La Catastrophe de la Martinique (Hess)/18

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 110-113).


XVIII

LE RÉCIT DE M. MOLINAR


M. Molinar a dicté ses souvenirs et impressions au Courrier de la Guadeloupe qui les a publiés, et à qui je les emprunte :


Lundi la montagne fumait comme d’ordinaire.

Je suis descendu des Trois-Ponts et j’ai été chez Mme Clerc qui habitait le Mouillage (Saint-Pierre).

Elle a mis une voilure à notre disposition. Nous sommes partis. Dans cette voiture il y avait Mme Coypel, Mlle Carland, Mme Clerc, Mme Cambeilh, ma tante, Mme Molinar et moi. Nous allions visiter la Rivière-Blanche.

L’accident Guérin n’était pas encore arrivé.

Il y avait sur la route environ 15 centimètres de cendre.

Arrivés à l’usine, vers midi moins le quart, nous avons mis pied à terre et nous avons été à la Rivière. Mais, comme le terrain était très spongieux, Mlle Carland s’est enfoncée à mi-jambe dans cette boue. Je lui ai donné la main et l’en ai retirée.

Devant cet accident, et l’état du terrain nous n’avons pas poussé plus loin et nous nous sommes rembarqués.

Je suis remonté chez moi aux Trois-Ponts.

C’est là que j’appris l’accident de l’usine Guérin, survenu un moment après notre départ. La lame de boue qui a emporté l’usine s’est avancée à 30 mètres dans l’eau et a formé un petit cap. Elle a passé à l’endroit même où nous étions juste un moment auparavant.

À cette même heure (vers midi et demi) la mer s’est retirée à Saint-Pierre d’une trentaine de mètres laissant les bateaux à sec, puis est revenue une ou deux minutes après.

C’est à partir de ce moment que quelques personnes ont émigré de Saint-Pierre. Ce sont ceux-là qui ont été sauvés.

La fin de la journée se passa tranquillement.



Le mardi je ne suis pas sorti de la maison. Il y eut des bourdonnements continuels dans la montagne, qui ne cessait de lancer de la cendre.

Mercredi matin je suis descendu vers neuf heures des Trois Ponts au Fonds-Coré pour voir l’état de la Rivière-Blanche. Je n’ai pu traverser à cause de la Rivière-Sèche qui obstruait le passage par de la boue à la hauteur d’un mètre 50.

En revenant, vers midi, et, en passant la Rivière des Pères, j’ai cru voir, de suite après le pont, un gouffre où se précipiteraient la mer et la rivière… en tout cas il y avait là une agitation anormale.

Vers une heure, nous avons entendu comme des salves de coups de canon, d’un tir régulier, c’est-à-dire à des intervalles égaux.

Cela a duré à peu près une heure et demie.

Le soir, M. Alain, directeur de l’habitation Pécoul, nous a prévenus qu’il y avait une fissure du côté des Trois-Ponts, ce qui a mis le bourg en émoi.

Chacun est parti le plus vite possible.

Seuls M. Boudet, secrétaire de mairie, et nous, sommes restés.

Vers dix heures du soir, comme la montagne grondait épouvantablement, je me suis mis, à la fenêtre et ai vu la lave de feu coulant dans la direction des Trois-Ponts.

Vite, tout le monde de s’enfuir, à pied, vers le Parnasse, propriété qui se trouve à 2 ou 300 mètres d’altitude, à 200 mètres plus haut que les Trois-Ponts.

Nous y sommes arrivés vers minuit.

En ce moment la montagne était en pleine éruption, lançait de la lave, de la fumée et des pierres enflammées.

Jeudi vers six heures du matin la montagne s’était calmée complètement et nous admirions ses flocons de fumée et de vapeur se dirigeant vers la mer.

Vers huit heures un quart, sans que rien de particulier annonçât quelque chose de nouveau, la montagne s’ouvrit de haut en bas et lança, comme un immense éclair, un jet de flammes dans la direction de Saint-Pierre.

Pendant un quart d’heure environ elle lança des flammes, successivement, toujours dans la direction de Saint-Pierre et de ses environs.

Nous qui regardions ce spectacle du Parnasse, nous n’étions pas dans la zone des flammes, grâce à un vent qui soufflait contre elles et nous a permis de nous sauver.

Tout en courant, nous avons vu, dans la direction du Mouillage (Saint-Pierre) que tout était en flammes. (Place Berlin.)

Vers huit heures et demi, quand la tourmente commençait à se calmer, je suis descendu des hauteurs ou j’étais pour aller à la rencontre de mon jeune frère, mais l’air était si chaud que je ne pus avancer.

Rebroussant chemin et revenant sur le morne Saint-Bernard qui domine les Trois-Ponts, le Centre, le Fort jusqu’à la mer, j’aperçus un désert complet. Au Mouillage il restait des ruines.

Sur tout le trajet qu’avaient suivi les flammes, tout avait été anéanti. On ne voyait plus qu’une traînée de cendre.

Dans la partie de Saint-Pierre appelée le Centre comme dans celle du Fort, il ne restait plus rien debout. Toutes les maisons étaient réduites en cendre. Il n’y avait même pas de cadavre. Tout avait été volatilisé…

C’est seulement dans la partie de Saint-Pierre appelée le Mouillage, soit sur le port, qu’il y avait des cadavres et quelques ruines.

Tout, depuis le Prêcheur, les Abymes, jusqu’à Saint-Pierre avait été volatilisé. Une partie du Carbet était comme le Mouillage. Deux ou trois familles seulement se sont sauvées de cette localité.

Après ces jets de flammes la montagne s’était calmée complètement. Elle ne lançait plus ni flamme, ni fumée. Vers onze heures, elle recommença à lancer de la fumée et de la lave. C’est alors que nous sommes partis pour la Trinité où nous devions être à l’abri.

J’appris, depuis, que du côté de Macouba et de la Grande Rivière, il s’était formé des fissures vomissant de la lave enflammée. La population a dû évacuer par mer et gagner la Dominique, les chemins par terre étant rendus impossibles par les deux sortes de lave.

Il y a la lave de boue qui se coagule tout de suite, et une lave de feu qui descend jusqu’à la mer.

La lave descend comme une rivière enflammée jusqu’à la Roxelane, là pénètre sous terre et va sortir à la lame.