CXXXI

REPROCHES DE JOAB
DAVID EST RAMENÉ À JÉRUSALEM PAR LA TRIBU DE JUDA

(920 ans avant J.-C.)



On alla dire à Joab que David était tout en larmes ; qu’il pleurait Absalon. Toute l’armée fut affligée de ce grand chagrin du roi ; les troupes rentrèrent dans la ville sans bruit, sans cris de joie ni de triomphe ; mais elles étaient humiliées, parce qu’elles avaient plutôt l’air d’une armée vaincue que d’une armée victorieuse qui a vaillamment combattu.

Le roi, s’étant couvert la tête, continuait à crier : « Absalon ! Mon fils Absalon ! »

Joab voyait que l’armée était humiliée, mécontente ; il monta chez le roi et lui reprocha durement, sa douleur. « Vous avez couvert de confusion, lui dit-il, les serviteurs qui vous ont sauvé la vie, qui l’ont sauvée à vos fils, à vos filles, à vos femmes. Vous nous faites voir aujourd’hui que vous ne vous mettez en peine d’aucun de nous. Et je vois fort bien que si Absalon vivait, quand même il nous eut tous tués, vous seriez content.

— Que puis-je donc faire ? répondit le roi avec tristesse.

— Venez, mon seigneur, lui dit Joab, vous montrer à votre peuple et particulièrement à vos soldats. Parlez-leur ; montrez-leur votre satisfaction de leur courage. Je vous jure par le Seigneur que, si vous ne le faites, vous n’aurez plus cette nuit un seul homme avec vous ; et vous vous trouverez, vous et votre maison, dans un danger plus grand que dans aucun autre en toute votre vie. »

Le roi écouta le conseil de Joab ; il alla s’asseoir à la porte de la ville ; tout le peuple, l’ayant su, accourut devant lui ; il parla à tous avec bonté, et tous se retirèrent satisfaits.

Pendant ce temps, les soldats d’Absalon, qui avaient été vaincus, retournèrent chacun chez soi et se mirent à dire partout ; « Le roi nous a délivrés des Philistins et de tous nos ennemis ; au lieu de lui en avoir de la reconnaissance, nous avons écouté son fils Absalon, qui l’a forcé de fuir dans le désert. Le Seigneur a puni Absalon ; à présent qu’il est mort, qu’attendons-nous pour faire rentrer le roi dans Jérusalem et dans son palais ? »

Le roi David, ayant été averti de cette bonne disposition du peuple, envoya avertir Sadoc et Abiathar. « Parlez aux anciens de Juda, leur dit-il. Dites-leur : « Pourquoi êtes-vous les derniers à faire rentrer le roi dans sa demeure ? N’êtes-vous pas ses frères, la chair de sa chair, les os de ses os, puisque vous êtes tous descendants de Juda ? » Dites aussi à Amasa que je le nommerai général à la place de Joab. »

Valentine. Pourquoi David veut-il renvoyer Joab ?

Grand’mère. À cause de l’insolence de son langage et de sa menace de faire partir ses soldats. Et puis parce que Joab avait tué Absalon.

La tribu de Juda fut ainsi ramenée tout entière à son roi légitime David. Ils lui envoyèrent demander de rentrer à Jérusalem, avec tous ceux qui lui étaient restés attachés.

Le roi retourna donc et s’avança jusqu’au Jourdain. Toute la tribu de Juda, suivie de mille hommes de la tribu de Benjamin, vint au-devant de lui jusqu’à Galgala, pour lui faire passer le fleuve.

Séméï, celui-là même qui avait maudit, injurié le roi, vint aussi au-devant de lui.

Henriette. Comment osait-il reparaître devant le roi, après son affreuse insolence ?

Grand’mère. Parce qu’il comptait sur la bonté de David et qu’il espérait avoir de lui soit des richesses, soit des honneurs.

Siba, celui qui avait toute la fortune du pauvre Miphiboseth, vint aussi au-devant de David. Ils lui firent tous passer le Jourdain et se mirent aux ordres du roi pour exécuter tous ses commandements.

Séméï, se prosternant devant David, lui dit : « Seigneur, ne me traitez, pas comme je le mérite ; car je reconnais mon crime. Oubliez, seigneur, les injures que vous avez reçues de votre serviteur, et que votre cœur, ô mon roi, n’en conserve pas de colère. »

Abisaï, frère de Joab, dit : « Ces paroles ne peuvent suffire à conserver la vie à Séméï, après qu’il a osé maudire l’oint du Seigneur. »

David reprit : « Pourquoi me tentes-tu, Abisaï ? Pourquoi veux-tu me faire commettre un acte de vengeance ? Ce jour en lequel le Seigneur m’a rendu mon royaume, est-il un jour à faire mourir un Israélite ? Puis, se tournant vers Séméï, il lui dit : « Tu ne mourras pas, je te le jure. »

Miphiboseth se présenta aussi devant le roi. David lui dit : « Miphiboseth, pourquoi n’es-tu pas venu avec moi quand j’ai dû m’enfuir de Jérusalem ? »

Le pauvre prince infirme lui répondit : « Mon seigneur et mon roi, c’est parce que mon serviteur ne m’a pas obéi ; ne pouvant marcher, je lui avais ordonné de préparer mon âne pour vous suivre. Au lieu de le faire, il a été m’accuser faussement auprès de vous, mon seigneur. Faites de moi ce qu’il vous plaira ; vous avez été comme un ange pour moi ; vous m’avez reçu comme un ami ; vous m’avez fait manger à votre table. De quoi donc pourrais-je me plaindre et que puis-je désirer de plus ?

— C’est assez, dit le roi ; tu seras près de moi comme auparavant, et tu partageras avec Siba les biens que je t’ai donnés. »

Jacques. Grand’mère, ce n’est pas juste cela. Siba a menti et a méchamment calomnié le pauvre Miphiboseth ; il méritait d’être puni et de ne pas avoir un sou du bien de Miphiboseth.

Grand’mère. Il faut voir, cher enfant, que David, qui était entouré de traîtres, ne savait pas trop si Miphiboseth lui disait toute la vérité ; dans le premier moment de surprise, il n’a pas voulu dépouiller entièrement Siba ; mais il est probable, bien que la sainte Bible ne le dise pas, que David a réparé complètement l’injustice involontaire qu’il avait commise.

Quand David passa le Jourdain, toute la tribu de Juda l’avait accompagné, et il ne se trouva que la moitié des autres tribus d’Israël.

Ceux d’Israël qui n’avaient pas été avertis, arrivèrent trop tard ; ils se fâchèrent et reprochèrent aux autres d’avoir accompagné le roi sans les attendre.

Ceux de Juda répondirent : « C’est que notre roi nous touche de plus près que vous. N’est-il pas de notre tribu ? Pourquoi vous fâcher ? »

Les autres tribus reprirent : « Le roi nous considère dix fois plus que vous, car nous sommes dix fois plus nombreux. Ainsi David nous appartient plus qu’à vous. » Ceux de Juda répondirent aigrement à ceux d’Israël ; ces querelles amenèrent des mécontentements et de la division.