Traduction par divers traducteurs sous la direction de Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètesFirmin Didot (p. 461-462).

LA CABARETIÈRE.

(1) La cabaretière syrienne, qui ceint sa tête d’une petite mitre grecque, savante en l’art d’agiter au son du crotale ses souples hanches, danse, enivrée, des pas lascifs dans sa taverne fumeuse, et se bat les coudes avec des baguettes claquantes. À quoi bon chercher loin d’elle la fatigue et la poudreuse chaleur, au lieu de s’étendre sur le lit des buveurs ? Voici des coupes, des calices, des tasses, des roses, des flûtes, des lyres, et un frais berceau que tapissent d’ombreuses oseraies. Sous cette grotte ménalienne fredonne doucement (10) la rustique flûte qui redit les airs des pasteurs. La piquette ne manque pas, elle vient de s’épancher du tonneau poissé ; à nos pieds résonne un ruisseau limpide au rauque murmure : là ce sont des couronnes de violette nouées par le safran, des touffes jaunes mêlées à la rose purpurine, et des lis que, des bords où l’onde vierge les effleura, l’Achéloïde apporte à pleines corbeilles d’osier. Ce sont de petits fromages que sèchent des paniers de jonc ; des prunes que mûrissent les jours d’automne, polies comme cire ; des châtaignes, et des pommes au délicat vermillon ; des mûres sanglantes, la grappe que porte le cep flexible, et le concombre azuré qui pend à sa tige tortueuse. (20) Cérès est là, belle et parée ; Amour est là, là est Bacchus ; là aussi est le gardien de la chaumière, armé de sa faux de saule ; mais il n’épouvante pas les regards de son prodigieux attribut. Viens ici, chevalier de Bébèle ; ton âne harassé sue ; ménage la pauvre bête pour toi et tes pareils : l’âne ne fait-il pas vos délices ? À cette heure la cigale fatigue les arbustes de son chant perpétuel ; à cette heure le lézard se tapit dans sa fraîche retraite. Si tu es sage, couche-toi de même, et plonge ta lèvre altérée dans le verre d’été, (30) ou dans le cristal, si tu l’aimes mieux. Çà, repose à l’ombre de ces pampres tes membres lassés ; noue sur cette tête appesantie la guirlande de roses : pour toi quelle moisson de baisers sur les lèvres d’une belle et blanche jeune fille ! Ah, périsse l’homme antique au sombre sourcil ! Pourquoi réserver à des cendres insensibles les parfums de nos fleurs ? Quoi ! nous les aurons cueillies pour en couronner des pierres ? Pose là le vin, les dés. Maudit soit qui s’inquiète du lendemain ! La Mort, nous pinçant l’oreille, nous dit : « Vivez, vivez, j’arrive. »