La Catastrophe de la Martinique (Hess)/33

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 194-196).


XXXIII

À LA TRANSATLANTIQUE


Une observation de M. Vié.


M. Vié est le très aimable et très obligeant agent général de la Compagnie Transatlantique à Fort-de-France.

Au cours de l’entretien que j’eus avec lui, le lendemain de l’éruption du 26, qui jeta sur le chef-lieu un nuage de feux électriques et nous valut une panique dans le genre de celle du 20, M. Vié m’a fait part d’une observation intéressante.

Aux nuages de fumée qui sortent du volcan sous forme de colonnes ascensionnelles droites, s’épanouissant en champignons, les Martiniquais ont assigné les plus invraisemblables hauteurs. J’ai entendu un monsieur qui occupe une assez jolie situation donner à ces fumées 80 kilomètres de hauteur… Vous avez bien lu : c’est 80 kilomètres. Les appréciations des autres, des gens sérieux, varient de 6 à 12 kilomètres.

M. Vié, lui, a calculé exactement cette hauteur, en utilisant comme donnée connue pour ses constructions de triangles, la hauteur du piton du Carbet, derrière quoi montait la colonne volcanique, et la distance de Fort-de-France à ce piton… Il a ainsi trouvé 2.200 mètres, ce qui est déjà une belle hauteur.

M. Vié qui a vécu au Guatemala, où les dépêches viennent de nous signaler que deux villes ont été détruites par une secousse volcanique, a entendu à la Martinique des bruits souterrains de même nature que ceux à quoi il s’était habitué dans l’Amérique centrale. Il les compare à des marteaux-pilons qui frapperaient par en-dessous.

Il a d’ailleurs, des comparaisons vraiment typiques etl de nature à mieux faire comprendre les phénomènes des diverses éruptions de mai.

— Dans les chaufferies, dit-il, et aussi dans les grands incendies, on voit des retours de flammes ; le feu monte, puis redescend brusquement en s’élançant le long du sol. Imaginez que par une fissure latérale des gaz lourds en énorme quantité soient sortis coulant ensuite sur Saint-Pierre, puis qu’ensuite il y ait eu, du sommet du volcan, un retour de flamme…

Quand j’ai parlé à M. Vié des conditions nouvelles de la vie martiniquaise avec la menace constante de nouvelles éruptions de la Montagne Pelée, et des catastrophes qui pouvaient en résulter.

— Mais, on s’y fait parfaitement, m’a-t-il répondu. J’ai observé cela au Guatemala. On s’habitue au voisinage du volcan même le plus dangereux, et on finit par l’oublier jusqu’au jour…

— Où il vous tue…

— C’est bien cela. Alors on y est définitivement et pour toujours habitué.



Il est inutile d’ajouter que M. Vié et le personnel placé sous ses ordres, personnel navigant ou personnel sédentaire, ont prêté le concours le plus entier à l’administration locale pour l’organisation des secours, et que, sans compter leur dévouement, ils ont mis à la disposition du gouverneur tous leurs moyens d’action.

Et que ces moyens furent efficaces…

Diverses questions appellent aujourd’hui l’attention sur nos officiers de la marine marchande. Je saisis avec empressement cette actualité Martinique pour dire tout le bien qu’il convient de penser de ces « braves gens », toujours prêts en toute occasion à faire leur devoir et même plus que leur devoir.