L. Hachette et Cie (p. 97-101).

XXX

JACOB QUITTE LABAN

(1729 ans avant J.-C.)



Un jour Jacob entendit ses beaux-frères qui parlaient mal de lui et qui se plaignaient de voir augmenter ses richesses, « aux dépens des leurs, » disaient-ils.

Jacob remarqua depuis ce jour que Laban ne l’aimait plus. Et comme il s’en inquiétait, le Seigneur lui dit : « Retourne dans le pays de tes pères et dans ta famille, et je serai avec toi. »

Alors Jacob envoya chercher Lia et Rachel ; elles vinrent le rejoindre dans le champ où il faisait paître ses troupeaux, et il leur dit :

« Je vois que votre père ne me regarde plus du même œil qu’auparavant et qu’il ne m’aime plus. Vous savez pourtant que je l’ai servi de toutes mes forces. Il m’a trompé bien des fois ; il a changé plusieurs fois l’arrangement qu’il avait fait avec moi, disant, tantôt, que les agneaux tachetés seraient à moi, tantôt, que ce seraient les blancs. Le Dieu de mes pères a été pour moi, car il a toujours fait naître blancs ou tachetés selon que votre père changeait ses promesses, ceux qui devaient être à moi, ce qui fait que mes richesses augmentaient, tandis que celles de votre père diminuaient. Le Seigneur m’a envoyé un Ange pour me dire de ne pas m’inquiéter, qu’il me protégerait comme par le passé contre les injustices de votre père, et il m’a donné l’ordre aujourd’hui de retourner chez mon père Isaac ; c’est pourquoi je vous ai fait venir pour vous consulter. »

Lia et Rachel lui répondirent : « Notre père n’a pas été juste non plus avec nous ; il ne nous a rien donné de ce que nous devions avoir ; il nous a vendues au lieu de nous donner ; il a gardé, au lieu de vous les livrer, les richesses que vous lui avez acquises. Faites ce que Dieu vous a commandé ; nous vous suivrons. »

Jacob, entendant ces paroles, fit monter ses femmes et ses enfants sur des chameaux ; il emmena avec lui tous ses troupeaux, emporta tout ce qui était à lui, et se mit en route pour retourner dans le pays de Chanaan.

Laban était alors absent pour faire tondre ses brebis à quelque distance de là ; Rachel en profita pour lui dérober ses idoles.

Valentine. Comment, ses idoles ? Laban n’était pas idolâtre ; il croyait en Dieu.

Grand’mère. Oui, mais à force de vivre parmi les idolâtres et de se mêler à eux, il avait pris beaucoup de leurs fausses croyances et de leurs habitudes ; il avait, comme eux, des idoles dans sa maison ; il les invoquait, il leur brûlait de l’encens.

Rachel, mieux instruite par Jacob, espéra qu’en enlevant les idoles de son père, elle l’empêcherait de leur rendre un culte, un hommage qui n’est dû qu’à Dieu.

Ils marchèrent pendant trois jours sans que Laban, qui était absent pour faire tondre ses brebis, fut informé de la fuite de Jacob ; mais, l’ayant apprise à son retour par ses serviteurs, il prit avec lui ses fils et un grand nombre d’hommes et se mit à sa poursuite. Il ne le rejoignit que le septième jour, sur la montagne de Galaad, où Jacob avait tendu ses tentes pour la nuit.

Comme il était tard, Laban tendit aussi ses tentes sur la montagne sans avoir vu Jacob, et il s’endormit. Dieu lui apparut pendant son sommeil, et lui dit : « Prends garde de ne rien dire ni de ne rien faire d’offensant à mon serviteur Jacob, car ce qu’il a fait, il l’a fait par mon ordre. »

Le lendemain Laban vint chez Jacob et lui dit : « Pourquoi as-tu agi de la sorte, emmenant mes filles comme si elles étaient tes prisonnières ? Pourquoi t’es-tu enfui sans me prévenir, m’empêchant ainsi de te reconduire avec des chants de joie et au bruit des trompettes et des tambours ? Pourquoi ne m’as-tu pas laissé donner à mes filles le dernier baiser d’adieu ? Tu as mal agi, et je pourrais te rendre le mal pour le mal, mais le Dieu de tes pères m’a défendu cette nuit de t’offenser par mes actions et même par mes paroles.

« Tu avais peut-être envie de revoir ton père et ta famille ; mais pourquoi m’as-tu dérobé mes dieux ? »

Jacob lui répondit : « Je suis parti sans vous avertir, parce que je craignais que vous ne voulussiez m’enlever vos filles en les retenant de force près de vous. Quant à vos dieux, je ne vous les ai pas enlevés, ni aucun des miens ; cherchez-les dans mon camp, et, si vous les retrouvez, je consens que celui qui les a volés soit puni de mort devant vous et devant mes frères.

En disant cela, Jacob ne savait pas que Rachel eût emporté les idoles de son père, et Laban commença tout de suite à les chercher dans la tente de Lia et des deux servantes. Ne trouvant rien, il entra dans la tente de Rachel.

Jeanne. Mon Dieu, la pauvre Rachel va être tuée par ce méchant Laban !

Grand’mère. Non ; Dieu n’a pas permis qu’elle fût découverte ; car elle avait agi avec une intention pure. Rachel avait su la visite que devait faire son père dans les tentes, pour retrouver ses idoles ; elle avait eu le temps de les cacher sous la litière d’un chameau, et elle s’était assise dessus.

Françoise. Elle s’assit sur le chameau ?

Grand’mère. Non, le chameau était dehors ; elle s’assit sur la litière, et lorsque Laban entra, elle lui dit : « Pardonnez-moi, mon père, si je ne me lève pas devant vous ; je suis malade, et je ne puis me lever. »

Laban ne voulut donc pas déranger sa fille, et il chercha ses idoles dans toute la tente, comme il avait fait dans les autres, sans rien trouver.

Alors Jacob lui reprocha sa conduite à son égard. « Pourquoi, lui dit-il, avez-vous couru après moi comme après un voleur ? pourquoi avez-vous fouillé partout chez moi et tout bouleversé ? Est-ce pour me récompenser de vous avoir servi vingt ans, dont quatorze pour avoir Rachel et six pour avoir une part de vos troupeaux ? J’étais brûlé par la chaleur du jour, j’étais transi par la fraîcheur des nuits. Vous m’auriez enlevé tout ce qui m’appartenait dans les troupeaux, si le Dieu de mes pères ne m’avait secouru. Vous m’auriez exterminé aujourd’hui, si le Seigneur ne vous avait défendu cette nuit de me faire du mal. Est-ce ainsi que vous deviez vous conduire envers moi ? »

Laban lui répondit : « Je veux obéir au Seigneur et je ne te ferai pas de mal ; je veux au contraire faire une alliance avec toi. Viens, élevons un autel et jurons de ne nous faire aucun mal et de ne jamais passer cet autel pour nous combattre. »

Jacob consentit à jurer une alliance avec Laban et sa famille : ils firent un autel avec de grosses pierres ; ils immolèrent des victimes, et ils firent un repas en commun avec la chair des victimes.

Ils couchèrent en ce lieu, qui prit de là, comme nous l’avons dit, le nom de Galaad, ce qui veut dire témoin. Le lendemain de grand matin, Laban embrassa ses filles et ses petits-enfants et s’en retourna chez lui.

Gaston. Et les idoles ? Qu’est-ce que Rachel en a fait ?

Grand’mère. Elle les a sans doute brûlées, quand elle eut achevé son œuvre.