La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XV

Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 273-274).
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CHAPITRE XV.

en devenant pécheur, adam a plutôt abandonné dieu que dieu ne l’a abandonné, et cet abandon de dieu a été la première mort de l’âme.

On remarquera peut-être que dans cette parole : « Vous mourrez de mort », mort est mis au singulier et non au pluriel; mais alors même que sur ce fondement on réduirait la menace divine à cette seule mort qui a lieu quand l’âme est abandonnée de Dieu (par où il ne faut pas entendre que ce soit Dieu qui abandonne l’âme le premier; car la volonté de l’âme prévient Dieu pour le mal, comme la volonté de Dieu prévient l’âme pour le bien, soit pour la créer quand elle n’est pas encore, soif pour la recréer après qu’elle a failli, alors, dis-je, qu’on n’entendrait que cette seule mort, et que ces paroles de Dieu : « Du jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort », seraient prises comme s’il disait : Du jour que vous m’abandonnerez par désobéissance, je vous abandonnerai par justice ; il n’en est pas moins certain que cette mort comprenait en soi toutes les autres, qui en étaient une suite inévitable. Déjà ce mouvement de rébellion qui s’éleva dans la chair contre l’âme devenue rebelle et qui obligea nos premiers parents à couvrir leur nudité, leur fit sentir l’effet de cette mort qui arrive quand Dieu abandonne l’âme. Elle est marquée expressément dans ces paroles que Dieu adresse au premier homme qui se cachait tout éperdu : « Adam, où es-tu ? » Car il ne le cherchait pas comme s’il eût ignoré où il était, mais il lui faisait sentir que l’homme ne sait plus où il est quand Dieu n’est plus avec lui plus tard, lorsque l’âme de nos premiers parents abandonna leurs corps épuisés de vieillesse, ils éprouvèrent cette autre mort, nouveau châtiment du péché de l’homme, qui avait fait dire à Dieu : « Vous êtes terre, et vous « retournerez en terre » ; afin que ces deux morts accomplissent ensemble la première qui est celle de l’homme entier, et qui est à la fin suivie de la seconde, si la grâce de Dieu ne nous en délivre. En effet, le corps qui est de terre ne retournerait point en terre, si l’âme qui est sa vie ne le quittait ; et c’est pour cela que les chrétiens, sincèrement attachés à la foi catholique, croient fermement que la mort même du corps ne vient point de la nature, mais qu’elle est une peine du péché et un effet de cette parole que Dieu, châtiant le péché, dit au premier homme en qui nous étions tous alors : « Tu es terre, et tu retourneras en terre ».