La Chronique de France, 1904/Chapitre V

Imprimerie A. Lanier (p. 87-121).

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LES MISSIONS FRANÇAISES

Dès que la guerre menée en France contre les congrégations religieuses parut devoir entraîner l’affaiblissement sinon l’anéantissement total des missions, beaucoup de Français se demandèrent avec inquiétude si le zèle anticlérical de leurs gouvernants ne risquait point de porter atteinte à une institution plus importante encore au point de vue national qu’au point de vue religieux.

Que vaut cette institution ? Quel est son passé ? De quels résultats lui est-on redevable ? Une vaste enquête serait nécessaire pour l’établir et, d’autre part, on n’aperçoit pas qu’une semblable enquête puisse être conduite en dehors des missionnaires eux-mêmes. Or, dans les circonstances présentes, ces derniers ne sauraient avoir toute l’impartialité désirable et les documents fournis par eux risqueraient de se colorer trop exclusivement des reflets de l’esprit de parti. Aussi doit-on se féliciter que l’offre ait devancé la demande et que le R. P. Piolet et ses nombreux collaborateurs aient eu le loisir d’achever en paix l’énorme travail qu’ils avaient entrepris. Les six volumes de leur histoire des Missions catholiques françaises au xixe siècle[1], abondamment et délicatement illustrés, ont pu conserver ainsi le caractère digne et mesuré qui convenait à des annales de cette sorte ; l’actualité, venue très vite en corser l’intérêt, n’a rien pu y mêler qui se ressentit des polémiques suscitées par un anticléricalisme intransigeant.

Bien entendu, le point de vue auquel se sont placés les auteurs est différent de celui auquel notre Chronique doit se sentir ; et nos conclusions ne sauraient, en beaucoup de cas, s’accorder avec les leurs. Mais les faits que — témoins souvent oculaires et toujours directement informés — ils ont amassés dans ces pages abondantes conservent toute leur valeur documentaire, ayant été réunis en vue de dresser un inventaire définitif et non de composer un réquisitoire aggressif ou même une habile plaidoirie.

Les premières missions.

Toutes les religions n’ont pas engendré ce genre d’apostolat. La parole du Christ « allez, enseignez les nations » doit être considérée comme ayant orienté irrémédiablement le christianisme dans cette voie. Mais l’action nationale fut lente à se superposer à l’action religieuse. Dans l’esprit des missionnaires qui, au temps de Grégoire le Grand, évangélisèrent la Grande Bretagne et les provinces germaniques de la région du Rhin, les intérêts de l’Église primaient ceux de n’importe quel prince. Ce n’est pas assez dire car, pour le moine d’alors, le seul prince de la puissance duquel il eût souci, c’était le pape. Le sens de la nationalité ne s’était pas encore développé ; il existait obscurément chez quelques hommes ; la plupart n’en avaient nulle conscience ; les mots même manquaient pour l’exprimer. Là comme ailleurs la croisade ouvrit des horizons imprévus. Saint François en 1208 et en 1215 saint Dominique fondèrent les ordres monastiques qui devaient servir d’instruments puissants dans la lutte pacifique contre l’idolâtrie et l’hérésie. Franciscains et Dominicains se répandirent en Terre Sainte ; ils parcoururent la Mésopotamie, la Perse, atteignirent l’Inde, allèrent au delà ; si bien que, sous le règne de Koublaï Khan, Pékin vit s’ériger en 1289 la première église chrétienne. Les apôtres qui accomplirent ces conquêtes ne songeaient pas plus que leurs devanciers à se réclamer de leurs patries terrestres ; ils se considéraient comme les représentants de la Cité de Dieu et leurs ambitions se concentraient autour des baptêmes qu’ils administraient en aussi grand nombre que possible dans les rangs de la foule, réservant l’exposé de la doctrine et la discussion théologique pour les grands chefs sur la mentalité de qui ils s’efforçaient d’acquérir une influence décisive.

Ce furent les missionnaires français de l’Amérique du nord — Franciscains et Jésuites — qui inaugurèrent la double action parallèle s’exerçant simultanément en faveur de l’État et en faveur de l’Église. Les premiers ils visèrent à accroître du même coup le nombre des fidèles du Saint Siège et celui des sujets du roi de France. Il ne paraît pas qu’il y ait eu en ceci aucune préméditation gouvernementale. L’initiative vint des missionnaires : l’énorme prestige qui environnait alors le pouvoir royal et la situation incontestée de « fille aînée de l’Église » qu’occupait la France, expliquent comment la confusion put s’établir dans l’esprit des convertisseurs de l’Amérique ; tout territoire acquis aux fleurs de lys leur semblait en même temps gagné pour la croix. Mais il n’est que juste d’ajouter qu’un ardent patriotisme les animait et fortifiait en eux cette conviction. La France n’eut jamais de serviteurs plus dévoués et plus entreprenants.

Ses gouvernants, pour n’avoir pas inventé cet outil de domination, ne furent pas moins prompts à s’en servir. On sait quel intérêt le père Joseph porta aux missions d’orient. Il s’en fit attribuer par le pape le titre de supérieur-général et distribua aussitôt cent missionnaires dans les échelles du levant, en Arménie, au Liban ; on peut croire que ce n’était pas sans arrière-pensée politique. De simples particuliers, d’ailleurs, commençaient à seconder les efforts du pouvoir ; c’est ainsi qu’en 1638 une riche veuve offrit 70.000 livres pour l’établissement d’un évêché à Babylone à la seule condition que le titulaire ne pourrait jamais être qu’un français…[2]. Entre temps les Jésuites avaient inauguré l’évangélisation de la Guyane et les Dominicains celle de la Dominique, de la Guadeloupe et de la Martinique ; les Lazaristes avaient débarqué à Madagascar, à Bombay, à l’Île-de-France. Un collège français avait été fondé en Siam. Près de 300.000 Persans s’étaient convertis sous l’action du représentant de la France en Perse lequel cumulait les fonctions d’évêque avec celles de consul et n’avait même aspiré aux premières que pour mieux remplir les secondes ! C’était l’époque où les savants français de la Compagnie de Jésus qui résidaient à Pékin y avaient acquis une influence considérable et où le père Gerbillon négociait un traité entre la Russie et le Céleste empire et peu après obtenait l’acte solennel qui ouvrait la Chine au christianisme.

Aucun autre pays de l’Europe ne possédait encore de missionnaires « nationaux ». L’Espagne et le Portugal étaient représentés dans leurs colonies par un clergé médiocrement respectable, assoiffé de richesse mais ignorant des services qu’il pouvait rendre. Des prélats du type de Mgr de la Motte-Lambert vicaire apostolique de la Cochinchine et de Mgr Pallu vicaire apostolique du Tonkin n’existaient qu’en France. Il suffit de lire les lettres par lesquelles ces deux évêques, de passage au Siam, proposaient à Louis xiv d’y créer sans retard d’importants comptoirs pour apprécier les avantages qu’on aurait pu retirer du concours de pareils hommes. Louis xiv et Louis xv étaient par malheur trop exclusivement préoccupés par la politique continentale. À cela vinrent s’ajouter la propagande des idées anticléricales et la diffusion des paradoxes humanitaires. Quand Louis xvi régna, la race des Pallu et des La Motte-Lambert n’était point éteinte ; nous avons déjà eu occasion[3] de parler de l’évêque Pigneau de Behaine qui prépara si habilement la main mise de la France sur le Tonkin. Mais la révolution emporta comme un torrent dévastateur toutes ces récoltes, celles qui germaient et celles qui étaient prêtes pour la moisson. Aux approches du xixe siècle il ne restait à peu près rien de l’entreprise des missionnaires français — entreprise audacieuse et qui avait failli toucher au plein succès. Comment cette entreprise allait renaître lentement puis s’accélérer dans la dernière partie du siècle et approcher une seconde fois du triomphe, c’est ce qui se trouve exposé de façon si copieuse et si précise dans l’ouvrage du R. P. Piolet.

Missions d’orient.

Les missions d’orient peuvent être considérées comme se répartissant en six groupes : Constantinople et les Balkans — l’Asie-Mineure et l’Archipel — la Mésopotamie — la Perse — la Syrie et la Palestine — l’Égypte.

Les vicissitudes traversées par les établissements de Constantinople sous l’ancien régime avaient été innombrables. François ier comme on sait, fut le premier prince chrétien qui décida d’entretenir un ambassadeur près du Sultan et dès lors la création d’une mission s’imposait. Mais encore que les travaux à accomplir fussent multiples : prédications, soins aux pestiférés, aux forçats (parmi lesquels se trouvaient beaucoup d’Européens), le succès ne couronna pas les efforts successifs des Jésuites, des Capucins et des Lazaristes. Des séries d’incendies et de persécutions, les réveils périodiques du fanatisme musulman, l’attitude souvent hostile des Grecs et des Arméniens, enfin — pour tout dire — la protection un peu trop intermittente et saccadée de la métropole ruinèrent des entreprises qui, de plus, manquaient parfois d’adresse et d’à-propos. Quand Bonaparte débarqua en Égypte, les missionnaires français qui étaient demeurés à Constantinople furent emprisonnés et la mission ainsi supprimée ne se reforma qu’en 1816.

Mais alors commença pour le collège de Galata, grâce au zèle infatigable du fameux père Boré dont la science égalait l’ardeur de prosélytisme, une période de prospérité qui a toujours été s’accentuant jusqu’à nos jours. Toutes les autres congrégations bénéficièrent de la haute situation acquise dans la cité par le père Boré. Les Frères des Écoles chrétiennes ont aujourd’hui 5 écoles avec 880 élèves et de plus, à Kadi-Keni, un pensionnat qui en renferme 340 ; il existe 12 maisons des Filles de la charité comprenant écoles, dispensaires, crèches, orphelinats, etc… Les dames de Sion ont un pensionnat avec 400 élèves et un autre à Kadi-Keni avec 100. Les Petites sœurs des pauvres hospitalisent 150 vieillards dans leur asile. Les Assomptionnistes ont ouvert en 1882 une école à Stamboul et les Oblats en possèdent plusieurs tant à Constantinople que dans les environs. Il est difficile de ne pas rapprocher de cet effort le progrès extraordinaire accompli par la langue française ; l’un de ces faits s’explique par l’autre.

Toutes proportions gardées la situation en Bulgarie n’est pas moins satisfaisante. L’installation des Assomptionnistes à Philippopoli ne date que de 1863 ; ils ont à présent 200 élèves. Les 5 écoles françaises d’Andrinople groupent 2.500 enfants. Le collège de Saint-Augustin, créé en 1884 sur les bords de la Maritza, compte 120 jeunes gens et ses diplômes, en vertu d’un accord diplomatique, sont reconnus par les deux gouvernements français et bulgare. À Yamboli, à Varna il existe des écoles de filles et de garçons fondées par les Oblates et les Augustines.

Un collège prospère, tenu par les Frères des Écoles chrétiennes, une mission de Lazaristes, un asile et une école de Filles de la charité représentent, à Salonique, l’action des congréganistes français. En Macédoine, leur effort est encore à l’état embryonnaire ; nous dirons tout à l’heure ce qu’il en faut penser.

La conquête de l’Asie-Mineure a été entamée de bonne heure mais elle ne s’est accélérée que tout récemment. La mission de Brousse date de 1886 ; celle de Sultan-Tchaïr, de 1889 ; celles d’Ismid et d’Eski-Chehir, de 1891 ; celle de Koniah, de 1892. Chaque école y compte de 60 à 80 élèves. Le collège de Smyrne est un des plus fréquentés. Dans l’archipel, celui de Santorin a 80 élèves. Le sœurs françaises ont des établissements à Syra, à Aïdin, à Bournabat, à Boudja.

Même chose dans ce diocèse de Babylone dont nous rappellions tout à l’heure la curieuse origine. Les sœurs de la Présentation de Tours, appelées en 1880 à Mossoul, y ont aujourd’hui plus de 800 élèves ; les Dominicains en ont 4.500 ; leur établissement, à eux, est ancien mais il est intéressant de noter que, de 1750 à 1856, ils furent remplacés par des moines italiens. Les Capucins à Mardin, les Carmes à Bagdad ont aussi de nombreux élèves.

En Perse, les effectifs d’antan n’ont pas été recouvrés. Les écoles d’Ourmiah et d’Ispahan, celles de Téhéran et de Khosroabad incarnent un avenir insuffisant dont la diplomatie russe, d’ailleurs, n’hésite pas à entraver le développement.

En Syrie, tout au contraire, les effectifs sont énormes. Les Jésuites, les Lazaristes, les frères de la Doctrine chrétienne possèdent 250 écoles fréquentées par plus de 12.000 enfants ; les sœurs de Saint-Joseph, les Filles de la charité, les dames de Nazareth, les sœurs de la Sainte-Famille, les sœurs du Bon-Pasteur instruisent 5.000 filles. Deux collèges, celui de Damas et celui d’Antouna comptent, l’un 200, l’autre 250 élèves. Quant à l’université de Beyrouth, sa renommée est considérable ; elle a 650 étudiants et une faculté de médecine considérée comme sans égale en orient.

Les établissements français de Palestine se sont multipliés depuis trente ans. En 1873 s’installent les pères de Sion, — en 1874, les sœurs de Saint-Joseph, — en 1876, les frères de la Doctrine chrétienne, — en 1878, les Pères blancs, — en 1882, les Dominicains, — en 1884, les pères de l’Assomption, — en 1886, les Filles de la charité, — en 1889, les Trappistes et les Bénédictins, enfin les Lazaristes ; et nous ne parlons pas des ordres purement contemplatifs. On peut citer encore comme se réclamant volontiers de la France, bien que ne dépendant pas d’elle, les Franciscains et les Salésiens, — et comme non résidents mais organisateurs de pèlerinages dont l’importance politique est indéniable, — les Assomptionnistes.

En Égypte, il convient de noter une très curieuse statistique établie au lendemain de l’affaire de Fachoda. À ce moment, la population scolaire qui fréquentait les écoles congréganistes françaises monta de 9.411 à 10.634 unités, tandis que, dans les écoles publiques, la proportion des élèves choisissant la culture anglaise de préférence à la culture française atteignait 67 pour 100 (elle était en 1889 de 26 pour 100, puis s’était tenue jusqu’à Fachoda à 41 pour 100). Sans les écoles congréganistes on aperçoit aisément ce qu’il fut advenu de la culture française. Ces écoles sont dirigées par les frères de la Doctrine chrétienne et d’autres congrégations ; les Jésuites ont aussi des collèges prospères.

Missions d’Abyssinie, des Indes et d’Indo-Chine.

Il est peu de pays païens où les missionnaires aient eu de pires persécutions à subir que dans la soi-disant chrétienne Abyssinie et, à la lueur des faits relatés par leurs annales, ce christianisme-là apparaît comme nettement inférieur à bien des paganismes. Le long et douloureux martyre de Mgr de Jacobis, la cruauté innommée de Théodoros, ce fils d’une marchande de légumes devenu empereur, la violence capricieuse de Johannès iv ne sont que les épisodes principaux d’une lutte à laquelle le gouvernement français eut le grand tort de s’intéresser superficiellement et de façon intermittente. Tout lui commandait pourtant de tenir les yeux fixés sur une région dont il était aisé de prévoir qu’elle serait appelée tôt ou tard à entrer dans la sphère des affaires égyptiennes. Les jalons si heureusement plantés par MM. d’Abbadie, lors de leurs voyages d’exploration et plus tard le dévouement et l’intelligence de Mgr Massaïa dont l’apostolat s’étendit sur une période de 35 ans, auraient dû être pour l’action française des stimulants énergiques, sinon auprès des princes éthiopiens instables et peu sûrs, du moins au Choa et dans ce pays Galla, un des édens du monde, territoire deux fois vaste comme la France et qu’habite une population douce et attachante. Expulsés par les Italiens en 1896, les missionnaires français ont reparu dès 1898 ; mais insuffisamment appuyés, une grande part de leur zèle et de leur énergie est perdue pour leur pays.

Sans nous attarder aux établissements du reste peu propères d’Aden et des Somalis passons immédiatement aux missions indiennes. Elles forment cinq groupes : le Rajpoutana, le Maduré, Ceylan, Pondichéry, Vizagapatam. Dans le Rajpoutana, il y a 10 écoles élémentaires avec 580 élèves auxquels on n’apprend aucune langue européenne et 5 orphelinats avec 700 enfants. Les missionnaires français du Maduré aidèrent le Saint-Siège à se débarrasser du schisme provoqué par le clergé portugais de Goa et opposèrent au triste spectacle donné par la plupart des membres de ce clergé l’exemple d’une vie sacerdotale vertueuse et régulière. La morale leur doit beaucoup mais les intérêts français n’étant pas engagés dans cette affaire, n’avaient rien à y gagner.

Il semble qu’il en ait été un peu de même à Ceylan. La mission, originaire de 1845, se francisa en 1857. Elle eût à sa tête Mgr Bonjean mort en 1892 et qui sut réunir autour de son cercueil les hommages sincères de tous les cultes et de tous les partis. Par malheur, l’activité de ce grand évêque dut se dépenser surtout au travers de divisions intensives peu propres à fortifier l’influence catholique. La langue et la civilisation anglaise dominent dans l’île d’une manière trop incontestée pour qu’on puisse travailler utilement à implanter le fiançais : et sans doute nul n’y songe plus. Mêmes conditions dans les vicariats de Vizagapatam et de Nagpour ; du moment que des congrégations françaises s’y sont établies il est bon qu’elles se fassent apprécier et tel est le fait ; mais force leur est de se plier aux exigences linguistiques du conquérant de sorte que, si leurs efforts servent les desseins du Saint-Siège, ils n’ont au point de vue national aucune utilité directe.

Pondichéry et les territoires avoisinants se trouvent dans une situation absolument différente. La France est là chez elle et il lui importe d’y rester. La mission de Pondichéry comprend 14 orphelinats avec 448 enfants ; la mission de Maïssour, 13 orphelinats avec 700 enfants ; celle du Coïmbatour, 4 orphelinats avec plusieurs centaines d’enfants. Le lycée colonial de Pondichéry a 200 élèves ; le séminaire-collège en a 300 et le collège de Karikal, 310. Les seules religieuses de Cluny possèdent : un pensionnat de 100 élèves pour européennes et créoles, une école primaire gratuite de 116 élèves, un ouvroir avec 50, un atelier de dentelles avec 50, un asile avec 120 enfants. Les religieuses du Saint-cœur-de-Marie possèdent 25 écoles avec 1093 élèves. Sur le territoire de Karikal il y a 7 écoles primaires congréganistes, 1 à Chandernagor, 1 à Mahé. Ces chiffres indiquent mieux que tout commentaire la grandeur de l’effort accompli.

Aux missions indiennes on peut rattacher celles de Birmanie et de Malacca qui opèrent en territoire britannique ; celles de Siam et du Laos au contraire se rattachent naturellement aux missions d’Indo-Chine. Il est fâcheux que la propagande française n’ait rien à gagner en s’exerçant à Mandalay et à Rangoon car les congrégations de France dirigent en Birmanie : un collège avec 1.075 élèves, 5 pensionnats avec 710 élèves, 94 écoles avec 2.442 élèves, 4 écoles agricoles avec 100 élèves, enfin un ouvroir. Dans la presqu’île de Malacca elles ont 2 collèges et 4 pensionnats avec 1.5 50 élèves, 30 écoles avec 1.100 élèves, 25 orphelinats avec 591 enfants.

La mission de Siam qui remonte à 1660 comprend : un séminaire avec 62 élèves, 1 collège avec 350, 1 pensionnat avec 220, 52 écoles avec 3267 élèves, 2 établissements agricoles avec 135, 2 imprimeries ; enfin 630 enfants fréquentent ses orphelinats. Ici et en Indo-Chine l’action des évêques a été le point de départ ; impossible de le méconnaître. Il n’a pas dépendu, comme nous le rappelions tout à l’heure, de Mgr. de la Motte-Lambert et de Mgr Pallu que le royaume de Siam ne passât dès le xviie siècle sous le protectorat français. Ce sont Mgr. Pigneau de Béhaine sous Louis xvi et Mgr Lefebvre sous Louis-Philippe qui ont réservé l’Indo-Chine à la France, en quelque sorte malgré elle. Et en 1873, lorsqu’après la mort de Garnier le cabinet de Paris dut se résigner à intervenir de quelque manière, c’est encore l’évêque, Mgr Puginier, qui prit en mains les intérêts de son pays. Il fallut l’inintelligente obstination du résident, M. Philastre, pour repousser l’avantageuse convention préparée par lui.

Le nombre des catholiques qui en 1886 était de 350.000 environ est aujourd’hui de 546.000. Ces chiffres sont modestes ; il importe d’indiquer qu’à côté des 297 missionnaires européens que compte actuellement l’Indo-Chine, il y a 336 prêtres et plus de 2000 religieuses annamites ; nulle part sans doute n’existe un clergé indigène aussi considérable. Le sang du reste — et surtout entre 1857 et 1862 — a coulé abondamment ; pendant cette période, plus de 2000 chrétientés furent détruites ; le nombre des indigènes mis à mort pour leur foi et ayant préféré le martyre à l’apostasie est énorme. La France impériale porte là une lourde responsabilité de plus ; c’est pour s’être si complètement désintéressé d’un passé colonial qu’elle avait pour devoir de ne pas renier que ces massacres ont été rendus possibles et qu’il a fallu tant d’efforts ensuite pour reconquérir le terrain maladroitement évacué.

Les missions d’Indo-Chine comprennent actuellement : 13 séminaires avec 1345 élèves, 4 collèges avec 923 élèves, 2 pensionnats avec 262 élèves, 1158 écoles avec 29.193 élèves, 4 écoles professionnelles avec 113 élèves, 9 écoles agricoles avec 300, 2 imprimeries et une école de sourds-muets.

Missions de Chine et du Japon.

Sans admettre comme ayant une valeur historique quelconque le fait de l’évangélisation de la Chine ancienne par l’apôtre saint Thomas, il paraît certain qu’une tentative sérieuse et qui fut couronnée de succès avait eu lieu avant les invasions tartares au début du vingtième siècle. Les premiers successeurs de Gengis Khan reçurent assez mal les missionnaires envoyés à leur cour en qualité d’ambassadeurs européens. Puis Koublaï Khan entra en relations directes avec le Saint-Siège et autorisa la prédication du christianisme. Un nonce, le célèbre Montecorvino, s’établit à Pékin (alors Khan Baleck) y fonda un collège, un monastère, opéra des milliers de conversions et traduisit en tartare le Nouveau testament. Montecorvino avait le rang le plus élevé parmi les dignitaires impériaux : quand il mourut sa tombe devint un lieu de pèlerinage. Protégés par lui, les Franciscains se répandirent dans le pays et l’on put croire qu’un rapprochement définitif allait s’opérer entre la Chine et l’Europe. La réforme du Bouddhisme qui advint vers 1410 et fut suivie d’une révolution dynastique fit évanouir ces perspectives civilisatrices. Deux siècles plus tard, l’œuvre fut reprise par les Jésuites ; leur rôle auprès des empereurs fut celui de conseillers scientifiques appréciés ; on sait la reconnaissance témoignée par l’empereur Chun-Tchi au père Schall qui avait rectifié le calendrier et comment le Fils du ciel voulut annoblir les humbles ancêtres du missionnaire. Mais il ne semble pas que, cette fois, un élan véritable des populations ait rendu profitables les effets de la bonne volonté impériale. Des réactions violentes ne cessèrent plus d’ailleurs d’alterner avec les ères de paix et de bienveillance. Après la suppression des Jésuistes les Lazaristes leur furent substitués.

De nos jours ces derniers administrent six vicariats peuplés de 78 millions d’habitants parmi lesquels à peine 140.000 sont chrétiens ; aidés par les Filles de la charité et les frères Maristes ils ont ouvert 502 écoles, avec 9.818 élèves, 8 écoles normales qui en reçoivent 151, 12 collèges qui en reçoivent 483 et nombre d’orphelinats et d’asiles. Dans le Tche-Li sud-est les missions des Jésuites ont été dévastées en 1900. Mais au Kiang-Nan, patrie du grand mandarin chrétien Siu, ils ont 940 écoles avec 18.563 élèves. Neuf vicariats sont aux mains des Franciscains ; 16.475 enfants y sont instruits dans 318 écoles ; la population atteint 83 millions et les chrétiens sont 160.000 ! L’ouest et le sud de la Chine (Se-Tchouang, Yunnan, Kouang-Si, Kouang-Toun) sont évangélisés par les prêtres des Missions étrangères. En tout 162.000 catholiques pour 125 millions d’habitants. Les écoles sont au nombre de 940 et comptent 13.000 élèves.

Au Thibet il n’y a eu jusqu’ici que des échecs à enregistrer. Au milieu du xviiie siècle des Capucins italiens de la mission d’Agra avaient pénétré à Lhassa et y avaient même fondé une maison mais ils en furent bien vite chassés. La tentative du père Huc en 1846 et le séjour de dix mois du père Renou dans une lamaserie où il parvint à se faire enseigner le thibétain n’aboutirent à aucune fondation.

Depuis le traité d’Aïgoun en 1858 par lequel la Russie obtint la rive gauche de l’Amour — traité complété en 1860 par la cession du territoire compris entre la rive droite de l’Ossouri et l’océan, les influences russes ont dominé en Mandchourie et elles ont été constamment opposées à l’initiative des missionnaires français ; la mission de Moukden a été détruite d’ailleurs par les Boxers. Les mêmes difficultés n’existaient point en Corée où jusqu’à ces derniers temps subsistait un gouvernement autonome et relativement indépendant. L’église de Corée présentait de plus cette anomalie d’avoir été fondée par des philosophes. Lorsqu’en 1794 apparut à Séoul le premier missionnaire il y avait déjà 4.000 chrétiens groupés autour du lettré Nitekso et de ses amis lesquels s’étaient convertis spontanément, à la lecture d’un exposé chinois de la doctrine catholique. Cela n’empêcha pas pourtant qu’en 1839, au cours d’une persécution xénophobe, trois missionnaires français fussent mis à mort. Par la suite d’autres crimes analogues furent perpétrés sans que le gouvernement français ait songé à intervenir. En 1860, la chose était d’autant plus indiquée qu’une flotte de guerre se trouvait à portée et qu’on tremblait fort à Séoul par crainte de représailles si justifiées. Les catholiques de Corée sont environ 36.000 et il y avait avant la guerre 1 séminaire, 1 dispensaire, 2 orphelinats avec 417 enfants et 35 écoles fréquentées par 329 élèves.

Entre 1550 et 1650 le Japon avait vu se former sur son sol de très nombreuses chrétientés austères et bien vivantes comme le prouve le fait que certaines d’entre elles subsistaient encore deux siècles plus tard, ayant conservé leur foi malgré un complet isolement d’avec l’Europe. Les Jésuites venus sur les pas de saint François Xavier avaient mené vigoureusement cette conquête ; leurs disciples à un moment dépassèrent 300.000. Puis se déchaîna, comme il était probable, une persécution violente ; les missionnaires furent expulsés ou martyrisés et le Japon s’enferma dans une solitude jalouse. Après qu’en 1854 ses gouvernants se furent quelque peu humanisés les tentatives d’évangélisation reprirent ; de nouveau une persécution s’organisa de 1867 à 1870 ; plus tard la liberté de conscience fut proclamée. Malgré que de 15.000 en 1872 le nombre des catholiques ait passé aujourd’hui à 53.000 (il y a à peu près autant de protestants et d’orthodoxes) il est visible que les résultats sont d’une nature peu encourageante. 3.688 élèves répartis dans 2 collèges, 10 pensionnats et 36 écoles, c’est peu pour un empire de 40 millions d’habitants. Les 112 missionnaires français qui y dépensent leur zèle et leur dévouement se heurtent à un adversaire plus redoutable que la haine : le scepticisme sans cesse accru par la vogue de la philosophie allemande et par les dispositions naturelles d’un esprit critique acerbe et aiguisé.

Missions d’Océanie.

Si Louis-Philippe et Napoléon iii avaient donné quelque attention aux entreprises des missionnaires français en Océanie, la France y posséderait aujourd’hui non seulement les Marquises, les Gambier, Tahiti, les Wallis, la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances, mais encore les îles Cook, les Tonga, les îles Samoa, les Fidji, les Salomon, les îles Gilbert et Ellis, c’est-à-dire presque toute la Polynésie. Il n’est pas jusqu’aux îles Sandwich où la domination française ne se fut aisément établie. La caractéristique d’un tel ensemble de conquêtes, c’est qu’il n’eût fallu pour en venir à bout ni beaucoup d’efforts ni beaucoup d’argent. Laisser faire les missionnaires et se tenir prêt à leur venir en aide en toute occasion par quelqu’une de ces « démonstrations » navales, aussi efficaces qu’inoffensives, voilà tout le secret de la politique qui s’imposait. Encore pour la suivre, fallait-il que le gouvernement de la métropole eût quelque connaissance des choses d’Australasie. Son extrême ignorance en ces matières l’empêcha d’être vigilant à point nommé ; il laissa passer les occasions les unes après les autres.

Dans l’histoire des missions françaises, l’évangélisation de l’Océanie occupe une place à part ; la simplicité et la noblesse des moyens employés, l’ampleur des résultats atteints, l’originalité et la beauté de certaines des figures du premier plan, tout cela constitue une sorte d’épopée digne d’être chantée par un poète de renom. Rien n’est plus surprenant que les transformations opérées par les missionnaires, souvent en très peu de temps. Dès 1838, Dumont d’Urville et ses officiers proclamaient, émerveillés, « la plus heureuse et la plus parfaite de la terre », cette population des Gambier que les Anglais avaient appelée, à juste titre, cinq ans plus tôt, un ramassis « d’audacieux voleurs, traîtres et anthropophages[4]. » Dès 1843, dans les îles Foutouna où l’on avait vu une mère tuer jusqu’à six de ses enfants pour les manger et où le père Chanel venait d’être martyrisé, l’ordre et la paix s’établissaient. Le secret d’une action si puissante et si rapide résida dans l’absolutisme du remède proposé et dans la survivance d’une sorte d’idéal enfoui au plus profond de l’âme d’une race dégradée et tombée dans l’infamie, mais faite assurément pour de meilleures destinées. Les missionnaires français présentaient aux Polynésiens, comme planche de salut dans leur naufrage moral, la famille : la famille intacte et immuable, pure et indestructible. L’erreur des Wesleyens qui presque partout les avaient précédés et s’épuisaient depuis longtemps en efforts parfaitement vains avait été d’autoriser le divorce en lequel ils apercevaient — assez logiquement du reste — un moyen de réglementer, puis de détruire peu à peu la polygamie. Ils n’arrivèrent à rien ; les premiers succès des catholiques les exaspérèrent et plus encore l’idée de voir l’influence française prédominer là où ils travaillaient à implanter la domination anglaise. Cette perspective les incita à des actes déplorables et fort répréhensibles[5]. Pour mieux combattre les nouveau-venus, ils ne craignirent pas, à plusieurs reprises, de provoquer des guerres civiles indigènes et de faire appel aux passions bestiales qu’ils avaient voulu d’abord refréner. La maladresse des commandants ou résidents français leur apporta parfois, dans cette tâche, des renforts imprévus. Successivement, en 1861 et en 1866, des retours offensifs du cannibalisme suivirent, aux Marquises, l’imprudent retrait des ordonnances interdisant l’absorption du « jus de coco » et les danses obscènes. Ailleurs, on vit le représentant de la France écouter avec complaisance les calomnies lancées contre les missionnaires. Malgré tout, ceux-ci finissaient par avoir gain de cause et par faire triompher la stricte et salutaire morale en laquelle ils avaient su deviner la seule source possible de régénération du monde polynésien.

Les congrégations françaises possèdent à Hawaï 14 établissements avec 2.000 enfants. Les Marianistes y dirigent le beau collège de Saint-Louis d’Honolulu et les dames du Sacré-Cœur y ont un pensionnat ; l’un et l’autre renferment de 6 à 700 élèves. Aux Marquises, il y a 7 écoles avec 387 élèves. Aux Tuamotou, 35 écoles. Aux Wallis, 10 écoles. Aux Nouvelles-Hébrides, 8 écoles avec 350 élèves. À la Nouvelle-Guinée, 29 écoles, avec 1.100 enfants. Aux Marquises, aux Gambier, aux Wallis, aux Foutouna, la francisation est complète ; la population a cessé de décroître et dans ces deux derniers groupes elle a même commencé de s’accroître par des excédents de naissances. Depuis l’annexion de l’île de Pâques par le Chili (1887), des îles Fidji et Cook par l’Angleterre (1874 et 1900), les missions françaises n’y ont plus d’avenir ; de même à Samoa depuis le partage récent de l’archipel entre l’Allemagne et les États-Unis et aux îles Tonga où le protectorat anglais est établi de fait.

À Tahiti, il n’y a que 6.000 catholiques contre 23.000 protestants et environ 800 païens. L’organisation officielle des églises s’imposait donc : elle a eu lieu en 1844, au grand scandale assurément injustifié des missionnaires ; mais il est malheureusement vrai que là, comme en Nouvelle-Calédonie, on a toléré l’intervention de sociétés bibliques anglaises, qui travaillent secrètement à combattre l’influence française par tous les moyens.

Missions d’Afrique.

Jusqu’au jour où le cardinal Lavigerie — dont Gambetta disait que « sa présence valait une armée » — eut orienté les missions d’Afrique dans une voie nouvelle, elles n’eurent guère de raison d’être. La politique africaine de Louis-Philippe, rigoureusement maintenue par Napoléon iii, impliquait la protection absolue du culte musulman. Tout acte de prosélytisme était considéré comme propre a rallumer l’incendie mal éteint et il est symptomatique qu’en 1888 encore, un évêque ait dû se cacher pour administrer le baptême à trois Kabyles qui, convertis de leur plein gré, le sollicitaient depuis longtemps. L’exagération d’un principe recommandable est ici flagrante et la preuve en fut donnée en Tunisie, où les missionnaires n’étaient pas tenus d’observer la même neutralité. Mais, quels que soient leurs efforts, ils n’arriveront pas à désislamiser les Arabes, et c’est de plus une question de savoir ce que vaudraient des Arabes devenus chrétiens. Mgr Lavigerie, en donnant pour tâche à ses Pères blancs de combattre la traite qui est le fléau de l’Afrique, indiqua du même coup à toutes les autres congrégations la tâche très noble et très utile qui s’offrait à elles. Au point de vue national, toutefois, il en est une autre : c’est d’empêcher l’islamisation des nègres. « Chaque noir islamisé, a-t-on dit justement, est un auxiliaire enlevé pour longtemps à la civilisation ».

Les missions africaines proprement dites, qui s’inspirent de ce programme d’action, sont établies au Sénégal, en Sénégambie, dans la Guinée française, à Sierra-Leone, au Bas-Niger, au Gongo français, au Gabon, dans l’Oubanghi. Les frères de Ploërmel, les sœurs de Cluny, les pères du Saint-Esprit, les pères et les sœurs des Missions de Lyon y ont ouvert aussi des écoles où s’enseignent les premiers éléments du français ; un autre groupe de missions comprend celles de Libéria, de l’Angola, du fleuve Orange, du Transvaal, du Natal et du Basoutoland, situés en territoires non français. Au point de vue intellectuel, ces régions émergent à peine de la nuit totale et, même en faisant appel à tous les concours, il n’y a guère d’apparence qu’on arrive prochainement à y faire luire une brillante aurore.

Aux missions d’Afrique se rattachent, géographiquement tout au moins, celles de Madagascar. Ici, malgré que les catholiques soient les plus anciens, les Lazaristes étant arrivés en 1648 avec M. de Flacourt (Saint Vincent de Paule s’intéressait particulièrement à l’évangélisation des Malgaches) la situation est la même qu’à Tahiti c’est-à-dire que des rivalités non seulement confessionnelles mais nationales existent entre catholiques et protestants ; le plus curieux est que Napoléon iii, en s’obstinant à repousser le protectorat que lui avaient préparé, avec l’appui des missionnaires, les trois fameux colons français, MM. Laborde, de Lastelles et Lambert — et en insistant à Londres pour attirer les Anglais à Madagascar — créa lui-même le fâcheux imbroglio dont la république eut par la suite tant de peine à se tirer. En effet, lord Clarendon repoussa les offres impériales mais il dépêcha dans la grande île africaine des « teachers » anglicans qui prirent à cœur avant tout d’en préparer la conquête future et furent les habiles artisans d’une lutte acharnée contre la France. Aujourd’hui, l’Église réformée de France a entrepris, sur la demande du gouvernement, de les remplacer par ses propres pasteurs.

Missions d’Amérique.

Les établissements des congréganistes français aux États-Unis et au Canada peuvent difficilement être classés dans la catégorie des missions. En tous les cas ce ne sont pas eux, à peu d’exceptions près, qui représentent désormais dans cette portion du nouveau-monde l’influence française. Cette influence s’exerce directement par les rapports universitaires, les tournées de conférences, les cours, etc… Dans l’Amérique centrale et dans l’Amérique du sud les conditions sont différentes et l’enseignement distribué par les congréganistes français ne saurait jusqu’à présent être suppléé. Au Brésil, dans la République Argentine et au Chili il y a des maisons d’éducation fort importantes ; les résultats obtenus font regretter que ces maisons n’existent pas en plus grand nombre à travers toute l’Amérique espagnole. Il est probable, d’autre part, que si les missionnaires avaient été un peu plus encouragés et moins inintelligemment contrecarrés à la Guyane, le déplorable arbitrage qui a réglé le contesté franco-brésilien eut fait au Brésil une part moins léonine et n’eut pas condamné la Guyane française à une sorte de déchéance fatale.

Aux Antilles, les missionnaires sont installés à Haïti, à la Dominique, à Sainte-Lucie, à la Trimidad, à Tabago. Depuis que Bonaparte a si maladroitement renversé Toussaint Louverture, Haïti est perdu pour la France. Tout récemment la Trinidad lui a échappé, le Saint-Siège ayant consenti (1894) à révoquer la convention faite en 1873 avec les Dominicains de la province de Lyon pour la direction de la mission. Bien qu’avant à peine appartenu à la France, la Trinidad était demeurée française comme Tabago et comme Sainte-Lucie où sur 47.000 habitants, les catholiques sont 40.000. Cet état de choses ne saurait évidemment durer. Prise entre la Guadeloupe et la Martinique, la Dominique résistera plus longtemps ; la population en majorité catholique s’obstine à parler français et à maintenir à la capitale — officiellement dénommée Charlottetown — son vieux et pittoresque nom de Roseau.

  1. Ar. Colin et Cie, éditeurs, Paris.
  2. Le premier titulaire fonda le séminaire des Missions Étrangères à Paris ; la rue voisine fut appelée de là rue de Babylone.
  3. Voir la Chronique de 1901.
  4. Ces heureux résultats furent passablement compromis par le fanatisme d’un missionnaire peu recommandable, le P. Laval, que le gouvernement impérial commit la sottise de laisser s’insurger contre son autorité et organiser aux Gambier un odieux et honteux régime.
  5. L’un d’eux déclarait publiquement à Sydney, en décembre 1883 que « son œuvre avait consisté, depuis plus de vingt ans, à inculquer aux indigènes la haine des Français et du catholicisme. » Il était cousin par sympathie de celui qui, trente ans plus tôt, leur annonçait périodiquement la conversion du pape au protestantisme et l’internement du roi Louis-Philippe dans une prison de Londres.