La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre LII

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 214-215).

Chapitre cinquante-deuxième.
Ci devise comment on doit chassier et prendre l’ours.


Et quant le veneur voudra chassier l’ours, c’est le meilleur et la plus seure chose d’aler en queste à tout son limier ; quar autrement à l’ueill il trespasseroit trop de fois routes ; quar le chien en assentira en trop de lieus qu’il n’en pourroit jà veoir. Et s’il n’a limier, il fault qui le quiere en traillant à l’avanture einsi que j’ay dit du dain et du chevreul. Et comme j’ay dit devant de sa nature et de ses menjures, doit aler en queste selon les temps qu’il pourra fere ses menjures. Au temps que les bledz et herbes sont, si aille en queste aux champs. Et au temps des vignes, de la glant et de la fayne et des autres menjures que j’ay dit qu’il fet, si aille en queste à chescun selon sa sayson ; et le doit destourner et leissier courre tout einsi que un senglier. Et pour le chassier et plus tost prendre, doit il avoir meslez mastins avec les chiens courrans. Quar ilz le pinsent et le font courroucier tant qu’ilz le metent aux abois, ou ilz li font vuydier le pays. Et s’il ha des alans qu’il giète aux aboys, dedens le bois, ilz ne le leisseront jà partir d’une plasse, jusque tant que on l’ayt tué. Et einsi sera plus tost pris ; quar il ne tue mie les chiens einsi comme fait un senglier, mes il les mort et estraint et afole tant que se j’avoye biaus lévriers et bons je les y metroye bien envis[1]. Aussi pour chassier l’ours doit on avoir archiers ou arbalestriers, ou dou tout[2], et bons espieus fors. Et comme j’ay dit devant, un homme tout seul ne se doit mie jouer à ly ; mes deux ou plus, ou[3] bons espieus, et qui se fassent bonne compaignie le pevent bien tuer. Et tout homme le poret ferir bien seurement la première fois ; quar comme j’ay dit jusques tant qu’il est blessié, il ne court sus à l’homme ; mes d’ilec en avant se garde bien chescun.

Ceulz de cheval le doyvent ferir en gectant de leurs lanses ou espieus et non pas assembler à li ne de l’espée ainsi comme on fet à un senglier, quar il l’acoleroit et bayseroit non pas trop gracieusement. Aussi doit il avoir des rois et las et autres harnois pour le prendre.

De sa nature et de ses fuytes ay je dit devant. Et pour ce qu’il n’a guères de meistrise en chasse fors tant comme quester et destourner et laissier courre m’en tairay à tant ; quar il me semble que assez en ay dit.

Ours n’a nul jugement par ses laissés ; quar quant il est plain, il giete ses laissés en grant quantité, et quant il est vuyt, non ; si que on n’i puet fere null jugement.

On connoist l’ours de l’ourse par les trasses. Quar l’ours a plus rondes trasses et plus gros dois et plus grosses ongles que n’a l’ourse. Et aussi pour quant que l’ours soit juene, mes qu’il ait passé deux ans, il a les signes dessusdiz meilleurs que n’a null ourse, espicialment le pied derrière ; quar le pié d’arrière de l’ourse est plus estroit et plus long, et le talon plus petit que n’est de l’ours, pour tant qu’il soit juene ; aussi comme une femme ha plus petit talon que n’a un homme ; et c’est le plus vray jugement que on puisse faire.

Séparateur

  1. Envis. Invitus. À regret.
  2. Ou don tou. Ou l’un et l’autre.
  3. Avec.