La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XVI

Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 274-275).
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CHAPITRE XVII.

contre les platoniciens, qui ne veulent pas que la séparation du corps et de l’aime soit une peine du péché.

Les philosophes contre qui nous avons entrepris de défendre la Cité de Dieu, c’est-à-dire son Eglise, pensent être bien sages quand ils se moquent de nous au sujet de la séparation de l’âme et du corps, que nous considérons comme un des châtiments de l’âme ; car à leurs yeux l’âme n’atteint la parfaite béatitude que lorsque entièrement dépouillée du corps, elle retourne à Dieu dans sa simplicité, dans son indépendance et comme dans sa nudité primitive. Ici peut-être, si je ne trouvais dans leurs propres livres de quoi les réfuter, je serais obligé d’entrer dans une longue discussion pour montrer que le corps n’est à charge à l’âme que parce qu’il est corruptible. De là ce mot de l’Ecriture, déjà rappelé au livre précédent : « Le corps corruptible appesantit l’âme ». L’Ecriture dit corruptible, pour faire voir que ce n’est pas le corps en soi qui appesantit l’âme, mais le corps dans l’état où il est tombé par le péché ; et elle ne le dirait pas que nous devrions l’entendre ainsi. Mais quand Platon déclare en termes formels que les dieux inférieurs créés par le Dieu souverain ont des corps immortels, quand il introduit ce même Dieu promettant à ses ministres comme une grande faveur qu’ils demeureront éternellement unis à leur corps, sans qu’aucune mort les en sépare, comment se fait-il que nos adversaires, dans leur zèle contre la foi chrétienne, feignent de ne pas savoir ce qu’ils savent, et s’exposent à parler contre leurs propres sentiments, pour le plaisir de nous contredire ? Voici, en effet (d’après Cicéron, qui les traduit), les propres paroles que Platon prête au Dieu souverain s’adressant aux dieux créés : « Dieux, fils de dieux, considérez de quels ouvrages je suis l’auteur et le père. Ils sont indissolubles, parce que je le veux ; car tout ce qui est composé peut se dissoudre ; mais il est d’un méchant de vouloir séparer ce que la raison a uni. Ainsi, ayant commencé d’être, vous ne sauriez être immortels, ni absolument indissolubles ; niais vous ne serez jamais dissous et vous ne connaîtrez aucune sorte de mort, parce que la mort ne peut rien contre ma volonté, laquelle est un lien plus fort et plus puissant que ceux dont vous fûtes unis au moment de votre naissance ». Voilà donc les dieux qui, tout mortels qu’ils sont comme composés de corps et d’âme, ne laissent pas, suivant Platon, d’être immortels par la volonté de Dieu qui les a faits. Si donc c’est une peine pour l’âme d’être unie à un corps, quel qu’il soit, d’où vient que Dieu cherche en quelque sorte à rassurer les dieux contre la mort, c’est-à-dire contre la séparation de l’âme et du corps, et leur promet qu’ils seront immortels, non par leur nature, composée et non simple, mais par sa volonté ?

De savoir maintenant si ce sentiment de Platon touchant les astres est véritable, c’est une autre question. Nous ne tombons pas d’accord que ces globes de lumière qui nous éclairent le jour et la nuit aient des âmes intelligentes et bienheureuses qui les animent, ainsi que Platon l’affirme également de l’univers, comme d’un grand et vaste animal qui contient tous les autres ; mais, je le répète, c’est une autre question que je n’ai pas entrepris d’examiner ici. J’ai cru seulement devoir dire ce peu de mots contre ceux qui sont si fiers de s’appeler platoniciens : orgueilleux porteurs de manteaux, d’autan t plus superbes qu’ils sont moins nombreux et qui rougiraient d’avoir à partager le nom de chrétien avec la multitude. Ce sont eux qui, cherchant un point faible dans notre doctrine, s’attaquent à l’éternité des corps, comme s’il y avait de la contradiction à vouloir que l’âme soit bienheureuse et qu’elle soit éternellement unie à un corps ; ils oublient que Platon, leur maître, considère comme une grâce que le Dieu souverain accorde aux dieux créés le privilège de ne point mourir, c’est-à-dire de n’être jamais séparés de leur corps.