L. Hachette et Cie (p. 504-507).

CCII

HISTOIRE DE SUSANNE. — DANIEL LA JUSTIFIE

(600 ans avant J.-C.)



Quand l’histoire que je vais vous raconter se passa, Daniel n’avait encore que douze ans, et il était déjà très-connu et considéré pour sa sagesse, son intelligence et ses prédictions qui faisaient voir au peuple que l’esprit de Dieu était en lui, et qu’il était appelé à faire de grandes choses. Susanne était une femme juive qui était très-belle et qui avait épousé un juif de Juda habitant à Babylone depuis la captivité d’Israël. Il était riche ; il avait une belle maison, entourée d’un beau jardin. Il recevait beaucoup de Juifs, entre autres deux vieillards qu’on avait nommés juges pour un an, selon la coutume des Juifs. Ils venaient tous les jours chez Joakim pour juger les affaires du peuple ; ils y voyaient Susanne dont la beauté, la douceur et les vertus les charmèrent, au point qu’ils résolurent d’enlever Susanne à son mari pour l’avoir chez eux.

Un jour donc qu’on avait fini de juger vers midi et que le peuple s’était retiré, les deux vieillards, au lieu de s’en aller, se cachèrent dans le jardin. Ils savaient que Susanne allait s’y promener seule tous les jours, après que tout le monde était parti. Susanne alla se promener ce jour-là comme d’habitude.

Quand elle fut un peu éloignée de la maison, et qu’elle entra dans les massifs où se trouvait une fontaine, les vieillards se précipitèrent vers elle et voulurent l’emmener ; Susanne refusa de les suivre, et se débattit. Les juges lui représentèrent la douce vie qu’elle mènerait avec eux, et l’assurèrent qu’ils l’aimaient tendrement, et qu’ils lui procureraient tout ce qu’elle pouvait désirer. Susanne répondit qu’elle n’aimait que son mari et ses enfants, qu’elle ne désirait rien de plus que ce qu’elle avait.

Quand les vieillards voulurent l’emmener de force, Susanne chercha à s’enfuir pour rentrer chez elle, mais les vieillards la menacèrent d’appeler le peuple et de la faire lapider sous prétexte qu’ils l’avaient surprise avec un jeune homme qu’elle aimait et qu’elle voulait suivre pour changer de mari.

Susanne, effrayée de cette méchanceté, se mit à pleurer ; les vieillards la voyant terrifiée se jetèrent encore sur elle pour l’entraîner. Susanne poussa un grand cri ; les vieillards, sachant que les serviteurs et les servantes allaient arriver, et qu’ils seraient découverts, se mirent aussi à crier. En effet, les gens de la maison accoururent et demandèrent la cause de ces cris. Les juges prirent la parole et accusèrent Susanne d’avoir voulu fuir avec un jeune homme qui s’était échappé de leurs mains. Les serviteurs en furent extrêmement surpris, car Susanne avait toujours eu une conduite sage et parfaite.

Les juges s’étant retirés, Susanne, qui avait nié avec force l’accusation des vieillards, rentra chez elle toute en larmes. Le lendemain, les juges revinrent selon l’usage, pour entendre les réclamations du peuple. Ils ordonnèrent qu’on amenât Susanne Elle vint accompagnée de son père, de sa mère, de ses enfants et de toute sa famille. Tous pleuraient, et aucun ne soupçonnait la vertu de Susanne.

Les vieillards, se levant, accusèrent Susanne devant tout peuple et dirent : « Nous étions dans Le jardin assis à l’ombre, quand nous vîmes arriver Susanne avec deux de ses servantes qu’elle renvoya presque aussitôt. Puis elle alla vers un grand arbre où était caché un jeune homme ; nous les entendîmes causer, et Susanne se disposait à s’enfuir avec le jeune homme, quand nous nous montrâmes : le jeune homme s’enfuit aussitôt par la porte du jardin ; Susanne poussa un grand cri, et nous nous mîmes aussi à crier pour faire venir les serviteurs et pour empêcher Susanne de suivre ce jeune homme.

Tout le peuple crut aux paroles des vieillards qu’on pensait incapables de mentir, et Susanne eut beau protester de son innocence, on ne la crut pas, et les juges la condamnèrent, aux applaudissements de tout le peuple, à être lapidée.

Jacques. Quels méchants coquins que ces vieux juges !

Grand’mère. Mais leur crime ne resta pas impuni, comme tu vas voir.

Susanne, se voyant condamnée, jeta un grand cri, et dit : « Dieu éternel, vous qui connaissez toutes choses, qui voyez ce qui est caché, vous savez que ces juges iniques ont porté un faux témoignage contre moi ; et cependant je meurs sans avoir rien fait de ce dont ils m’ont accusée.

Le Seigneur exauça la prière de Susanne. Pendant qu’on l’emmenait pour être lapidée, le Saint-Esprit envoya le jeune Daniel qui s’écria : « Je suis innocent du sang de cette femme injustement condamnée ! » La foule s’arrêta. « Que veut dire cette parole que vous venez de prononcer ? » demandèrent quelques personnes.

Daniel répondit : « Êtes-vous si insensés, enfants d’Israël, que d’avoir ainsi, sans connaître la vérité, condamné une fille d’Israël ? Retournez pour la juger de nouveau, parce que les vieillards ont porté un faux témoignage contre elle. » Le peuple, étonné de l’accent extraordinaire de cet enfant, retourna donc en grande hâte, et Daniel dit : « Séparez les deux vieillards, et amenez-les moi l’un après l’autre, afin que je les juge. »

On fit ce que Daniel avait commandé, et on lui amena un des vieillards. Après l’avoir questionné, Daniel lui demanda : « Sous quel arbre étaient Susanne et le jeune homme, quand vous les avez vus ? — Sous un sycomore, répondit le vieillard, » Daniel lui dit : « C’est justement que ton mensonge va retomber sur ta tête et que le Seigneur te punira de ta méchanceté. Emmenez-le, dit-il au peuple, et amenez-moi l’autre. »

Quand l’autre fut arrivé, Daniel recommença à l’interroger, et finit par la même question. « Sous quel arbre étaient Susanne et le jeune homme quand vous les avez vus ? — Sous un chêne, » répondit le vieillard.

Daniel lui dit : « C’est justement que tu seras puni de ton mensonge, car nous voyons clairement à présent que vous êtes des calomniateurs et des menteurs. » Tout le peuple jeta de grands cris, et condamna les vieillards à être lapidés ; pendant qu’on les emmenait en les frappant rudement et en les maudissant, Susanne rentrait triomphante dans sa maison ; elle fut reçue au milieu des larmes de joie de son mari, de ses enfants, de ses parents, de ses amis et de ses serviteurs, car tout le monde l’aimait et l’estimait, et personne n’avait cru à l’accusation des vieillards. Ce jugement de Daniel le grandit beaucoup dans la considération du peuple et des grands, et le roi Darius commença alors à le consulter sur bien des affaires et événements difficiles.