Albert Méricant (p. 246-255).
Quatrième partie


II

LA RÉHABILITATION


Le vieux Philippe reparut un moment après, mais pour annoncer le colonel Franchessini.

Cette visite pouvait paraître de bon augure ; peut-être, pensa aussitôt Bricheteau, venait-il apporter des paroles de paix.

— Monsieur, dit Franchessini à Sallenauve, vous avez eu ce matin avec M. le comte Maxime de Trailles une conversation qui semble devoir être suivie de conséquences regrettables ; je dois me hâter de vous dire que je ne viens pas de la part de M. de Trailles qui m’a fait l’honneur de me choisir pour un de ses témoins.

— Je le savais, répondit Sallenauve, il vous avait désigné à moi comme la personne avec laquelle devaient s’entendre mes amis.

— Sans donc, reprit le colonel, vous parler au nom de celui qui m’a confié ses intérêts, j’oserai vous demander si la nécessité de cette rencontre vous semble expressément démontrée ? M. de Trailles m’a paru plus étonné que blessé de la scène qui s’est passée entre vous, et je suis certain que si vous vouliez bien ne pas me défendre d’intervenir dans un sens pacifique, j’obtiendrais quelques paroles satisfaisantes relativement aux griefs que vous croyez avoir contre lui ; de cette manière, nous couperions court à une affaire de tout point déplorable.

— Rien n’est plus évident, dit Bricheteau, c’est une affaire à arranger.

— Je ne suis pas de votre avis, mon cher, répondit Sallenauve ; c’est, selon moi, une affaire qui doit suivre son cours, et vous manqueriez à la promesse d’une assistance loyale et dévouée, que vous avez bien voulu me faire, si ce soir, quand, avec M. de Canalis, vous vous trouverez réunis chez monsieur, pour préciser les conditions de la rencontre, vous preniez la question dans le sens que vous venez d’indiquer.

— De telle sorte, dit Franchessini, que, dans votre pensée, aucune espèce d’arrangement n’est possible ?

— Oui, colonel, répondit Sallenauve, c’est un parti irrévocablement pris.

Bricheteau fît un geste d’impatience désolée.

— Alors, dit Franchessini, il faut que je vous parle d’une complication très fâcheuse en vous priant de vouloir bien y mettre ordre.

— De quoi s’agit-il ? demanda Sallenauve avec curiosité.

— Ma position, dans cette affaire était très difficile. Le service que venait me demander Maxime est un de ceux qui ne se refusent pas. D’autre part, une personne qui vous tient de près, et qui ne vous a, sans doute, pas laissé ignorer qu’entre lui et moi existent des souvenirs d’une amitié fort ancienne, devait m’en vouloir à la mort, de m’être mêlé à cette affaire, s’il arrivait surtout que les suites en devinssent funestes. J’ai donc cru que je devais venir lui demander en quelque sorte l’autorisation d’accepter le mandat de M. de Trailles ; mais, je dois le dire en toute franchise, le fond de ma démarche c’était l’espérance que, usant sur votre esprit d’une influence très légitime, cette personne parviendrait à calmer votre irritation et à vous inspirer des sentiments plus modérés.

— Je ne comprends pas bien, dit Sallenauve ; de quelle personne entendez-vous parler ?

— Mais de M. Saint-Estève avec lequel je viens d’avoir une longue conversation.

— Vous êtes venu parler ici à M. Saint-Estève ? demanda Sallenauve dans le dernier étonnement.

— Sans doute, Saint-Estève m’a écrit il y a deux jours qu’il avait donné sa démission, qu’il quittait Paris, et que si j’avais quelque chose d’important à lui communiquer, j’eusse à lui écrire ici sous le nom de M. Jacques.

— Comprenez-vous quelque chose à cela ? demanda Sallenauve à Bricheteau.

— Oui, je vous l’expliquerai, répliqua l’organiste, mais permettez à monsieur de poursuivre.

— J’ai donc vu tout à l’heure Saint-Estève, reprit Franchessini ; la manière dont il a pris sa paternité a véritablement quelque chose de touchant. Vingt fois, durant votre absence, je l’ai vu prêt à tout quitter pour aller vous rejoindre, et, depuis votre retour, l’idée d’avoir avec vous une entrevue, que la brusquerie de votre départ pour l’Amérique avait rendue impossible, n’a cessé d’être pour lui l’objet d’une fiévreuse préoccupation. Mais tout à l’heure, quand je lui ai annoncé le péril dans lequel vous étiez sur le point de vous engager, il ne s’est plus connu ; sans vouloir comprendre, qu’après tout, en rendant à M. de Trailles le service qu’il était venu solliciter de moi, je ne faisais point contre vous acte d’hostilité, il m’a traité comme le dernier des traîtres et des misérables ; et, parti comme un fou pour Paris, il se propose de signifier à votre adversaire que si un cheveu tombe de votre tête une vengeance terrible est suspendue sur la sienne.

— Mais, s’écria Sallenauve, c’est là un zèle on ne peut pas plus fâcheux ; je n’en sais pas le moindre gré à celui qui se le permet.

— Je vois la chose comme vous, dit le colonel ; M. de Trailles n’est sans doute pas homme à reculer devant des menaces ; mais enfin c’est une tentative contre le sang-froid dont il aura besoin ; il sait que Saint-Estève a fait ses preuves, et qu’emporté par la passion, il peut se porter aux dernières extrémités.

— Soyez tranquille, répondit Sallenauve, je verrai ce dangereux protecteur ; et si, contre mon attente, je n’obtenais pas de lui la promesse d’une attitude calme et résignée, pour toutes les éventualités possibles, veuillez dire à M. de Trailles que, malgré mon ardent désir de me rencontrer avec lui, je préférerais tout faire pour éviter une lutte qui ne me paraîtrait plus loyale.

— Du reste, dit Franchessini en se disposant à sortir, je vous répète, monsieur, que l’issue de cette affaire si malheureusement compliquée est encore tout à fait dans vos mains.

— Ce soir, à huit heures, M. de Canalis et M. Bricheteau seront chez vous pour tout régler, se contenta de répondre Sallenauve.

— Soit, dit Franchessini, j’aurai l’honneur de les attendre avec M. de Ronquerolles, que M. de Trailles a déjà prévenu.

Aussitôt que les deux amis furent seuls :

— Vous m’avez promis, dit Sallenauve, de m’expliquer la singularité de M. de Saint-Estève, installé dans cette maison à mon insu et y faisant adresser ses lettres.

— Mon Dieu ! dit Bricheteau, voilà je pense, tout le mystère : suivant la permission que vous m’en aviez donnée, j’avais averti notre homme que ces jours-ci il serait reçu par vous. Ses ardeurs de paternité, qui finissent par avoir quelque chose de maladif, l’auront poussé à imiter les amoureux de comédie, qui se déguisent pour avoir accès auprès de leurs maîtresses. Une place d’homme de journée était vacante auprès de votre jardinier, il l’aura séduit et se sera, de cette façon, insinué dans la maison. C’est ce qu’est venu me dire tout à l’heure Philippe, qui ne se trompait pas en croyant avoir démêlé en lui un ouvrier de contrebande.

— Maintenant, dit Sallenauve, il est sûr de me voir, car il faut absolument que M. de Trailles soit rassuré sur son intervention.

À ce moment Philippe parut à la porte et fit signe à Bricheteau que l’homme en question était de retour.

L’organiste sortit, et un moment après il introduisait Vautrin, vêtu d’une blouse blanchâtre qui, en effet, le déguisait assez imparfaitement.

Cet homme, d’une trempe énergique jusqu’à la férocité, était devenu tremblant comme un enfant, à l’idée de comparaître devant le Dieu, son fils. Bricheteau fut obligé de l’aider à s’asseoir sur un siège placé auprès de la porte, car, dès qu’il avait aperçu Sallenauve, il était devenu effrayant de pâleur et ses jambes flageolaient sous lui. De la place où il s’était affaissé il se laissa couler sur ses genoux, et les mains tendues vers son idole :

— Monsieur, s’écria-t-il d’une voix entrecoupée de sanglots, je viens vous demander pardon d’être votre père !

Il était impossible de ne pas se sentir ému par ce spectacle. Sallenauve courut au-devant de cet homme, qui parvenait en quelque sorte à se relever par la grandeur de son abaissement, et après l’avoir forcé à quitter son humiliante posture, afin d’éviter toute explication sur le passé, se hâtant d’aborder sa grave préoccupation du moment :

— Avez-vous vu M. de Trailles ? demanda-t-il, ainsi que vous en aviez manifesté l’intention au colonel Franchessini ?

— Oui, certes, je l’ai vu, répondit Vautrin ; et après ce que je lui ai fait comprendre, sa main, je vous le garantis, ne sera pas sûre quand il vous aura au bout de son pistolet.

— Monsieur, s’écria Sallenauve, vous voulez donc me perdre d’honneur ? Je suis le provocateur ; c’est moi qui, à tout prix, ai voulu avoir une rencontre avec lui !

— Vous, le provocateur, quand depuis six années il n’a pas cessé d’être votre mauvais génie ! Vous avez fait ce que vous deviez faire, et moi je fais ce que je devais.

— Mais non, reprit vivement Sallenauve, j’ai invoqué le jugement de Dieu, et à aucun titre vous n’avez le droit d’intervenir pour faire mettre en suspicion la sincérité de l’arrêt qui sera rendu.

— Dieu, répondit Vautrin, permet parfois le triomphe du méchant, et je ne vous laisserai pas à la merci de ce brave qui s’est rendu expert dans l’art de tuer les hommes, afin de mettre la mort entre lui et leur mépris.

— J’ai calculé tout cela, reprit Sallenauve ; ce duel, néanmoins, je l’ai voulu parce qu’il m’était nécessaire, et maintenant vous allez le rendre impossible ; jamais je ne me battrai contre un homme que vos menaces auront démoralisé.

— Je n’ai fait, répondit Vautrin, qu’égaliser les chances.

— Vous vous trompez, dit Sallenauve ; ce que vous avez pu donner à entrevoir à M. de Trailles, ce n’est pas un adversaire venant prendre ma place si je succombais ; il refuserait, et il en aurait le droit, de se mesurer avec vous. Un crime, voilà le sens de votre menace. La noble vengeance que vous me promettez là !

— Un homme peut toujours, dit Vautrin, forcer un adversaire à se battre, à moins que cet adversaire ne soit le dernier des lâches. Ce ne sera peut-être pas un duel avec toutes vos formalités voulues ; mais si ce Maxime de Trailles a le malheur que la victoire lui reste, tout en lui laissant défendre sa vie, je sens que je le tuerai ; je le lui ai dit, et il y pensera.

— Alors, dit Sallenauve, ma rencontre avec lui n’aura pas lieu ; j’irai s’il le faut, jusqu’à lui faire des excuses ! ce sera une autre obligation que je vous aurai.

— Je vous promettrais d’être résigné et calme, répondit Vautrin, que ma parole, voyez-vous, ne serait pas tenue. Un homme qui aurait tué mon fils, ajouta-t-il en s’animant par degrés, oh ! j’aurais sa vie ou il aurait la mienne, dussé-je voir l’enfer ouvert à mes côtés !

— Mais vous aimez donc mieux me voir flétri, déshonoré ?

— Je ne veux pas que M. de Trailles tue mon fils ; est-ce que c’est pour cela que je l’ai mis au monde ? s’écria Vautrin avec une exaltation toujours croissante ? il le sait bien, allez, le misérable, il le sait bien, que malheur lui en arriverait !

En présence de cette déraison d’amour paternel, Sallenauve eut un moment de découragement, il fit à Bricheteau un geste désespéré ayant l’air de lui dire : « Voyez donc si vous ne trouvez pas quelque moyen de vous mettre en travers de cette frénésie ! »

Bricheteau, qui n’avait point sur les raffinements du point d’honneur les idées de Sallenauve, ne voyait pas avec un grand déplaisir cet obstacle placé sur le chemin de l’affaire à laquelle il ne se mêlait que contraint et forcé, et, par un autre geste également significatif, il donna sa démission du rôle de pacificateur auquel il était convié.

Escomptant alors l’avenir au profit des embarras du moment :

— Monsieur, dit Sallenauve à Vautrin, vous avez vivement désiré vous rapprocher de moi, vous l’avez même voulu dans des conditions étranges, en vous introduisant subrepticement dans ma maison.

— Ah ! monsieur, répondit Vautrin, il faut me le pardonner, je ne vivais plus.

— Pourtant, je vous avais fait annoncer que dans quelques jours nous nous verrions.

— C’est vrai, mais dans l’intervalle un malheur m’était arrivé ; ma tante Jacqueline Collin, sur laquelle je comptais pour être la compagne de mon exil volontaire, m’avait tout à coup déclaré que ses dispositions étaient autrement prises, et au moment où j’allais quitter la France, ma seule amie, ma seule confidente depuis trente ans, se séparait brusquement de moi. Alors, la tête perdue, n’espérant aucune suite à cette entrevue, que je sentais bien m’être accordée seulement par charité, j’eus la folle idée de ce déguisement. Caché parmi vos domestiques, j’espérais la consolation de vous voir tous les jours, de respirer le même air, de vivre sous le même toit que vous.

— Eh bien ! dit Sallenauve, s’il y avait un moyen de réaliser votre rêve !

Vautrin le regarda avec une sorte d’égarement.

— Un moyen, s’écria-t-il, de ne plus vous quitter ?

— Oui, reprit Sallenauve, vous me jurerez par quelque chose auquel vous ne voudriez pas manquer de respect, par les cendres de ma mère, qu’en tout état de cause, M. de Trailles ne sera pas recherché par vous ; et moi, si je reviens de ce combat, j’abaisse toutes les barrières qui peuvent nous séparer encore. Avec vous et M. Bricheteau, j’irai vivre loin de ce pays, auquel je n’ai pas de raison de tenir. Notre compagnie ne vaudra-t-elle pas bien celle de mademoiselle Jacqueline Collin ?

Un éclair de joie parut dans les yeux de Vautrin ; mais, le doute venant aussitôt l’éteindre :

— Oh ! ce que vous me promettez là, monsieur, n’est pas possible : associer votre vie si noble, si pure, à la mienne abreuvée d’infamie !

— Bricheteau est là pour vous le dire ; ce qu’une fois je me suis promis de faire, je le fais.

— Mais me convient-il de vous imposer un pareil sacrifice ? Ai-je droit à tant de bonheur ? Tenez, monsieur, si ce que vous dites arrivait, je crois que Dieu, si souvent renié par moi, ne pourrait pas longtemps me laisser jouir d’une félicité pareille : bien sûr ce serait ma dernière heure qui serait près d’arriver.

— Dieu, répondit Sallenauve, est plein de miséricorde pour les repentirs sincères ; et moi, monsieur, qui vois toute l’étendue du vôtre, je commence à me demander si, jusqu’ici, j’ai été avec vous ce que je devais être. Espérez donc mieux de l’avenir ; votre résignation, votre chaleureux empressement pour moi ne m’ont pas, je dois vous l’avouer, laissé insensible. Je finis par comprendre que le lien sacré qui existe entre nous me crée des devoirs, et ces devoirs, si vous êtes bon pour moi, si vous me faites le sacrifice que je vous demande, qui vous dit, qu’après les avoir accomplis sans répugnance, je ne finirai pas par les remplir avec joie ?

— Oh ! dit Vautrin avec découragement, c’est un marché que vous faites afin d’avoir la liberté d’aller vous faire tuer !

— Et si je vous disais que je suis sûr de ne pas rester dans ce duel, dont j’espère, au contraire, dans ma vie les plus grandes simplifications ! Voudriez-vous, par un zèle mal entendu, me déposséder d’une chance que j’attends et que je désire depuis près de six années ? Un seul obstacle sérieux s’est rencontré sur mon chemin dans le cours de mon existence, qui, malgré les difficultés du point de départ, a été signalée par d’insignes faveurs de la fortune ; si M. de Trailles, cet obstacle, est habile, moi j’ai de l’étoile, et vous en avez aussi.

— C’est vrai, dit Vautrin ; après tant d’orages, être près d’aborder au port que vous me faites entrevoir !

— Eh bien ! ne vous mettez donc pas en travers des desseins de la Providence. Dieu ne m’a pas jusqu’ici conduit heureusement au milieu de tant d’écueils pour me faire misérablement succomber sous les coups d’un ignoble spadassin. Ces tueurs d’hommes, tôt ou tard, finissent par trouver leur maître, et vous vous occupez de faire peur à quelqu’un qui, en dehors de votre inutile et regrettable intervention, a toute raison de trembler. Le colonel Franchessini, Bricheteau est là pour vous l’attester, nous disait tout à l’heure que M. de Trailles n’avait aucune ardeur à cette rencontre, et qu’il dépendait encore de moi, qui suis allé le provoquer outrageusement, de tout arranger.

Comme tous les hommes qui ont mis beaucoup au jeu dans la vie, Vautrin était superstitieux, et cette confiance que Sallenauve témoignait, quelle qu’en fût au fond la réalité, finit par devenir pour lui contagieuse.

— Eh bien ! dit-il en homme qui se résignait, que faut-il que je fasse ?

— Bricheteau, répondit Sallenauve, va tout à l’heure partir pour Paris, afin de tout régler avec les témoins chez le colonel Franchessini ; il vous emmènera. Vous essaierez de voir M. de Trailles, et le rassurerez du mieux qu’il sera possible ; si vous ne pouviez le joindre vous lui feriez passer vos paroles par le colonel ; et moi, d’ailleurs, sur le terrain, je lui parlerai de manière à lui rendre sa complète liberté d’esprit ; mais, vous le comprenez, quand j’aurai pris un engagement de votre part, ne fût-ce que pour l’honneur de ma mémoire si mes pressentiments m’avaient trompé, vous devriez religieusement y tenir.

— Oh ! dit Vautrin, ce n’est pas là une pensée à me faire envisager ; car, en sa présence, je sens que ma raison se trouble.

— Aussi, comme il faut tout prévoir, ai-je un dernier sacrifice à vous demander.

— Dites, puis-je rien vous refuser.

— Aussitôt que vous aurez fait à Paris la démarche que je vous demande, vous partirez pour l’Italie.

— Quoi ! vous quitter sans savoir l’issue ?…

— Il le faut : c’est le moyen de vous prémunir contre un premier mouvement ; vous attendrez, à Milan, où aussitôt après l’engagement, je vous adresserai une lettre poste restante à l’adresse de M. Jacques.

— Elle ne me trouvera pas, je serai mort d’impatience et d’anxiété.

— Vous êtes, dit Sallenauve, d’une trempe trop forte et trop énergique pour ne pas résister à cette épreuve. Cette lettre, à peu de jours de distance, sera suivie d’une autre où je vous parlerai des arrangements ultérieurs à prendre afin de ne plus nous séparer !

— Et vous ne me trompez pas ? demanda Vautrin.

Cette question fut faite avec un sentiment d’angoisse si vraie, que Sallenauve en fut tout remué.

— Non, mon père, répondit-il, croyez à moi !

— Il m’a appelé son père ! s’écria Vautrin en se jetant au cou de Bricheteau.

Il était à moitié fou de joie et ne savait plus ce qu’il faisait.

Au sortir de cette étreinte, comme son visage se montrait inondé de larmes et bouleversé de joie :

— Et moi ! lui dit Sallenauve en lui tendant les bras.

Le réhabilité s’y précipita ; mais l’émotion avait dépassé les forces humaines. Un peu après, les deux amis s’aperçurent qu’il avait complètement perdu l’usage de ses sens.