La Cité de Dieu (Augustin)/Livre III/Chapitre IX

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 51-52).
CHAPITRE IX.
FAUT-IL ATTRIBUER AUX DIEUX LA PAIX DONT JOUIRENT LES ROMAINS SOUS LE RÈGNE DE NUMA ?

On s’imagine encore que si Numa Pompilius, successeur de Romulus, jouit de la paix pendant tout son règne et ferma les portes du temple de Janus qu’on a coutume de tenir ouvertes en temps de guerre, il dut cet avantage à la protection des dieux, en récompense des institutions religieuses qu’il avait établies chez les Romains. Et, sans doute, il y aurait à féliciter ce personnage d’avoir obtenu un si grand loisir, s’il avait su l’employer à des choses utiles et sacrifier une curiosité pernicieuse à la recherche et à l’amour du vrai Dieu ; mais, outre que ce ne sont point les dieux qui lui procurèrent ce loisir, je dis qu’ils l’auraient moins trompé, s’ils l’avaient trouvé moins oisif ; car moins ils le trouvèrent occupé, plus ils s’emparèrent de lui. C’est ce qui résulte des révélations de Varron, qui nous a donné la clef des institutions de Numa et des pratiques dont il se servit pour établir une société entre Rome et les dieux. Mais nous traiterons plus amplement ce sujet en son lieu[1], s’il plaît au Seigneur. Pour revenir aux prétendus bienfaits de ces divinités, je conviens que la paix est un bienfait, mais c’est un bienfait du vrai Dieu, et il en est d’elle comme du soleil, de la pluie et des autres avantages de la vie, qui tombent souvent sur les ingrats et les pervers. Supposez d’ailleurs que les dieux aient en effet procuré à Rome et à Numa un si grand bien, pourquoi ne l’ont-ils jamais accordé depuis à l’empire romain, même dans les meilleures époques ? est-ce que les rites sacrés de Numa avaient de l’influence, quand il les instituait, et cessaient d’en avoir, quand on les célébrait après leur institution ? Mais au temps de Numa, ils n’existaient pas encore, et c’est lui qui les fit ajouter au culte ; après Numa, ils existaient depuis longtemps, et on ne les conservait qu’en vue de leur utilité. Comment se fait-il donc que ces quarante-trois ans, ou selon d’autres, ces trente-neuf ans du règne de Numa[2] se soient passés dans une paix continuelle, et qu’ensuite, une fois les rites établis et les dieux invoqués comme tuteurs et chefs de l’empire, il ne se soit trouvé, depuis la fondation de Rome jusqu’à Auguste, qu’une seule année, celle qui suivit la première guerre punique, où les Romains, car le fait est rapporté comme une grande merveille, aient pu fermer les portes du temple de Janus[3] ?

  1. Voyez plus bas le livre VII, chap. 34.
  2. Le règne de Numa dura quarante-trois ans selon Tite-Live, et trente-neuf selon Polybe.
  3. Ce fut l’an de Rome 519, sous le consulat de C. Atilius et de T. Manlius. Voyez Tite-Live, lib. i, cap. 19.