L. Hachette et Cie (p. 17-24).

V

LE SERPENT. — PÉCHÉ DE L’HOMME

(4000 ans avant J.-C.)



Le serpent était le plus fin, c’est-à-dire le plus trompeur de tous les animaux que Dieu avait créés ; mais, avant de vous dire ce qu’a fait ce méchant serpent pour faire du mal à Adam et à Ève, je dois vous dire que, lorsque Dieu créa le ciel, le premier jour de la création, il créa aussi, comme je vous l’ai dit, une quantité innombrable d’Anges, qui étaient des esprits, c’est-à-dire des êtres sans corps, que nous ne pouvons ni voir, ni entendre, ni toucher, tant que nous sommes dans ce monde.

Gaston. Grand’mère, vous avez dit : une quantité innombrable. Qu’est-ce que c’est, innombrable ?

Grand’mère. Innombrable veut dire qu’on ne peut plus compter, tant il y en a ; ainsi nous comptons des mille, des millions, des milliards, mais il n’y a plus de mots ni de chiffres qui puissent compter au delà des milliards.

Petit-Louis. Dieu ! Quelle quantité cela faisait ! Et pourquoi les a-t-il créés ?

Grand’mère. Pour l’adorer, le servir, l’aimer ; et puis, pour garder, pour protéger l’homme qu’il allait créer, et la terre avec tous les éléments qui la composent.

Valentine. Comment ! il y a des Anges qui gardent la terre ! Pourquoi ? La terre n’a pas besoin d’être gardée.

Grand’mère. Elle en a grand besoin ; tu vas voir pourquoi. Gaston m’a interrompue au moment où j’allais vous dire deux choses : d’abord que Dieu, en créant les Anges, ne leur donna pas à tous la même puissance. Il y a les Chérubins, les Séraphins, les Archanges, les Trônes, les Dominations, et plusieurs autres encore qui ont des occupations différentes.

Il y en a que Dieu a chargés de diriger les astres, la lumière, la chaleur, l’air ; d’autres, les eaux, les animaux, les plantes, les forêts ; et tous sont chargés d’aider, de garder, de protéger, de servir les hommes ; et c’est pourquoi chacun de nous a un Ange Gardien, qui ne le quitte pas jusqu’à sa mort.

Françoise. Est-ce que moi aussi, j’ai un Ange à moi, à moi seule ? Et Paul aussi, et Jacques, et Jeanne aussi ?

Grand’mère. Oui certainement, et Paul, et Jacques, et Jeanne aussi.

À peine les Anges furent-ils créés, que plusieurs se révoltèrent contre Dieu et ne voulurent pas le reconnaître ni l’adorer comme leur Seigneur. Le grand Séraphin Lucifer, celui auquel Dieu, dans sa bonté, avait donné le plus de puissance, se fit leur chef ; il voulut lutter contre Dieu et prendre sa place dans le Ciel.

Mais Dieu, qui est seul tout-puissant, chassa du Ciel et de sa présence Lucifer et les mauvais Anges ; ils devinrent des démons. Démon veut dire, mauvais esprit, esprit méchant. Ce fut la punition de leur ingratitude et de leur orgueil. Ces démons se répandirent sur toute la terre, et devinrent jaloux du bonheur d’Adam et d’Ève.

Ils savaient qu’ils ne pourraient leur faire aucun mal tant que l’homme et la femme seraient innocents, tant qu’ils n’auraient pas péché. Ils cherchèrent donc le moyen de les faire désobéir à la seule défense que leur avait faite le Seigneur.

Valentine. Et les bons Anges ? Est-ce qu’ils ne protégeaient pas Adam et Ève ?

Grand’mère. Ils les protégeaient certainement, mais Dieu avait créé l’homme libre, et il ne voulait pas que l’homme fit le bien ou le mal par force ; il fallait que sa volonté restât libre. Les anges pouvaient donc lui donner de bonnes pensées, de bons sentiments, mais ils ne pouvaient pas l’empêcher par la foi leur puissance de faire le mal.

Lucifer prit donc la forme d’un beau serpent, et il se cacha près de l’arbre de la science du bien et du mal. Un jour qu’Ève se promenait de ce côté…

Armand. Dieu ! qu’elle est bête, cette Ève ! Pourquoi va-t-elle se promener par là ?

Grand’mère. Elle n’avait aucune mauvaise pensée en y allant, elle voulait seulement voir.

Jeanne. Que c’est sot d’être curieux !

Grand’mère. Oui, la curiosité fait souvent beaucoup de mal ; et c’est ce qui arriva à Ève. Elle s’approcha de l’arbre, et aperçut le serpent qui se tenait tout auprès.

« Pourquoi, lui dit-il d’une voix douce, ne mangez-vous pas de ces excellents fruits ? »

Gaston. Comment ! les bêtes parlaient donc dans le Paradis terrestre ?

Grand’mère. Non, mon enfant, les bêtes n’ont jamais parlé ; c’était le démon qui parlait par la bouche du serpent. Comme il était très-beau, Ève crut sans doute que c’était un bon Ange qui lui parlait sous cette forme.

Quoi qu’il en soit, Ève ne trouva pas la chose singulière, puisqu’elle répondit au serpent :

« Dieu nous a défendu de manger des fruits de cet arbre ; nous pouvons manger de tous les autres fruits, mais pas de ceux-ci, parce que, si nous en mangeons, nous mourrons. »

Le serpent, voyant qu’Ève s’amusait à causer avec lui, dit encore :

« Vous ne mourriez certainement pas. Mais Dieu sait qu’aussitôt que vous aurez mangé des fruits de cet arbre, vous deviendrez comme des Anges ; vous connaîtrez le bien et le mal. »

Ève, au lieu de s’en aller pour ne plus écouter ce méchant serpent, qui osait lui faire croire que Dieu pouvait devenir jaloux de la créature qu’il avait créée, s’arrêta près de l’arbre, le regarda, en trouva les fruits bien beaux : elle pensa qu’ils devaient être plus agréables à manger que tous les autres ; elle crut qu’elle allait devenir aussi puissante que Dieu lui-même, si elle en mangeait, et elle accepta le fruit que lui présentait le serpent. Elle en mangea la moitié et porta l’autre moitié à Adam.

Petit-Louis. Cette vilaine Ève ! À la place d’Adam, je l’aurais chassée à coups de pied.

Grand’mère. Mais malheureusement Adam aimait Ève, il ne voulut pas la chagriner par un refus et mangea le fruit qu’elle lui présentait.

Ils comprirent aussitôt leur faute ; ils comprirent le mal qu’ils ne connaissaient pas avant leur désobéissance ; et, pour commencer, ils s’aperçurent qu’ils étaient nus, et ils en furent honteux. Ne sachant comment se couvrir, ils prirent de grandes feuilles et les attachèrent ensemble pour s’en faire une espèce de vêtement.

Valentine. Comment firent-ils pour les attacher, puisqu’ils n’avaient ni épingles, ni fil, ni aiguilles pour les coudre ensemble ?

Grand’mère. Ils se servirent probablement de queues d’herbe ou de brins de paille pour les faire tenir l’une à l’autre. La Bible dit qu’ils entrelacèrent des feuilles de figuier. — Ce péché est le plus grave qu’Adam et Ève aient pu commettre, non pas à cause du fruit, mais parce qu’ils connaissaient la défense de Dieu et la punition dont il les avait menacés ; et ils ont commis ce péché pour devenir aussi puissants que leur Créateur, ce qui était une grande ingratitude.

Pendant qu’Adam et Ève travaillaient à leurs vêtements, ils entendirent la voix de Dieu dans le jardin.

Louis. Dieu avait donc pris une forme humaine, puisqu’il pouvait parler et marcher dans le Paradis terrestre ?

Grand’mère. Oui, mon enfant ; Dieu, qui devait un jour se faire homme, apparut à Adam sous la forme humaine. N’osant pas se montrer, Adam et Ève se cachèrent derrière des arbres.

Jacques. Comme c’était bête de se cacher ! Ils devaient bien savoir que Dieu voit tout et partout, et qu’il n’aurait pas de peine à les trouver.

Grand’mère. Aussi Dieu, appelant Adam et Ève, leur dit :

« Pourquoi ne répondez-vous pas ?

— Seigneur, répondit Adam tout tremblant, j’ai entendu votre voix dans le Paradis, et j’ai eu peur, parce que je suis nu. Et je me suis caché.

— Et d’où as-tu su que tu étais nu ? Et pourquoi en es-tu honteux, si ce n’est parce que tu m’as désobéi et que tu as mangé du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal ?

— Seigneur, répondit Adam, la femme que vous m’avez donnée, m’a engagé à manger de ce fruit, et j’en ai mangé. »

Henriette. C’est mal ce que dit Adam ; il a l’air de dire au bon Dieu : C’est votre faute ; pourquoi m’avez-vous donné une femme qui m’a engagé à vous désobéir ?

Grand’mère. Tu as bien raison, chère petite ; si Adam, au lieu de rejeter sur sa femme la faute qu’il avait commise, l’avait avouée humblement et avec repentir, la punition n’eut certainement pas été aussi sévère.

Dieu dit à la femme : « Pourquoi m’as-tu désobéi, et pourquoi as-tu engagé ton mari à me désobéir ?

— Seigneur, répondit Ève, c’est le serpent qui m’a trompée et qui m’a fait manger de ce fruit. »

Jeanne. Voilà Ève qui fait comme Adam ; au lieu de demander pardon, elle accuse le serpent.

Grand’mère. Oui, Ève, de même qu’Adam, rend sa faute bien plus grave et la punition plus sévère. Dieu ne la lui reprocha pourtant pas plus qu’à Adam ; il appela le serpent et lui dit :

« Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les êtres vivants ; tu ramperas sur le ventre et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. »

Marie-Thérèse. Mais ce n’était pas une punition pour le serpent de ramper, puisqu’il rampait déjà avant.

Grand’mère. Non, le serpent n’était pas alors ce qu’il était avant le péché de l’homme ; c’était un des plus beaux animaux de la création ; il avait des pattes et des ailes, un regard superbe ; il était semblable au dragon qui n’existe plus, mais qu’on représente souvent dans des tableaux ou des sculptures. Du plus beau des dragons, il est devenu le plus dégoûtant, le plus dangereux et le plus repoussant des reptiles ; tout le monde déteste et craint les serpents.

Dieu dit encore au serpent : « Je mettrai une inimitié entre la race de la femme et la tienne. Elle t’écrasera la tête, et tu tâcheras de la mordre au talon. »

Armand. Je ne comprends pas bien, Grand’mère. Dieu pouvait tuer le serpent et l’empêcher de mordre Ève.

Grand’mère. Cher enfant, ce que Dieu dit au serpent est au figuré, c’est-à-dire que c’est une manière d’annoncer à Adam et à Ève que, tout en les punissant de leur faute, il leur promettait que la punition ne serait pas éternelle, que leur péché serait racheté par son divin Fils, qui se ferait homme en naissant de la femme ; qu’il expierait par ses souffrances la faute de la première femme, mère de tous les hommes, et qu’il donnerait ainsi aux hommes une seconde mère, qui serait la Vierge Marie.

Henriette. Mais, Grand’mère, le bon Dieu ne dit pas tout cela.

Grand’mère. Il ne le dit pas comme je vous le dis, mais il donne à Adam et à Ève l’intelligence de l’avenir, pour leur faire comprendre les paroles qu’il dit au serpent, ou plutôt au démon, car c’était le démon qui était entré dans le corps du serpent et qui avait tenté Ève,

Gaston. Qu’est-ce que c’est que la race ? Dieu dit au serpent sa race.

Grand’mère. Race veut dire tout ce qui provient d’un même père : ainsi on dit race humaine, pour parler de tous les hommes qui viennent d’Adam et d’Ève.

Dieu dit ensuite à la femme : « Je t’affligerai de plusieurs maux ; tu enfanteras dans la douleur ; tu seras soumise à ton mari, et il te commandera. »

Henri. C’est donc pour cela que les femmes sont moins que les hommes, qu’elles sont plus faibles, moins habiles, et qu’elles doivent obéir à leurs maris ?

Grand’mère. Oui, c’est en punition du péché qu’Ève a commis la première et dans lequel elle a entraîné son mari.

Dieu dit à Adam : « Parce que tu as écouté ta femme et que tu as mangé du fruit dont je t’avais défendu de manger, la terre, qui avait été créée pour toi, sera maudite à cause de ce que tu as fait ; elle produira pour toi des ronces et des chardons ; tu n’en tireras de quoi te nourrir qu’avec beaucoup de peine et de travail ; tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu connaîtras la maladie, la souffrance, jusqu’à ce que tu meures et que tu retournes dans la terre d’où tu as été tiré ; car tu es poussière, et tu retourneras en poussière. »

Vous voyez, mes enfants, la terrible punition qu’a méritée l’homme par sa désobéissance et son ingratitude envers son Créateur.

Le Seigneur fit aussi à Adam et à Ève des habits de peaux dont il les revêtit.

Paul. Où le bon Dieu a-t-il pris ces peaux ?

Grand’mère. On suppose que Dieu fit probablement voir à Adam comment il devait lui rendre honneur en immolant, c’est-à-dire en tuant des bêtes pour les sacrifices qui devaient lui être offerts, et on pense que les peaux de ces bêtes servirent à faire les premiers vêtements d’Adam et d’Ève.

Ensuite Dieu chassa Adam et Ève du Paradis terrestre, et en fit garder l’entrée par des Chérubins armés d’une épée de feu, pour empêcher Adam et Ève d’y revenir.

Valentine. Comment les Anges, qui sont des esprits, pouvaient-ils avoir des épées, et des épées de feu ?

Grand’mère. Parce que les Chérubins pouvaient, avec la permission de Dieu, prendre comme lui la forme humaine, et c’est pourquoi ils apparurent à Adam et à Ève tenant à la main des épées enflammées.

Louis. Grand’mère, où était le Paradis terrestre ?

Grand’mère. On ne le sait pas au juste, et, au fond, cela nous importe peu ; ce qu’on sait, c’est que c’était en Orient, et tout fait croire que le Paradis terrestre était précisément à la place qui s’est appelée plus tard la Terre sainte, c’est-à-dire dans le pays qu’habita Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi que sa très-sainte Mère, la Vierge Marie.