La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LIII

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 216-217).
LIII. Ci devise comment on doit chassier et prendre le sanglier

Chapitre cinquante-troisième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre le sanglier.


Et quant le veneur voudra chassier le senglier, et il sera leissié courre, il ne doit pas leissier courre tous ses chiens ; quar un senglier fuyt bien longuement et aussi en tue il et blesse assez ; et s’il n’i avoit de chienz frès et nouveaulz, il pourroit faillir à le prendre. Donc ait mis en deux ou trois lieux releis. Et doit le veneur chevauchier ses chiens de près ; et s’il vuelt porter un espieu en sa main tout à cheval, c’est bonne chose ; combien que le tuer de l’espée soit plus bele chose et plus noble. Toutesfois ne le peut il pas férir de l’espée ; quar se un senglier ne vient courre sus à un homme visadge à visadge, ou on ne le vient acouant[1] par derrière, ou lévriers ne le tienent en autre manière, il ne le touchera jà de son espée ; et s’il a son espieu trop de fois le pourra férir en getant, s’il le scet bien fere, là où il ne pourroit avenir de son épée ; mès il doit bien garder comment il getera son espieu ; car s’il failloit à férir et l’espieu fichoit en terre, avant que on ait retenu son cheval, pour quant qu’il soit bien abridé, ou est jà venu sur la queue de l’espieu qui sera fichié en terre ; et par ceste manière ay je veu mourir chevaulz et encore homme à cheval blessier, qui se boutoient la cueue de l’espieu parmi le corps. Mes quant il hara geté son espieu, tantost que son espieu li sera sailli de la main, il doit tourner son cheval à la droite main. La cause si est, quar nul homme ne peut gecter son espieu fors que devant soy, ou petit sur la senestre main ; mais sus la droite, non. Pour ce se doit il tourner de celle part, quar c’est un bien grant périll. Et aussi s’il vuelt descendre aux aboys, c’est plus seure chose de l’espieu que de l’espée. Aussi quant il ha l’espieu et son espée, il ha deux armes ; et quant il n’a que l’espée, ne ha que une. Et s’il vuet avoir arcbalestriers ou archiers pour le ferir au trouver ou aux abais, il en sera plus tost mort. Et se le veneur est en requeste, il ne le convient mie fere si grant mestrise à le dressier comme fet à un cerf ; quar comme j’ay dit un senglier ne fet point de reuses einsi comme un cerf, se ce n’est pour demourer aux abais et atendre les chiens. Et quant il se fera abayer, le veneur doit aler sans huer ne sans corner aux abais tout à cheval. Et sil est en pays qui ne soit trop espès et fort païs il li doit courre sus à son espieu ou espée. Et s’il est en fort païs et il li court sus, c’est en périll d’estre blessié ou luy ou son cheval. Mes il doit venir au devant de luy et le doit apeller en disant : Avant, mestre ! avant ! or sà ! sà !

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  1. Acouant. Voyez la note 2 de la page 194.