La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XLV

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 174-195).
XLV. Comment le bon veneur doit chassier et prendre le cerf à force

Chapitre quarante-cinquième.
Comment le bon veneur doit chassier et prendre le cerf à force.


Ore vueill-je donc, puisque cest enfant a esté bon page et bon varlet de chienz, et ore est bon ayde, qu’il soit bon veneur ; et li vueill aprendre comment il doit chassier et rechassier, et requerir, et prendre à force et par mestrise le cerf. Et doit avoir le veneur gros housiaus et de fort cuyr contre les espines, ronses et boys, et doit estre vestu de vert en esté pour le cerf, et pour le senglier en yver de gris[1], le corn au col, l’espée ceinte au costé, et le coutel pour defaire de l’autre part ; et doit bien estre monté de trois bons chevaulx ; les gans et l’estortouere en sa main, qui est une verge qui doit avoir deux piés et demi de long ; et s’apelle estortouere pour ce que quant on chevauche parmi fort boys, on la met davant son visadge et elle estort le coup des rainr qu’ilz ne fièrent sus le visaige. Aussi quant on est en requeste, on fiert de ce baston sur sa grosse bote pour reschauffer et resbaudir ses chiens. Aussi se son cheval est umbraige, ou il soupe[2] devant, on l’en donne aucunefois sus sa teste ; si fait on à son vallet ou à un chien quant mestier est. Et aussi on en ha la main plus aperte quant on y porte aucune chose que sil n’y avoit rien. Premièrement quant le veneur partira de l’assemblée, comme j’ay dit devant, il doit devisier où les lévriers iront, et les deffenses, et ceulz qui tendront les releiz. Et doit metre les lévriers en telle manière : les plus légiers ès premières leisses, et les plus légiers après de ceulz, ès secondes, en droit l’une de l’autre en doublant ; et les plus pesans à la tierce ou quarte leisse en doublant, s’il ha tant de lévriers. Et se non, si double ses leisses selon ce qu’il pourra. Et trois lévriers est droite leisse de lévriers et de trois en trois lévriers chescun un vallet qui les garde. Et ne doyvent estre plus lévriers ensemble tenuz en un ostel, se n’est par nécessité, qui bien les vuelt garder et les aime ; quar s’ils estoient ensemble trop de lévriers, ilz se combatroyent ou deviendroient roigneuls ; et doyvent estre gardez et aysiez de bonne litière et de bonne eaue, et autres choses, einsi comme j’ay dit des chiens courans. Toutevoyes on les puet bien tenir de deux en deux pour former plus de leisses au titre[3]. Et doit metre deux ou trois chevaucheurs que on doit apeller fortitreours, au commencement de l’antrée dou titre au bout des premières leisses, affin que se un cerf venoit, et se vouloit fortitrer hors de là ou les lévriers seront, ceulx qui seront à cheval le puissent crier et bouter dedens les lévriers. Et doivent leissier passer les premières leisses le cerf et entrer dedens le titre une piesse tant qu’ilz le voient par les cuisses derrière. Et lors doivent geter leurs lévriers. Et les secondes leisses le doyvent encore leissier passer un petit et puis geter ; et les tierses leisses le doyvent lessier venir jusques bien près d’eulz, et lors li doivent geter les lévriers emmy le visaige. Et s’il y ha quatre leisses au double qui doyvent estre les plus grans lévriers et plus pesans ; quar si les plus pesans estoient devant, ilz ne pourroient ateindre au cerf qui sera tout frès ; et si les légiers estoient derrière ilz y pourroient bien ateindre ; mès ilz ne le pourroient ne oseroyent prendre ; quar c’est trop grant beste et fort pour eux arrester. Donc faut-il que les légiers lévriers le hastent et mettent hors d’alaine ou commencement, afin que les grans lévriers qui l’oseront et pourront prendre en ayent bon marché et le puissent légièrement ateindre. Et ces lévriers pesans doit on apeller receveours[4]. Ceux là doyvent estre getez au devant de luy, dès qu’ilz verront qu’il hara passé les tierces leisses ; quar les lévriers iront plustost et prendront mieulz leur avantaige que les vallez ne pourroient, ne sauroient fère. Et, ainsi fesant, ilz le prendront et le tireront à terre. Et doivent estre mys les lévriers au devant des grosses rivières ou en autres lieux, ès certains accours où il ha beau pays pour lévriers courre. Et les deux doubles de leisses premières doyvent avoir huriaus, c’est à dire du boys devant eulz et par les costez, afin que le cerf ne les puisse veoir à l’entrée du titre, ni avoir le vent d’eulz.

De lévriers se puet on aydier pour ce que le cerf, comme j’ay dit fuyt ès grosses rivières ; et quant on vuelt essayer lévriers et veoir courre et en afeyteson pour donner de la char aux chiens et afaytier ; et aussi pour fere veoir biau déduit ou à dames ou à seigneurs estrangiers qui seront venus et ne vouldroient guères courre. Et einsi aront plus court déduit ou mal pais, où l’en ne puet foursoier[5], ne bien chevaucher après ses chiens. Aussi doit il metre les défenses là où il ne vuelt que la beste aille fuyant. Et aussi s’ilz sont mis au couvert de bois, ils doivent estre mis l’un près de l’autre, quar s’ilz estoyent loinh l’un de l’autre, il les aroit tost passé entre deux, pource qu’il ne les ha veuz devant la main, pour le bois qui estoit fort. Et doivent estre mis et assis lévriers et défenses et releis ansois que on leisse courre. Et si les défenses sont mis en cler pays, ils doivent estre mises plus loinh que enmi les forts. Toutevoyes, ou en fort ou cler, selon ce que il ha de gent, les doit il metre le plus près qu’il pourra l’un de l’autre ; quar encore, ou[6] tout cela, trop de foys efforsent et passent les défenses. Et doivent les défenses, sans ce qu’ilz n’oyent nullz chiens, parler hault, dès qu’ils seront assis, l’un à l’autre ; non pas assembler, mes chescun à son lieu. Quar une beste vient moult de fois loinh des chiens, ou s’en sera alée dès que le limier commensera sa suyte ; s’elle oït les défenses parler, elle ne se metra à passer parmi eulz. Et s’il ne les oït, elle yra son chemin et sara avant sur eulz et les ara passez qu’ilz ne saront que ce est, pource que ilz n’aront oï les chiens : et s’ilz oyent les chiens donc doivent ils crier plus fort et plus hault ; et s’ilz voyent venir le cerf à eulz, ilz ne doivent point bougier ne courre au devant, mes crier fort et demourer chescun en son lieu ; quar s’ils le fesoyent, aucunefois le cerf s’arreste et leissera passer le chevaucheur avant, et puis il s’en passera par derrière luy. Aussi doit il metre les releiz et bailler les aux vallez qui se cognoissent au mestier ; quar aucunefois un cerf vendra bien passer devant celuy qui tient les releis. Et lors ne doit forhuer, ne se bouger pour quant qu’il l’ait veu ; quart moult de fois un cerf qui sera ou meisme païs, s’en pourra bien aler de l’espave et effreinte des chiens, et ce ne sera pas le droit. Donc doit le vallet escouter se chiens viennent après et veneurs ou aydes, et geter illec ses brisées ; et s’ilz le font, donc doit il forhuer ; et ne doit point releisser jusques tant que les chiens qui le chasseront soient passez, au moins la moitié ; puis doit il releisser tout droit le visage de ses chiens tourné là où le cerf fuit ; quar s’il releissoit au travers, aucunefois les chiens qui n’auroient point assenti prendroyent la contre ongle. Et quant il hara releissié, il doibt demourer et touzjours forhuer illec grant piesse. Et se chiens vieulz venoient trop derrière, il les doit reprendre et au desouz du vent venir au devant de ses chiens et les releisser autre fois et donner avantaige ; mes s’ilz sont juenes chiens, il n’en doit reprendre nullz. Les vieulz chiens doit on tenir touzjours au releiz. Et s’il advenoit que quatre ou six chiens le chassassent et il fust grant cerf, il doit forhuer et corner une piesse pour trère à luy ou veneurs ou aydes, et s’il les oït venir, il doit releisser aux six chiens qui seront passés sans les veneurs atendre. Et s’il n’i venoit null veneur ne ayde, et il voit que le cerf soit grant cerf et vieill, et les six chiens qui le chasseront soient des bons chiens de la muete, il doit releisser, sans ce qu’il n’i ait ni veneur, ni ayde ; quar moult de fois, comme j’ai dit, et les veneurs, et toute la muete accueillent bien le change, là où quatre chiens ou plus ou moins en meneront le droit. Et luy meismes doit chassier tout à pié après et corner, quant il hara releissié. Et puis, quant le veneur hara tout ordonné, si doit aler leissier courre ; et quant il, ou l’un des compaignons aront leissié courre le cerf, il ne doit pas trop haster, au commencement, ses chiens ni eschaufer, ni chevauchier trop sur eulz ; quar ilz sont assez chauz et ardans au partir des couples ; mes leur doit bien leisser acueillir et bien emprendre à chassier ; quar un cerf, quant il est lessié courre, tourne voulentiers en sa muete querant le change, pour ce qu’il vuelt demourer, et li grieve de leissier son païs. Et quant il voit qu’il ne pourra demourer, il prent congié à sa muete et s’en va, et fet sa fuite qu’il vuelt fere pour soy garentir. Donc doit le veneur, quant tous les chiens seront passés, se mettre à chevauchier menée cueue et cueue de ses chiens ; quar c’est le droit de bon veneur de tousjours chevaucher menée par là où il le pourra fere par trop de raysons. Quar s’il chevauche touzjours menée, et est avec ses chiens, il sara là où ses chiens faudront et jusques où ilz aront chassié. Et donc les puet-il aidier à faire redressier le cerf ; et sara les quieulz chiens sont les mieulz requerans, et rechassans, et ressentans, et redressans, et les plus roides, et les meilleurs, et les plus puissans, et les plus foysonnant, et les plus sages ; et s’il n’estoit avecques eulz, il n’en sauroit rien ; ne aussi ne sauroit il requerir son cerf ; quar il ne sauroit là où ses chiens l’aroient failli ; mes pour ce que aucunefois on ne puet mie chevaucher menée ou par montainhes ou par croullières ou betumières que on apelle graves en Gascoinhe, ou par autres maulz païs. Et lors, quant il ne puet chevauchier la menée, il doit prendre avantaiges, le plus près de ses chiens qu’il pourra, à venir au par devant de ses chiens touzjours au dessous du vent. Et s’il voit le cerf, il le doit forhuer, comme j’ay dit, et demourer illec tout coy, et lessier passer tous ses chiens, et lors verra il quieulz chiens vendront devant ; et quant ilz seront tous passez, il se doit metre à la menée et corner et huer et resbauldir ses chiens, comme j’ay dit ; et s’il oït que les chiens se teisent, il doit demourer tout coy, et crier arrière ! arrière ! quar il doit penser qu’il a fet une ruse ou estourse, et qu’il refuit sur soy ; ou que le change leur est sailly ; quar s’il alast avant, les chiens chassassent touzjours après. Et doit demourer et lessier venir ses chiens et lesser requérir et passer devant luy. Et de connoistre lequel de ces deux est, puet il bien savoir ; quar ce c’est le change, tous les chiens de sa muete ne sont pas sage ; car aucuns chasseront le change ; mes les sages chiens non. Donc quant il orra aucuns chassier et ces sages chiens demourer, il puet bien savoir que c’est le change. Mais quand nul ne crie plus avant, c’est une reuse ou estourser. Donc doit il trere arrière par là où il est venu chassant, et metre ses chiens devant luy, et prendre tours et essain le plus près qu’il pourra de la menée ou d’une part ou d’autre. Quar s’il prenait grant tour, le change li pourroit bien bouler ; toutes les voyes fet bien un cerf longues reuses et longuement revient sur soy, ainsi aucunefois, comme un trait d’arc ou plus, et si ses chiens ne le pevent redressier du premier tour ou essain qu’il ara pris, si en preinhe un autre plus grant, et einsi en eslargissant ses tours et essains tant de fois jusques tant que ses chiens le dressent ; touzjours les tours et essains le plus près qu’il pourra de sa menée ; quar un cerf pourroit bien demourer entre son tour et la menée par où il est venu chassant. Et, einsi fesant, ne puet-il estre qu’il ne le dresse ; quar il ne le puet faillir que ses chiens ne le dressent si ce n’est par ses ruses, ou pour le change, ou pour demourer dedans son tour ; et en ce, se doit il bien avisier et estre subtil et cauteleux. Bien est voir[7] que chiens viennent aucunefois chassant jusques à une voye qui sera foulée et usée et batue et pouldreuse et donc les chiens passent outre la voye ; et le cerf aura fouy et refouy la voye[8] ou aval ou amont ; et quant ilz ne sentent qu’il aille outre la voye, ilz retournent arrière jusques là où ilz en aront assenti darrièrement. Aucunefoys prennent la contre ongle ; aucunefois prennent tours dessà et delà pour le redressier, et en ce cas doit le veneur venir là où ilz l’ont failli, et regarder et penser ce que le cerf pourroit ou devroit avoir fet, et metre l’ueil à terre sur le chemin, ou descendre si mestier est. Et s’il voit qu’il fuye la voye, ou amont ou aval, au long du chemin, il doit geter ses brisées par tout là où il en voit, en criant à ses chiens, et disant : Voys le fuir la voie ! voys le fuir la voye ! Et s’il voit qu’il refuye sur soy arrière, il doit touzjours geter ses brisées et se tourner arrière en criant et disant à ses chiens : Voys le fuyr arrière ! voys le fuyr arrière ! Et se aucun chien le dresse, il doit nommer le chien et huer sur luy en disant : Illec fuyt ! illec ! et criant haut et cornant. Et toutefois qu’il sera en requeste, il doit parler à ses chiens, du plus bel et du plus gracieux lengage qu’il puet, lesquelz seroient lonx et divers pour escrire ; espicialment quant ilz sont las, ou ilz chassent de fort longe, ou par mal temps de trop grant chaleur ou de pluye, ou par mauvez païs, sec ou cru, comme sont fustoyes, garez et gaschières fresches, chemins eaues ou semblans choses, quar en tous ces cas ont les chiens mestier[9] de confort et de rebaudissement.

Huet des Vantes et le sire de Montmorenci orent[10] de trop biaus lengaiges et trop bonnes consonnances et bonnes vois et bonnes manières et belles de parler à leurs chiens.

Chiens faillent voulentiers les cerfs ès voyes et ès chemins, par trop de raysons ; quar leur cuer, ne leur pensement ne les aporte mie que le cerf doye avoir fuy les voyes ne les chemins ; et pour ce ne vuelent mettre poine à requerir les chemins au long ; et supposé qu’ils vousissent bien metre le nez à terre, et requérir les chemins, si ne pevent si bien en assentir comme en autre lieu, par trop de raysons ; quar quant le cerf fuyt les fours[11], il touche du corps et de la teste au boys, et par dessouz ès herbes, et les chiens en assentent partout ; et quant il vet la voye, il ne touche fors que par le pié en terre ; si n’en pevent les chiens si bien assentir. Aussi quant il fuit le chemin, le souleill qui fiert dessus hasle toutes les routes et eschauffe la terre, et oste l’umour, que les chiens n’en pevent bien assentir. Et aussi si les chiens metent le nez au bois ou ès herbes ilz en assentent ; et s’ilz le metent sur le chemin, et ils tirent à eux pour en avoir et ressentir, la poudre les donra[12] par les narines et par le nez qui toudra[13] le ressentir. Aussi aucunefois avient que ès forès et bruyères et ès landes pastouriaus boutent le feu et bruslent le pays pour revenir l’erbe nouvelle pour leur bestaill. Et quant chiens viennent chassant jusques aux brusleis, jamais ne chasseroient outre, parmi le brusleis, pour trop de raysons. Ansois retournent arrière ; quar ils n’en pevent assentir ou brusleis ; quar tu sces que se tu passes près d’une charoinhe tu sentiras la puour ; mes si tu portes en ta main roses ou violètes, sauge ou mente, ou autres herbes qui portent bonne flairour, tu ne sentiras rien de la puour ; quar la bonne oudour oste la mauvaise : aussi di-je quant les chiens viennent aux brusleis et ilz cuident assentir du cerf qu’ilz ont chassié, la puour et l’odour du brusleis et du feu leur ostera le ressentir de leur cerf ; et le plus emporte le moins ; quar plus fort est l’odour du feu et du brusleis ; que n’est l’odour du cerf. Et aussi quant ilz metront le nez à terre, les breses et l’arsure leur entrera par les narines et par le nez qu’ilz n’oseront tirer à eulz ansoys esternueront.

Et quant le veneur verra que les chiens vuelent tourner arrière ; il ne doit pas faire ainsi, mes doit aler avant touzjours et prendre hors du brusleis et par les costez et devant, par païs qui li semble que chiens en puissent et doivent bien assentir. Et lors le redressera, ou saura certainement qu’il hara fuy sur soy, et s’il ne le dresse, donc doit-il tourner arrière ; quar il puet bien savoir qu’il refuyt arrière sus soy ; et preinhe ses tours et essains, comme j’ay dit. Aussi avient-il aucunefoys que quant le cerf est mal mené, il leisse toutes forès et entreprent à fuyr la campainhe[14], et ce est sa fuyte pour aller mourir, quar aucunefoys il fuyra parmi les vilaiges ; quar il ne scet où il va, pource que les chiens l’ont tant eschaufé et mal mené qu’il a perdu son sen et son hesme[15]. Et aucunefoys avant qu’il vienhe à la campainhe, il ara fet des ruses ou estourses deux ou trois fois tant que les chiens demourront en deffere[16] ce qu’il a fet, si qu’il les hara esloinhez de l’erreur d’une ou de deux lieues, ou de plus.

Et quant les chiens viennent aux champs, ilz n’en pevent pas si bien assentir comme font ès fours et ès forés, par trop de raysons ; quar aux champs ne pevent assentir fors que par le pié, comme j’ai dit ; et ès forestz par tout ; et aussi ès forès ilz en assentent par l’ombre, et aux champs, il n’a point d’ombre ; ansoys a le soleil arse la terre, tant qu’ilz n’en pevent tirier nulle humour, ne ressentir de leur cerf. Et pource, s’ilz vont après sans dire mot par les choses suzdites et pource qu’il les fuyt de loinh et aussi qu’ilz sont las et alachiz et faonnés[17] qu’ils ne puelent tant avoir ne assentir, qu’ilz puissent crier ne dire mot. En ce cas doit le veneur rebaudir les de huer et de corner, et s’il voit que les chiens branlent les queues et flairent à terre et vont oultre, pour quant qu’ils ne crient, il puet bien penser qu’il fuyt là ; quar par les raisons suzdites ilz ne pevent crier, si les doit efforcier.

Et s’il avenoit qu’ilz venissent à un garet, ou en une gaschière ou rascleis, et les chiens ne vont plus avant, jà pourcela ne doit la requerir arrière, quar il doit fuyr avant ; mes fasse tout einsi comme j’ay dit du brusleis et touzjours l’ueill en terre, là où il en pourra veoir, si preinhe par devant des garez en pays où les chiens en puissent assentir en herbes ou autres choses ; quar la terre qui est remuée du labourage n’est pas si bonne pour assentir les chiens comme est où elle n’est point remuée, et où il y a herbes. Et s’il avenoit chose que les chiens laissassent du tout qu’ilz ne vousissent aler après, ou ne peussent, ou pour le grant chaut ou pour la forlonge, ou pour leur mauvestie, le veneur ne doit pas leisser einsi, mes doit geter ses brisées là où il en hara veu par le pié, ou là jusques où il saura que les chiens aront chassie ; puis doit amener les à aucun ruissel ou yeau pour boire et refreschir ; et doit porter le veneur ij pains en l’arson derrière de sa selle, un dessà, autre delà au moins. Si en doit donner à chescun chien un morsel ou deux, selon ce qu’ilz sont, et c’est bonne chose, ou pour reprendre et remener ses chiens à l’ostel ou en ce cas que je di. Et aussi les chiens le conoissent et l’en ayment mieulz. Puis doit descendre et oster la bride à son cheval et leisser pestre et reposer les chiens, et baisser la grant chaleur ; et doit corner de fois à en autre requeste, comme j’ay dit, pour fere venir les vallez de chiens et releiz veneurs et aydes, et autres gens du mestier ; et s’il avenoit que nul n’en veinst et la grant chaleur fust bessiée, lors vourroye-je voulentiers qu’il heust beu un plein henap de bon vin, puis doit realer à ses brisées que j’ay dit et resbaudir ses chiens et les metre en œuvre ; quar ilz le devroient drescier tant pour la frescheur du vespre et humour de la terre, comme pource qu’ilz se sont reposez, et le pain qu’ilz aront mengié les ara fet revenir le cuer et la voulenté. Et s’ilz le dresent, si chasse après, jusques tant qu’il soit nuyt. Et quant il sera nuyt il doit reprendre ses chiens et demourer au plus près qu’il pourra d’ilec et fere y ses brisées, et lendemain, dès que sera cler jour, il doit retourner à ses brisées et requerir son cerf ; quar j’ay veu prendre trop de cerfz lendemain qu’ilz avoient esté faillis le jour devant. Et si limiers ou releis estoyent venus au corner qu’il ara fet, tant devront-ilz mieulz drescier ; quar ilz ne sont pas si las comme les autres qui ont tout le jour chassié. Aussi avient il moult de fois, que quant le cerf ara fuy parmi les fours, il se lassera et li grevera le saillir et le rompre le fort boys ; quar le fort pays et espès desrompt le cerf et adonc leisse il le fort boys et vient fuyr ès fustoyes ou hautes forés ; quar les fustoyes et hautes forès ce sont les haus arbres ; mes dessouz est cler païs, si ne li grève pas tant à y fuyr comme il fait parmy le fort boys et espès ; quar il fuyt tousjours à l’ombre et au fort bois il ne le fet pas. Et quant il sent la froideur de l’ombre et le biau païs qui ne li grieve point à courre ni à fuyr, pource qu’il est cler dessouz, lors aloinhe il les chiens en fesant ses reuses et estourses ore courtes, ore longues, ore d’une part ore d’autre. Donc doit il bien garder le veneur comme il chasse ne de quoy, et bien requérir et sagement et subtillement en prenant bien apertement ses tours et esseinz. Et devez savoir que si un cerf se destourne hors de sa reuse au commencement et ès premières reuses à quelque main que ce soit ou à destre ou à senestre deux foys ou troys en suyvant à l’une part, jà de tout le jour ne fera reuse qu’il ne se destourne à celle meisme part qu’il ara commencée. Et en ce cas doit le veneur, quant il s’en apersoit, prendre le tour de celle part, et tousjours le nez des chiens au vent, affin que les chiens le puissent plus tost dressier. Et parmi cieulz fustoyes, faut on voulentiers le cerf par les raisons que j’ay dites. Et aussi les chiens n’en pevent mie si bien assentir comme ilz font parmi les fourz, ne se pevent si bien tenir à routes ; quar quant les chiens chassent parmi les fourz, ils vont tousjours la menée par où le cerf va. Et quant ils sont au cler pays, ils se balancent sà et là pour ce qu’ilz ont bel aller. Et aucunefois accueillent le change, ou aucunefois par le cler païs et par leur radeur trespassent routes. Et aussi le cerf y fet plus souvent et plus à son aise ses reuses comme j’ay dit, qu’il ne fet aux fours, tant que avant que les chiens ayent deffet ses reuses, quar il en aura fet souvent ore longues ore courtes par le beau loysir qu’il ha, les chiens le faudront tout à net ; tant leur fuyra de fort longe et tant aura fet de reuses que les chiens ne veneurs ne sauront quelles erres l’enportent.

Et par les choses suzdites l’ay je veu faillir aux deux muetes ensemble du roy Phelippe et du comte d’Alenson son frère, qui avoient meilleurs chiens lors qu’il n’a nulz maintenant ou monde ès fustoyes de la forest de Compieinhe. Et se les chiens le faillent tout à net, et le veneur ni elz ne pevent mettre autre conseil, donc doit le veneur donner du pain à ses chiens et corner et recorner souvent requeste, affin que les autres compaihnons vieinhent à luy, et demourer coy là ou il l’ara du tout failli ; quar il sara bien jusques où il hara chassié, s’il gète toujours brisées comme j’ay dit.

Et quant ses limiers et vallez seront venus, il doit fère acoupler tous les chiens et demourer en un lieu, et fère prendre aux vallez de chiens à tous leurs limiers l’un d’une part, l’autre d’autre grans tours et essains hors du fouler et des reuses ; et einsi li uns ou li autres des limiers le devront dressier. Et il doit tousjours regarder en terre pour en veoir et regarder qu’il ne change ses routes. Et si un des limiers le dresse, il doit tousjours fere suyr le vallet, et leisser aler iv ou vi de ses meilleurs et plus saiges chiens et fere tenir les autres, quar il en chassera mieulz et plus certainement et plus saigement et plus arréement[18] et tousjours le limier se tienhe à routes, et einsi fasse, jusques tant qu’il l’ait fet ressaillir ; et s’il voit que ce soit son droit, il doit fere abatre tous les autres chiens ; et ainsi faisant le devroient ilz aler prendre.

Aussi avient il moult de fois que, au commencement et au milieu et à la fin de la chasse, le cerf quiert le change pour le bailler aux chiens et qu’il se puisse sauver. Et quant le change saut[19] au commencement, c’est plus grant péril de faillir que n’est à la fin pource que les chiens sont en rade et ne sont encore las ne foulez et acueillent plus voulentiers la folie ; mes en quelque manière que le change leur saille, en fustoyes ou en fort païs, est plus grant péril de faillir ès fustoyes que n’est ès forts, quar les chiens ne se pevent mie si bien tenir sans balansier sà et là comme ils font ès fors païs, einsi que j’ay dit. Et aussi les biches, faons et jeunes cerfs en la sayson demuerent plus voulentiers ès fustoyes et hautes forez que ne font ès fors païs, et les grans cerfs tout au contraire. Lors quand le change saut, le veneur doit escouter quelz chiens chassent ; quar le bon veneur doit connoistre et entendre les gueles et menées de ses chiens, especialement des bons et saiges ; et ne doit point estre si chaut[20] de huer ne de corner et de courre qu’il ne sache de quoy ne quelz chiens il chasse. Et quant il orra[21] ses bons chiens chasser il doit corner et huer et aler après. Et quant il orra les autres chiens chassier et les bons chiens ne chasseront, dont se peut il bien apersevoir que c’est le change. Lors doit crier : Arrière ! arrière ! arrière ! en nommant ses bons chiens, et disant : Ore gare le change ! gare ! gare ! Et s’il oï[22] l’un de ses bons chiens et saiges qui le dresse, il doit huer et corner sur lui et tirer tous les autres chiens à celuy. Et s’il a nulle companhie avecques luy, celuy doit aller brisier les autres chiens et tirer les à celuy qui l’ara dressié. Et s’il avient que son droit fuye avecques le change ce que fet bien souvent, il le pourra connoistre à ses saiges chiens ; quar se son droit est demouré là où le change leur est sailli, ou est refuy sur soy, et le change s’en est alé outre, les bons chiens retourneront arrière et se viendront voulentiers requerir et redressier. Et se le droit fuyt avecques le change, les bons chiens demourront tous coys et ne voudront tourner arrière ne requerir, et yront avant par où le change va pour ce que leur droit y va aussi, mes ce sera lentement et sans crier ; quar ilz n’osent ne vuelent chassier tant comme leur droit soit avec le change espiciallement au jour d’huy où il n’a nulz chiens baud ni d’assez bons chiens comme ilz souloyent estre, aussi n’a il de nulles autres créatures. Et quant le veneur verra les signes dessus dits il se pourra bien apersevoir que son droit fuyt avec le change ; et lors se doit tenir avec les bons chiens et sages, et requérir avant non pas arrière, tousjours par où le change va, en parlant gracieusement à ses chiens jusques tant que li uns ou li autres de ses bons chiens le dressent de là où il ara leissié et sera parti du change.

Et aucunefoys un cerf mal mené fuit bien longuement avec le change, pource ne li griève mie aux veneurs d’aler longuement par où le change va, jusques tant que l’un de ses chiens le dresse, comme j’ay dit. Si les chiens vouloient tourner arrière et requerir, il les doit croire ; quar c’est signe qu’il ne fuyt mye avec le change. Ansois devroit estre demouré eu refuy sur soy. Et lors doit-il prendre ses tours et essains comme j’ay dit devant. Et s’il oït que aucun de la venerie le fort hue ou avec le change ou sans le change, il doit leissier tout et férir de l’esperon droit là, et tirier y[23] tous les chiens qu’il ha en disant : Sà ! sà ! tahou ! tahou ! en criant à celuy qui fort hue : Appelle ! appelle ! et einsi doit-il chassier tout le jour, doubtant et regardant et sachant de quoy il chasse. Aussi quant un cerf est chaud et mal mené, il vet voulentiers à l’eaue, ou ès grosses rivières ou aux estans, ou petits ruissiaulz, selon que sa voulenté sera. Aucunefois y vient pour y demourer et se fère prendre ; aucunes foys pour se bainhier et refreschir ; et fera encore puys[24] grant fuyte. La première chose que en ce cas doit fere le veneur : il doit savoir certainement où le cerf entre en l’eaue et illec sur les routes gète unes brisées et autres en pendant là en droit ; afin que, se chiens ou chevaulx emportoyent celle de terre, celles en pendant demuerent et qu’il y sache rassener ; quar il les verra de plus loinh que ne fera celles de terre. Et se ce est grosse rivière et il vient là où son cerf entre en l’eaue dedens, il doit regarder où il tient la teste à l’entrée de l’eaue ; ou alant aval, ou alant amont. Et tantost doit passer tout droit la rivière ; et si ce est en gué à chemin tout droit, il doit mettre l’ueil à terre pour voir s’il tient le chemin ; quar là trépassent voulentiers chiens leurs routes, tant pour le chemin comme pource qu’il vient le pié moillé hors de l’eaue. Et quant il le met à terre, la terre boyt et tyre la moilleure et humour du cerf que chiens ne pevent assentir ; quar quant le cerf a batu les yeaues et il se ressuye, l’yeaue du corps et des iambes chiet sur les routes ; si n’en pevent les chiens assentir, quar il est tout relavé aussi comme s’il estoit sur pleu ; mes quand il a un peu alé, lors en assentent les chiens mieulz ; quar il est sec de l’yeaue qu’il ara portée ès jambes et au corps. Por ce loe je que on requère près de l’eaue et loinh, pour les raisons dessusdites. Et s’il voit que à l’entrée de l’eaue il tienhe la teste aval ou que la rivière soit rade et forte, il puet bien penser qu’il fuyt et vet en aval l’yeaue. Donc il doit prendre aval l’yeaue le plus près qu’il pourra de la rivière en parlant à ses chiens, en disant : L’yeaue ! fuyt l’yeaue ! et d’autres gracieux motz et langages bien aval ; quar aucunefois, comme j’ay dit, il se fet bien porter longuement aval la rivière. Et se ilz sont deux ou plus de veneurs, li uns doibt requerir et estre avecques une partie des chiens de l’une part de la rivière et l’autre de l’autre. Et s’il voit qu’il ne fuve aval, il doit requerir par la mesme manière amont l’iaue, et puis d’une part et puis d’autre de la rivière touzjours cornant requeste, affin que les compainhons viegnent là. Et s’il voit qu’il ne se ressiave[25] ni amont ni aval, ni de l’une partie ni de l’autre, lors puet il bien penser qu’il est demouré dedans l’iaue, ou s’est baigné en la rivière et retourné sur soy par là meismes où il entra. Si donc les chiens n’estoyent si mauvès qu’ils eussent sur alé et trespassé routes, lors doibt il requerir par là où est venu chassant arrière, et prendre ses tours et essains, einsi que j’ay dit que on doit requerir. Et se les limiers venoyent, il les doit fere prendre les ares[26] de l’iaue ; quar un homme à pié va par trop de lieux où là cheval ne pourroit aler. Et aussi le cerf y pourroit bien estre demouré. Et s’ilz sont deux, l’un doit aler de l’une part de la rivière et l’autre de l’autre à tout son limier regardant les rivaiges pour veoir s’ilz verroyent lieu en quoy il peust estre demouré, requérant bien longuement la rivière de chascune part, aval et amont, et requérant arrière par là où il est venu à l’iaue. Et se le veneur se doubtoit que ses chiens eussent trespassé routes, il fasse prendre les limiers plus long tour et plus grand, et einsi fesant devroient ilz le dressier. Et s’il avient qu’il vieinhe en petis russiauls hors des grans rivières où on puisse aler amont et aval par tout parmi l’iaue, lors le doibt il requerir comme il a fet la grant rivière et plus ; quar sur les ruisseauls a aucunefois boys ou rains[27] qui vienent sur l’eaue, quar le ruissel sera estroit, que le cerf ne pourra passer ni batre l’eaue amont ne aval qu’il ne touche au bois ou de la teste ou des costez. Lors doibt cela regarder le veneur et entrer dedens le ruissel et y apeller les et les fere assentir au boys et raims[28] qui sont sur l’eaue. Et s’il voit que les chiens en assentent et en crient, il puet bien savoir qu’il fuyt là ou soit aval ou soit amont, selon ce qu’il sera entré dedens l’eaue. Si doit touzjours aler ou aval ou amont selon que par ses signes il verra qu’il fuyra. Et se les chiens ne le dressent ne ressavent de l’une part ou de l’autre de l’eau, il peut bien penser qu’il fuyt l’eaue[29], si aille touzjours requérant avant jusques tant qu’il voye aucune chose au travers en l’eaue par où il ne puisse passer sans venir au bout de la rive de l’eaue ou d’une part ou d’autre. Et la doit il apeler ses chiens, quar il convient qu’il soit issu hors pource qu’il n’a peu passer parmi l’eaue. Et j’ai veu un cerf qui batoit un petit ruissel parmi l’eaue, une lieue sans venir hors ni d’une part ni d’autre. Jusques tant qu’il trouva une grant souche qui estoit ou travers du ruissel. Et lors li convient-il à issir à l’un des boutz ; quar il ne povoit passer par dessus la souche qui estoit grant et haute. Et tantost qu’il heut passé la souche il revint arrière à l’eau. Et quant je vi cela qu’il ne povoit passer, j’apelay les chiens au bout de la grant souche si en assentirent et crièrent jusques là où il entra arrière en l’eaue. Einsi doit fere le bon veneur quant cest cas li avient. Et devez savoir que les chiens assentent trop mieulz d’un cerf qui fuyt amont l’eaue que d’un cerf qui fuyt aval l’eaue. Quar quant il fuyt aval l’eaue et que les chiens sont au dessus, l’eaue en aporte tout l’assentement du cerf aval devant eulz. Et quant les chiens sont au dessous de l’eaue et viennent amont, l’eaue qui vient aval leur aporte la humour du cerf qui fuyt amont. Tout einsi que les chiens chassent mieulx le nez au vent que ne font aval le vent. Et s’il avient que un cerf vienhe à un estanc ou vivier ou marez et le veneur vient chassant jusques à l’entrée de l’estanc, il doit geter ses brisées et fere einsi que j’ay dit qu’il doit fere quant le cerf vient à la rivière ; et doit tantost prendre autour de l’estanc à tous ses chiens pour veoir s’il en est sailli d’une part ou d’autre. Et si ses chiens ne le dressent, il puet bien penser qu’il s’est bainhé en l’estanc et refuit sur soy ; si le doit einsi requerir comme j’ay dit quant un cerf vient à la rivière. Touteffois il est bon qu’il ait aux estans des batiaus ; quar un cerf puet bien demourer dedans l’estanc s’il est grant ; espicialment s’il y a rosiauls ou canes et où on ne pourroit pas entrer dedans l’estanc sans vaissel. Et aussi se les chienz le noyent en l’estanc, il fault qu’il y ait des batiaus pour le tirier hors. Aussi dis je ès grosses rivières, quar on ne puet mie touzjours, ni toutes rivières passer à gué.

Des chiens comme j’ay dit sur devant sont les uns plus sages que les autres, einsi que d’un homme. Car cieulz chiens y ha que pour quant qu’ils heussent bon maistre ne seroyent jamès sages ; et tieuls qui seront sages en une saison. Toutes voyes le veneur les puet fere sages par celle manière : il meismes les doit donner à manger et les doit aprendre en menjant de fere lessier le pain ou prendre le et les tenir en amour et en doubtance. Et je loe que quant il leur voudra fere leisser il leur die : Houhou ! fihou ! ou yra ! Ceci di je affin que quant ilz chasseront le change il leur die les meismes motz et ilz laisseront à chassier le change, einsi qu’ilz font à lessier le pain de leur bouche ; et quant il voudra qu’ils preinhent le pain, si les efforce einsi qu’il voudra fere quant il voudra qu’ilz chassent. Et s’ilz accueillent le change, il les doibt à un autre fère batre en disant : Houhou ! ou yra ou yra ! et Fy ! fy ! à la hard ! à la hard ! Et quant ils orront ces motz, et ilz chasseront le change, ilz se doubteront d’estre batuz, si leisseront leur chassier et s’aviseront en leur bestesse que quant ilz chassent le change ilz sont batus, et quant ilz chassent le droit ilz ont les bonnes cuyrées et on leur fet feste. Toutes voyes faut-il qui vuelt avoir bons chiens ne sages qu’ils soient menés par une main. Et s’il y a plusieurs veneurs, au moins qu’ils parlent tout d’un langaige à leurs chiens et non pas divers. Et lors les chiens sauront quant ils font mal ou bien. Aussi di je d’un limier de le fere tere à matin[30] ou enseigner li autres coustumes, qu’il le puet mieux fere qu’il ne fet aux chiens courans, quar il le tient touzjours au lien, si en puet mieulz fère à sa guise. Encores quant un chien ne se vuelt bien avisier, ne laisser d’accueillir le change, se le chien est à prendre[31] et ha chassé le droit avec les autres, il li doit fère bonne cuyrée et bonne feste et fère li tirier la teste einsi comme à un limier ; et s’il a accueilli le change et n’a esté à prendre le cerf, il le doit lier de lez la cuyrée, qu’il voye mengier les autres sans ce qu’il ne menje point. Aussi y ha il des chiens que quant on n’a limier et on chasse chevreuls, ou lièvre, ou dains on leisse aler querant et en y a de tieulz qui crient tant et sont si jangleurs que on ne scet se c’est de bonnes erres ou de hautes erres de quoy ils crient ; et ce leur vient de troys choses : l’une pource qu’ils ont bon nez, l’autre de la grant voulenté qu’ils ont, la tierce il y a des chiens parleurs et jangleurs et estourdiz einsi que des gens. Et qui trop parole[32] ou chien qui trop crie, ne puet estre qu’il ne faille trop de fois. À tieulz chiens ha moult à fere à les fere tere. Toutes voies le bon veneur les doit mener de haute heure à leur chasse quelle que soit, affin qu’ilz ne puissent assentir fors que de hautes erres ; où moins assentiront moins en crieront ; quar ilz ne peulent mie si bien assentir de hautes erres, comme ilz font au matin, quant une beste s’en va devant eulz. Aussi les doit il mener chassier avec pou de chiens. Quar s’il y avoit trop de chiens ilz crieroyent l’un pour l’autre plus qu’ilz ne feroient s’ils estoient seuls ou avec petite compaignie de chiens. Aussi les doit batre et menassier quant ilz crient trop mal à point. Aussi les mener souvent chasser et fouller, les fet bien leissier leur crier. Quar quand ilz sont las, ilz n’ont cure de jangler. Et en toutes ces choses et autres qu’on pourroit dire sont en la main et en la gouvernance du bon sens et de la bonne rayson du veneur, quar là tient tout.

Quant le cerf est desconfit, il demuere et se fet abayer aux chiens comme celui qui ne puet plus en avant. Lors se le cerf n’est froyé, le doit le veneur lessier abayer aux chiens bien long temps et attendre que tous ses autres chiens soient venus quar se font trop bien en abayer longuement le cerf ; mes s’il est froyé et bruni, il le doit tuer le plus tost qu’il pourra ; quar c’est grant perill de leisser abayer longuement pour doubte qu’il ne tue les chiens.

Et le doit tuer en telle manière. S’il a arc, il li doit trère ; mes qu’il prenne garde des chiens ; et si non, il doit descendre et lier son cheval et venir de loinh par darrière ; et se garde qu’il ne le voye, en se couvrant des arbres et ainsi le pourra férir en jetant de son espée, ou l’esjarreter[33].

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  1. De gris. De couleur grise, et non pas, comme on le dit dans une histoire de Gaston Phœbus, avec des vêtements garnis de cette fourrure que l’on appelle petit-gris. Gaston, dans un de ses précédents chapitres, a déjà expliqué que, pendant la belle saison, le vêtement du veneur doit être vert, afin qu’il se confonde avec la couleur des feuilles et que les animaux sauvages en soient moins effrayés. Par la même raison, quand la feuille est tombée, il faut que le costume de veneur puisse se confondre avec la couleur des troncs d’arbres ; il doit être gris. Dans le magnifique manuscrit de Saint-Vallier, l’artiste qui a peint les vignettes, s’est scrupuleusement conformé à l’indication de Gaston Phœbus ; et si on eût consulté cet ouvrage, un n’aurait pas donné une fausse interprétation.
  2. Soupe. Choppe. Ducange, au mot assopire, cite cet exemple : « Il se assopa à aucune chose en la rue et chut en un fangaz. »
  3. Titre, fortitrer, fortitreours… Autrefois le mot titre, tistre, tixtre signifiait tisser, faire un réseau, faire un tissu. Ici, Gaston Phœbus expose comment on doit placer les relais et garnir d’un réseau, d’un titre de lévrier, les environs du lieu où le cerf a été détourné. Il met aussi hors de cette enceinte des cavaliers qu’il appelle fortitreours, c’est-à-dire hors du titre. Ils ont pour mission d’empêcher le cerf de se fortitrer, c’est-à-dire de sortir du titre, du réseau. Dans un autre passage, en parlant de la chasse du loup, Gaston dit :

    « Premièrement il doit regarder le plus beau titre, le plus long, le plus plain qui soit environ le buisson, et là doit-il metre les lévriers. »

    Le mot titre signifie donc non-seulement l’embûche que l’on dresse à la bête de meute, mais encore l’endroit favorable pour la dresser. C’est le poste où l’on mettait le relais. Ainsi, dans le poème manuscrit d’Eustache Deschamps, on lit ces vers :

    « D’être au titre est nommé musart ;
    » De ses chiens adroit ne départ. »

    C’est-à-dire : « Rester au poste (quand le relais est donné) c’est perdre son temps ; un veneur adroit ne se sépare pas de ses chiens. » En effet, il doit les suivre, ou, comme dit Gaston, chasser menée.

    C’est dans ce dernier sens que le mot titre est défini par le Dictionnaire de Trévoux :

    « Titre, en termes de chasse, signifie un lieu ou relais où l’on pose les chiens, afin que, quand la bête passera, ils la courent bien à propos. Ainsi on dit : mettre les chiens en bon titre, pour dire les bien poster et placer pour courre. »

  4. Receveours. Receveurs.
  5. Foursoier. Forcer ; prendre à force.
  6. Ou. Avec.
  7. Voir. Vrai.

    « Ce n’est fables que dire vous voulons :
    » Ansois c’est voir autresi corn sermons. »

    Roman d’Amile.
  8. « Et le cerf aura fouy et refouy la voye, » ne signifie pas que le cerf a évité la voie ; mais, au contraire, qu’il a fui et refui en suivant la voie. On a déjà souvent rencontré cette manière de parler, et la voici encore onze lignes plus bas : et s’il voit qu’il fuye la voye.
  9. Mestier, besoin. C’est le mot espagnol menester.
  10. Orent, eurent.
  11. Fuyt les fours… fuit au milieu des forts
  12. Les donra… leur donnera.
  13. Toudra, et, suivant le manuscrit de Neuilly, touldra. Futur du verbe tollir, enlever, ôter.
  14. Fuyr la campainhe… c’est-à-dire fuir à travers la campagne.
  15. Hesme. Le mot esmer signifiait anciennement estimer, apprécier, évaluer. Ainsi on lit dans le manuscrit du Roman d’Athis :

    « Si etoit li ost des chrétiens esmés à trois cens mille hommes. »

    Et était le camp des chrétiens évalué à trois cent mille hommes.

    Dans Garin Le Loberans on trouve ce vers :

    « Tant i a que nus les peut esmer. »

    Il y en a tant que nul ne les peut les estimer.

    Gaston Phœbus a employé ici le mot hesme pour exprimer non l’appréciation, mais la faculté d’apprécier. Il s’en sert dans le sens de jugement ou plutôt de présence d’esprit. Il faut entendre :

    Le cerf, mal mené par les chiens, a perdu son sens et sa présence d’esprit.

  16. Demourront en deffere… seront long-temps à défaire.
  17. Faonnés. On donne le nom de faon aux petits de la biche, de la chevrette et de quelques animaux sauvages. Faonner signifie donc être en gésine. Gaston Phœbus emploie ici le mot faonnés dans le sens d’affaiblir ou d’être rendus faibles et mous comme les faons.
  18. Arréement. Avec art.
  19. Saut. Bondit, du verbe saillir.
  20. Chaut. Empressé. du verbe chaloir. se mettre en peine.
  21. Orra. Ouïra.
  22. Oï. Ouït.
  23. Et tirier y. Et y tirer, c’est-à-dire y mener.
  24. Puys. Ensuite.
  25. Ressiave. Dans le manuscrit de Saint-Vallier : Ressiauve.
  26. Ares. Erres.
  27. Rains, raims. Rameaux.
  28. Raims. Voir la note précédente.
  29. Il fuit l’eau.
  30. Aussi di je d’un limier de le fere tere à matin, etc. Je dis aussi d’un limier qu’il faut le rendre muet de bonne heure.
  31. Est à prendre ; c’est-à-dire, est à la prise.
  32. Et qui trop parole. Qui trop parle.
  33. Esjarreter. Lui couper le jarret. Ou se sert maintenant du mot acouer qui, au reste, était déjà usité du temps de Gaston Phœbus. Acouer, c’est attaquer du côté de la queue ; a caudd, prendre par derrière. Ainsi, en expliquant la manière dont on doit chasser et prendre le sanglier, il dit :

    « Car si un senglier ne vient courre sus à un homme visadje à visadje, ou on ne le vient acouant par derrière, ou lévriers ne le tienne en autre manière, il ne le touchera jà de son espée. »