La Campagne avec Thucydide/Chapitre VII

Éditions de la Nouvelle Revue Française (p. 227-259).

CHAPITRE VII

LES DEUX GUERRES

La ressemblance de la guerre du Péloponèse et de la grande guerre d’Europe frappait en Allemagne, dès le début, bien des esprits[1]. Dans les pays anglo-saxons au contraire on était plus sensible aux analogies de notre guerre avec la guerre de Sécession[2]. En France les politiques avaient une tendance à y voir une suite et une forme nouvelle des grandes guerres européennes depuis Charles-Quint[3]. Les trois ressemblances existent et gardent leur raison d’être. La première se réfère mieux à l’idée de la guerre générale, à la permanence de ses formes abstraites : elle paraît cependant paradoxale quand on songe à la différence profonde d’un État moderne et d’une cité grecque. La deuxième correspond à un rapport de rythme intérieur et de conditions matérielles ; mais les dissemblances restent énormes, et, tandis que la guerre de Sécession comportait un terme, une fin absolue dans la victoire de l’un des partis, la guerre européenne n’a point posé par sa victoire une conclusion, mais le principe de discordes nouvelles. Enfin, si cette guerre a continué les vieux procès européens, elle les a pris dans un rythme mondial, elle les a subordonnés à tout un ensemble terrestre, elle les a rendus secondaires en enlevant à l’Europe, et surtout aux vieilles puissances de l’Europe, leur place prépondérante et centrale. Toutes ces analogies ne seront donc vraies que d’un angle spécial et momentané, sembleront d’autant plus vraies qu’elles éprouveront davantage le besoin les unes des autres et seront disposées à se relayer.

Cependant, pour une pensée à la fois géométrique et plastique, l’abstraction qui retrouve sur le visage de notre guerre les traits de la grande guerre grecque me paraît la plus claire et la plus satisfaisante des trois. On a montré souvent comment la Grèce est une miniature de l’Europe, comment dans la Grèce même l’Attique est une réduction de toute la Grèce. Il s’agit, dans les trois cas, aux trois échelles, d’une presqu’île découpée, élancée d’une masse continentale, avec des plaines intérieures qui nourrissent des populations agricoles, un développement de côtes qui la met en contact avec des routes de la circulation humaine. Quand une de ces presqu’îles sera engagée dans une guerre générale, dans une guerre de vie ou de mort, ce sera pour une question d’hégémonie née d’une question plus générale encore, celle de la domination des mers.

Ces deux guerres exhaustives et totales servent de conclusion et de sommation à une tradition invétérée et à un état endémique de guerres particulières. Elles ne naissent pas subitement, elles sont précédées d’autres guerres, d’éruptions locales qui tendaient à se généraliser et qui naissaient des mêmes problèmes. Entre les guerres médiques et la guerre du Péloponèse, la ligue athénienne et la ligue péloponésienne s’étaient répandues en guerres incessantes, coupées de trêves, le reste des Grecs se rangeant plus ou moins d’un côté ou de l’autre, « continuelle alternative de trêves et de combats soit entre eux soit contre les alliés qui les abandonnaient ». Tout indiquait que les problèmes pendants ne pouvaient être résolus que par la guerre. De même, avant la grande guerre européenne, les problèmes locaux ne demandaient qu’à prendre figure de problèmes généraux, suscitaient les guerres locales de Mandchourie et des Balkans, qui dessinaient une guerre générale, se tendaient vers elle comme vers leur accomplissement et leur forme.

Les deux guerres sont amenées par le moyen même qu’on avait cru expédient pour éviter la guerre : les alliances. Elles se produisent automatiquement au moment où toutes les grandes puissances ici de la Grèce et là de l’Europe sont partagées en deux alliances rivales. Dans les deux cas, chacune de ces alliances s’est formée expressément et sincèrement avec le dessein de maintenir la paix, de garantir aux participants une chance supplémentaire de paix. Et inévitablement, par l’effet d’une claire logique, ces alliances ont tourné en un engrenage de guerre, ont multiplié les chances de guerre. L’alliance de Lacédémone avec la grande puissance maritime du Péloponèse entraîne, dès que Corinthe entre en conflit avec Athènes, Lacédémone dans une guerre maritime. L’entrée des Corcyréens dans l’alliance d’Athènes amène Athènes à une guerre contre Corinthe. Du jour où la plus grande partie de la Grèce est inscrite soit dans l’alliance péloponésienne soit dans l’alliance athénienne, aucune guerre ne peut demeurer localisée. Du jour où toutes les grandes puissances de l’Europe se sont trouvées partagées contre l’Entente et la Triplice, il était inévitable que tout conflit local amenât une conflagration générale[4]. Ce n’est pas à dire que les alliances sagement entendues ne puissent fournir une garantie réelle de paix. La politique de Cimon a valu à la Grèce gloire et prospérité. Et, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, l’alliance franco-autrichienne a assuré la paix de l’Europe. S’allier, c’est pour les peuples comme s’attacher pour les alpinistes : la corde est par destination un instrument de salut, et procure parfois ce salut, mais il arrive aussi qu’elle entraîne toute la cordée dans la chute. Le malin est parfois celui qui tient, comme Tartarin et Bompard, son couteau prêt au bon moment.

En Grèce comme en Europe, les deux ligues n’entrent pas de gaîté de cœur dans la guerre générale. Les Péloponésiens, et surtout Lacédémone, ne veulent pas plus la guerre que ne la voulait l’Entente en 1914. Du côté adverse il y a, il est vrai, dans les mois qui précèdent les hostilités, une volonté formelle de guerre. Guillaume II en 1914 a cherché la guerre comme Périclès en 432 et comme les Girondins en 1792. Mais chez Périclès comme chez le Kaiser (la Gironde a été obligée, sitôt née, d’improviser ses résolutions), la volonté de guerre ne s’est pas produite sans un long conflit intérieur, des doutes et des angoisses. Et (quelle que soit la différence entre la claire intelligence de Périclès et le cerveau faible et fumeux de l’ancien empereur), aucun des deux ne semble avoir envisagé clairement la possibilité de ce qui, en fait, se réalisa : la ruine, ici de la Grèce et là de l’Europe, et plus profondément que de tout autre peuple celle de leur patrie[5].

Les deux guerres n’éclatent point d’abord en pleine lumière sur une question vitale, mais de façon détournée et oblique, à propos d’un incident singulier et d’un pays en apparence secondaire, dont deux membres des alliances rivales se disputent la domination : les allaires de Corcyre font pendant à l’affaire de Serbie. Ici et là Corcyre et Serbie sont deux expressions géographiques qui signifient la même idée : l’une et l’autre figurent une porte, la porte essentielle d’un monde, une part significative et précieuse des biens pour lesquels doit s’engager la guerre. Corcyre, comme au temps d’Ulysse, est pour les marines grecques la porte de l’Occident, et la Serbie est pour l’Europe centrale une porte de l’Orient, un passage vers la Méditerranée.

Les deux guerres paraissent dès le début aux esprits clairvoyants se comporter comme des forces de la nature, qu’il est impossible d’arrêter avant qu’elles aient donné leur plein effet, occupé et épuisé une totalité d’espace et de temps.

Dans l’espace, elles s’étendent plus loin qu’aucune des guerres qui les ont précédées. Dans la guerre du Péloponèse, le Péloponèse lui-même n’est pas la partie du monde grec la plus directement touchée, mais tout le monde grec, depuis l’Euxin jusqu’à la Sicile, subit successivement l’ébranlement de la guerre générale. L’Asie Mineure, Chypre, l’Égypte sont attirées dans le tourbillon. Le monde grec de la Méditerranée orientale et centrale se comporte comme un monde fermé et total, et c’est dans la planète entière qu’en 1914 il trouve son analogue, lorsque l’entrée en scène du monde britannique, de la Chine et du Japon, de l’Amérique du Nord et du Sud transforme pour la première fois — et non peut-être pour la dernière — une guerre locale en une guerre planétaire.

Chaque fois la raison est la même ; c’est qu’il s’agit d’une guerre pour la domination de la mer et que tous les peuples de la mer y sont intéressés. Mais de l’une à l’autre guerre la situation est renversée. Tandis que la plus grande partie du monde grec se lève contre la thalassocratie athénienne, s’efforce de briser ses ambitions d’hégémonie, la plus grande partie de la planète se place de 1914 à 1918 à côté des dominateurs de la mer et vient en aide contre l’Allemagne à la thalassocratie britannique. C’est que cette suprématie maritime de l’Angleterre ne s’est pas accompagnée jusqu’ici d’une domination politique, dont un peuple insulaire n’est d’ailleurs pas capable. L’Angleterre, moitié de son bon gré et moitié de force, n’exerçait pas sur la planète d’hégémonie ; elle a ajouté beaucoup à la prospérité matérielle générale, elle a peu enlevé à la liberté générale, et dans le cours de son histoire, lorsque ses intérêts vitaux n’étaient pas en jeu, l’a respectée à peu près comme avait fait l’aristocratique Sparte. Ce qui, en Grèce comme en Europe, a toujours été redouté comme la menace la plus grave pour la liberté des peuples, ce n’est pas une pure thalassocratie, Carthage, Venise, Hollande et, dans une certaine mesure, Angleterre, c’est la conjonction en un même État de la plus grande puissance militaire et de la plus grande puissance maritime. Tel était en Grèce le cas d’Athènes qui avait la flotte la plus considérable du monde grec, et qui, ainsi que le montra l’expédition de Sicile, était seule capable de mettre sur pied des armées relativement énormes, qui rappelaient celles des rois de Perse et des Carthaginois. Le danger de cette conjonction est apparu plusieurs fois dans l’histoire moderne ; à chaque fois il a déterminé contre la puissance qui aspirait à la double domination une coalition dont l’Angleterre était une des pièces principales : Espagne au xvie siècle, Louis XIV au xviie, Napoléon au xixe, Allemagne impériale au xxe. Derrière le front haut de Périclès comme derrière le casque romantique de Guillaume II, la Grèce et le monde ont aperçu le péril de cette double hégémonie et se sont levés contre elle. Au contraire, des Phéniciens aux Anglais, les thalassocraties ont toujours permis une division du pouvoir, l’ont empêché de se concentrer dans le globe d’or porté par une seule main, et le trident de Neptune n’a jamais été à lui seul le sceptre entier du monde. Quand les deux pouvoirs ont été réunis, on a eu l’empire romain, et les imaginations d’outre-Rhin ont forgé sur ce modèle un empire germanique. L’Angleterre, appuyée sur une ligue des peuples libres, a eu pour la quatrième fois la chance de briser, après Philippe II, Louis XIV et Napoléon, ce rêve des deux pouvoirs réunis. Il est possible qu’il soit repris par un peuple de l’Ancien ou du Nouveau Monde. Il est possible aussi que la fédération anglo-saxonne, par la force des choses, par le débordement des Indes sur l’Asie antérieure, par la vassalité, la portugalisation des petites nations incapables de se suffire, soit amenée insensiblement à l’exercer elle-même, à joindre au contrôles des mers le contrôle des continents : d’où nouvel empire romain, ou nouvelles guerres planétaires.

Ainsi l’extension inévitable d’une telle guerre dans l’espace se lie nécessairement à son extension dans le temps. Nous sommes devant des forces telles qu’il est aussi impossible de les borner en durée que de leur assigner une limite sur la mer. Thucydide nous dit que, dès le début de la guerre, il en a prévu la longueur. C’est possible. Et, dans les discours qu’il prête à Périclès à Athènes, et surtout à Archidamos à Sparte, toute la guerre est mise en lumière avec ses perspectives de durée interminable et de lente usure. Le 1er août 1914, M. de Bethmann-Hollweg eût lu avec un grand profit le discours du roi de Sparte. Les Lacédémoniens, dit Archidamos, pourront dévaster le territoire athénien, mais avec la maîtrise de la mer les Athéniens pourront toujours réparer leurs pertes et retrouver des ressources. Dès lors la guerre sera sans fin. « Il ne sera plus possible de quitter les armes avec honneur, surtout après avoir été les premiers à les prendre » (I, 80). Les Athéniens ne se rendront pas esclaves de leur territoire. Pas plus que les Français appuyés sur la flotte britannique. « À moins d’être les plus forts sur mer ou de leur enlever les revenus qui alimentent leur marine, nous subirons plus de mal que nous n’en ferons. » C’est toute l’histoire de l’Allemagne pendant la guerre. Il est vrai qu’elle a complété l’alternative d’Archidamos et essayé d’un troisième parti que les Grecs n’avaient pas prévu : être la plus forte sous mer, — ce qui ne lui réussit pas.

L’opinion que Thucydide prête à Archidamos ne paraît pas avoir prévalu à Lacédémone. Sparte, comme Berlin, confiante dans la supériorité de ses forces continentales, croit à un coup de massue, à une guerre courte. « Nous nous sommes trompés sur la durée des hostilités, dit Brasidas aux Chalcidéens. Nous avions espéré avoir promptement raison des Athéniens. » Brasidas a compris à la fois l’extension inévitable de la guerre dans l’espace et son extension inévitable dans la durée, l’une et l’autre solidaires. La guerre est pour lui une guerre qui portera sur les points vitaux, lointains, de l’empire athénien, de même qu’elle devra aller dans le temps jusqu’à la destruction d’Athènes. Ou plutôt son tempérament militaire est de ceux qui, installés dans la guerre, ne pensent qu’à la guerre, en prennent leur parti comme d’une chose permanente et nécessaire, se trouvent par là en communion avec sa nature profonde.

Cette nécessité inflexible d’une guerre générale lancée jusqu’à son terme d’épuisement et qui ne peut s’arrêter auparavant, il fallait précisément, pour sa plus grande évidence, que des hommes raisonnables, paisibles et de bonne volonté s’efforçassent d’y contrevenir, et de chercher loyalement à ramener les bienfaits de la paix. Ce fut, après la mort de Brasidas et de Cléon, la paix de Nicias et d’Archidamos, — équivalent à peu près de la paix d’Amiens en 1802, et dont le spectre, sous le nom de paix blanche, rôda tout le long de notre guerre. Une telle paix laisse plus de difficultés pendantes qu’il n’y en avait au moment où la guerre a éclaté, maintient donc intactes, et plutôt accrues, les raisons de conflit. Comme en 1802, la question des restitutions ne peut se résoudre heureusement. Surtout la paix, par les mécontentements qu’elle engendre chez les alliés des deux partis, ceux qui se disent sacrifiés, menace d’engendrer de nouveaux systèmes d’alliances et par conséquent de nouvelles fermentations guerrières. La grande difficulté de la paix de Nicias provient de ce que les Athéniens sont obligés de choisir dans le Péloponèse entre les Argiens et les Lacédémoniens, les Lacédémoniens de choisir dans la Grèce du Nord entre les Béotiens et les Athéniens ; une alliance entre les ennemis de la veille pour imposer la paix à ceux qui la refusent est un paradoxe qui ne tient pas. Quand la paix se fait sans vainqueur ni vaincu, chacun des deux partis s’estime, selon l’occasion et la revendication du moment, vainqueur ou vaincu. Et nul mieux que Nicias lui-même, dans le discours qu’il prononce, avant l’expédition de Sicile, n’indique les raisons pour lesquelles sa propre paix est précaire. « Au moindre échec que nous viendrons à subir, nos ennemis s’empresseront de nous attaquer, d’abord parce qu’ils ont traité à la suite de revers, par nécessité, puis parce que le texte du traité comporte une ample matière à conflit » (V, 10). Les deux raisons capitales dans tous les cas pareils…

Aussi une telle paix est-elle bientôt rompue par la logique de la guerre, et, sans violation délibérée, tombe-t-elle d’elle-même comme une attitude artificielle et forcée. Il faut que la guerre soit menée à son terme naturel, qui est la victoire d’un des deux adversaires, tenant l’autre à sa discrétion. Lysandre et Foch ont eu cette victoire.

La situation de 404 et celle de 1918 présentent bien des analogies. L’épuisement d’Athènes, les ressources et le génie de Lysandre ont permis une victoire toute militaire, la force d’Athènes est abattue, Lacédémone et ses alliés délibèrent en pleine souveraineté sur le sort de leur ennemie. Achèvera-t-on sa défaite par sa destruction ? C’est le parti qui doit être évidemment soutenu par les voisins les plus immédiats d’Athènes, les Corinthiens et surtout les Thébains. Tant qu’il y aura une Athènes, la marine de Corinthe ne sera que la seconde de la Grèce, et toujours menacée. Tant qu’il y aura une Athènes, Thèbes ne sera pas en sécurité ; malgré la destruction de Platées, sa domination sur la Béotie demeurera mal assise ; seule la disparition d’Athènes lui permettra d’exercer dans la Grèce du Nord une hégémonie analogue à celle de Sparte dans le Péloponèse. Cette dernière raison ne saurait convaincre Lacédémone et l’entraînerait assez naturellement à contrecarrer le vœu des Thébains. Mais c’est pour d’autres causes encore que Sparte résiste à la volonté de ses alliés et conserve l’existence de sa rivale.

Certes le conte grandiose du chœur d’Électre : « fille d’Agamemnon, je suis venu vers ta demeure rustique… » qui, récité à la table des généraux vainqueurs, aurait sauvé Athènes en interposant l’image de son génie et de sa poésie, a été inventé plus tard. Il est impossible pourtant qu’il n’implique pas une vérité profonde, uns vérité morale, vivante au cœur de Sparte. Au moment où Lacédémone avait obtenu ou croyait avoir obtenu tout ce qu’elle pouvait souhaiter comme fin de la guerre, l’être de la Grèce, obscurci depuis vingt-sept ans par la poussière des batailles, lui apparaissait de nouveau avec cette pureté raisonnable qu’il revêtait autrefois à Athènes aux yeux de Cimon. Elle avait dû céder aux Thébains dans l’affaire de la destruction de Platées, malgré la répugnance d’Archidamos, gêné par le souvenir de Pausanias et de la grande victoire où, sous un roi de Sparte, la Grèce avait été sauvée. Sans Platées, il y avait pourtant encore une Grèce. Sans Athènes, il n’y en avait plus. On entendait par Grèce un composé de plusieurs génies tantôt complémentaires et tantôt hostiles. Le jour où le génie d’Athènes manquerait à la Grèce, il n’y aurait vraiment pas plus de Grèce que si Xerxès eût vaincu à Salamine ou Mardonius à Platées, et pour Sparte même, alors, vaudrait-il la peine de vivre ? Sparte, qui s’était sauvée elle-même par la force de sa tradition lacédémonienne, sauva Athènes par la force de sa tradition hellénique.

Athènes ne fut pas détruite, mais elle perdit son empire et toute sa puissance maritime. Elle ne gardait que son territoire continental, devait démolir les Longs Murs du Pirée, ne conserver que les vaisseaux qui lui seraient laissés par une décision ultérieure. C’était là qu’aboutissaient l’effort formidable et le rêve démesuré d’un empire athénien sur une Grèce asservie. Et les conditions ainsi acceptées le 25 avril 404 nous rappellent singulièrement celles de l’armistice du 11 novembre 1918.

L’armistice du 11 novembre et le Traité de Versailles constatent l’écrasement de l’Allemagne, mais d’un autre côté ils lui assurent et lui garantissent un être qu’ils pouvaient lui retirer. Elle perd tout ce qui lui donnait figure extérieure d’Empire, mais garde l’armature intérieure qui en fait un État. L’histoire saura un jour, ce que nous ignorons aujourd’hui, les avis qui furent émis parmi les vainqueurs sur la destinée de l’Allemagne. Comme au quartier général de Lysandre, ces avis furent sans doute partagés, et pour des motifs analogues. Une partie éclairée, considérable en qualité, de l’opinion française, voulait la destruction de l’Allemagne, je veux dire la destruction de son unité, de son synœcisme, le retour à son état de division, comme la population d’Athènes rasée en serait revenue, si elle n’avait pas été vendue, à l’état de dispersion antérieur à Thésée. (C’est exactement le traitement que Sparte en 384 infligea à Mantinée, et les Romains, après la défaite de Persée, à la Macédoine.) Il est naturel que la rupture de l’unité allemande ait été demandée par les Français, toujours menacés immédiatement et dangereusement par cette unité, et dont las raisons étaient meilleures encore que celles des Thébains. Cette rupture, cette destruction, ce retour à l’état des traités de Westphalie, n’étaient nullement impossibles. Si la France eût été seule, et toute puissante, et gouvernée par des réalistes impitoyables, elle eût été jusqu’au bout de ses intérêts, de sa tradition, de sa logique géographique et historique. Quelle image s’interposa pour sauver l’Allemagne ?

Je ne prétends instituer ici aucune comparaison entre ce que représente Athènes et ce que représente l’Allemagne du point de vue de la civilisation générale, du point de vue de ce capital moral dont le prestige peut être à un moment donné une défense contre des ennemis, du point de vue de ces morts auxquels Sylla, lorsqu’il eût pris à son tour Athènes, prétendit accorder la grâce des vivants. Mais ce qui était vrai du temps de Sylla ne l’était pas encore en 404. En 404, tout l’éclat intellectuel et esthétique d’Athènes consiste dans son théâtre et sa céramique, la sculpture est encore, malgré Phidias, la propriété indivise du génie grec entier, et la grande école exclusivement athénienne ne paraîtra qu’au siècle suivant ; la philosophie athénienne n’existe qu’en l’étrange personnage qui boira la ciguë cinq ans après et qui est bien le dernier Athénien auquel on puisse penser à la table de Lysandre ; l’histoire athénienne dort encore ignorée en le manuscrit qu’achève Thucydide. L’éclat d’Athènes lui vient de sa grandeur militaire et navale, de ses luttes pour la liberté de la Grèce, de ce génie saisissant qui fait qu’elle existe puissamment en Grèce et que son nom représente une grande chose grecque qu’un Grec sent et ne peut dire.

C’est un fait que la destruction de l’unité allemande n’a trouvé aucun écho auprès des Anglais et des Américains, dont l’opinion fut en somme prépondérante. L’Angleterre n’avait d’intérêt primordial qu’à la destruction de la puissance maritime allemande, et elle sut y veiller. Mais la dissolution de l’unité allemande, contemporaine de la dissolution de l’unité russe, n’eût laissé subsister sur le continent européen qu’une seule puissance de premier ordre, malgré ses terribles saignées, la France. L’Angleterre ne le jugea sans doute pas plus utile que Sparte n’estima expédient de ne laisser dans la Grèce continentale qu’un seul État fort, Thèbes. Une France et une Allemagne constamment ennemies, jamais abattues, l’Angleterre en a besoin dans son échiquier politique. Ce besoin, en 1814 et 1815 — comme auparavant en 1713, — s’employa au service et au salut de la France, de même qu’il a pu s’employer en 1914 au service (et peut-être au salut) de l’Allemagne. Attendons (métaphoriquement) ce qu’amènera vers 2013 ou 2014, si ce rythme par centenaires continue, le même jeu de bascule.

Il est intéressant de noter, à ce propos, que la décision de Sparte qui sauva Athènes allait procurer rigoureusement, quarante ans plus tard, à Sparte son propre salut. L’éventualité qui pouvait paraître en 404 la plus problématique se réalise. Thèbes échappe de l’alliance de Sparte, acquiert autour du génie d’Épaminondas une formidable puissance, inflige à Sparte une défaite pire qu’Ægos-Potamos ne l’avait été pour Athènes, puisqu’amputée de la Messénie et réduite à un millier de citoyens, Lacédémone cessera d’être dans le Péloponèse l’État prépondérant. Peu s’en faut, à deux reprises, qu’Épaminondas n’achève son triomphe par la prise de Sparte. Si sa victoire n’est pas totale, c’est que les forces d’Athènes, alors reconstituées, se portent tout entières contre lui, et qu’il doit compter après Leuctres avec la levée en masse, sous Iphicrate, de douze mille hoplites athéniens. Lorsque, dans sa dernière campagne, il marche sur Mantinée avec cette grande armée de trente-trois mille hommes qui doit achever la ruine de Sparte, c’est la cavalerie athénienne qui sauve Mantinée, et, dans ces jours tragiques, diffère jusqu’à sa mort la victoire stérile du héros thébain. Athènes abattue en 404, Sparte l’eût donc suivie inévitablement dans sa chute.

La politique suffit à expliquer la ligne suivie par Sparte en 404, par l’Angleterre en 1918. Pour organiser sa paix, l’Allemagne pensa trouver en Erzberger exactement le même homme qu’Athènes en Théramène. Mais y eut-il à Versailles, dans la pensée des uns ou des autres parmi les Cinq, et en Europe et outre-mer, dans le chœur de ceux qui écrivent, réfléchissent ou sentent, une idée où pût s’amorcer une légende analogue à celle du chœur d’Euripide ? L’Allemagne sur le bord de l’abîme a-t-elle été protégée par un grand souvenir de civilisation, par une lumière de son génie ? Peut-être. L’Allemagne a gardé auprès des peuples anglo-saxons, de langue et de religion en somme germaniques, le bénéfice de ce fait qu’elle est le foyer et l’ordre du germanisme. Le nationalisme français, avec M. Barrès et M. Maurras, et aussi M. Boutroux, a conspiré à cette idée : il s’en est pris au germanisme en son entier, en son bloc, en son être, depuis Odin jusqu’à Kant, depuis Luther jusqu’à Nietzsche. Il était assez naturel qu’une telle doctrine de guerre répondît chez nous aux divagations allemandes sur la décadence des races latines. Il n’était pas moins naturel que chez les peuples du Nord, chez les Anglo-Saxons, une certaine solidarité spirituelle, septentrionale et germanique, se dessinât, suffisante pour conserver à l’Allemagne son être politique, mais non pour la soustraire aux réparations légitimes et aux garanties nécessaires, surtout quand ces réparations et ces garanties concernaient l’empire de la mer.

On objectera peut-être que la destruction de l’unité allemande n’eût pas été une mesure absolument dirigée contre le germanisme entendu comme capital de civilisation, comme étiquette d’une culture, puisque le génie intellectuel et esthétique de l’Allemagne s’est développé avant l’unité allemande, et paraît même avoir été stérilisé par cette unité. Les nationalistes français les plus absolus, comme M. Barrès, admettent, glorifient même certaines formes de la civilisation allemande, celles qu’ils appellent rhénanes, et qui sont en contact sympathique avec le génie latin et français. Il y a cependant un grand bloc d’humanité, qui va de Stockholm à San-Francisco par Londres, où règne un point de vue assez différent, et où l’on sent obscurément le besoin spirituel d’une métropole du germanisme qui, dans les conditions politiques actuelles, implique bien une Allemagne, et non des Allemagnes. Observons d’ailleurs qu’une concession a été faite à la France, et que l’idée française « des Allemagnes » a reçu un fragment de satisfaction, avec l’interdiction faite à l’Autriche allemande de s’agréger au Reich. Mais entre l’intérêt français, qui voulait que la balkanisation de l’Europe centrale s’opérât jusqu’au Rhin, et l’intérêt anglo-saxon qui exigeait qu’elle s’arrêtât aux monts de Bohême et à la Vistule, si le second l’a emporté, c’est, entre autres raisons, que des images de culture commune, de religion commune ont donné à cet intérêt une bonne conscience et un couronnement idéaliste. Quelle que soit la part du calvinisme dans la formation religieuse de l’Angleterre et de l’Amérique, de M. Lloyd George et de M. Wilson, une légende future pourrait faire jouer au choral de Luther en 1914 un rôle assez analogue au chœur d’Électre en 404.

Cette balkanisation n’a pas son origine dans la perversité de politiques machiavéliques, mais dans les nécessités de la politique et dans la nature historique de l’Europe centrale. Balkaniser, c’est diviser pour commander. « Le monde ne peut rester en repos tant qu’il existera un peuple français, disait une proclamation prussienne en 1815. Partageons-le en Neustrie, en Aquitaine. Le malheur pour la Prusse était qu’il y a une France indivisible, et que les mots de Neustrie et d’Aquitaine n’existent que pour l’histoire du moyen-âge. Bavière, Saxe et Prusse ont un peu plus d’existence politique, et Bohême, Croatie, Pologne en ont encore davantage. Pour balkaniser l’Europe centrale, il suffit de la laisser retomber dans son état naturel, qui est la division. C’est une garantie de suprématie pour les grandes puissances. Ce n’est pas une garantie pour une paix générale, que les pays danubiens séparés ne paraissent pas devoir assurer beaucoup mieux que l’Autriche-Hongrie d’hier. Balkanisme ne signifie pas précisément concorde. La proclamation prussienne que je citais tout à l’heure finissait ainsi : « Ils se déchireront entre eux, mais le monde sera tranquille pour des siècles. » En se déchirant entre eux les peuples des Balkans n’ont pas contribué précisément à la tranquillité du monde. C’est d’ailleurs ici que commence le rôle de la diplomatie. Quand la France eût, par les traités de Westphalie, assuré la division de l’Allemagne, elle ne crut pas son travail fini et sut conserver cette division par les mêmes moyens et la même prévoyance qui l’avaient créée. Si la paix de Brest-Litovsk avait été définitive et l’Allemagne finalement victorieuse, l’Allemagne eût appliqué exactement à une Russie maintenue en état de division la politique des traités de Westphalie.

Quand la guerre du Péloponèse touche à sa plus claire conscience, ce sont des questions analogues qui se posent, c’est une politique analogue qui se propose ou s’impose aux vainqueurs. Il suffisait d’enlever à Athènes son empire maritime pour détruire sa puissance. Mais les deux autres États qui, à des moments et à des degrés divers, pouvaient aspirer à l’hégémonie, Thèbes et Sparte, étaient continentaux, et tout l’effort diplomatique et militaire de l’un devait tendre à diviser l’autre. Au congrès de 371, qui doit rétablir, sous la médiation du grand roi, la paix entre Grecs, Sparte rompt avec Thèbes en refusant d’accepter l’unité béotienne, en déniant à Épaminondas le droit de signer au nom de la Béotie. Épaminondas répond à Agésilas que les cités béotiennes ont exactement vis-à-vis de Thèbes, qui est la plus forte d’entre elles, le même droit à l’indépendance qu’ont vis-à-vis de Sparte les cités de Laconie. Le seul argument en faveur du bon droit Spartiate et contre le mauvais droit thébain, c’est que l’union forcée des Laconiens sous Sparte est plus ancienne que l’union forcée des Béotiens sous Thèbes. Belle occasion pour un sophiste d’appliquer au droit l’argument du tas de sable ou celui du chauve, et de décider à quel moment la force a assez d’ancienneté pour se nommer droit ! Un dialogue entre Allemands et Anglais, les premiers parlant Irlandais quand les seconds eussent parlé Polonais, n’eût pas laissé d’être construit pittoresquement sur ce modèle.

La parole passa aux armes, et la réponse des armes s’appela Leuctres. Le plus grand soin d’Épaminondas fut alors de rendre à la division ce Balkan du Balkan qui s’appelle le Péloponèse, naguère en partie groupé sous l’hégémonie de Lacédémone. Deux États nouveaux se créent de la substance de Sparte : l’Arcadie autour de Mégalopolis, la Messénie, reconstituée dans son indépendance, autour de Messène. La situation nouvelle de Sparte entre l’Arcadie et le Messénie est à peu près celle de l’Autriche allemande entre la Tchéco-Slovaquie et la Serbo-Croatie. Outre qu’elle cesse d’être une puissance, elle est absolument ruinée : les citoyens spartiates perdent avec la riche Messénie et ses nombreux ilotes les domaines et le travail servile qui les faisaient vivre. Tout le pays est plongé dans une misère telle que les Laconiens se feront en foule mercenaires dans les nouvelles armées qui remplaceront pour les cités dépeuplées les vieilles phalanges d’hoplites, et qu’Agésilas lui-même sera obligé d’aller faire pour le compte de l’État le métier de condottiere au service des satrapes d’Asie-Mineure.

Épaminondas, ayant ainsi balkanisé le Péloponèse, y recueille peu de sujets de satisfaction. Le pays tombe dans une anarchie dont le récit de Xénophon nous donne une idée suffisante. Arcadiens et Éléens entrent en lutte, se battent en pleine enceinte d’Olympie. Argos, avec les massacres du scytalisme, devient une nouvelle Corcyre. L’Achaïe se refuse, malgré les efforts d’Épaminondas, à l’alliance thébaine. Mantinée l’abandonne. Ces États nouveaux végéteront jusqu’à la conquête romaine dans les discordes et les révolutions. L’histoire continuera à ne faire de place qu’aux anciennes cités, Athènes et Thèbes, qui joueront dans les luttes de l’indépendance un rôle digne de Thémistocle et d’Épaminondas, et Sparte, dont la poignée survivante de citoyens, conservant en quelques têtes toute l’âme de la cité, décroîtra et s’éteindra dans une tragique splendeur. Le nouveau Péloponèse finira, très tard, par produire un homme, Philopœmen, dont la mort illustrera de façon saisissante les haines intérieures qui dressent les uns contre les autres tous ces petits peuples. Je suis loin de penser que ce très petit Balkan d’autrefois nous présage en ces traits le destin du très grand Balkan qu’est l’Europe centrale d’aujourd’hui. Reconnaissons cependant que, sous les différences, il y a bien d’une époque à l’autre un petit noyau identique, notre κτῆμα ἐς ἀεί.

Cette analogie des deux guerres paraîtra peut-être au lecteur d’autant plus artificielle et forcée que la différence entre l’étendue de leur domaine est plus considérable : comment comparer les cités miniatures de la Grèce, leurs petites armées et leurs petites batailles, à l’énorme cataclysme qui a bouleversé l’Europe, à cette guerre qui laisse loin derrière elle le merveilleux homérique lui-même, puisqu’on s’y bat du fond de la mer jusqu’au lointain des airs, plus loin que le sommet de l’Olympe ? Comment comparer les intérêts des cités à ceux des États modernes ? La première n’est-elle pas à la seconde ce que la Batrachomyomachie est à l’Iliade ? Notons d’abord que toute guerre entre une puissance continentale et une puissance maritime est à sa façon une Batrachomyomachie, et que dans la nôtre les grenouilles furent précisément sauvées par l’arrivée des grands crabes d’outre-mer ; notons-le pour maintenir, autant qu’il convient à notre modestie, le point de vue de Sirius ou de Micromégas. Mais, pour parler sérieusement, les conditions de culture scientifique et de civilisation dans lesquelles s’est conduite la dernière guerre n’ont-elles pas tendu, par leur perfection même, à lui rendre une certaine figure de guerre antique, que les guerres modernes avaient perdue ?

La rapidité des moyens de transport — transport de la matière et transport de la pensée — a diminué les distances au point qu’un grand État moderne représente des espaces réellement moindres, une réalité sociale plus simplifiée et plus condensée qu’une Laconie ou qu’une Attique. Le monde qui était encore si grand au temps de Napoléon est devenu plus petit qu’au temps des Grecs, où il était circonscrit à la Méditerranée. Nous avons vu la France réduite pendant quatre ans aux dimensions, à la nature, à l’action d’une ville assiégée ; le grand quartier général était informé plus vite de ce qui se passait d’un bout à l’autre du front que ne l’étaient des incidents militaires Périclès, quand Archidamos tenait la campagne d’Athènes et que les Lacédémoniens ravageaient l’Attique. Le peuple, stationnant devant les dépêches ou lisant les journaux, suivait la guerre sur tous les fronts, jusqu’aux Dardanelles et à Kiao-Tchéou, de façon plus instantanée et plus sûre qu’un Platéen ne connaissait autour de sa ville les progrès du siège. Si le monde est petit, il est devenu d’autant plus grec. Il s’est d’autant mieux replié sur la mesure de l’homme, et la maxime de Protagoras donnerait ici son plein effet.

Car la vie sociale, la politique, et même la nature ont eu beau être bouleversées de haut en bas, la valeur suprême, dans ces deux guerres, demeure la même, c’est l’homme. Au-dessus de la guerre du Péloponèse se lève ce type parfait et plein, l’hoplite, l’homme pesamment armé qui ramasse solidement sur lui toute la substance de la cité, qui transporte là où il se bat un fragment authentique de sa muraille, ou qui même, et plus purement, est, comme le citoyen de Sparte, la seule muraille qu’elle juge digne de la défendre. Au-dessus de notre guerre nous avons vu, de ce côté de la frontière (le temps viendra plus tard de donner à cette guerre un sens européen qui fasse pendant au sens hellénique de l’autre), le poilu français, le mur vivant de l’Yser et de Verdun. Civis murus erat, la devise du monument des Trois Sièges à Saint-Quentin, réunit dans une même image l’homme des Deux Guerres. Toutes deux ont été à la fois un massacre d’hommes et un laboratoire d’hommes. La guerre du Péloponèse a ouvert de façon irrémédiable cette plaie de l’oliganthropie par laquelle a coulé si vite le sang le plus beau de la terre. Et notre guerre laisse la France et une partie de l’Europe, jusqu’à la Russie autrefois pullulante, devant un problème pareil et pareillement terrible. Mais si la quantité humaine décroît jusqu’à l’effondrement, la qualité humaine prend une vigueur, une intensité, des nuances nouvelles.

Nous avons vu l’homme, à la guerre, acquérir une valeur insoupçonnée. Cette valeur a été payée très cher et il est bien possible qu’elle ne couvre pas ses frais. Mais elle existe. La guerre a été une révélation pour plusieurs pays et pour des millions d’individus, qui ne connaissaient pas la beauté de leur âme et qu’elle a accouchés à une forme supérieure d’eux-mêmes. Chacun de nous l’éprouve en lui avec la somme et la qualité de son expérience, et c’est l’essentiel. Mais il faudra encore une génération pour que cette sculpture morale apparaisse, dans le recul, les proportions, l’intelligence nécessaire, répartie sur toute l’Europe, avec les tragédies propres à l’âme de chaque nation et sous le tourbillon commun qui a fait jaillir de ces âmes, au contact les unes des autres, leur feu propre. On en aura une idée en considérant la maquette, pleine de bon vouloir et d’utilité, qu’a donnée M. Barrès dans les Familles spirituelles de la France : de ces touchantes et naïves figures de bois peut sortir une grande statuaire à la Thucydide, où l’on trouvera plus d’art et de vérité, mais à laquelle des simples à une extrémité et des raffinés à l’autre pourront préférer le vieux ξοάνον.

La guerre du Péloponèse fut l’atelier idéal d’une telle sculpture. Comme trois vers d’Homère donnent à Phidias l’idée de son Zeus Olympien, les vieilles figures homériques paraissent prendre, en une atmosphère nouvelle et sous l’inspiration d’un génie suprême, des formes plus complexes, plus puissantes, plus universelles, Hector à Sparte, Ulysse à Athènes, Achille partout. Un Brasidas et un Lysandre, un Périclès et un Alcibiade sortent de la guerre comme des bronzes de la fonte. Sans la guerre, Clemenceau aurait fini en vieux bougon à épigrammes pour couloirs du Sénat et colonnes mal écrites de journal ; la guerre en a su dégager les puissances d’étonnante vitalité, modeler comme un Rodin le Français dont les qualités héréditaires ont saisi la victoire et dont les défauts traditionnels en ont gaspillé en partie les fruits. En tout cas le psychologue de la guerre retiendra cette figure avec le même soin que l’historien de la guerre du Péloponèse et de la fortune d’Athènes retient la figure d’Alcibiade. Le poids dont ont pesé sur les destinées de la planète les individualités d’un Clemenceau, d’un Lloyd George, d’un Wilson, leur impuissance quand elles ont voulu aller contre certaines lois de la politique et de l’histoire, le conflit de ces erreurs et de ces lois, de ces tempéraments et de ces nécessités, appelleront sur ces hommes, plus tard, un pinceau de lumière particulier, feront d’eux l’occasion des plus curieux problèmes. Comme tout monde qui se transmue, ce temps apparaîtra non avec la figure harmonieuse et uniforme de plateau, mais avec la forme dentelée qui fait saillir sur l’horizon des individualités, chaîne des Alpes plutôt que Jura. Quand, les yeux fermés, on veut réaliser l’image la plus exacte de la guerre, s’identifier avec elle, comme un sculpteur avec les masses et les poussées du corps humain, c’est à cet intérieur psychologique qu’il faut recourir, à ces valeurs d’hommes, à ces images d’individus, à la ligne de vie unique qui réunit, comme celles d’une main idéale, un poilu bleu horizon à un Clemenceau et à un Foch, un fantassin feldgrau à un Ludendorf. Une ligne pareille, il me semble que, Thucydide en main, et aussi Euripide et Aristophane qui en donnent la chronique vivante, on la voit se dessiner et vivre, avec le recul de l’histoire, dans la guerre du Péloponèse.

Mais peut-être, par delà cet intérieur psychologique, la méditation nous en fait-elle découvrir un autre plus profond encore : nous le voyons sous la forme d’un problème moral élémentaire et omniprésent, pesant et obscur, dont il faudrait chercher les analogues dans les essences de la tragédie, dans une Orestie ou un Œdipe. N’oublions pas d’ailleurs que la conscience tragique, d’Eschyle à Euripide, est liée à l’histoire d’Athènes comme la conscience historique d’un Thucydide.

La guerre du Péloponèse finit théoriquement par la paix de Lysandre comme la guerre d’Europe finit par le traité de Versailles. Mais la paix de Lysandre ne fut pas une fin réelle : toutes les puissances, toutes les fatalités de la guerre du Péloponèse continuèrent de jouer, d’agir, de porter leurs fruits de vie et surtout de mort. Évidemment, l’histoire étant une continuité, il n’y a pas de fins réelles en histoire, il y a seulement des chaînons dans une chaîne continue. Mais il y a des fins relatives, et, à des bouleversements, des conclusions normales qui annoncent le retour d’un ordre normal : la fermeture des portes du temple de Janus par Auguste est une conclusion normale des guerres romaines, l’expulsion des Anglais une conclusion normale de la guerre de Cent ans, les traités de Westphalie une conclusion normale du conflit gallo-germanique, les traités de Vienne une conclusion normale de la première grande guerre générale d’Europe. Conclusion normale ne signifie pas d’ailleurs conclusion définitive, mais arrangement qui permet aux parties en conflit pour la suprématie et l’existence une vie normale, une tolérance réciproque, un ordre de choses acceptable. Cela, la paix de Lysandre ne l’apporte pas plus que ne l’avait apporté la paix de Nicias, et que ne l’apporteront, comme le montre Sorel, les traités de Bâle, de Lunéville et d’Amiens. La paix de Lysandre ne l’apporte pas, et pour des raisons plus profondes et plus graves qu’à Bâle et à Amiens. Ces deux traités laissaient pendantes et envenimées deux questions capitales et solidaires, celle de l’équilibre européen, celle de la division des pouvoirs entre puissances continentales et puissance maritime, mais ces questions n’étaient pas insolubles, et elles furent résolues en effet, après quinze ans de guerre nouvelle, par les traités de Vienne, qu’on a appréciés fort diversement, mais qui ont donné à l’Europe cent ans sinon de paix, tout au moins de stabilité relative, pendant lesquelles le génie européen a fait subir à la planète entière une transformation dont il n’y a d’exemple même lointain dans aucune époque. Il est même bien possible que ces cent ans apparaissent pour longtemps dans l’histoire comme un îlot aussi lumineux et un paradis aussi perdu que le siècle des Antonins : grande occasion de relire ou plutôt de refaire, en la plaçant en 1914, l’Uchronie de Renouvier.

La fermeture du temple de Janus était une fin parce qu’elle consacrait l’existence d’une réalité, l’empire romain. Les traités de 1815 étaient une fin parce qu’ils mettaient sur pied une réalité, — une Europe. Les traités de la banlieue parisienne (Versailles, Saint-Germain, Neuilly), ne sont pas une fin, parce qu’ils consacrent et précipitent l’effondrement de cette réalité ancienne qu’était l’Europe, et n’arrivent pas à en faire sortir la réalité nouvelle de la Société des nations. La paix de Lysandre n’était pas une fin, parce qu’après comme avant elle, il n’y avait pas de Grèce politique, parce qu’après comme avant elle, le mot Grèce restait une expression dont le contenu signifiait intérêts incompatibles, discordes nécessaires, cités ennemies, individualisme. Il fallut que la « société des cités » fût imposée du dehors, et à un prix plutôt élevé, par la Macédoine. Ce qui demeure de l’Europe au sens politique, au sens que l’on place dans le mot de puissances, ne consiste plus que dans les liens qui unissent les trois seules « puissances », subsistantes, l’Angleterre, la France, l’Italie. Le reste est tombé en débris après la grande explosion centrale. La mise en présence des deux puissances anglo-saxonnes et d’un moignon d’Europe ici, d’un cadavre d’Europe là, aurait-elle pu fournir, peut-elle fournir encore un milieu pour ce type nouveau d’existence que serait la Société des nations ? Chaque puissance intéressée affirme aujourd’hui plus ou moins haut que tel n’est pas son avis.

De sorte que nous devons envisager comme notre destinée la plus probable pour longtemps encore la nécessité de vivre dans un monde de nationalités jalouses, d’égoïsmes méfiants, tendus, acharnés, de déclamations et de déclarations, de jalousies rentrées et de fureurs théâtrales, — et tous ces égoïsmes nationaux devenant souvent chez les individus des écoles d’abnégation et de pureté. La grande guerre laissera un monde européen pas très différent du monde grec que laissait la guerre du Péloponèse. L’homme intelligent et délicat qui aura pratiqué avant 1914 la vie cosmopolite mettra dans le mot d’Europe un accent de légende et de nostalgie, et redira la phrase de Talleyrand sur l’ancienne douceur de vivre.

Si l’Europe de demain présentait partout ce caractère, elle serait relativement simple ; mais l’expérience nous permet de prévoir qu’elle portera des forces individualistes et internationalistes aussi vives, aussi convaincues, aussi ardentes à se connaître une bonne conscience et à se chercher des ennemis que les forces nationalistes. Avant la guerre, dans l’ancienne Europe, il s’était produit un équilibre relatif entre ces trois forces, comme entre les puissances politiques, et chacune s’était à peu près creusé un lit où elle avait ses basses eaux et ses débordements, mais qui permettait de la classer paisiblement dans une géographie générale idéologique. Elles connaîtront maintenant de longs espaces de trouble et de vagabondage, des poussées de mouvement et de violence.

Le jeu des passions humaines recommencera comme au lendemain de la guerre du Péloponèse, et pas très différent. Durant tout le ive siècle, dans les cités grecques, nationalisme, individualisme, panhellénisme s’exaspèrent également en des formes aiguës, comme des vases communicants où le niveau de l’un serait réglé par les niveaux des autres. Le xxe siècle vivra probablement d’après ce type. Toute la vie morale se trouvera sinon transformée, du moins haussée à un ton et à des valeurs tragiques. Il se peut que (le contact avec la sagesse orientale aidant) nous allions vers un siècle d’invention morale succédant à un siècle d’invention matérielle, — sans que celle-ci en soit d’ailleurs nécessairement gênée.

Que se passera-t-il alors dans l’âme des individus ? Les idées toutes faites, les pentes faciles, naturelles, inconscientes de l’esprit deviendront sans doute insuffisantes et de peu d’usage pour résoudre les problèmes nouveaux. Nationalisme, internationalisme, individualisme se heurtent aujourd’hui dans des impasses, tourbillonnent dans des impossibilités, sont pris à des contradictions qui rendront nécessaires de vigoureuses décisions et de lucides examens de conscience. Tous trois auront à lutter contre les esprits de paresse, contre le poids d’automatisme et de matière qui les mène d’eux-mêmes à leurs formes mortes.

Il y a une forme morte du nationalisme, qu’il atteint lorsqu’il prétend se répandre sur des terrains qui ne lui appartiennent pas, où il apparaît dépaysé et ridicule ; lorsqu’il prétend suffire par l’intensité du sentiment patriotique à toutes les fonctions de l’esprit. C’est cette forme morte qu’il revêt lorsqu’il veut devenir une religion, intéresser l’au-delà, le divin, à notre morcellement et à nos partialités terrestres, étiqueter selon ses catégories propres un univers moral qui n’est pas le sien, transporter les incompatibilités et les haines nationales dans le monde de l’intelligence, arracher des pages à l’Évangile, interdire à un Français, sous peine d’exécrables injures, la philosophie de Kant et la musique de Wagner. Il est facile d’apercevoir tout un domaine où une ruée de nationalisme immodéré amènerait la déchéance de l’Européen moderne.

Il y a une forme morte de l’internationalisme, et il y arrive beaucoup plus vite et beaucoup plus fatalement que le nationalisme n’arrive à la sienne. C’est qu’il renferme beaucoup moins d’être et de vie. Le nationalisme a pour contenu une réalité d’une abondance, d’une richesse, d’une densité infinies, tout le passé vivant, toute la mémoire d’une grande nation, d’une longue tradition, d’un acquis positif et d’une passionnante histoire. S’il est fondé en second lieu sur la haine de l’étranger, il est fondé en premier lieu sur l’amour d’un pays vrai. L’internationalisme, au contraire, n’est fondé que lointainement sur l’amour d’une humanité réelle, positive, — il est établi d’abord et surtout sur l’indifférence à l’égard de son propre pays et sur la haine, sinon de ce propre pays, tout au moins de classes, d’hommes, d’idées qu’on identifie plus ou moins avec lui et qu’on veut atteindre même à travers lui. L’internationalisme a jusqu’ici, et pour cette raison, manqué de style. On y a trouvé toujours quelque chose de facile, de lâché, de mollasse. Cela ne signifie nullement qu’il en sera continuellement ainsi. Lui aussi peut acquérir un style. L’Église, au moyen-âge, était une puissance internationale dont le style n’a probablement été égalé par aucune puissance nationale. Cela tenait en partie à ce qu’elle se solidarisait avec l’intelligence, à ce que le clergé s’incorporait automatiquement presque toutes les têtes pensantes de tous les pays. Il n’est pas interdit d’envisager la possibilité d’un internationalisme ainsi lié étroitement à l’intelligence, mais on ne saurait même en apercevoir aujourd’hui les amorces. Il est curieux de constater que les Juifs eux-mêmes sont conduits (sans compter le nationalisme sioniste) à faire (même et surtout en Russie) du nationalisme dans tous les pays où ils ont influence ou pouvoir.

Il y a évidemment une forme morte, et même bien des formes mortes, de l’individualisme ; ce sont celles où il correspond à un manque de contrôle, toujours, par conséquent, de style. L’individualisme grec a trouvé son style dans les grandes écoles philosophiques. Le style individualiste le plus haut, pareil dans l’ordre de la vie à celui de Thucydide et des vieux Attiques dans l’ordre de la parole et de l’écriture, fut celui des Stoïciens. La fortune de l’individualisme, des individualismes de demain, est suspendue à la qualité du τόνος qui les fera tendus et forts, qui les raidira contre leur pente facile et leur automatisme naturel.

L’Europe politique s’effondre, laissant sur ses ruines des nations isolées et hostiles. L’intelligence peut en tirer deux conclusions opposées. Ou bien, croyant ne plus trouver son atmosphère et son lieu naturel, elle prendra acte de cet effondrement, elle se réduira à la mesure de ces nations isolées et hostiles, de celle de ces nations à laquelle elle appartient originairement, elle se refusera à penser du point de vue d’un fantôme qui n’existe pas et qui ne peut qu’affoler le vivant substantiel et vrai. Ou bien elle ne verra dans cet effondrement qu’une occasion de restituer plus hardiment, plus audacieusement, dans un ciel plus pur, un véritable esprit européen.

Je songe plus longtemps, peut-être, éperdûment
À l’autre, au sein brûlé d’une antique Amazone.

Mais plus probablement, dans deux domaines différents et hostiles, elle tentera les deux entreprises. C’est par là que passera le plan d’une division des esprits qui élèvera aux proportions d’un grand drame humain un vieux drame français, l’affaire Dreyfus.

Le nationalisme français est à l’heure présente le seul qui offre une véritable organisation intellectuelle, une doctrine. Sans doute l’exemple de la France agira-t-il (en partie contre la France) comme un aiguillon, et une grande poussée de pensée nationaliste germe-t-elle aujourd’hui obscurément sous toute terre d’Europe. Naturellement et par définition, ces nationalismes se heurteront, et même si nous devions entrer dans de longues années de paix matérielle, il faudrait prévoir une suite de conflits spirituels entre les génies des peuples d’Europe, les anciens et les nouveaux. Ces courants nationalistes n’iront pas sans des courants internationalistes et des courants individualistes (dans la mesure où l’individualisme prend la forme grégaire d’un courant). Toutes ces formes de vie spirituelle tendront à s’exaspérer, à s’opposer par le contraste. Et aussi, ne l’oublions pas, à se féconder. L’une naît de l’autre. Il y a dans ce monde de l’esprit une véritable génération des contraires comme celle du Phédon.

L’essentiel est que chacune de ces trois tendances se réalise dans un style mâle, puissant et dur, nourri de réalités, d’énergie, de beauté, non en ces formes faciles qu’elles prennent d’elles-mêmes dans la vie spontanée. Il y faut donc la présence du génie. Il y faut des hommes.

Le passé et le présent nous font toucher la loi du style nationaliste. Un Fichte en Allemagne, un Barrès et un Maurras en France, attestent qu’un nationalisme parvient à la plénitude de son style mâle sous deux conditions. Il faut d’abord qu’il s’adresse à une nation blessée ou menacée, pour la défense de laquelle tout sera justifié d’avance : n’est-ce pas la prospérité de l’Angleterre qui a donné à son nationalisme cette platitude béate étalée chez Macaulay ? Il faut ensuite qu’il naisse d’une nature violemment individualiste, qui aura enfanté ce nationalisme dans l’atmosphère d’un drame intérieur et dans l’acte d’une tension. Ce n’est pas un hasard si le nationalisme vivant de Barrès sort du culte du Moi, comme le nationalisme vivant de Fichte sortait de la philosophie du Moi.

M. Maurras a appelé l’Église catholique la seule Internationale qui tienne. Il y a là un élément de vérité. Tout au moins est-elle une Internationale qui a tenu pendant une longue période, jusqu’au xvie siècle, jusqu’aux Églises nationales et aux nationalismes religieux. Elle est la dépositaire d’un style international archaïque, qu’elle n’a point mis en valeur pendant la guerre. D’une manière générale, tout style international de poids et de durée n’a pas revêtu jusqu’ici d’autre forme que religieuse. L’Internationale socialiste et ouvrière est et sera probablement une grande force. Mais son style humain paraît d’une grande pauvreté. Le titre du livre de Marx : Philosophie de la Misère, est plus vrai qu’il ne pense. Israël arrivera-t-il à tirer de son âme religieuse héréditaire un style pour l’internationalisme, et saura-t-il, comme l’a rêvé Darmesteter, lui infuser son prophétisme ?

Quant à l’individualisme, l’étrange génie de Nietzsche en a formulé, après la guerre franco-allemande, un style qui reste encore singulièrement vivant, attirant et tragique au sortir de la guerre de 1914. Cette Engadine, cette lumière sèche, cette aire solitaire de Zarathoustra nous demeurent aujourd’hui d’incomparables toniques. Il parle après les guerres et le cataclysme, dans leur poussière et leur clarté. Je crois que sa postérité va commencer.

Ce Thucydide qui était un des héros ordinaires du philologue de Bâle, voilà que ces pages l’ont quitté. Mais elles n’ont pas quitté les images, les anticipations, les présences de la Grèce. Ces courants d’idées qui vont circuler dans les lendemains de notre guerre, nous y reconnaissons ceux qui ont circulé, après Thucydide, dans les lendemains de la guerre qu’il a racontée. Les noms de Platon et d’Antisthène, d’Isocrate et de Démosthène, d’Aristote et de Pyrrhon, de Zénon et d’Épicure, nous permettraient de formuler dans la Grèce du ive et du iiie siècle, microcosme de l’Europe du xxe, un κτῆμα ἐς ἀεί des rapports intellectuels, comme Thucydide nous a permis de reconnaître un κτῆμα ἐς ἀεί des rapports politiques. Les années qui viennent nous donneront des figures pour composer se tableau et pour animer par des vivants d’aujourd’hui ce paysage abstrait.

FIN
  1. Voir article d’Erich Beths, in Neue Jahrbücher für Klass. Altertum, 1917.
  2. Voir le résumé de ces vues dans Roupnel, Grande Revue, 1915.
  3. Voir Bainville, Histoire de Deux Peuples.
  4. Voir note II.
  5. Voir note III.