CCIII

SONGE DE NABUCHODONOSOR EXPLIQUÉ PAR DANIEL

(590 ans avant J.-C.)



La seconde année du règne de Nabuchodonosor, il eut un songe si effrayant, qu’il en demeura tout troublé. Et ce songe s’effaça si complètement de sa mémoire, qu’il ne put pas se le rappeler. Et pourtant il voulait en avoir l’explication. Alors il eut recours aux devins et aux mages pour leur faire retrouver ce songe et le lui expliquer. Il appela près de lui les uns après les autres tous les devins, mages et augures de son royaume : tous lui disaient :

« Dites-nous votre songe, ô Roi, et nous vous l’expliquerons.

— Je ne puis vous le raconter, puisque je l’ai oublié, répondait le roi.

— Que voulez-vous alors que nous vous disions ?

— Je veux que vous retrouviez mon songe et que vous me l’expliquiez. »

Jacques. Il est fou, ce Nabuchodonosor. Comment veut-il qu’on devine ce qu’il a rêvé ?

Grand’mère. C’est ce que lui dirent les devins.

« Ô Roi, aucun homme sur la terre ne peut faire ce que vous demandez ; nous pouvons expliquer les songes, mais nous ne pouvons pas les deviner.

— Ce qui prouve, répondait le roi, que vous êtes des imposteurs et des fourbes. Car si vous aviez, comme vous dites, l’intelligence des choses cachées, vous auriez aussi le pouvoir de deviner ce qu’on ne vous dit pas. Allez, et si vous ne devinez pas mon songe, je vous ferai tous mourir. »

Marie-Thérèse. Est-il méchant ce roi ! Et bête aussi, il demande des choses impossibles.

Grand’mère. C’est ainsi qu’étaient tous ces rois païens. Il fallait que toutes leurs volontés fussent faites, même quand elles étaient impossibles à exécuter.

Nabuchodonosor, outré de colère, donna ordre au général de ses armées, Arioch, de faire mourir tous les devins, mages et prophètes de son royaume ; Daniel, qui était déjà connu par ses prophéties, devait être mis à mort comme les autres.

Quand Daniel sut qu’on le cherchait pour lui couper la tête, il alla trouver Arioch pour savoir de lui quel était le motif de la colère du roi. Arioch lui expliqua toute l’affaire. Daniel obtint de lui qu’il attendît pour exécuter cet ordre cruel et injuste ; lui-même alla se présenter au roi, et lui demanda quelques jours pour deviner le songe et lui en donner l’explication. Le roi consentit à les lui accorder.

Daniel rentra chez lui ; il raconta à ses amis Ananias, Misaël et Azarias, ce qu’il venait d’apprendre, et leur demanda de joindre leurs prières aux siennes pour implorer la miséricorde divine, et connaître le songe du roi et l’explication qu’il devait avoir.

Dans la nuit, le Seigneur révéla ce mystère à Daniel, qui remercia avec larmes le Dieu de Juda de lui avoir sauvé la vie. Il alla trouver Arioch et lui dit : « Ne faites mourir aucun des devins ni prophètes. Menez-moi chez le roi, afin que je lui dise ce qu’il désire savoir. »

Arioch alla prévenir le roi, qui fit aussitôt entrer Daniel : « Crois-tu, lui dit-il, pouvoir réellement me dire ce que j’ai vu en songe et me l’expliquer. Aucun de mes devins, mages et augures, n’a pu le faire.

— Seigneur, répondit Daniel, les sages, les devins, les mages et augures ne peuvent découvrir au roi le mystère qu’il veut connaître. Mais il y a un Dieu qui est au ciel, qui révèle les mystères, et qui vous a montré les choses qui doivent arriver dans les temps à venir. Voici quel a été votre songe :

« Vous avez vu une statue ; elle était extraordinairement grande ; elle se tenait debout devant vous, et son regard était terrible.

« La tête de cette statue était de l’or le plus pur. La poitrine et les bras étaient d’argent ; le ventre et les cuisses étaient d’airain ; les jambes étaient de fer, une partie des pieds était de fer, l’autre d’argile.

« Vous regardiez attentivement cette vision, lorsqu’une pierre se détacha de la montagne sans qu’aucun homme y eût touché ; elle frappa la statue aux pieds ; et ces pieds, qui étaient de fer et d’argile, furent mis en pièces.

« Alors le fer, l’airain, l’argent et l’or se brisèrent tous ensemble, et devinrent comme de la paille que le vent emporte ; ils disparurent sans qu’il en restât aucune trace. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne qui remplit toute la terre.

« Voilà votre songe, ô Roi, et nous allons vous en donner l’explication.

« Vous êtes le roi des rois. Le Dieu du ciel vous a donné la force, l’empire, la gloire. C’est donc vous qui êtes la tête d’or.

« Il s’élèvera après vous un royaume moindre que le vôtre ; il sera d’argent. Ensuite viendra un troisième royaume qui sera d’airain. Le quatrième royaume sera de fer ; il brisera tout. Mais, comme vous avez vu que les pieds et les doigts des pieds de la statue étaient en partie d’argile et en partie de fer, ce royaume, quoique venant du fer, sera divisé comme vous avez vu le fer et la terre mêlés ensemble ; il sera faible et fragile.

« Dans le temps de ce royaume, Dieu en établira un qui ne sera jamais détruit ; un royaume qui réduira tous les autres en poudre et qui subsistera toujours. Ce royaume sera celui du Seigneur Dieu, du Messie qui viendra du ciel comme la pierre que vous avez vu se détacher de la montagne. Ce songe est véritable, et l’explication très-certaine. »

Quand Daniel eut fini de parler, Nabuchodonosor se leva de son trône ; il se prosterna le visage contre terre et adora Daniel. Il donna ensuite l’ordre d’apporter de l’encens et des victimes et d’offrir un sacrifice à Daniel. Il dit ; « Ton Dieu est véritablement le Dieu des Dieux, le Seigneur des Seigneurs, le Roi des Rois, qui révèle les mystères ; car il a pu te faire découvrir un mystère si caché. »

Le roi éleva Daniel aux plus grands honneurs ; il lui fit beaucoup de magnifiques présents ; il lui donna le gouvernement de la province de Babylone et l’éleva au-dessus de ceux qui possédaient les premières dignités,

Il ordonna que, suivant le désir de Daniel, Sidrach, Misach et Abdénago eussent l’intendance des affaires de la province de Babylone, et il garda Daniel près de lui pour être son conseil dans toutes les affaires.

Valentine. Je suis très-contente que Daniel et ses amis aient été si bien récompensés. À présent, ils vont être toujours heureux.

Grand’mère. Non, pas toujours ; tu vas voir ce même Nabuchodonosor les persécuter tous et d’une manière cruelle.

Jeanne. Comment ! il a oublié l’admiration que lui ont inspirée Daniel et tout ce qu’il a dit du bon Dieu ?

Grand’mère. Oui, tu vas le voir dans ce que je vais vous raconter.