permettre au docteur d’écrire sa prescription.

Lambert, l’ordonnance du capitaine qui vaguait dans la cour, reçut l’ordre de la porter, au pas de course, à l’unique pharmacien du village.

Madame Lémincé, s’approchant alors, offrit discrètement ses bons offices comme garde- malade.

Cette proposition, dont le dévouement était peut-être suspect, mais dont la politesse ne pouvait être niée, n’obtint qu’un remercîment banal et un refus positif du capitaine.

Il s’était installé déjà au chevet de Berthe, un peu en infirmier, beaucoup en inquisiteur.

Cette attitude, à laquelle l’instinct féminin de madame Aurélie ne se trompa pas, la décida à opérer sa retraite en emmenant son mari, ce qu’elle eut quelque peine à obtenir, car le digne homme n’était pas sans crainte sur les accidents cérébraux qui pouvaient se produire chez sa malade, et dont quelques paroles incohérentes semblaient les premiers symptômes.

Le capitaine songeait à ce mouvement de répulsion qu’il avait surpris chez sa femme. C’était le premier. Jamais il n’avait entendu ces lèvres indulgentes blâmer sa despotique tendresse. Jamais il n’avait soupçonné que la vie aisée, régulière et monotone qu’il faisait à la jeune femme ne suffisait pas à son complet bonheur.

Ce sont là des aberrations conjugales beaucoup plus fréquentes qu’on ne le croit.

L’homme, fatigué déjà, se repose, dans la paisible atmosphère de la famille, des stériles agitations de la vie de garçon. Il recueille, sur les lèvres fraiches de la jeune fille dont il fait sa femme, les premières aspirations d’une âme qui s’éveille ; il se grise de ce parfum virginal, et ne le voit pas s’échapper, insaisissable et fantasque, et voler plus loin, plus haut, non point toujours au pays des rêves insensés, mais à celui des sentiments tendres de la vie.

L’homme est heureux pourquoi donc la femme ne le serait-elle pas ?

C’était pourtant cette douce Berthe, cette femme modeste, distinguée, qui tout à coup semblait frappée d’égarement, perdait la notion des choses réelles, sa réserve habituelle et jusqu’à la raison.

Il y avait là un douloureux sujet de surprise et d’effroi pour le capitaine qui, pour la première fois, éprouvait l’irritation du doute et la torture du soupçon.

Qui donc avait-elle vu ? Quelle ombre indistincte avait passé devant ses yeux troublés ? Et quelle personne au monde était capable de lui inspirer ce sentiment de terreur et d’émotions à la fois ?

Il vint sans bruit sur le palier, cherchant autour de lui ce point mystérieux qu’avait désigné le bras étendu de Berthe.

Il ne vit rien que les cinq portes uniformes et closes.

Ah ! si pourtant, sur l’une d’elles, la cinquième, une carte, qui n’y était pas encore clouée le matin, se détachait toute blanche dans l’ombre.

Il s’approcha avidement. Ses yeux, dont une curiosité passionnée doublait la perspicacité ordinaire, lurent distinctement : Madame la comtesse de Curnil.

C’était tout, et ce nom ne lui apprenait rien. Désappointé, il tourna sur lui-même et revint monter sa garde attentive près du lit où Berthe s’était peu à peu assoupie.

La tête dans les mains, plongé dans un océan de conjectures invraisemblables, il avait oublié l’heure et ne fut tiré de sa longue rêverie que par un coup discret frappé par le docteur.

Lambert arrivait porteur de fioles et de petits paquets.

M. Lémincé s’approcha vivement de la malade et fut tout surpris de rencontrer ses yeux grands ouverts et calmes.

Avec un bon sourire, il lui enserra délicatement le poignet entre ses doigts. Le pouls, encore agité, était incontestablement meilleur.

— Ah ! vous voilà guérie ! dit-il joyeusement.

— J’ai donc été bien malade, que vous me regardez tous deux d’un air si inquiet ? fit-elle en parlant avec effort.

— Oh ! malade !… Vous avez eu tout simplement un évanouissement.

Et le délire, ajouta le capitaine.

Le délire ! répéta-t-elle avec un subit effroi.

Le docteur tourna un œil terrible sur son compagnon.

— Oui, une sorte de cauchemar que la fièvre vous causait, dit-il en s’efforçant de rire. Ces femmes nerveuses !… ne m’en parlez pas.

— Et qu’ai-je donc dit ?…

— Vous !… rien. Vous repoussiez des fantômes que vous aviez cru voir.

— Des fantômes ! ah ! mon Dieu !

— La belle affaire !… J’ai eu des malades, moi, qui, en tombant en faiblesse, croyaient voir l’enfer, le Père éternel et le jugement dernier.

— Tu ne souffres plus ? interrogea le capitaine en serrant sa main moite qu’elle ne retira pas.

— J’ai la tête lourde. Demain il n’y paraitra plus.

— Mes compliments, madame ; voilà ce que j’appelle une vaillante malade.

— Vous n’ordonnez rien, docteur ?

— Eh ! mon cher, le repos sera le meilleur remède, sauf ce léger calmant… là… prenez ça, madame… je décommande mes potions. Il ne faut pas en abuser par la chaleur, car c’est la chaleur, certainement…

— Oui, oui, dit-elle en saisissant avidement le prétexte qui lui était charitablement offert… J’ai eu très-chaud… ma tête a tourné…

— Ce ne sera rien… À revoir, madame…

— Mille remercîments, mon cher docteur, dit le capitaine en l’accompagnant.

— Où sont les enfants ? demanda Berthe.

Les enfants ! où étaient les enfants ? Depuis qu’ils étaient au monde, c’était la première fois que leur père les avait oubliés.

Il se troubla, balbutia et sortit précipitamment à leur recherche. Quand elle fut seule, Berthe serra son front dans ses mains et murmura d’une voix profonde :

— N’ai-je pas été folle un instant ?

Il se fit à sa porte un bruit de petits pas, et madame de Lestenac, tenant un enfant de chaque main, s’avança toute souriante.

Je vous ramène les chers petits, dit-elle. Berthe lui tendit la main en la remerciant. Tout était en révolution ici, les pauvres agneaux pleuraient. Je les ai appelés et consolés. Je ne savais trop comment faire, moi, je n’ai jamais eu d’enfants ; mais Anna leur a donné des chiffons, et nous les avons amusés tant bien que mal.

— Comme vous êtes bonne !

— Eh ! non ! c’est tout simple. Comment vous trouvez-vous ?… Mieux !… Allons, ce n’est qu’un étourdissement. Je m’étonne de n’en avoir pas déjà prix deux ou trois depuis ce matin, tant je vois ici de choses renversantes.

— Tant que cela ?

— Certes.

— Quoi donc ?

— D’abord, se peut-il imaginer quelque chose de plus baroque que le campement que nous acceptons ?

— Vous trouvez ?

— Je trouve que les bohémiens, au bord des routes, sont infiniment plus heureux que nous.

— Oh ! n’est-ce pas aller trop loin ?

— Ils ont l’habitude de manquer de tout, ce qui est déjà un avantage ; ensuite, c’est par goût qu’ils prennent une voiture roulante pour de- meure ; tandis que jamais, au grand jamais, je n’aurais choisi pour gite la petite cage que M. de Lestenac a pris soin de garnir de bátons pour m’empécher de m’en échapper.

— Que dites-vous donc là ?

— Et ces bâtons-là, chère madame, sont l’amour-propre et l’entêtement.

— Vous l’avouez.

— Il le faut bien. J’ai déclaré à ma famille vouloir suivre mon mari au camp. On m’a traitée de folle — et, entre nous, on n’avait pas tout à fait tort. — J’ai persisté, me voici.

— Et vous vous repentez déjà ?

— Hum !… décemment, je ne peux pas me désister si vite que cela.

Berthe souriait doucement en écoutant ce babillage d’enfant gâté, et sa main pâle caressait les petites têtes qui se pressaient contre son lit.

On entendit un grand bruit dans l’escalier.

— Bon ! voilà mes bagages, s’écria Louise de Lestenac ; je cours les recevoir pendant que Flavien n’est pas là… Ce seraient encore de beaux cris !

— Il est donc bien terrible, ce jeune mari ?

— Je n’ai fait apporter pourtant que le nécessaire, mais les hommes n’entendent rien de rien à ces exigences. M. Aubépin est-il plus conciliant ?

— M. Aubépin est toujours disposé à me faire plaisir, répondit Berthe faiblement.

— Recevez-en toutes mes félicitations… Au revoir… je me sauve.

C’étaient, en effet, les bagages de madame de Lestenac qui venaient d’arriver, et dont le développement insensé remplissait le palier, l’escalier, la cour.

Et le camion du chemin de fer versait toujours de nouveaux colis sur les degrés de la maison Nicolle.

À l’intérieur, le chapeau bleu-impérial se retrouvait dans son domaine, déployant des prodiges d’activité.

À l’extérieur, un homme était plongé dans une désolation indicible à la vue de cette marée montante.

C’était Flavien de Lestenac.

Il contemplait d’un œil morme cette succession fantastique de malles longues et respectables, de sacs de nuit arrondis, de cartons à chapeaux fragiles.

— Les deux chambres n’y suffiront pas ! grommelait-il en cherchant vainement à se frayer un passage ; et le lit de Louise…, et celui du chapeau bleu-impérial…, je ne trouverai jamais un brin de place… Allons, Louise a raison j’ai ma tente.

Ce souvenir eut pour résultat de faire renoncer M. de Lestenac à l’escalade de son appartement.

Il rentra au camp d’assez mauvaise humeur, et, pour la centième fois depuis six mois qu’il était marié, il se déclara totalement dépourvu de toute vocation conjugale.