La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre I

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 179).
LIVRE NEUVIÈME.
Argument. — Après avoir établi dans le livre précédent qu’il ne faut point adorer les démons, cent fois convaincus par leurs propres aveux d’être des esprits pervers, saint Augustin prend à partie ceux d’entre ses adversaires qui font une différence entre deux sortes de démons, les uns bons, les autres mauvais ; il démontre que cette différence n’existe pas et qu’il n’appartient à aucun démon, mais au seul Jésus-Christ, d’être le médiateur des hommes en ce qui regarde l’éternelle félicité.


CHAPITRE PREMIER.
DU POINT OÙ EN EST LA DISCUSSION ET DE CE QUI RESTE À EXAMINER.

Quelques-uns ont avancé qu’il y a de bons et de mauvais dieux : d’autres, qui se sont fait de ces êtres une meilleure idée, les ont placés à un si haut degré d’excellence et d’honneur, qu’ils n’ont pas osé croire à de mauvais dieux. Les premiers donnent aux démons le titre de dieux, et quelquefois, mais plus rarement, ils ont appelé les dieux du nom de démons. Ainsi ils avouent que Jupiter lui-même, dont ils font le roi et le premier de tous les dieux, a été appelé démon par Homère. Quant à ceux qui ne reconnaissent que des dieux bons et qui les regardent comme très-supérieurs aux plus vertueux des hommes, ne pouvant nier les actions des démons, ni les regarder avec indifférence, ni les imputer à des dieux bons, ils sont forcés d’admettre une différence entre les démons et les dieux ; et lorsqu’ils trouvent la marque des affections déréglées dans les œuvres où se manifeste la puissance des esprits invisibles, ils les attribuent, non pas aux dieux, mais aux démons. D’un autre côté, comme dans leur système aucun dieu n’entre en communication directe avec l’homme, il a fallu faire de ces mêmes démons les médiateurs entre les hommes et les dieux, chargés de porter les vœux et de rapporter les grâces. Telle est l’opinion des Platoniciens, que nous avons choisis pour contradicteurs, comme les plus illustres et les plus excellents entre les philosophes, quand nous avons discuté la question de savoir si le culte de plusieurs dieux est nécessaire pour obtenir la félicité de la vie future. Et c’est ainsi que nous avons été conduit à rechercher, dans le livre précédent, comment il est possible que les démons, qui se plaisent aux crimes réprouvés par les hommes sages et vertueux, à tous ces sacriléges, à tous ces attentats que les poëtes racontent, non-seulement des hommes, mais aussi des dieux, enfin à ces manœuvres violentes et impies des arts magiques, soient regardés comme plus voisins et plus amis des dieux que les hommes, et capables à ce titre d’appeler les faveurs de la bonté divine sur les gens de bien. Or, c’est ce qui a été démontré absolument impossible.