L. Hachette et Cie (p. 24-31).

VI

CAÏN TUE SON FRÈRE ABEL

(3876 ans avant J.-C.)



Adam et Ève, chassés du Paradis terrestre, vécurent péniblement, pleurant leur faute, l’expiant par des souffrances et des maux de toutes sortes. L’expulsion du Paradis terrestre.

La terre, maudite par Dieu, ne rapporta plus qu’à force de travail ; la température, toujours douce et agréable, devint inégale, tantôt trop froide, tantôt trop chaude, selon les saisons. Le ciel se couvrait de nuages ; il y eut de la pluie, des tempêtes, de la neige, de la glace.

Dieu enseigna à Adam à se construire des abris, c’est-à-dire des cabanes ; à se chauffer par le feu, à se vêtir chaudement. Adam et Ève connurent la fatigue, les maladies, les souffrances du froid, de la faim, de la tristesse, de l’inquiétude, et ce qui est plus douloureux encore, du remords.

Peu de temps après, Ève eut un fils qui fut appelé Caïn. Un an après, elle en eut un second qui fut appelé Abel.

Henriette. Je ne comprends pas comment Adam et Ève ont pu élever leurs enfants, surtout le premier. Comment ont-ils fait pour le nourrir, pour lui apprendre à parler, à marcher ?

Grand’mère. Dans sa bonté, Dieu leur vint certainement en aide, en révélant à Adam et à Ève, c’est-à-dire en leur faisant connaître les soins nécessaires à donner à un petit enfant ; mais ils durent avoir, surtout pour le premier, bien des peines et des inquiétudes. Plus tard, ils s’affligèrent des mauvais sentiments de Caïn pour son frère Abel, qu’il détestait parce qu’il en était jaloux.

Paul. De quoi était-il jaloux ?

Grand’mère. De la douceur, de la bonté d’Abel, et aussi de l’affection plus tendre que lui témoignaient tout naturellement Adam et Ève. Abel n’était jamais grondé, parce qu’il était toujours obéissant, laborieux, soumis à tous les désirs de ses parents.

Caïn, au contraire, était violent, emporté, grossier, paresseux, désobéissant ; il voyait bien qu’Adam et Ève lui préféraient Abel ; il les trouvait injustes, et il se figurait que, sans Abel, il serait plus aimé et plus libre de se laisser aller à ses penchants.

Mais ce qui porta le comble à sa jalousie et à sa haine, ce fut leur premier sacrifice.

Gaston. Quel sacrifice ? À qui ?

Grand’mère. Leur premier sacrifice offert au Seigneur. Quand Adam vit ses fils assez grands pour travailler, il leur fit choisir le travail qu’ils préféraient. Caïn voulut se faire laboureur et travailler à la terre. Abel choisit la garde et le soin des troupeaux. Quand ils eurent recueilli le produit de leur travail, qui était pour Abel des agneaux et de la laine de ses brebis, pour Caïn des fruits et des graines de la terre, Adam leur enseigna à offrir au Seigneur une partie de leurs récoltes, pour l’honorer et pour lui témoigner leur adoration et leur amour.

Abel s’empressa d’offrir ses plus beaux agneaux et ses plus belles toisons. Caïn, voulant garder pour lui ce qu’il avait de plus beau, apporta pour le sacrifice du Seigneur, des fruits véreux et misérables, des graines petites et mauvaises.

Gaston. Qu’est-ce que c’est, toison ? Vous avez dit qu’Abel offrît ses toisons.

Grand’mère. Une toison est la laine qui couvre le mouton tout entier, et qu’on coupe pour en faire des habits et toutes sortes de choses.

Quand les offrandes de Caïn et d’Abel furent placées sur les bûchers…

Françoise. Comment ! sur les bûchers ? Pourquoi faire ?

Grand’mère. Pour les brûler et pour que la fumée du sacrifice, montant au ciel, représentât la prière de ceux qui offraient ce sacrifice.

On mit donc le feu aux bûchers.

Petit-Louis. Grand’mère, comment le pauvre Adam et la pauvre Ève pouvaient-ils faire du feu ? Ils n’avaient ni allumettes ni briquets.

Grand’mère. Dieu leur avait sans doute appris à tirer des étincelles des pierres et à les faire tomber sur des feuilles sèches, comme font encore beaucoup de peuplades sauvages, ou bien à frotter l’un contre l’autre deux morceaux de bois, l’un de bois dur et l’autre de bois tendre ; ils s’enflamment très-promptement : les sauvages emploient aussi souvent ce moyen-là.

Quand le bûcher de chacun fut en flammes et que la fumée en monta au ciel, Dieu regarda favorablement celui d’Abel, et il ne jeta pas un regard sur celui de Caïn.

Caïn entra alors dans une grande colère, et son visage devint tout changé.

Marie-Thérèse. Grand’mère, comment Caïn a-t-il pu voir que Dieu ne le regardait pas, puisque Dieu est un esprit, et qu’on ne le voit pas ?

Grand’mère. Dieu n’est pas visible pour nous, mais il est probable qu’il s’est montré, dans cette occasion, à Abel et à Caïn. Il y a des auteurs qui pensent qu’au moment du sacrifice, Dieu s’est montré favorable à celui d’Abel, en l’allumant avec le feu du ciel, tandis que Caïn dut allumer lui-même son bûcher ; et c’est cette préférence visible, donnée à son frère, qui irrita si fort le méchant Caïn.

Le Seigneur, voyant le mécontentement de Caïn, lui dit : « Caïn, pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu fais le bien, n’en recevras-tu pas la récompense ? Si tu fais le mal, le péché entrera dans ton cœur ; mais tu pourras toujours le dominer.

Paul. Comment ! dominer ? Qui dominer ?

Grand’mère. Dominer veut dire être maître. Le bon Dieu rappelle à Caïn que lors même qu’il aurait tout à fait des tentations mauvaises, il resterait toujours le maître de les chasser de son cœur, de redevenir bon et pur par le repentir.

Gaston. Et redevint-il bon ? Suivit-il les bons conseils du Seigneur ?

Grand’mère. Pas du tout ; tu vas voir ce qu’a fait ce méchant Caïn.

Peu de temps après, Caïn dit à Abel : « Sortons, allons nous promener. » Abel, toujours doux et complaisant, suivit son frère. Ils s’éloignèrent dans les champs, et quand ils furent loin de leur demeure, Caïn, qui avait toujours laissé augmenter sa haine jalouse contre son frère, se jeta sur Abel et le tua.

Armand. Avec quoi le tua-t-il ? Il n’avait ni couteau, ni hache.

Grand’mère. On pense qu’il le tua avec un gros bâton ou une pierre.

Marie-Thérèse. Comment peut-on le savoir ?

Grand’mère. On le suppose, puisque l’Écriture parle du sang d’Abel ; pour qu’il y ait eu du sang, il faut qu’il y ait eu des blessures faites par quelque instrument ; et comme le disait Armand, Caïn, n’ayant ni couteau ni hache, ne pouvait avoir répandu le sang d’Abel qu’avec un bâton ou une pierre, en lui brisant la tête.

Jacques. Quel misérable que ce Caïn ! Mais ce qui m’étonne, c’est qu’il ait pu deviner ce que c’était que mourir, et qu’il pouvait tuer Abel en le frappant.

Grand’mère. D’abord, il voyait bien que dans les sacrifices qu’Adam offrait à Dieu, il frappait les animaux pour les tuer ; ensuite, tu sais que Dieu, en créant Adam, lui avait donné l’intelligence d’un homme, et non d’un enfant qui commence à vivre. De plus, en le chassant du Paradis terrestre, Dieu lui avait fait comprendre bien des choses, entre autres la mort. Il avait dit à Adam et à Ève après le péché : Vous mourrez. Très-certainement, il leur a fait comprendre ce que c’était que la mort. Adam et Ève l’ont expliqué à leur tour à leurs enfants.

Petit-Louis. Ah, oui ! Ils leur ont appris tout ce qu’ils savaient eux-mêmes.

Grand’mère. Certainement. Caïn savait donc très-bien le crime qu’il allait commettre.

Gaston. Et Dieu le punit-il sévèrement ?

Grand’mère. Très-sévèrement. Il l’appela, et lui dit : « Caïn, où est ton frère Abel ? « Caïn répondit : ». Je ne sais pas. Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? »

Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait, Caïn ? La voix du sang de
ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Tu seras donc maudit sur la terre qui a reçu le sang de ton frère lorsque tu l’as répandu. Quand tu auras cultivé la terre, elle ne rendra pas de graines ni de fruits. Tu seras fugitif et vagabond sur la terre. Tu ne seras en repos nulle part. »

Caïn lui répondit : « La peine de mon crime est trop grande pour que je puisse la porter. Vous me chassez aujourd’hui de cette terre. Je ne dois plus voir votre face. Je serai fugitif et vagabond sur la terre. Quiconque me trouvera, pourra donc me tuer. »

Louis. Qui est-ce qui pouvait le tuer, puisqu’il n’y avait dans le monde d’autres hommes qu’Adam, Ève et Caïn ?

Grand’mère. D’abord, Adam et Ève devaient avoir dans la suite et avaient déjà beaucoup d’autres enfants, puisque c’est par eux que la terre devait être peuplée ; Caïn était probablement marié quand Dieu le chassa de la demeure d’Adam et Ève.

Henriette. Marié ! À qui marié, puisqu’il n’y avait d’autres femmes que des sœurs de Caïn ?

Grand’mère. Dans les premiers temps du monde, il fallait bien que les hommes prissent pour femmes leurs sœurs, puisqu’il n’en avait pas d’autres. C’était la volonté expresse du bon Dieu, qui avait dit à Adam et à Ève : « Croissez et multipliez-vous sur la terre. » L’Écriture parle de la femme de Caïn et de leurs enfants.

Le monde se peupla même très-vite, car on vivait très-longtemps dans les premiers siècles.

Paul. Combien d’années a vécu Adam ?

Grand’mère. Adam est mort à neuf cent trente ans. Jeanne. Ah ! mon Dieu ! Comme c’est vieux ! Est-ce que ses enfants ont vécu aussi longtemps ?

Grand’mère. À peu près. Ainsi son fils Seth a vécu neuf cent douze ans ; son petit-fils Énos a vécu neuf cent cinq ans. Vous voyez qu’Adam avait eu le temps d’avoir beaucoup d’enfants, et que Caïn pouvait craindre avec raison qu’on ne le tuât. Son crime fut certainement connu de tous ses frères et sœurs, qui devaient se rencontrer souvent, quoiqu’ils se fussent séparés pour cultiver la terre nécessaire à leur subsistance. La réponse que lui fit le Seigneur prouve qu’il y avait déjà beaucoup d’habitants sur la partie du monde qu’habitaient Adam, Ève et Caïn.

Le Seigneur lui répondit : « Non, cela ne sera pas ; quiconque tuerait Caïn serait sévèrement puni. »

Et Dieu fit un signe sur Caïn, afin que ceux qui le rencontreraient ne le tuassent pas.

Marie-Thérèse. Quel fut le signe que Dieu lui fit ?

Grand’mère. L’Écriture ne le dit pas, et personne ne le sait ; mais c’était un signe de malédiction.

Caïn s’enfuit et emmena sans doute sa femme, car la Bible dit que, peu de temps après, il eut un fils qu’il appela Hénoch.

Jeanne. Et les pauvres Adam et Ève ? Comme ils durent être affligés de la mort du bon Abel et du crime de Caïn ! Mais comment le découvrirent-ils ?

Grand’mère. On ne le sait pas au juste ; mais on peut supposer que ce fut Dieu lui-même qui le leur apprit. En tout cas, on peut juger de leur douleur en voyant cette première mort et ce premier crime, surtout quand ils se souvenaient que c’était leur péché qui était la cause première de tous les maux dont leurs enfants allaient souffrir jusqu’à la fin du monde. La pénitence, c’est-à-dire le repentir d’Adam et Ève dura toute leur vie, car l’Église nous enseigne que tous les deux sont sauvés.

Après la fuite de Caïn, Ève eut un fils qui fut appelé Seth, c’est-à-dire substitué, pour remplacer Abel dont il avait toutes les vertus.

Seth eut, comme Adam et Ève, beaucoup d’enfants et de petits-enfants. Il y eut un de ses arrière-petits-enfants qui s’appelait Hénoch, comme le fils aîné de Caïn, et qui fut miraculeusement enlevé au ciel à l’âge de trois cent soixante-cinq ans. Le fils de cet Hénoch, qui s’appelait Mathusalem, vécut neuf cent soixante-neuf ans. Ce fut celui de tous les patriarches qui vécut le plus longtemps.

Petit-Louis. Qu’est-ce que c’est, patriarche ?

Grand’mère. Patriarche veut dire chef de famille. Le fils aîné de la famille en devenait le patriarche ou chef après la mort de son père.

Vous n’avez pas oublié, chers enfants, que Caïn, après avoir été maudit de Dieu et chassé du pays d’Adam et Ève, s’enfuit, emmenant avec lui sa femme, selon toute probabilité ; il erra pendant longtemps, mais étant devenu père de beaucoup d’enfants, qui à leur tour en eurent un grand nombre, Caïn bâtit une ville qu’il appela Hénoch, du nom de son fils aîné. On ne sait pas s’il y resta ou s’il continua à errer sur la terre, dans la crainte d’être tué par ceux qui le rencontreraient, mais on sait qu’il laissa une nombreuse postérité.

La Bible parle aussi de géants qui naquirent de la race corrompue de ce maudit de Dieu. On connaît les chefs de famille descendants de Caïn jusqu’à la cinquième génération ; le dernier que nomme la Bible est Lamech, qui fut meurtrier comme son aïeul. Ce Lamech n’est pas le même qu’un Lamech descendant de Seth, et qui fut fils de Mathusalem.

Jacques. Qui est mort si vieux ?

Grand’mère. Précisément ; Mathusalem mourut, comme je vous l’ai dit, à neuf cent soixante-neuf ans et il eut pour petit-fils Noé, dont l’histoire est très-intéressante.