La Corée, indépendante, russe, ou japonaise/Partie I/Chapitre II


II

CAUSES DU SOULÈVEMENT DE LA CORÉE EN 1894



Le Tong-hak. — Tong-hak signifie « le Savoir oriental » ; c’est le nom d’une religion, fondée en 1859 dans la ville murée de Kyeng-chou, province de Kyeng-sang, à 85 kilomètres au nord-ouest de Fousan, et en même temps le nom de son chef.

Son initiateur, Cho-chei-chou, très préoccupé des progrès du christianisme en Corée, doutant que ce fût la vraie religion, visionnaire et thaumaturge comme beaucoup d’Orientaux, se crut appelé à faire connaître au monde la vraie foi.

Il emprunta au Confucianisme, le traité des Cinq-Préceptes, au Bouddhisme la loi de la Purification spirituelle, au Taoïsme celle de la Purification corporelle de toutes les souillures morales et matérielles, et composa le Grand Écrit sacré, la Bible du Savoir oriental, appelée aujourd’hui tantôt Soung-kyeng-taï-choun tantôt du nom de ces trois éléments, You-poul-soung-sam-to.

Il fit rapidement beaucoup de prosélytes dans sa province et dans celles de Choun-chong et de Tchéoul-la qui l’avoisinent. Ceux-ci prirent le nom de Tong-hak-ou-to, les Adeptes du Savoir Oriental. Mais en 1865, lors de la persécution contre les catholiques, accusé de partager leur foi, Cho-Chei-Chou fut décapité à Taï-kou (capitale du Kyeng-sang), et sa religion mise au ban du royaume.

L’erreur dont il fut victime est explicable.

Les Tong-haks-outo ou plus simplement Tong-haks sont monothéistes. Ils donnent à Dieu le même nom que les catholiques coréens : Choun-chou. Leur prière typique commence par son nom : Si Choun-chou, etc. Ils repoussent le dogme bouddhique de la transmigration des âmes et n’adorent aucune image ; mais, si les confucianistes et les taoïstes ne croient pas à la vie future, les tongs-haks se bornent à en douter.

L’initiation d’un catéchumène est très simple : Il comparaît devant un maître des cérémonies. Sur une table très basse figurent deux flambeaux allumés, du poisson, du pain et du vin sucré, fournis par le récipiendaire. Son parrain et lui répètent vingt-quatre fois ensemble la prière : Si Choun-Chou, etc., se prosternent devant les flambeaux, se relèvent et mangent les vivres servis.

Pour célébrer ensuite son culte, le Tong-hak-ou-to place, à la nuit tombée, un vase d’eau pure sur un autel fait d’un bloc de pierre tendre fixé par du ciment et enduit d’argile rouge. Il se prosterne le front sur la pierre en récitant : Si Choun-Chou, etc., se relève et boit le vase d’eau, la coupe de la faveur divine.

Les Tong-haks-ou-to croient que les moindres griffonnages du père de leur foi sont des amulettes qui rendent invincible, invulnérable, etc. Les soldats japonais en ont pourtant tué un certain nombre…

Le peuple est persuadé, d’autant plus solidement qu’il n’en existe aucune preuve, que les initiés peuvent sauter par-dessus une maison, la faire disparaître à volonté, s’évanouir dans l’air devant un ennemi, bondir d’une colline à une autre, transformer instantanément une bourse vide en bourse pleine, etc. Pareilles sornettes ont d’ailleurs cours au Japon, en Chine,… et ailleurs.

Les souffrances de la population coréenne la firent accourir en foule auprès des nouveaux apôtres.

Au printemps de 1893, les Tong-haks-ou-to étaient déjà assez forts pour traiter de puissance à puissance avec le roi de la Corée.

Une députation de cinquante d’entre eux vint à Séoul, et sur le refus du roi de lui donner audience, étala ses remontrances sur une grande table recouverte d’un tapis rouge, juste en face de la porte principale du Palais Neuf.

Le monarque vaincu la reçut alors. Elle venait réclamer que Choï-Cheï-Chou fût proclamé innocent ; qu’on autorisât l’érection d’un monument en son honneur, qu’on rapportât la mise au ban de sa religion, et que celle-ci fût dotée des mêmes privilèges que le catholicisme.

Le roi Li-Hsi refusa et ordonna aux audacieux de cesser d’encombrer le seuil de sa porte ; il fit même emprisonner quelques notables dans leurs provinces, et tout rentra dans l’ordre, mais pour peu de temps.

Depuis dix ans, d’ailleurs, toutes les conspirations, toutes les intrigues, journellement machinées à Séoul et au Palais, avaient trouvé parmi les adeptes de la secte des complices et des agents.

Les intérêts profanes, en adultérant de plus en plus les passions purement religieuses, préparèrent peu à peu un bouleversement. Et quand il se produisit, tout le monde eut le droit d’en décliner la responsabilité : aussi bien les Tong-haks-ou-to, qui le firent sans plan préconçu, que ceux dont les convoitises et les passions effrénées le rendirent inévitable.