La Catastrophe de la Martinique (Hess)/47

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 291-293).


XLVII

LA PEUR DES CADAVRES


Ce n’est pas seulement la crainte d’éruptions semblables à celle de la Montagne Pelée qui agitait les îles voisines, c’est aussi la terreur de la contagion que pouvaient apporter les cadavres entraînés par les courants…

Lisez cette proclamation lancée par le maire du Grand Bourg à la suite d’échouements de cadavres à Marie-Galante.


Habitants et chers concitoyens.


Les cadavres des malheureuses victimes de la terrible et inénarrable catastrophe de notre sœur la Martinique, qui sont venus échouer sur nos côtes et auxquelles j’ai eu la satisfaction de pouvoir donner place dans notre cimetière parmi nos morts, ont, à juste raison, jeté l’effroi dans vos cœurs.

Dans cette pénible circonstance vous avez montré jusqu’à quel point vous savez porter haut le sentiment de la solidarité humaine ; chacun de vous a fait son devoir, et à cette occasion, je vous envoie l’expression émue de ma vive reconnaissance.

L’histoire des Antilles depuis des temps immémoriaux n’avait point eu encore à enregistrer d’événements aussi douloureux.

Et malgré cela, l’état de l’atmosphère, l’élévation considérable de la température, l’apparence de la forte pression qui s’exerce sur les ondes, tout semble indiquer que les Antilles n’en ont pas encore terminé avec le phénomène cosmique qui a fait son apparition dans l’île sœur, et qui, peut-être, nous réserve, si ce n’est pas des suites, mais au moins des conséquence au point de vue épidémique.

Figurez-vous que de nombreux cadavres, comme ceux d’hier peuvent se trouver encore dans les eaux de la Martinique, et qui transportés ici par les courants seraient de nature à faire naître dans notre pauvre île des maladies calamiteuses.

Cependant il ne faut pas nous en alarmer, au danger il faut savoir opposer le courage, et j’ai pleine confiance dans le vôtre.

Toutefois il appartient, dans la circonstance grave du moment à une administration prévoyante et ayant le soin de sa responsabilité de prendre des mesures urgentes pour sauvegarder la sécurité publique.

En conséquence j’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’il a été décidé que des désinfectants tels que : goudron, acide phonique, grésil, ou autres seront brûlés fous les jours dans les principaux coins du bourg.

Il vous est reconnaissant d’en faire autant dans vos maisons, mais en prenant toutes les précautions nécessaires pour éviter les accidents.

Les cours et dépendances des maisons, les écuries et autres établissements doivent être tenus en parfait état de propreté et les immondices jetés dans la partie du Fort, sous le vent du Bourg.

Des croisières seront organisées pour la surveillance de nos côtes et ainsi, nous pourrons, peut-être, éviter le danger qui nous menace.

Hôtel de la mairie, 5 mai 1902.

Rousseau.