Lemerre (p. 226-230).


XLVI

convalescence


Un matin, les rêves s’envolent et je me trouve de nouveau couché dans la chambre aux merveilles.

Le souvenir me revient du Piémontais, de la clochette, du coup de fusil de Galfar. On a pu extraire la balle ; mais je suis resté près de deux semaines, délirant, entre la vie et la mort. Galfar avait bien fait les choses.

Que de braves cœurs s’empressent autour de moi !

Ganteaume ressent une telle joie d’être reconnu et appelé de son nom : « Ganteaume ? » qu’il s’en va pleurer dans un coin.

Saladine, maintenant que me voilà hors de danger, médit du médecin et, pour me guérir tout à fait, invente chaque jour quelque potion nouvelle, composée d’herbes par ses mains cueillies, inoffensives en tout cas.

M. Honnorat, sacrifice énorme ! s’abstient quelquefois de fumer et, pendant des demi-heures, il s’installe à mon chevet, contant pour la cinquantième fois ses voyages.

L’abbé ne m’en veut pas trop, quoique déçu ! Il comptait en effet envoyer au ciel, avec viatique de première classe, mon âme, une âme de savant qui devait là-haut lui faire honneur.

— « Que diantre voulez-vous, avoue-t-il avec son ingénuité paysanne, chacun a son amour-propre, et des occasions pareilles ne se rencontrent pas souvent au Puget. »

Tout le monde s’est mis à m’aimer. Les pires ennemis que m’avait faits la Chèvre d’Or, s’inquiètent et demandent de mes nouvelles au four, chez le barbier, à la fontaine, et notre rancunière Saladine prend plaisir à les rudoyer.

Ce revirement est dû sans doute au caractère chevaleresque de mon altitude à l’endroit de Galfar devant le bon gendarme.

Que dis-je ? Galfar lui-même semble me savoir gré de n’être pas mort et de lui éviter ainsi un dérangement toujours désagréable en Cour d’assises. Galfar, s’imaginant que l’appétit m’est déjà revenu, a, pas plus tard qu’hier, daigné envoyer à mon intention, par l’intermédiaire de Peu-Parle, toute sa chasse de la veille.

Et Norette ? Et la Chèvre d’Or ?

Quant à la Chèvre d’Or en qui, plus que jamais, je crois, un point me suffit, c’est que la clochette est sauvée. Je la tenais au poing, Peu-Parle me l’a dit, lorsqu’il me releva, mouillé de sang, dans les cailloux.

Mais les façons de Mlle  Norette ne sont pas sans m’inquiéter un peu. Je revois, à travers certaines éclaircies de mon délire, une Norette inquiète, passionnée, penchant sur moi un front pale, des yeux attendris.

Maintenant Norette n’est plus la même. Norette s’est comme fermée. Elle paraît ne se rappeler rien. Et quelquefois je me demande si je n’aurais pas rêvé nos soirs d’amour au jardin, sous le regard complice des étoiles, comme j’ai rêvé notre visite à la grotte de la Chèvre d’Or.

Ceci me torture affreusement, et m’empêche de savourer, dans leur pénétrante douceur, les joies de la convalescence. À se sentir vivre quand on croyait mourir, l’âme éprouve les émotions d’un retour. Mais quoi ? un ciel si bleu, un si clair soleil, des fleurs, des parfums, des chants d’oiseau, et pas le sourire de Norette.

J’ai le désir enfantin de ce sourire, plus que le désir : un besoin ! je l’attendais en ouvrant les yeux, il faisait partie de ma guérison.

Norette, hélas ! ne me sourira plus. Son regard me l’a dit, regard de mépris et de pitié, hier, dans le jardin, car j’y fais parfois quelques pas, soutenu par elle, dans le jardin, près des lauriers dont l’ombre épaisse nous cachait, à côté du banc où si souvent nous nous assîmes.

J’avais voulu baiser sa main, lui parler des choses anciennes, mais ce clair regard m’arrêta.

Qu’ai-je donc fait qui puisse mériter la haine de Norette ?

Rien ! Seulement Norette est femme ; et, je ne sais pourquoi, peut-être par caprice ou par simple besoin de torturer qui l’aime, elle emploie contre moi, sans trop penser à mal, cette effrayante faculté d’oubli dont savent si cruellement, depuis Ève, se servir les plus ingénues.