Albert Méricant (p. 255-265).
Le grenat  ►
Quatrième partie


III

FIN DE DEUX RÊVES


Le duel eut lieu le jour suivant, à deux heures de l’après-midi, dans la forêt de Saint-Germain.

La sérénité de Sallenauve arrivé le premier sur le terrain était véritablement singulière. Bricheteau avait l’air d’un condamné à mort ; quant à Canalis, il se montrait grave, solennel, voire même, comme le lui reprochait un jour madame de Camps, un peu olympien.

Quand Maxime de Trailles parut escorté de Franchessini et du marquis de Ronquerolles, tout le monde fut frappé de quelque chose de fiévreusement tranquille, si l’on peut ainsi parler, qui se marquait dans toute l’habitude de sa personne. Ses airs, ordinairement insolents, ne lui faisaient pas défaut ; mais on sentait qu’il jouait un rôle, et un abattement plein d’anxiété eût été l’expression vraie de sa situation intérieure, si, par une grande domination exercée sur lui-même, il ne fût parvenu à recouvrir d’une couche de superbe insouciance tout le travail latent qui se faisait en lui.

Dès sa venue, Sallenauve le prit à part :

— Ce fou, lui dit-il, dont j’ai à excuser la démarche, n’a pu vous joindre comme je le lui avais recommandé ; mais le soir même du jour où le colonel Franchessini m’avait avisé de son attitude, il a quitté Paris, nous n’avons donc rien à redouter de sa mauvaise tête.

— Je vous prie de croire, répondit Maxime, qu’il m’avait très médiocrement intimidé.

Et sans plus d’explication, retournant au groupe que formaient les témoins :

— Eh bien ! messieurs, dit-il d’un ton dégagé, vous ne prenez pas vos dispositions ?

— Avant de les prendre, dit le marquis de Ronquerolles, nous avons besoin de vous engager à vouloir bien encore réfléchir ; en nôtre âme et conscience et, autant que nous pouvons imaginer les raisons de la cruelle extrémité à laquelle vous paraissez arrêtés, nous ne voyons pas de sérieuses raisons pour vous laisser aller jusqu’au bout.

— Il a été convenu, monsieur le marquis, répondit Sallenauve, qu’aucune conversation de cette espèce ne serait entamée.

— Allons, dit le marquis, monsieur de Canalis et vous, colonel, voulez-vous bien mesurer la distance ?

Franchessini et Canalis déterminèrent un espace de trente pas qu’ils divisèrent ensuite en trois portions égales.

Une boîte de pistolets avait été des deux parts apportée : les armes examinées et reconnues de fabrication supérieure, elles furent chargées par MM.  de Canalis et Franchessini, et ensuite, chacun des combattants reçut deux pistolets, l’un pris dans la boîte qu’il avait apportée, l’autre dans la boîte de son adversaire.

Ainsi armés, Sallenauve et M. de Trailles furent placés aux deux extrémités de l’espace précédemment déterminé ; ils avaient devant eux un tiers de cet espace à parcourir, de telle sorte que si tous deux s’étaient avancés sans faire usage de leurs armes, jusqu’à cette limite, ils auraient pu échanger leur feu à la distance de dix pas.

Il était convenu que, le signal une fois donné, chacun des combattants pourrait marcher ou rester en place et choisir son moment pour tirer, mais en se servant de la main dans laquelle, primitivement, chacune des deux armes aurait été placée.

Canalis avait insisté pour l’adoption de cette forme un peu insolite du combat au pistolet, disant que ce mode lui paraissait plus animé ; qu’on évitait ainsi le désagréable entr’acte de la reprise, quand les adversaires voulaient échanger un second coup ; que, tirés de la main gauche, deux coups sur quatre avaient moins la chance de porter ; et qu’enfin c’était là réellement se battre et ne pas servir alternativement de cible au feu de son ennemi.

Remarquant la tranquillité vraie de Sallenauve et le calme étudié de Maxime, dont ces dispositions ne favorisaient pas la supériorité bien connue, Bricheteau avait fini par prendre un peu courage, et nous avons le plaisir de constater qu’il fit assez bonne contenance.

Aussitôt le signal donné, Maxime s’avança rapidement de cinq pas et tira de la main gauche pendant que Sallenauve faisait trois pas d’un mouvement plus calme.

Le coup fut perdu, et Sallenauve s’arrêta sans riposter.

Maxime, évidemment, n’avait plus son sang-froid ; il marcha jusqu’au bord de sa limite ; Sallenauve fit deux pas de plus, ce qui le mettait à quinze pas de son adversaire, et pendant que M. de Trailles l’ajustait sans une affectation trop marquée, il fit mine de tirer de la main droite, mais sans laisser partir son coup.

Celui de M. de Trailles retentit, et en voyant que son adresse habituelle ne l’avait pas servi, il devint blême et jeta avec colère ses deux pistolets à ses pieds.

Sallenauve vint alors jusqu’à la ligne qui marquait son terrain, et après avoir un instant braqué ses armes sur son adversaire, il les releva et tira ses deux coups en l’air, sans tuer toutefois l’un de ses témoins, ainsi qu’on le raconte d’un combattant encore plus maladroit que généreux.

— Mais je n’accepte pas ce dénoûment, s’écria Maxime, je ne veux point de grâce.

— Vous plaît-il que nous recommencions ? demanda tranquillement Sallenauve, nous aurons tous deux perdu nos deux coups.

— Allons, Maxime, dirent avec autorité ses témoins, vous ne pouvez forcer monsieur à user de son avantage. Tout s’est passé comme il convenait, et nous déclarons le combat terminé.

— J’ajouterai un mot, dit Sallenauve ; j’ai désiré avoir cette rencontre pour me dispenser d’en avoir une autre qu’il m’était à la fois impossible d’éviter et d’accepter ; mais, en somme, j’aurais regretté que mal fût arrivé à M. de Trailles ; car, malgré d’anciens griefs contre lui, je n’aurais probablement pas pensé à venir lui demander raison, sans la circonstance que la loyauté m’ordonne de déclarer.

Cette explication consolante pour l’amour-propre de M. de Trailles et le sentiment du terrible danger auquel il venait d’échapper, finirent par lui donner un bon mouvement :

— Monsieur, dit-il en s’avançant vers Sallenauve et en lui tendant la main, j’ai eu avec vous des torts, je me plais à le reconnaître ; votre vengeance est aussi complète que généreuse. Désormais, vous pouvez compter que tout est bien oublié.

On se sépara donc de bon accord, et, dans la joie de ce résultat si heureux, Bricheteau eut un mot très gai :

— Vous êtes plus méchant, dit-il à son ami, que vous n’en avez l’air ; vous pouviez faire le bonheur de la famille Beauvisage, et vous venez de commencer sa ruine.

De mauvais bruits commençaient en effet à courir sur la situation de fortune des anciens richards d’Arcis, et Maxime passait pour n’être pas étranger au désastre qui semblait se préparer.

Après avoir déposé M. de Canalis à sa porte :

— Chez madame de l’Estorade, dit Sallenauve à son valet de pied.

Madame de l’Estorade, qui vivait assez retirée, n’avait pas vu d’officieux venus pour l’aviser de ce duel, qui dès la veille pourtant était le bruit de tout Paris.

Elle n’eut donc pas l’élan de tendresse que l’on montre à un ami quand on le sait échappé à un grand péril. Elle parut au contraire triste et contrainte.

— Il y a bien longtemps qu’on ne vous a vu, monsieur, dit-elle, auriez-vous été indisposé ?

— Non, répondit Sallenauve, j’ai été retenu par des affaires graves, lesquelles ont abouti pour moi-même à une résolution pénible : je viens, madame, vous rendre votre parole.

Les femmes sont toujours femmes :

— J’allais, monsieur, vous redemander la mienne, répondit la comtesse avec une vivacité qui témoignait du déplaisir qu’elle éprouvait à avoir été prévenue.

M. Armand est-il là ? demanda Sallenauve.

— Je le crois dans sa chambre avec un de ses amis.

— Me montrerais-je indiscret en vous priant de le faire venir ?

Le ton un peu solennel dont fut faite cette question donnant à penser à madame de l’Estorade :

— Armand, dit-elle, serait-il pour quelque chose dans la résolution que vous m’annoncez ?

— Sans doute, répondit Bricheteau ; vous ne savez donc pas la belle équipée qu’il est venu faire à Ville-d’Avray ?

— Mais, sans aucun doute, je l’ignore, repartit la comtesse. S’il a commis quelque faute grave, il est bien naturel qu’il ne soit pas venu me la confier. Dans tous les cas, ce n’est dans aucune de ses démarches que j’ai pris le courage de la détermination qui cadre si bien avec celle de monsieur.

— Mais la cause de ce changement, demanda Sallenauve, ne peut-on la savoir de votre côté ?

— Le courage de Naïs, répondit madame de l’Estorade, n’était qu’en surface. N’ayant pas trouvé tout d’abord à s’engager ainsi qu’elle l’avait pensé, elle a encore été influencée par une inconvenante confidence de mon père. L’autre jour, avec cette légèreté et cette crudité de paroles qu’on reproche avec trop de raison aux gens de notre pays, M. de Maucombe eut l’imprudence de me raconter en présence de ma fille, que, chez les Dames Anglaises du faubourg Saint-Honoré, j’avais de son fait une sœur consanguine. Naïs est partie de la révélation de ce secret pour donner à sa première résolution une forme un peu plus supportable. Sans se douter qu’elle allait se jeter au bras d’une autre rivale, à mon insu, elle a prié son grand-père de la mener voir sa tante au couvent. Une fois là, elle a demandé à y faire une retraite de quelques jours, mais il est bien facile de deviner son idée.

— Mademoiselle de Lanty, dit Sallenauve, se laissant aller à une remarque un peu égoïste, a dû être bien surprise.

— Moins qu’on ne pourrait le croire, répondit madame de l’Estorade. Aussitôt après la mort de M. de Lanty, M. de Maucombe était allé, avec madame de Lanty, voir sa fille la religieuse ; là, suivant son habitude, il avait beaucoup causé, en sorte qu’avant même la visite de Naïs, la communauté tout entière était au courant de bien des choses.

— Mais pourquoi, demanda Bricheteau, ne pas user de votre autorité maternelle pour exiger que votre fille vous soit rendue ?

— J’ai vu la supérieure, répondit la comtesse ; elle n’a pas la moindre pensée de captation, et je suis tombée d’accord avec elle que, continué pendant quelques semaines, le séjour de Naïs dans cette tranquille maison pourrait contribuer à ramener le calme dans sa pauvre tête.

— Mademoiselle de Lanty, demanda timidement Sallenauve, vous ne l’avez pas vue ?

— Non, monsieur, repartit madame de L’Estorade, je ne l’ai pas vue, mais elle m’a écrit, et j’aurai l’honneur de vous communiquer sa lettre : il y est fort question de vous.

Sur ce, parut M. Armand, que sa mère avait fait appeler au moment où Sallenauve s’était montré curieux de sa présence.

En voyant les deux amis, le jeune chef de famille ne parut rien moins qu’à son aise.

— Monsieur Armand, lui dit Sallenauve, vous êtes venu me signifier l’autre jour à Ville-d’Avray que mon mariage avec madame votre mère n’avait pas votre approbation…

— Comment ! interrompit madame de l’Estorade, il a osé !

— La jeunesse ose tout aujourd’hui ! reprit Sallenauve ; c’est pour cela qu’il lui faut de vertes leçons et que je prends résolûment ici tous mes avantages. Ce mariage qui vous déplaisait, continua-t-il en s’adressant à Armand, je le tiens maintenant pour impossible, mais cela par des considérations toutes différentes de celles que vous aviez bien voulu prendre la peine de faire valoir auprès de moi.

— Mais quelle était la nature de ces considérations ? demanda vivement la comtesse.

— Oh ! dit Bricheteau, que M. de Sallenauve ne remplacerait pas dignement M. le comte de l’Estorade ; que le susdit Sallenauve avait une fort mauvaise renommée ; qu’il faisait manquer le mariage de mademoiselle Naïs avec M. de Restaud, et qu’enfin on lui passerait son épée au travers du corps, s’il se permettait d’insister.

— Vous, Armand, de pareils procédés avec monsieur ! s’écria la comtesse ; après ce qu’à une autre époque il avait fait pour vous !

— Ma mère, répondit Armand, je suis encore plus coupable que vous ne pouvez le penser. Pour éviter une lutte avec moi, et en même temps pour n’avoir pas l’air de la craindre, monsieur s’est cru dans la nécessité de réveiller ses anciens démêlés avec M. de Trailles, et il y a une heure, il exposait sa vie contre lui.

— Mais, malheureux enfant, dit madame de l’Estorade en joignant les mains avec épouvante, si ce qui était possible était arrivé !

— Le ciel n’a pas permis, répondit Armand, que ma punition fût poussée à ce point. Au lieu du malheur que j’avais préparé, il a donné à l’ami, au sauveur de toute notre famille, l’occasion de faire éclater cette grandeur d’âme que moi seul ici j’avais méconnue. Jamais homme, me disait tout à l’heure mon ami la Bâstie, qui avait entendu raconter les circonstances du duel par M. de Ronquerolles, ne mena une rencontre d’une façon plus généreuse et plus noble. Aussi, moi, est-ce dans cette noblesse et dans cette générosité que j’espère, pour obtenir mon pardon.

— Ne parlons pas de pardon, dit Sallenauve, en serrant la main du pauvre garçon ému jusqu’aux larmes ; parlons de mon amitié qui vous fut toujours offerte et que je suis heureux de vous voir enfin accepter.

— Et la mienne par-dessus le marché ! dit gaîment Bricheteau.

Pendant qu’une chaude poignée de mains s’échangeait entre Armand et l’organiste, René entra à sa manière, comme un boulet de canon, et se jetant au cou de Sallenauve :

— Mon brave ami, lui dit-il, au sortir de la classe, l’histoire de votre duel a été connue ; je vous apporte l’approbation en masse du collège Henri IV et celle de toutes les écoles préparatoires pour la marine.

— Bon René ! dit madame de l’Estorade en embrassant son second fils et en portant son mouchoir à ses yeux. Ensuite elle se leva, passa dans une pièce voisine, et ne tarda pas à en revenir, apportant la lettre dont elle avait parlé à Sallenauve et qu’elle lui remit.

« Ma chère sœur, écrivait mademoiselle de Lanty, j’ai ce bonheur que, dans les habitudes de la sainte vie à laquelle je me suis vouée, ce doux nom puisse vous être donné sans éveiller un regrettable souvenir. Il m’en eût coûté de vous appeler madame, car, sans vous connaître, je vous aime ; et comment en serait-il autrement ? On vous dit pleine de vertus et de grâces, et il paraît que, par la forme extérieure, notre ressemblance a quelque chose de frappant.

» Quand vous êtes venue à notre maison et qu’à notre mère supérieure, vous offrant de me faire appeler, vous avez répondu que cette entrevue ne vous paraîtrait pas convenable, j’ai peur, ma chère sœur, que vous n’ayez cédé à un sentiment que je suis bien étonnée d’exciter encore. Sœur Eudoxie n’est pas plus faite pour aller sur les brisées de personne ; elle a dit adieu à tous les souvenirs et à toutes les pensées du monde, et quoique aujourd’hui elle pût paraître pure et sans tache devant l’homme à l’estime duquel elle convient avoir autrefois tenu, elle n’est pas même dans l’intention de le revoir ; comment donc pourrait-elle avoir la pensée de le disputer à quelqu’un ?

» Mais vous-même, chère sœur, après ce que vous savez maintenant des dispositions désespérées de notre Naïs, pensez-vous donner suite à une combinaison plus ingénieuse que solide, lorsqu’elle se trouve en présence d’une pareille force de passion ?

» Si l’on pouvait encore s’épouser d’un trait de plume, comme je me rappelle que cela se fait dans les comédies que j’ai vues autrefois, Naïs aurait pris le mari qui s’offrait à elle, et peut-être le sentiment d’un engagement irrévocable l’aurait fortifiée et soutenue. Mais du moment qu’un certain délai était nécessaire, vous auriez vu, la première ivresse de son sacrifice dissipée, un sombre désespoir succéder à sa résolution courageuse, et le cœur lui eût manqué pour mener jusqu’au bout sa généreuse et surhumaine abnégation.

» Maintenant, je ne mets pas en doute votre courage à vous-même ; nous sommes du même sang, et dans ce sang on se dévoue. J’ai dû me dévouer pour ma mère ; vous vous dévouerez pour votre fille, et, plus heureuse que moi, vous n’emporterez de votre dévoûment ni une flétrissure, ni la nécessité de vous ensevelir vivante.

» Quand votre cœur saignera, vous penserez à ce que j’ai dû souffrir avant d’arriver à ce calme que le témoignage de ma conscience n’aurait pas suffi à me donner sans le concours des sublimes consolations de la religion.

» Mais M. de S… n’a pas d’entraînement pour Naïs ; mais votre dévoûment sera en pure perte ; mais il y a dans ce mariage mille défauts de convenance. D’accord ; commencez pourtant par faire votre devoir de mère ; au reste, la Providence pourvoira.

» M. de S… est un esprit trop élevé pour ne pas être touché à la longue de cette tendresse si ardemment dévouée, qui a son excuse dans le plus noble des sentiments, celui de la reconnaissance. Le plus grand défaut de convenance, il n’est pas tant dans l’âge : il est plutôt dans certains plis que votre excessive indulgence a laissé prendre à l’esprit et à l’imagination de notre chère enfant. Laissez-nous-la quelque temps, puisqu’elle veut bien rester avec nous ; nous n’en ferons pas une béguine, ce n’est pas là le ton de notre maison, mais nous mettrons un peu plus d’ordre dans ses idées ; notre mère supérieure est admirable pour ces sortes de redressements, et moi-même j’ai éprouvé ce que ses conseils et ses enseignements peuvent faire pour la santé d’une âme malade.

» Déjà elle a obtenu un heureux résultat : celui de persuader à ma mère et à M. de Maucombe de régulariser leur situation. Aussitôt que le délai nécessaire sera écoulé, nous serons vraiment et dignement sœurs, et nous pourrons nous aimer sans peur et sans reproche, si je parviens à vous inspirer les sentiments que j’éprouve pour vous.

» Naïs dit que vous êtes excessivement pieuse ; consultez votre confesseur, il vous dira que, devant notre sainte mère l’Église, les seconds mariages ne jouissent pas d’une grande faveur. Lorsque, de la première union, il y a des enfants en âge de raison, il est rare que les secondes noces n’amènent pas de grands troubles dans les familles ; et les premières elles-même, témoins celles dont je suis née, sont-elles souvent heureuses ?

» Mais voilà que la religieuse se montre ici plus que de raison, et, au lieu de causer avec vous, ma chère sœur, je prêche ; les sermons les meilleurs n’étant certainement pas les plus longs, je m’arrête ici en vous embrassant de cœur.

 » Mariana de L.
 » En religion sœur Eudoxie. »

Pendant que Sallenauve lisait cette lettre, qui venait bien nettement trancher la fin de deux de ses rêves de cœur, madame de l’Estorade avait parlé à Armand.

La lecture achevée, celui-ci s’approcha de M. de Sallenauve :

— Monsieur, lui dit-il, pour vous prouver à quel point la raison m’est revenue, avec l’autorisation de ma mère, je m’empresse de vous exprimer tout le bonheur que j’aurais à être votre beau-frère.

— Ah ! tu y viens donc aussi, dit René en serrant la main à Armand.

— Madame votre mère, répondit Sallenauve, sait que, dans tous les cas, quelque délai est nécessaire avant que cette question puisse être résolue, et nous sommes payés pour savoir qu’entre un mariage fait et un mariage à faire il y a souvent des abîmes. Quant à présent, je pars avec Bricheteau pour l’Italie, où je suis appelé par d’impérieux devoirs. Veuillez donc, madame, ajouta-t-il en saluant cérémonieusement madame de l’Estorade, recevoir nos adieux.