La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XXXVI

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 147-148).

Chapitre trente-sixième.
Ci devise comment on doit aler en queste pour oïr rere les cerfs.


Mes li vueill aprendre d’aler devant le jour pour oïr rère les cerfz, qui par avanture reront en la forest en diverses pars et regarder selon la voix de luy lequel li semble plus grant cerf et touzjours escoutant en aprouchant de luy au dessouz du vent, en guise que quant viendra au leissier courre, il ne faille que le dressier du limier. Et tantost qu’il verra que ce soit du cerf, qu’il abate les chiens après ; et ce doit estre bien matin ; si matin comme on pourra veoir le cler jour quar les cerfz déchassent les biches en celuy temps et vont sà et là et ne demuerent point en un lieu einsi comme ilz font en la droyte saison. Et pour ce que on ne les pourroit approcher du limier, est il bon que on leisse tantost courre, quar les chiens l’iront plus tost raprocher et sevreront[1] les cerfs les bons chiens des biches.

Cerfz reent en diverses manières selon qu’ils sont vieilz ou juenes, et selon qu’ils sont en pays recoy[2], qu’ilz n’ont oy les chiens ou qu’ils ne les ont oys. Les uns reent hault et à pleine guele ouverte et souvent et la teste levée en amont. Et ce sont ceulz qui ont peu oy la sayson[3] les chiens et qui sont bien eschaufez. Et encores de jour haute prime ou plus avant reent ils aucunefois, quant ce dessusdit y est. Les autres reent bas et gros et la teste beissiée le musel vers terre ; et c’est signe de grant cerf et vieil et malicieus, ou qu’il a oy les chiens, et pour ce n’ose il fort rère ne guères de jour, se n’est à l’aube du jour. Les autres réent le musel tout droit devant eulz en gargoutant[4] et raillant dedans leur gorge ; c’est aussi signe de grant cerf et vieill et qu’il est asseuré et affermé en son ruyt. Briefment touz cerfz qui plus gros et plus fort réent doivent estre plus grans et plus vieillz.

Séparateur

  1. Sevreront, sépareront. Voyez la note de la page 109.
  2. Recoy ou requoy, tranquille, retiré. Voyez page 13.
  3. Ceulz qui ont peu oy la sayson les chiens… Voici encore la forme de langage que j’ai signalée déjà dans les notes des pages 19, 37, 38, 39 et 44. La préposition est sous-entendue. Il faut lire comme s’il y avait : « Ceulz qui ont peu oy les chiens pendant la sayson. »
  4. Gargoutant. Voyez la note de la page 28.