Notre infâme débauché cherche un subterfuge chez les Turcs pour justifier les dames de Babylone. Il prend la comédie d’Arlequin Ulla[1] pour une loi des Turcs. « Dans l’Orient, dit-il, si un mari répudie sa femme, il ne peut la reprendre que lorsqu’elle a épousé un autre homme qui passe la nuit avec elle, etc.[2] » Mon paillard ne sait pas plus son Alcoran que son Baruch. Qu’il lise le chapitre ii du grand livre arabe donné par l’ange Gabriel, et le quarante-cinquième paragraphe de la Sonna : c’est dans ce chapitre ii, intitulé la Vache, que le prophète, qui a toujours grand soin des dames, donne des lois sur leur mariage et sur leur douaire : « Ce ne sera pas un crime, dit-il, de faire divorce avec vos femmes, pourvu que vous ne les ayez pas encore touchées, et que vous n’ayez pas assigné leur douaire ;… et si vous vous séparez d’elles avant de les avoir touchées, et après avoir établi leur douaire, vous serez obligé de leur payer la moitié de leur douaire, etc., à moins que le nouveau mari ne veuille pas le recevoir. »
Il n’y a peut-être point de loi plus sage : on en abuse quelquefois chez les Turcs, comme on abuse de tout. Mais, en général, on peut dire que les lois des Arabes, adoptées par les Turcs, leurs vainqueurs, sont bien aussi sensées pour le moins que les coutumes de nos provinces, qui sont toujours en opposition les unes avec les autres.
Mon oncle faisait grand cas de la jurisprudence turque. Je m’aperçus bien, dans mon voyage à Constantinople, que nous connaissons très-peu ce peuple, dont nous sommes si voisins. Nos moines ignorants n’ont cessé de le calomnier. Ils appellent toujours sa religion sensuelle ; il n’y en a point qui mortifie plus les sens. Une religion qui ordonne cinq prières par jour, l’abstinence du vin, le jeûne le plus rigoureux ; qui défend tous les jeux de hasard ; qui ordonne, sous peine de damnation, de donner deux et demi pour cent de son revenu aux pauvres, n’est certainement pas une religion voluptueuse, et ne flatte pas, comme on l’a tant dit, la cupidité et la mollesse[4]. On s’imagine, chez nous, que chaque bacha a un sérail de sept cents femmes, de trois cents concubines, d’une centaine de jolis pages, et d’autant d’eunuques noirs. Ce sont des fables dignes de nous. Il faut jeter au feu tout ce qu’on a dit jusqu’ici sur les musulmans. Nous prétendons qu’ils sont autant de Sardanapales, parce qu’ils ne croient qu’un seul dieu. Un savant Turc de mes amis, nommé[5] Notmig, travaille à présent à l’histoire de son pays ; on la traduit à mesure : le public sera bientôt détrompé de toutes les erreurs débitées jusqu’à présent sur les fidèles croyants.