Lemerre (p. 231-234).


XLVII

en route pour la calanque


Un matin, arrive M. Honnorat, joyeux, bruyant, en équipage de poche.

— « Allons, debout, tout est fini ! le médecin autorise une sortie. La lune nouvelle a fait son apparition cette nuit, et les châtaignes de mer doivent être pleines. »

Tout convalescent est sensible à la gourmandise. Ce mot de châtaignes de mer éveilla soudain je ne sais quelles gastronomiques nostalgies endormies au fond de mon être.

Depuis six mois au moins. M. Honnorat me la promettait cette pêche, et bien des fois, levés avant le soleil, nous étions descendus vers la Calanque, dans l’espérance d’un temps favorable.

Mais, chaque fois, une malicieuse petite brise, frisant la surface de l’eau, nous avait obligés à renvoyer la partie. Pour le genre de pèche que nous voulions faire, il faut absolument un calme plat.

Ce matin-là, tout s’annonçait à souhait : pas un souffle dans l’air, et, là-bas, sur la mer, pas une ride.

— « Il s’agirait donc de traquer l’oursin ?

— Précisément ! Dans un quart d’heure, nous partons tous, le gros de l’équipage à pied, vous, pour ne pas vous fatiguer, sur Saladin que Galfar prête. Nous devrions être rendus déjà aux Aygues-Sèches, où nous attend une surprise. On péchera jusqu’à ce que la chaleur arrive et l’on fera la bouillabaisse sous les pins. »

J’accepte de grand cœur. Norette s’obstine à me fuir quand je veux lui parler ; chemin faisant, je trouverai bien l’occasion de m’expliquer avec Norette.

Pendant toute la longue descente, Norette, qui marchait à côté de ma monture, n’a pas même daigné m’adresser la parole. Elle s’entretenait avec son père, indifférente, d’un procès qui les appelle à Arles et, sans doute, nécessitera un long séjour. Peut-être même, par suite d’intérêts nouveaux, leur faudra-t-il quitter, à tout jamais, le Puget-Maure. Et moi, alors, que deviendrai-je ?

Mais Norette ne me voit pas.

Norette s’inquiète peu de mes peines.

Elle est bonne, pourtant ; le sort de Misé Jano l’inquiète.

— « Bah ! lui dit M. Honnorat, nous en ferons cadeau à Peu-Parle ; ce maniaque aime les bêtes, Misé Jano ne peut qu’être heureuse avec lui. »

Et Mlle  Norette approuve tout en caressant de la main, sa main brune et souple que j’ai pressée, le poil bourru de Saladin.

Comme cela ressemble peu à l’aurore de notre amour, à nos courses dans la montagne, quand j’étais jaloux de Ganteaume et que Misé Jano nous suivait !

La surprise, c’est patron Ruf avec Tardive qui, avertis par cet excellent M. Honnorat, nous attendent dans la grande barque.

— « Eh quoi, patron Ruf ? Quoi, Tardive ?… »

Embrassades ! Ganteaume exulte, et M. Honnorat, qui savait tout, feint de s’étonner le plus fort.

Moi seul ne puis être joyeux et continue à faire grise mine. Heureusement, pour m’excuser, j’ai le prétexte de ma maladie.