La Catastrophe de la Martinique (Hess)/48

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 293-296).


XLVIII

AMÉNITÉS ANGLAISES


Il est écrit que les Anglais ne laisseront jamais échapper une occasion de manifester leurs sentiments à l’égard de la France en général et de Paris en particulier.

Voici ce que je relève dans les dépêches adressées aux Antilles anglaises par la compagnie télégraphique West India, dépêches publiées par le Tidende de Saint-Vincent, et reproduites par le Courrier de la Guadeloupe, no du 23 mai 1902.

C’est sous la rubrique : L’émotion du monde civilisé devant la catastrophe de la Martinique.


Des télégrammes de Paris disent que le peuple de cette ville seule demeure indifférent (sic). Les pavillons furent mis en berne hier, mais autrement la populace (sic) s’est livrée à ses plaisirs ordinaires du dimanche. Le Temps explique cela par cette raison que les nouvelles sont trop nombreuses pour être appréciées.


Voyez maintenant la suite :


À cette date des 12-13 mai l’émotion était extrême dans le monde entier et des navires de tous pavillons se précipitaient vers la Martinique avec des secours.


Mais ce n’est pas fini, voici le bouquet.


Le 16 les dépêches disent que la province s’intéresse plus aux secours que Paris où les journaux consacrent plus de place à l’accident du senor Sévero et à un procès en escroquerie qu’à la catastrophe.



Et l’on opérait de la même manière à la Trinidad ; témoin ce filet intitulé « Propos stupide et criminel » que je coupe dans l’Opinion :


Nous remercions du plus profond de notre cœur les habitants de la Trinidad, qui se sont vraiment surpassés pour procurer quelque bien-être à nos frères que les douloureuses circonstances du moment ont amenés sur cette terre hospitalière.

Sur l’initiative de notre compatriote, le sympathique Dr Lotat, un bateau à vapeur les a recueillis à bord du courrier et toutes les voitures de Port-of-Spain ont été mises gracieusement à leur disposition pour les conduire aux endroits qui leur avaient été assignés à l’avance.

L’élan de charité fut admirable ; en un moment des listes de souscription se remplirent ; des dons en nature furent offerts, et, discrètement, avec tout le tact voulu, de grandes souffrances purent être rendues supportables…

Pour briser cet élan, pour arrêter ce magnifique mouvement de solidarité, il n’a fallu que le propos stupide et criminel d’un misérable Anglais d’origine, qui déclara à ses compatriotes que « les gens pour lesquels ils se dévouaient n’étaient dignes d’aucun intérêt ; il avait assisté à l’élection du 11 mai qui avait été simplement écœurante, car c’est par des cris de joie que le succès du candidat a été accueilli. La musique s’était promenée par toute la ville et avait joué sur la Savane jusqu’à, une heure assez avancée de la nuit ».

Et tout cela au lendemain de la catastrophe du 8 mai, au moment où tous les cœurs étaient brisés !

Oh le misérable !

Si ce vilain personnage était réellement à Fort-de-France le 11 mai, à moins qu’il soit un alcoolique ou un fou, il n’a même pas dû remarquer qu’il y eût élection, car elle s’est passée avec tout le calme qui convenait dans ce douloureux moment.

S’il tient de personnages intéressés la canaillerie dont il s’est fait l’écho, nous déclarons ne pas vouloir comprendre, car il nous répugnerait d’admettre que des gens ont encore de la boue à la place du cœur.


Enfin, ce qui est tout à fait gentil, et pourrait-on même dire coquet, c’est le poulet qui suit :


Les nègres à la Martinique.
(Dépêche de notre correspondant.)
Londres, 9 juin.

Un voyageur qui vient d’arriver des Indes Occidentales raconte que les nègres de la Martinique manifestaient bruyamment leur joie de ce que les blancs ont péri dans la catastrophe. Ils croyaient un instant que toute la race blanche était exterminée et ils se considéraient comme maîtres du pays. Ils avaient même élu un gouverneur nègre.

Les équipages de deux navires qui ont débarqué peu de temps après la catastrophe ont trouvé les noirs chantant et dansant au son des tambourins.


Cela fut publié en tête de la première colonne de la sixième page du numéro du Petit Journal qui portait la date du 10 juin, édition de l’étranger, que j’ai acheté à Santander en revenant, le 13 juin…

Pas de commentaire, n’est-ce pas… sinon que les gens de Marinoni ont le sens critique bien développé lorsqu’ils reproduisent des dépêches de Londres !