La Cité de Dieu (Augustin)/Livre III/Chapitre XXII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 65).
CHAPITRE XXII.
DE L’ORDRE DONNÉ PAR MITHRIDATE DE TUER TOUS LES CITOYENS ROMAINS QU’ON TROUVERAIT EN ASIE.

Je passe, dis-je, tout cela sous silence ; mais puis-je taire l’ordre donné par Mithridate, roi de Pont, de mettre à mort le même jour tous les citoyens romains qui se trouveraient en Asie, où un si grand nombre séjournaient pour leurs affaires privées, ce qui fut exécuté[1] ? Quel épouvantable spectacle ! Partout où se rencontre un Romain, à la campagne, par les chemins, à la ville, dans les maisons, dans les rues, sur les places publiques, au lit, à table, partout, à l’instant, il est impitoyablement massacré ! Quelles furent les plaintes des mourants, les larmes des spectateurs ou peut-être même des bourreaux ! et quelle cruelle nécessité imposée aux hôtes de ces infortunés, non-seulement de voir commettre chez eux tant d’assassinats, mais encore d’en être eux-mêmes les exécuteurs, de quitter brusquement le sourire de la politesse et de la bienveillance pour exercer au milieu de la paix le terrible devoir de la guerre et recevoir intérieurement le contre-coup des blessures mortelles qu’ils portaient à leurs victimes ! Tous ces Romains avaient-ils donc méprisé les augures ? n’avaient-ils pas des dieux publics et des dieux domestiques à consulter avant que d’entreprendre un voyage si funeste ? S’ils ne l’ont pas fait, nos adversaires n’ont pas sujet de se plaindre de la religion chrétienne, puisque longtemps avant elle les Romains méprisaient ces vaines prédictions : et s’ils l’ont fait, quel profit en ont-ils retiré alors que les lois, du moins les lois humaines, autorisaient ces superstitions ?

  1. Voyez Appien, cap. 22 et seq., Cicéron, De lege Manil., cap. 3, et Orose, Hist., lib. vi, cap. 2.